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  • L'OURS EST MORT

    actualité commentée 

     

      Premier novembre 2004. L'ours est mort.

      Ayant eu plus tard à juger l'homme qui a dépêché l'ours, la présidente du tribunal stupéfaite par la violence avec laquelle on accablait de toute part son prévenu, déclarait : "En plus de vingt ans de magistrature, je n'ai jamais vu un tel déchaînement, même pour les crimes commis sur les enfants."

      S'il reste interdit de liquider les espèces protégées et fort dangereux de se placer en situation d'être obligé peut-être de le faire, il est plus dangereux encore d'affronter tant la politique que la passion populaire la plus insolite.

      L'ours est mort.    

      Si l'ours était facteur, le poète chanterait : " l'amour n'a plus de messager. "

      Si l'ours était Louis XIV, on crierait : " Vive l'ours ! "

      Antoine ne l'appellera plus Cannelle.

      Dans les Pyrénées, l'ours est mort. Un chasseur ivre de nature, de pêche et de traditions l'a tué " en état de légitime défense " affirment ses pareils. Ouais. Nous n'avons pas la preuve, évidemment, que la peau en fût vendue à l'avance.   

      Ah ! Si encore le chasseur avait tué l'ours au corps à corps virilement d'un coup de poignard comme Michel Strogoff (Michel Strogoff), Conrad de Reichendorf(Axelle), Louis Viardot (Souvenirs de chasse), Sonny Tuckson (le mystère des avions fantômes)...

      Le ministre de l'écologie monsieur Lepeltier s'est précipité sur les lieux non pas pour récupérer la fourrure, en dépit de son patronyme, mais pour éviter de répéter les gaffes énormes de son prédécesseur Voynet lors de l'échouage du dernier pétrolier en Bretagne. Elle avait traîné à rentrer de son lieu de vacances, au prétexte peu écologique que ça n'aurait pas remis le pétrole dans les cuves du bateau. Ensuite, priée par un journaliste remarquable de confirmer qu'il s'agissait bien de la pire catastrophe écologique jamais survenue, elle avait presque haussé les épaules, comme si l'absence de pertes humaines suffisait à consoler les hôteliers bretons du Tchernobyl, du Bhopal, du tsunami, du Pompéi, de la montagne Pelée armoricaine !

      Le ministre a confirmé la catastrophe écologique devant la descente de lit. Une catastrophe écologique est selon les besoins politiques du jour : 1) un événement causant un profond déséquilibre biologique ou climatique, ou bien encore un empoisonnement massif d'une région étendue ; 2) le désespoir de millions d'adultes qui ont perdu leur peluche animée. Les politiques alors se partagent les rôles : Raffarin tire le portefeuille du retraité pendant que Lepeltier lui tape sur le bras pour le faire regarder vers les Pyrénées : " Là ! Un ours ! "

    " La montagne a perdu son âme " n'ont pas hésité à clamer plusieurs. La " légitime défense " du tireur, notion radicalement inappropriée, est invoquée pendant ce temps, répétée avec naturel et sans le moindre esprit critique ni sens juridique à propos d'un animal ! Aucune justification de cet ordre n'est à donner pour avoir tué une bête. Mais le meilleur des arguments à plaquer à la face des contradicteurs de l'ours est la chance qu'ils ont de vivre en France. Que diraient-ils s'il étaient Indiens ?

      En cette nation grandissante où l'on a su reconnaître et protéger le patrimoine naturel, on a sauvé le tigre du Bengale sans cela quasiment anéanti sous les coups des ploucs bengalis n'entendant rien à l'écologie. Tout a son prix, mais celui du tigre demeure très raisonnable pour la seconde population du monde : le tigre en ce début de XXIème siècle se contente au Cachemire d'un humain par jour en moyenne, pourcentage inappréciable. Un Occidental ayant ramené de là-bas la matière d'un ouvrage à la gloire de Panthera Tigris, argumente opportunément sur une radio : 
    " Il faut savoir quel prix l'humanité veut bien mettre dans la préservation de ses ressources naturelles. "
      Et si vous restez encore dubitatif :
    " Combien de morts acceptons-nous ici de voir sur la route ? Hein ? Je vous le demande ?

      Cette fois j'ai devant pareil argument trouvé mon maître, et me tais. Qui ne voit comment un tigre est commode pour assurer vos déplacements personnels, professionnels, culturels ? Un tigre menant les enfants à l'école, et voilà les parents rassurés : leurs petits ne seront pas rackettés en chemin. Je vous assure pour en avoir personnellement souvent fait l'expérience, que les cyclistes en groupe éparpillé sur la chaussée se rangent nettement plus vite au feulement d'un tigre qu'aux coups d'avertisseur d'une automobile à laquelle ils font des bras d'honneur. Lorsque vous circulez en tigre, peu d'ennuis avec les gendarmes (sauf si vous avez mis l'animal dans votre moteur), et peu de contestation au moment de remplir les constats amiables. Nous vivons moins frustement que nos aïeux, grâce entre autres à quelques outils générateurs d'une productivité spectaculairement accrue ; le tigre est du nombre. Il n'en va guère de même de l'automobile, qui n'a jamais rien fait de plus profitable que tuer du monde. Il serait donc bien nécessaire de l'éradiquer sans fausse compassion. Parce qu'elle n'est toutefois pas laide à regarder, ni sans intérêt pour l'histoire des techniques, on en conserverait cependant quelques unes derrière de solides barreaux, et l'on ferait bien de s'en tenir là.

      D'ailleurs, conclut notre Occidental : " Les seuls humains qu'ait dévorés le tigre sont ceux qui ont pénétré dans son domaine."
      L'indiscrétion de certains humains passe vraiment les bornes. Ici, au Bengale, sachez-le, vous êtes chez le tigre. Les autres, raus !

      Qu'on me permette de rassurer le lecteur : passer sous la dent du tigre est bien moins pénible qu'on se l'imagine communément. C'est Claude Lévy-Strauss, je crois (et si ce n'est pas lui, c'est un autre) qui raconte comment il s'est un jour trouvé en situation de jouer au chat et à la souris avec un lion. Situation embarrassante, sans doute, car l'anthopologue ne tenait pas, noblesse de son partenaire oblige, le rôle du chat. Eh bien ! Tiré d'affaire par miracle, il déclare s'être trouvé face au fauve d'un coup comme absolument sidéré, anesthésié à tout sentiment, à toute peur, et avoir cru dans un état second assister à un spectacle qui ne le concernait pas. La nature ne fait-elle pas bien les choses ?

      N'est-ce pas Montaigne qui nous enseignait à ne pas nous mettre en peine de la difficulté de mourir ? La mort disait-il nous apprendra elle-même à mourir sans en faire toute une histoire. Il urge d'enseigner Montaigne et Lévy-Strauss aux Bengalis effarouchés. Nous manquons en France de décideurs vraiment modernes, vraiment capables de savoir ce que l'humanité doit être prête à payer pour son patrimoine ; parions que nos responsables liquideraient le dernier ours des Pyrénées au second homme mis en pièces. Ils sont vraiment nuls. 

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  • FLORILEGE RADIOPHONIQUE

    vocabulaire boursouflé 

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      On sourit devant un imparfait du subjonctif, tandis qu'on montre un grand respect pour l'enflure verbale des cornichons. Voici un florilège de formules tarabiscotées relevées à la radio ; il s'agit uniquement de France Inter et de France Culture. Toutefois, alors même que nous écoutons à peu près autant de l'une que de l'autre, seule une faible minorité de ces citations vient de FC. Pourquoi cela ? Nous risquons une explication :

      Sur FC il va de soi pour l'auditeur qu'animateurs d'émissions et invités sont cultivés ; ils n'éprouvent ainsi pas trop le besoin de le prouver avec ostentation. Sur FI au contraire, il faut se montrer intellectuellement à la hauteur de la soeur FC ; on y multiplie donc les démonstrations ridicules de sa valeur culturelle.  

     

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    " décrypter les messages initiatiques "

    " mettre en adéquation une problématique " 

    " un point d'achoppement qui cristallise " 

    " un écrivain sulfureux et iconoclaste "

    " la stigmatisation mélanique " (le racisme envers les Noirs)

    " aborder l'immigration par un prisme assez discutable "

    " une musique qui interroge les technologies "

    " un discours diffracté et polymorphe "

    " le quartier est emblématique de cette problématique "

    " un vin aux sucrosités finement charpentées en bouche "

    " voir la réalisation d'une virtualité fantasque "

    " objecter une autre schématique aux chaînes de la filiation " (obscur ; peut-être le contraire de  " réaffirmer les continuités ")

    " les clefs de lecture dominante de la planète "

    " aller contre l'architecture pour lui enlever son potentiel " (préférer les vieilles pierres aux élucubrations futuristes)

    " le contexte de massification " (l'accroissement considérable de...)

    " la pédagogie discursive frontale " (le cours magistral ; formule peut-être tirée de ces circulaires de l'Education nationale que les journaux aiment publier dans leurs pages comiques)

    " un marqueur identitaire valorisant " (un voile islamique porté volontairement)

    " lire dans un rapport de sacralité au texte "

    " des objets (décoratifs) qui feront l'événement chez soi "

    " la naissance est une rencontre totale de l'altérité "

    " ... qui construit un rapport au savoir " (dans bien des familles modestes, le manuel scolaire est le seul ouvrage qui...)

    " C'est la boîte à outils qui donne du sens à.... "

    " être dans la performance de l'avoir "

    " la plasticité de l'activité parodique "

    " introduire le régime ludique dans la littérature "

    " des travellings qui spatialisent des ellipses " (pas compris )

    " le chevalier d'Eon voulut écrire lui-même sa propre autobiographie " (trois pléonasmes encastrés)

    " un concept qui synergise les différentes fragmentations " (une idée capable de faire surmonter les divisions)

    "la question synthétise les problématiques "

    " l'intérêt de se référer à une approche en termes de trajectoire "

    " l'oralité m'est combat " (j'ai du mal à contenir mon bégaiement)

    " la plupart de leurs flux sont trop capillaires pour être massifiés " (réponse à la question : pourquoi les entreprises transportent-elles autant par camion et si peu par le chemin de fer ?)

    " mettre en cohérence des savoirs éclatés "

    " s'inscrire dans une logique de réalisabilité " (limiter ses projets à ce qui est possible)

    " développer une sémantique de contournement "  (répondre à côté)

    "les chevaux ont un langage essentiellement basé sur la gestuelle "

    " les chiens ont tendance à s'exprimer par la morsure "

    " la loutre est dans une dynamique positive " (sa population remonte)

    " Le regard de la femme est le regard structurant qui donne sens aux entreprises de l'homme" (1)

      Finissons par le sublime : " si la sage-femme reste souvent dans l'ombre, c'est peut-être pour placer en avant celle qu'il faut mettre dans la lumière : la femme.  " 

     

    (1) Dit par un homme. Cette belle déclaration d'allégeance d'un sexe à l'autre valut à son auteur la question immédiate de son interviewveuse : " Est-ce à dire que la femme est plus grande que l'homme ? ", à quoi naturellement il se fit un devoir de répondre que oui.

      Pauvre type.

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  • NOTRE ENSEIGNEMENT SE PORTE MAL

    courrier d'un parent d'élève mécontent 

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       Extrait authentique du brevet blanc proposé dans un collège : 

    " 6510 fourmis noires et 4650 fourmis rouges décident de s'allier pour combattre les termites.

    " 1. Pour cela, la reine des foumis souhaite constituer, en utilisant toutes les fourmis, des équipes qui seront toutes composées de la même façon : un nombre de fourmis rouges et un autre nombre de fourmis noires. Quel est le nombre maximal d'équipes que la reine peut ainsi former ?

    " 2. Si toutes les fourmis, rouges et noires, se placent en file indienne, elles forment une colonne de 42,78 mètres de long. Sachant qu'une fourmi rouge mesure 2 mm de plus qu'une fourmi noire, déterminer la taille d'une fourmi rouge et celle d'une fourmi noire.

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       Ce problème valut rapidement au collège la blitzreplik d'un parent d'élève irrité :

     

    Oberst Helmut von Bratwurst

    Pour le Mérite

     

      Herr Direktor !

      Je suis consterné par ce sujet de mathématiques donné à vos élèves. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin la cause des effondrements successifs des armées françaises devant nos formations allemandes : ceux qui ont pour mission de former votre jeunesse ne détiennent pas les premiers rudiments de l'art militaire ! Votre établissement ne pourra, je le crains, s'ennorgueillir d'avoir vu de bien nombreux futurs stäbler être passés dans ses classes. Je dis " dans ses classes " parce que je suppose que l'expression " dans ses rangs " n'y signifie plus rien depuis longtemps. Mais c'est là votre affaire. Cette guerre des fourmis contre les termites est une véritable allégorie de vos défaites de Forbach à Sedan, en passant par Sedan.

      Voilà bien ce qui arrive dans les monarchies dont le souverain se prend pour un chef de guerre au lieu de déléguer le commandement des troupes à des subordonnés compétents choisis parmi la vieille noblesse terrienne des provinces de l'Est. La reine des fourmis semble manifestement moins soucieuse d'emporter la décision que de constituer ses unités de façon multi-ethnique " politiquement correcte " par un " métissage " très à la mode mais en soi dépourvu de tout avantage opérationnel.

      On note l'absence complète de constitution de réserves. Avec quoi la reine des fourmis exploitera-t-elle la percée ? avec ses stosstruppen harassées par le choc initial ? Où est l'artillerie d'accompagnement ? et les mitrailleuses ? en dernière ligne, comme d'habitude chez vous, de peur de les voir détruites par les pièces de campagne adverses ?

      Rien n'est précisé sur la tenue camouflée des fourmis rouges. Si elles se hasardent les jambes nues, il est à prévoir des pertes  désastreuses de même ampleur que celles de vos troupes à l'été 14, et ce pour la même raison. A moins que la reine, pleine d'illusions sur la valeur des troupes levées dans vos colonies, ne spécule sur son mélange des rouges avec les fourmis noires, amalgame déloyal bien de chez vous dont chacun sait que notre gracieux kaiser n'a jamais voulu faire usage.

      Quant à l'idée d'attaquer en file indienne de 42,78 mètres de long sans aucune largeur de front, c'est vraiment la plus crétine des tactiques. La pauvre reine doit se prendre pour l'amiral russe à qui Togo a barré le T avec les résultats qu'on sait ; à moins encore qu'elle ne confonde un assaut d'infanterie avec un défilement de vos braves, fuyant les détachements allemands à travers les pistes forestières du Cameroun.

      La levée en masse pratiquée par la reine est un procédé donnant rarement de bons résultats. Il aboutit à envoyer au front des vagues mal organisées indistinctement composées de soldats aguerris et d'individus louches inscrits au carnet B, ou de paresseux trop heureux d'échapper à leurs obligations civiles. Ceux-là se débandent évidemment au premier contact, refluant en semant la confusion dans les derrières. Vous n'aurez pas toujours un Joffre pour vous tirer d'affaire.

      Qui dans le plan de la reine assure la logistique ? Personne, apparemment, puisque tout le monde est en première ligne. Il en résultera que de nombreuses soldates parviendront au contact avec un fourniment incomplet ou même pas d'équipement du tout. Il adviendra dès lors que dans la débâcle à prévoir, les traînardes capturées seront mal discernables de simples francs-tireurs. Elles encourront ipso facto d'être fusillées sur place comme de vulgaires Edith Cawell. 

      La mise hors de cause du parti fourmi est malheureusement inévitable, et tout cela, Herr Direktor, par votre faute. Croyez-vous que cela nous amuse de n'avoir que des adversaires de cette " trempe ", ni que nous tirions la moindre satisfaction de les vaincre ? 

     

    Oberst :  colonel 

     

       Note à l'intention des personnes toujours inquiètes du respect d'autrui : les propos ci-dessus sont en conformité avec le ton de la propagande allemande de 14-18. Le commandement allemand, dépité de ne pas disposer lui aussi de l'avantage numérique de contingents issus de son empire colonial, décriait avec dédain leur valeur des troupes noires françaises, alors qu'en fait il la redoutait. On a pu s'en rendre compte dans la littérature ou le cinéma allemands, mais aussi après la débâcle de 1940 au vu de traitements infligés à des soldats africains faits prisonniers.   

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    CRITIQUES DE LIVRES ET FILMS

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      Voir dans la catégorie "Fictions sur l'aviation et l'espace" la critique des ouvrages :

    Galland, Adolf :   Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt

    Nagatsuka, Riujiu :   J'étais un kamikaze

    Mouchotte, René :   Carnets

    Townsend, Peter :   Duel dans la nuit

    Scott, Robert Lee :   Dieu est mon copilote 

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    (Comme pour les pastiches, la "critique" de ce qu'on n'a pas lu est évidemment d'intérêt limité...)

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    Milan Kundera :   L'insoutenable légèreté de de l'être

      On apprend que la mère de l'auteur trouvait drôle de l'affliger en sortant son dentier de sa bouche, et que sa maîtresse est singulièrement excitante nue en chapeau melon. Voilà de la littérature. De bonnes pages pourtant sur le kitsch. Qu'est-ce que le kitsch ? L'auteur cite le cas d'enfants étasuniens jouant sur une pelouse à deux pas du Capitole. Là n'est pas le kitsch. Un vieux crocodile de sénateur arrête sa limousine pour pleurer à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse. Le kitsch tient à ce que le sénateur pleure moins à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse, qu'à la pensée qu'il communie avec tous les hommes qui pleurent à la vue d'enfants jouant sur des pelouses.

      Ce jour, France-Inter m'apprend qu'un sportif ayant gagné une course revient sur la pelouse du stade entouré de sa femme et de son jeune enfant. Ce n'est rien de plus, mais la foule en étouffe d'émotion. Les journalistes présents ont le coeur étreint de la stupeur de la foule. Le sportif reconnaît avoir connu un grand moment. Et on raconte que l'insoutenable, etc., aurait de nombreux lecteurs ! Ils n'étaient pas dans ce stade.

    Georges Bernanos :   l'imposture

      279 pages. Les brillantissimes pages 1 à 21, confession d'un puceau âgé qui voudrait bien pour ses pauvres fantasmes être regardé par son directeur comme un pécheur considérable, font un morceau d'anthologie à découper et conserver à part. On peut jeter  l'imposture constituée par les pages 22 à 279.

    Yukio Mishima :   le marin rejeté par la mer 

      Mishima s'est fait hara-kiri. Il a eu bien raison.

    Jürgen Thorwald :   la débâcle allemande 

      Intéressant pour ses soixante pages accablantes sur le sujet peu abordé ailleurs, des trois semaines du gouvernement du Grand-amiral Dönitz après la mort de Hitler.  

      Trois semaines !  Comment le Grand-amiral pouvait-il en effet espérer conserver plus longtemps la confiance du peuple allemand ? Car ses réalisations sont nulles : rien pour l'emploi sinon de belles paroles, car il fait faire antichambre vainement à Himmler qui cherchait un portefeuille ; il ne fait rien pour l'aviation, résultat ordinaire de l'universelle jalousie inter-armes ; il fait de toute façon très peu pour la marine ; rien du tout pour le bâtiment ; et enfin, comme si l'Allemagne pouvait accueillir toute la misère du monde, il n'a rien fait pour chasser les millions d'étrangers.

    Georges Bernanos :   Monsieur Ouine 

      Exceptionnellement chiant, même pour un ouvrage reconnu de la plus grande littérature ; mais chiant, ce monsieur Ouine, au point de battre sur ce plan jusqu'àMonsieur Godeau de Jouhandeau. Jouhandeau serait justement ignoré sans la vénération qu'il est rendu moralement obligatoire par les belles âmes de lui marquer, simplement parce qu'il est le rejeton d'un département sinistré ; c'est à peu près comme il faut aussi d'obligation prendre au sérieux les Evangiles dont personne ne lirait une ligne si leurs auteurs n'étaient des israélites persécutés. Monsieur Godeau raconte vaguement la même chose que Monsieur Ouine, encore qu'à l'envers et de façon complètement différente sur un sujet parfaitement distinct. "Pouah ! C'est mauvais !" proteste le malade en recrachant la drogue ; "ça prouve que le médicament est bon" lui répond le charlatan (Morris, l'élixir du Dr Doxey). C'est la même chose en art : un livre chiantissime révèle un auteur "immense", comme on dit. Ai lu à raison de cinq pages quotidiennes pendant deux mois, la destinée de ce monsieur qui ouinn's à ne pas être connu. Et pas gai, avec ça ! Ce n'est pas comme dansMonsieur Godeau où l'on rit au moins quelques pages avec l'exhumation et la réduction des corps de dix religieuses, dont neuf décemment décomposées, et une simplement "moisie". In pulvere reverteris... Cela ne lui donc rien ?... Qu'importe : on la jette comme elle est dans le caveau final de neuf mètres carrés capable d'héberger en vrac dix mille âmes, mille ans de la population du couvent. Ai relu ensuite le dialogue des Carmélites pour changer un peu d'air. La fin d'ailleurs est la même.

    Georges Bernanos :   Sous le soleil de Satan    

      A la quatorzième ligne : "une dynastie de meuniers et de minotiers, tous gens de même farine."

      Franchement... Vous continueriez ?

    Chevallier :   Clochemerle

      D'abord, Clochemerle n'est pas un village mais une petite ville : à cesser donc de toujours citer à l'occasion d'une querelle de bouseux. Ensuite, on se demande pourquoi il n'est pas au programme des écoles tant on a peu fait aussi bien dans un antimilitarisme aussi brillant et sans la moindre lourdeur moralisante. Bourré aussi d'excellents aphorismes que dans notre modernité d'aucuns diraient bien un peu misogynes ; ainsi : "Les femmes, quand on y songe, elles n'ont que ça à penser." 

    Chevalier :   Manuel du dessinateur industriel

      Tiré à plus de millions encore que le précédent. Le "Bled" du dessin industriel. Aucun intérêt. Ce n'est même pas le même Chevalier.

    François Mauriac :   Thérèse Desqueyroux

       "Dèqueyroux" ou "Dessqueyroux" ? 

    John Knittel :   Thérèse Etienne

      Autre Thérèse assassinant son mari.

    Emile Zola :   Thérèse Raquin

      Encore !...  Laissez les Thérèse rester vieilles filles ; c'est plus sûr.

    André Maurois :   Climats 

      Tout ce que l'amour a de subtil, raffiné, charmant. Si mon exemplaire vous tente, n'hésitez surtout pas à l'emporter. "Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux" (Voltaire) 

    Michel de Saint-Pierre :   Les aristocrates 

      Tout ce qui peut advenir à une famille titrée tombe en deux cents pages sur la tête de celle du livre. Haletant. On a vraiment le sentiment de faire partie de la famille, surtout moi qui vois au chapitre 17 le marquis de Maubrun, personnage central, lire le Journal Officiel du 3 juillet 1953, jour de ma naissance ! Laissez-moi mon exemplaire.

      Adapté à l'écran avec brio, Pierre Fresnay faisant un noble plus noble encore qu'en capitaine de Boieldieu de la Grande Illusion. Il semble dangereux de montrer ainsi au peuple qu'un roturier peut passer magistralement pour plus noble que nature. Et lorsque selon le film, tantôt le metteur en scène, tantôt le partenaire sont d'authentiques nobles eux-mêmes, quelle inconséquence de la part de leur classe !

      A noter qu'à l'exception d'un faux noble et d'une future marquise, tous les personnages "roturiers" du livre parlent ou écrivent un français défectueux. Funny !

    Philippe Hériat :   Famille Boussardel 

      Toujours inégalé pour occuper les dimanches après-midi pluvieux.

    Stefan Zweig :   Marie-Antoinette

      Pourtant réputé pour la gaîté de ses ouvrages, l'auteur manque ici comme par un fait exprès plusieurs occasions de plaisanter à travers des parallèles qui sautent aux yeux du lecteur. Qu'on en juge :

      Stefan Dreig nous conte en détail les tribulations intimes des sept premières années du ménage Capet. Que n'en profite-t-il pour blaguer : "Ce pauvre Louis XVI aura tout vu : il ne doit pas être amusant de se faire trancher le prépuce sans anesthésie."

      Autre chose : Maïté d'Autriche, impératrice mère de "Toinette" comme on surnommait irrévérencieusement la dauphine, au départ de cette dernière de Vienne pour les félicités de la chambre à coucher, lui remet pour viatique un mémorandum politique à relire tous les mois de sa vie ; et quel jour du mois ? le 21 ! Et Stefan Vierg de manquer encore une occasion de s'esclaffer.

      L'auteur passe au récit de la fuite à Varennes. Le ménage royal, nous dit-il en page 322, traverse "la grande ville de Châlons". Qu'avait donc fumé ce jour-là Stefan Fünfg ? car Ruthénium qui vécut vingt-huit années dans cette maigre cité ne s'est jamais avisé qu'elle fût grande. Mais voilà que Stefan Sechg onze lignes plus bas écrase le mégot de son pétard puisqu'il requalifie le lieu-dit de "petite ville sans distraction".

      A noter que la fin du roman, pour être digne sans doute, n'est pas heureuse.

      (et par association d'idées, on peut voir une belle tête de Stefan Siebeng dans le jardin du Luxembourg.)

    Fédor Dostoïevsky :   Crime et châtiment

      Moi qui jusque dans l'adolescence n'ai jamais une seconde cru au marxisme (simple affaire de conformation logique de la cervelle), il m'a fallu après la débandade communiste internationale de 1989 entendre comme vous aussi l'invraisemblable étalage de morgue imbécile de tous ces "intellectuels" forcés de reconnaître avoir fait fausse route, mais proclamant avoir eu raison d'avoir eu tort, accusant de surcroît ceux qui avaient eu raison de n'avoir eu raison que pour avoir été des salauds incapables de laisser le coeur égaré l'emporter sur les évidences flagrantes.

      Je tenais donc depuis lors ces pouffiats de l'intelligence pour des modèles de stupre intellectuel coupables d'un hallucinant péché d'orgueil. Pas de chance : c'est moi qui ai tort. Fiodor Mikhaïlovitch me l'apprend dans son roman : celui qui a péché et s'est repenti est meilleur que celui qui n'a jamais péché

    Aragon :  les beaux quartiers

      Le prénom de cet auteur est mal déterminé. Certains l'apostrophaient d'un "Louis" et d'autres tels Cohn-Bendit, d'un "Vieux con".

      On sait le rôle d'Aragon dans le mouvement surréaliste ; c'est une application des principes de cette école qui nous vaut la signature toute fière de l'ouvrage :"terminé le 10 juin 1936 à bord du Félix Dzerjinski."

      Alors là, chapeau, hein !

    Brigitte Bardot :   Initiales B.B.  (mémoires)

      Commentaire en cours de relecture par mon avocat.

    Jean-Pierre Luminet :   les trous noirs ;   Eugene Cernan :   J'ai marché sur la lune ; condensé paru dans Sélection

      Pour savoir en un instant avec assez de sûreté ce que vaut un auteur inconnu, il faut dans son livre lire en premier la dernière phrase. Le commencement ne signifie rien. Longtemps je me suis couché de bonne heure... Quelle affaire ! Sans compter que c'est la porte ouverte à tous les canulars littéraires : sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent... 

      Si la chute est neutre ou absente, on a affaire à un simple rédacteur suffisamment modeste pour mesurer ses limites. Est-elle plutôt du genre : "Elle lui sourit, et tous deux partirent d'un grand éclat de rire" ; ou bien encore : "les grilles du château se refermèrent sur le jeune couple à l'orée de l'allée d'ormes séculaires" ; alors, je suppose que vous venez d'acquérir sur place de quoi patienter en attendant le train.

      La chute est-elle astucieuse, inédite, drôle, originale, on tient peut-être un écrivain. Est-elle boursouflée d'une prétentieuse philosophie naïve, ou d'un sentimentalisme niais à pleurer, et l'ouvrage ne vaut que par son éventuel contenu d'information pure. Commençons ainsi par la chute du livre de Luminet (Luminet, les trous noirs !) :

      Il ne faudrait pas que l'expression trou noir soit comme le mot Dieu : qu'elle masque et déguise somptueusement ce que nous ignorons. Fin du livre.

      Hé bé !

      Poursuivons avec la chute du livre de Cernan (Apollo X et XVII) :

    - C'est vrai, mon papy, que tu es allé là-haut ? m'a demandé ma petite fille en montrant la lune.

    - Oui, ma petite puce. Ton papy est allé là-haut. Il y est vraiment allé.  Fin du livre.

       Prends un  nègre !

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     CINEMA

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    La grande illusion

      De ce que nos rois furent mal entourés, mal conseillés, résulta que la famille Laudenbach ne fut jamais anoblie. Il n'importe : aucun noble ne parut jamais plus noble que Pierre Fresnay son rejeton. Spécialisé dans les rôles aristocratiques comme Noël Roquevert dans ceux de de colonel en retraite, il devait nous donner le comte de Boieldieu de cette Grande Illusion avant le marquis de Maubrun des Aristocrates de l'assurément noble Denis de la Patellière ; outre le rôle de Vincent de Paul (dont la particule ne doit pas égarer) pour la noblesse du coeur, "la seule vraie" disent les roturiers qu'on s'abstient par charité de corriger, aux deux sens du terme.

      Hélas ! Si certains nobles comme l'auteur des SAS ont mis leur titre en étrange position vis-à-vis du devoir d'exemplarité de leur classe, par leurs descriptions souvent franchement ridicules de fellations, onanismes partagés et sadismes consternants, d'autres n'on jamais été nobles du tout. Parmi les habituels roturiers qu'on croit toujours nobles figurent trois grands soldats allemands du XXème siècle : Stroheim, Paulus et Ludendoff. Les deux derniers ont perdu : on n'est jamais si grand que dans le malheur. Le premier n'a jamais vu une caserne sauf en studio, qui s'est fait sa vie durant passer pour expert militaire ; sa particule est imaginaire comme on pouvait s'en douter : "Monsieur de la Chaumière" ! Je sais un paysan que l'on nommait Gros Pierre...

      La Grande Illusion ferait date dans l'histoire de notre cinéma sans une erreur absolument grossière qui n'ayant échappé à personne, l'a définitivement perdu dans l'estime des connaisseurs - la "beauté" de Dita Parlo sinon suffisait au désastre. Jugez plutôt : nous voyons sur un mur à la minute 33 du film, censé se passer en 1916, une carte de l'Allemagne après le traité de Versailles ! Hou, hou !

      A la minute 76 Pierre Fresnay marchant en Allemagne en jouant de la flûte entraîne derrière lui tout une troupe d'Allemands. Il est ici permis aux germanistes de soupçonner la malice délibérée du scénario.

     

    Les Hauts de Hurlevent

      J'ai réussi à tenir jusqu'au bout, à l'inverse de mes vains essais avec le roman. Une magistrale exécution au claveçin de la version courte de la marche turque de Mozart. A part cela...

      Le roman, lui, est un chef d'oeuvre : l'ennui profond qu'il exprime tout du long est la marque infaillible des oeuvres élevées. C'est un Creusois qui rédige ces lignes : il sait grâce à son mortel compatriote Jouhandeau ce dont il parle ; on préfère de loin se poiler à Guéret avec les oeuvres du Creusois autrement plus amusant Jean Guitton, sorte de Marcel Aymé du Limousin. Pour en revenir aux soeurs Brontë, on toussait en famille plus qu'on ne rigolait dans le presbytère de Haworth ; le bacille de Koch devait par bonheur y faire bientôt cesser la production littéraire.

     

    Les sentiers de la gloire

      On a rendu à ce film un signalé service en l'interdisant si longtemps en France : tout le monde à présent se jette dessus, alors qu'il n'est pas si extraordinaire. Le film s'interrompt sur une très bonne scène de cabaret, pourtant, juste avant la tournante géante qui semble inéluctable ; mais bon ! C'est la guerre.

      C'était pourtant de la part de Kubrick qu'on n'attendait guère sur ce chapitre, un intéressant effort de réhabilitation de l'autorité dans l'armée, trop souvent en butte à l'indiscipline atavique de notre peuple. Il est malvenu de pleurer sur les fusillés pour l'exemple et d'invoquer de grands principes lorsque le PIB est en danger. Le généralissime allemand Ludendorff ne s'y trompait pas, lui qui écrivait après-guerre : "On a poussé jusqu'en Allemagne des cris d'indignation devant l'implacabilité de l'état-major français face aux rébellions de soldats et refus d'obéissance. Mais quoi ! Il ne faisait que son devoir, à l'inverse du nôtre sans cesse entravé dans l'exécution du sien par toute sorte de protestations soi-disant humanitaires venues souvent des autorités elles-mêmes !"

     

      (La procédure à l'américaine du conseil de guerre dans le film est totalement ridicule. Pourquoi cette absurdité du scénario chez un metteur en scène connu pour son exigence dans le détail des reconstitutions ?)

     

    Citius, altius, fortius

      Un film peu connu de Renoir, une critique railleuse du sport-spectacle et de l'ampleur démesurée de l'investissement individuel exigé dans le sport professionnel.

      Gabin très bon dans le rôle du sprinter qui s'étale à chaque tentative de départ. Le meilleur du film est toutefois donné par Jouvet, irrésistible dans le rôle de l'entraîneur assistant avec la plus parfaite impassibilité aux chutes répétées de son poulain.

      En bien hélas, ce film dont vous vous régaliez par avance, que vous demandiez déjà à votre fournisseur de disques, n'existe pas. Nous allons poursuivre une fois encore dans cette voie en rapportant ci-dessous un résumé fait naguère sur un forum de cinéma où nous passions sous le pseudonyme "Grandson" pour y taper délibérément sur les nerfs des participants au moyen d'une foule de remarques inopportunes, en particulier dans la démolition des impossibilités physiques de diverses scènes d'oeuvres connues. Après avoir bien exaspéré quelques semaines les cinéphiles...

     

    Björ oglup jnig taddordhür

      A tous mes amis, et je les sais nombreux, j'annonce qu'ils auront le regret de ne pouvoir me lire d'une quinzaine : je pars en Suède. Un vrai cinéphile bien entendu ne perd jamais son temps, et je profiterai de mon voyage pour aller voir au cinéma Björ oglup jnig taddordhür qui cartonne là-bas plus fort qu'ici les Chtis. C'est comme son nom l'indique un film assez gore qui doit son succès à ce qu'il prend le contrepied des asphyxiantes valeurs morales et civiques dont est gavé tout Suédois depuis le berceau. Aux Scandinaves étouffés par le carcan du puritanisme moral, du féminisme en délire, de l'égalitarisme forcené, du tutoiement de rigueur, du politiquement correct érigé en réflexe de Pavlov... les miasmes du scénario apparaissent comme un véritable ballon d'oxygène (de dioxygène, rectifierait immédiatement mon fils dans le secondaire).

      Argument du film : une Suédoise archétypale de magazine français, s'égare dans la nuit polaire au volant de sa SAAB (Svenska Aeroplan Aktiebolaget) tricylindre à deux temps de 1960. Elle finit par entendre ses roues patiner définitivement. Elle a beau manier nerveusement le levier de vitesses et l'embrayage en faisant devant l'objectif secouer de manière intéressante sa crinière léonine, et frémir de colère ses formes sculpturales, elle n'en est pas moins bloquée sans remède. La critique y a vu les prémisses d'un retour des "valeurs" machistes à travers la symbolique impuissance de la Femme elle-même à imposer sa volonté à la matière. L'héroïne ouvre alors sa portière et descend dans la nuit. Ses escarpins s'enfoncent jusqu'au mollet dans les détritus entassés sur la décharge de Tushpamaköping : foetus, rats, gnomes... Progressant malaisément vers une croisée lugubrement éclairée qu'on aperçoit au loin, elle tombe au détour d'une montagne de sacs poubelle sur un homme occupé à la perpétration du pire crime sexuel concevable dans les pays du Nord : il urine debout...

      Cote de la Centrale Catholique du Cinéma : pour toutes.


  • MORALE MODERNE

    essai 

     . 

      On doit prendre avec intérêt connaissance de la législation suisse récente relative au respect de la créature végétale. Cueillir sans motif une fleur, étêter par jeu les marguerites, n'est pas une infraction réprimée, mais c'est un mal, officialisé comme tel. C'est un réel progrès dans l'élévation de la morale et de la dignité des humains eux-mêmes.

      Il nous semble qu'à partir d'une situation de table rase faite du passé, lorsque tout est à reconstruire comme au lendemain d'une guerre mondiale, on observera les périodes suivantes dans le progrès de l'élévation morale :

      Première période

      La guerre vient juste de finir. On n'a pas le temps de s'appesantir sur des subtilités et des raffinements. Il faut agir, produire, bâtir. La valeur morale des comportements est mise au second plan, la morale ne donnant ni toit ni pain. On ne se permet pas le luxe d'un souci environnemental contre-productif. On ne s'occupe de sécurité que là où le danger est préoccupant en termes de coût à court terme. Les gamins d'une association qui se déplace de son lieu de rassemblement vers son lieu d'exercice sont trimbalés sans ceinture sur les bancs longitudinaux d'un camion à ridelles. Les bêtes ne sont pas supposées posséder une sensibilité excessive. La magouille financière et fiscale est banale ; la politique est souvent corrompue. La femme et l'enfant sont écoutés lorsqu'on en a le temps. Les crimes de moeurs sont souvent escamotés, ou sinon jugés avec beaucoup d'indulgence. Les simples délits de moeurs n'intéressent pas beaucoup les agents répresseurs.

      Seconde période

      Les ventres sont remplis et l'hiver se passe au chaud. On se prend enfin de compassion pour les pauvres, les faibles et les bêtes. On prend au sérieux la prééminence de la vie et de la santé sur les résultats économiques immédiats. On évoque la notion de principe de précaution. On en finit avec les bâtiments aisément inflammables, les comportements routiers libres, les répressions idiotes (notamment sexuelles), les abus de faiblesse physique et aussi, avec beaucoup de précaution, psychique.

      Troisième période

      Le principe de précaution a échappé à ses parents. Enfant monstrueux, il tue en freinant ou empêchant des progrès qui permettraient de réduire la mortalité à moyen terme. Il tue en empêchant qu'on fournisse aux pays pauvres des procédés bon marché de réduire la mortalité, mais rejetés par les pays riches pour cause de risques associés mineurs ou folkloriques, telle la possible mise en danger de certaines espèces de bestioles. Le droit de faire ce qui n'est pas interdit est remplacé par l'interdiction de faire ce qui n'est pas autorisé. Il reste cependant permis par dérogation d'éteindre un incendie avec de l'eau non traitée. Tout geste de l'existence matérielle est codifié, normalisé, contrôlé en vue d'améliorer l'hygiène, la sécurité, la consommation dirigée. Le test ADN à bas prix identifie qui a uriné ou déféqué dans la forêt. La défense des faibles et des victimes prend une ampleur sans précédent, proportionnée au nombre de nouveaux faibles et victimes identifiés (inventés). Un temps estompée, la répression sexuelle réapparaît sous des formes inédites. Après avoir sur ce sujet balayé dans un court premier temps le poids des vieilleries de jadis, la morale laïque reconstruit le droit sexuel en beaucoup moins indulgent, infligeant pour des comportements même exempts de dol ou de fraude, mais supposés dégradants, des peines immédiates et certaines au lieu de châtiments post-mortem aléatoires. Il devient beaucoup plus dangereux de comparoir en justice pour un viol sans homicide que pour un homicide sans viol. Selon le principe général illustré par les bûchers de l'Inquisition succédant aux flambeaux humains chrétiens des nuits de Néron, bien des catégories minoritaires autrefois brimées font payer fort durement au moindre motif leurs tourments ou assujettissements passés. L'emploi toujours plus fréquent du renversement de la charge de la preuve et autres abominations morales de cet ordre sont regardés comme indispensables au progrès moral.

      Quatrième période

      Au lieu de se dépenser dans la culture (y compris scientifique et technique) l'esprit s'aventure en des terres auparavant insoupçonnées. Les animaux ne sont plus simplement protégés, mais bénéficient d'une segrégation positive en regard des intérêts humains. Les plantes deviennent des personnes. Les pierres et l'eau n'en sont pas éloignées. L'homme reste toléré, mais la femme est érigée en aboutissement de l'univers (sous réserve des droits des pierres et des eaux). Un code sexuel est promulgué ; inspiré de 1984, il ne permet à peu près rien. La parole en toute chose ne doit porter que le respect ; l'ironie est une faute lourde. Dieu ne se porte pas si bien qu'autrefois, mais les croyants peuvent régler son compte judiciaire à tout persifleur. Paradoxalement, la religion offre des échappatoires à la loi. Quand la loi dicte qu'on marche sur la tête, se réclamer d'une foi qui l'interdit est le seul moyen de ne pas le faire. Une mesure de limitation légale des rites religieux est pourtant prise : l'interdiction de l'absolution en confession. L'absolution amnistie le pénitent qui montre du repentir sincère, et le dispense de s'imposer plus longtemps les souffrances morales de ce repentir. L'absolution de la sorte tend à rendre l'individu peu sujet au sentiment de repentance illimitée dans le temps ; or la loi précisément magnifie en tout la repentance. En fait et plus généralement, une religion laïque aux interdits et obligations omniprésents remplace par force les théologies facultatives d'autrefois. La justice hésite continuellement entre deux voies sans savoir s'arrêter à l'une ou à l'autre : ou bien incarcérer à vie les petits délinquants, ou bien libérer immédiatement les assassins après les avoir entendus avec bonté et dûment chapitrés.

      Cinquième période

      L'humanité se catharise. Elle interroge la science : peut-on dématérialiser les corps et maintenir les esprits, dégagés de tout désir, au sein de champs physiques immatériels ? Car il apparaît que la dignité humaine ne peut perdurer sans cette sorte d'identification de l'être humain à Dieu ; mais la chose n'est pas facile.    

       A l'irréalisabilité de cette exigence d'évolution pourtant indispensable à la dignité humaine, le suicide collectif terminal semble en fin de compte la seule réponse logique.

      Il est même désirable, puisqu'en définitive la conservation même des seuls esprits humains pollue la pureté originelle de l'univers.

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    EXPOSES  D'ASTRONOMIE 

    Usage libre sous réserve de n'en faire aucun usage commercial et d'en préciser l'origine

     

    Dans l'ordre, de haut en bas : 

    - Les trous noirs

    - La fusée ; principes physiques

     

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    LES  TROUS  NOIRS  

     

    Prononcé dans un club d'astronomie (de façon plus souple), le texte de cet exposé est disponible et libre d'emploi pour qui voudra, sous les seules conditions de n'en faire aucun usage commercial et d'en préciser l'origine. En cas d'utilisation à fins collectives, merci de laisser un commentaire précisant en quel contexte.  

      Ce texte a pour objet principal l'exposé des notions élémentaires sur les trous noirs les plus simples, dépourvus de rotation. Les calculs seront effectués en supposant ces objets déterminés par les lois de la physique classique, newtonienne. Or la vitesse proche de celle de la lumière atteinte par les corps en tombant dans un trou noir suggère qu'ils sont plutôt régis par la physique relativiste bien plus complexe. Aussi dans un second temps préciserons-nous, de façon cette fois qualitative, les différences les plus visibles entre un trou noir "newtonien" simple mais purement théorique, et un trou noir réel ou relativiste.
      On adoptera les abréviations qui suivent afin d'alléger le texte :
    TN  :  trou noir, en général
    TNN  :  trou noir newtonien
    TNR  :  trou noir réel, c'est-à-dire relativiste

     

    Caractéristiques générales des trous noirs

      Le pasteur et astronome anglais Michell se demandait au XVIIIème siècle si toutes les étoiles étaient nécessairement visibles. Un corps lancé du soleil doit être animé d'une vitesse de 618 km/s pour échapper à la pesanteur de l'astre et n'y jamais retomber. On dit que la vitesse de libération solaire est 618 km/s. Peut-on concevoir une étoile si massive que sa vitesse de libération atteigne et dépasse la vitesse de la lumière qui vaut 300 000 km/s ? En ce cas la lumière émise retournerait sur l'astre émetteur sans nous atteindre.
      La lumière est une onde et les ondes échappent à l'emprise de la pesanteur, mais Michell se plaçait dans l'hypothèse d'une lumière faite de corpuscules matériels. Les deux théories ondulatoire et corpusculaire coexistaient ; l'hypothèse ondulatoire fut definitivement établie vers 1820, causant l'oubli de l'hypothèse de Michell ; Newton préférait l'hypothèse corpusculaire ; elle devait à l'autorité du savant une part de sa crédibilité.  

      La vitesse de libération est de quelques km/h depuis la surface d'un modeste astéroïde, de 2,4 km/s depuis la lune, 11 km/s depuis la Terre et 618 km/s depuis le soleil. La masse de l'astre ne suffit pourtant pas à déterminer sa vitesse de libération ; il faut aussi tenir compte de sa compacité.
      Supposons que le soleil de densité moyenne 1,4 acquière à masse constante les 5,5 de la densité terrestre. Son rayon diminuerait de 696 000 km à 441 000 km. Sa pesanteur de surface passerait de 274 m/s² (28 fois la pesanteur terrestre) à 683 m/s². Sa vitesse de libération en surface monterait de 618 km/s à 776 km/s.
      Il faut considérer que la vitesse de libération est aussi la vitesse à laquelle atteint la surface un corps lâché sans vitesse initiale depuis "l'infini", depuis en pratique plusieurs fois le rayon de l'astre. Un corps tombant ainsi sur le soleil tel qu'il est rencontre sa "surface" à 618 km/s. Il traverserait à la même vitesse la sphère virtuelle de 696 000 km de rayon centrée sur le soleil si celui-ci se rabougrissait à 441 000 km de rayon. Il pourrait donc acquérir sur la différence de trajet, un complément de vitesse égal à la différence entre 618 et 776 km/s avant d'atteindre ce soleil réduit au rayon de 441 000 km.
      Ainsi la compacité d'un astre entre-t-elle en ligne de compte autant que sa masse pour déterminer une vitesse de libération.

      Il devient alors facile à travers des calculs que nous sautons, de trouver une relation simple combinant masse et rayon d'un astre pour que sa vitesse de libération vaille 300 000 km/s. Soit un astre de masse "m" exprimée en kilogrammes et de rayon "r" donné en mètres ; sa vitesse de libération vaut 300 000 km/s si le rapport :   

    m/r  =  6,74.10^26       (6,74  x  10 à l'exposant 26)

      On remarque que la masse peut être quelconque et n'a pas besoin d'être celle d'une grosse étoile de plusieurs masses solaires. Il y a souvent confusion à ce niveau : l'effondrement d'une grosse étoile est le seul mécanisme connu pour engendrer un TN ; il est donc très possible que n'existent pas de TN plus petits que ceux d'une masse de calibre stellaire ; cela n'empêche pourtant pas qu'un mécanisme différent et hypothétique puisse en théorie donner des TN de petite masse.

      Appliquons la formule donnée à la masse du soleil qui vaut 1,99.10^30 kg :  le rayon d'un TN de masse solaire est 2950 mètres, ou 3 kilomètres.
      Appliquons à la masse de la Terre, qui vaut 5,94.10^24 kg : le rayon d'un TN de masse terrestre est 9 millimètres.
      Observons que le rapport de 330 000 entre la masse du soleil et celle de la Terre est aussi le rapport entre les rayons des deux TN ayant ces masses. On pouvait aussi le déduire de la formule. Or la masse d'une boule croît au cube de son rayon tandis que celle d'un TN ne croît, on le voit, que proportionnellement au rayon : un TN de masse double montre un rayon double et non pas multiplié par racine cubique de 2 (qui vaut 1,26). 

      Il en résulte évidemment que la densité d'un TN décroît rapidement avec sa masse et donc son rayon. Faisons le calcul de la densité d'un TN de masse solaire grâce aux données qui précèdent : nous trouvons :  1,85.10^19 kg/m3. Ce n'est pas énormément supérieur à la densité des étoiles à neutrons elles aussi créées par l'effondrement de grosses étoiles simplement un peu moins massives que les progénitrices des TN. 
      La masse du soleil vaut 330 000 masses terrestres ; or il est manifeste qu'on rangerait dans une sphère énorme de 3 km de rayon beaucoup plus de 330 000 billes de 9 mm. On en logerait environ trente millions de milliards. Il apparaît ainsi que la densité d'un TN de masse terrestre sera vertigineuse. La densité d'un TN varie au carré de sa masse.
      Est-ce à dire qu'un TN colossal de la masse d'une galaxie serait assez peu dense ? Nous avons toutes les données suffisant à déterminer les caractéristiques d'un TN dont la masse vaudrait 100 milliards de masses solaires (2.10^41 kg), ordre de grandeur pour une galaxie. Nous trouvons un rayon de 300 milliards de kilomètres ou 11,6 jours-lumière. Sa densité vaudra 5 grammes au mètre cube, ce qui vaut la densité de notre atmosphère vers 35 000 mètres ; quelques ballons s'y maintiennent, mais pas d'avion.

      Après ce résultat qu'on n'attendait pas de l'image courante des TN, intéressons-nous à leur pesanteur "de surface", si tant est que la densité minime atteinte par les TN très massifs laisse encore croire à une quelconque surface.
      On sait que la pesanteur à la surface terrestre vaut 9,81 m/s² : un corps en chute libre atteint 9,81 m/s ou 35 km/h au terme d'une seconde de chute. La pesanteur est 274 m/s² à la "surface" du soleil. On image en disant la pesanteur égale à "g", ou "1g" sur la terre et 28g sur le soleil.
      Lorsqu'une boule de masse invariable change de rayon, sa pesanteur de surface change en proportion carrée inverse : si la Terre avait un rayon double ou moitié pour la même masse, sa pesanteur en surface vaudrait respectivement le quart ou le quadruple. Il suffit donc de connaître le rapport entre le rayon d'un astre et le rayon d'un TN de même masse pour connaître la pesanteur de surface de ce TN.
      Puisque le rayon d'un TN de masse terrestre vaut 9 mm et le rayon de la planète 6370 km, ou 707 millions de fois plus, la pesanteur à la surface du minuscule TN de masse terrestre vaudrait (707 millions)² de fois la pesanteur habituelle, soit 500 millions de milliards de "g". La pesanteur de surface d'un TN de masse solaire serait (même mode de calcul, vérifiable par le lecteur) de 1500 milliards de "g", bien moindre donc... La pesanteur à la périphérie d'un TN de masse galactique de 100 milliards de soleils vaudrait à peine 15 g...

      Dissipons ici une idée fausse consistant à penser qu'un TN est un aspirateur tout-puissant, si bien que par exemple le soleil remplacé par un TN de même masse avalerait rondes ses planètes. Il n'en est rien. Elles conserveraient leurs orbites.
      Si la pesanteur à 1 million de km du centre d'un astre vaut 10 g, il importe peu que cet astre ait un rayon d'un million de km et qu'on soit à sa surface, ou que l'astre n'atteigne avec la même masse que deux, dix, vingt ou trois cents mille kilomètres de rayon seulement, tandis qu'on se trouve très au-dessus de sa surface : à 1 million de km du centre, la pesanteur est la même qu'on soit posé au sol ou qu'on le survole de loin. 
      Une comète rasant le soleil à son périhélie passe à 700 000 km de son centre ; le soleil remplacé par un TN de même masse et 3 km de rayon ne changera rien à l'orbite de la comète, qui passera toujours à 700 000 km du centre. C'est uniquement si la comète venait à passer quelque part entre 3 km et 700 000 km du centre qu'elle subirait du TN central une influence plus forte.La puissance attractive spécifique à un TN ne se manifeste qu'entre l'extérieur de ce TN et le rayon de l'astre qui aurait même masse.

      Calculons les paramètres de deux TN assez particuliers, le plus grand et le plus petit possible. Supposons un TN qui recèlerait toute la masse de l'univers visible. La masse de ce TN vaudrait "environ" (marge d'erreur considérable) 10^54 kg ou cinquante milliards de milliards de masses solaires. Ce chiffre comprend en fait l'équivalence-masse de toutes les formes d'énergie invisibles. L'application de nos calculs détermine le rayon de cet objet : 15 milliards d'années-lumière, ordre de grandeur encore du rayon de cet univers visible. Si pourtant l'image est frappante et correspond peut-être à quelque verité sous-jacente, il faut éviter de tomber dans la tentation courante de qualifier l'univers de TN. Même si les phénomènes à l'intérieur d'un TN sont des plus mal connus, l'analogie ne semble pas aller beaucoup plus loin qu'une confrontation de chiffres.

      Le plus petit TN possible est le TN dit de Planck, celui que l'on compose avec les grandeurs de Planck : il possède masse de Planck (2,18 microgrammes, soit à la densité de l'eau une sphère visible à l'oeil nu d'un tiers de millimètre de diamètre) et longueur de Planck pour rayon, une valeur minuscule proche de 10^-35 mètre. Non qu'une masse plus faible n'existe pas ! mais elle ne saurait a priori se constituer en TN ; on en verra plus loin les raisons.
      Quoique nous ayons calculé depuis le début selon la physique newtonienne, c'est la relativité généralisée (RG) qui régit les TN ; or la confrontation de la RG et de la physique quantique qui inspire les grandeurs de Planck, montre que la RG, qui est encore une physique presque "classique" et encore quelque peu conforme à nos intuitions, ne gère plus ce qui se passe à l'échelle de la longueur et du temps de Planck. 
      D'autre part, la démonstration du phénomène d'évaporation des TN (voir plus bas) montre que si cette évaporation est infime pour un TN de masse appréciable, elle est très rapide pour un TN très petit, et fulgurante pour un TN minuscule : un TN de Planck s'évaporerait en un temps de Planck ou 5,4.10^-44 seconde. La longueur et le temps de Planck sont regardés comme la longueur et le temps sous les valeurs desquels n'existe plus de longueur ou de temps qu'on sache définir ; comment définir alors un TN plus petit, d'un rayon qu'on ne sait définir, et s'évaporant en un temps qu'on ne sait définir ?
      On rappelle que la durée de Planck est au dixième de seconde ce que le dixième de seconde est à mille milliards de milliards d'âges de l'univers. Nous avons choisi le dixième de seconde en le posant égal à l'intervalle de temps que le cerveau est à même de distinguer d'un autre dixième de seconde.
     
    Résumé des lois générales précédemment exposées

    Un TN est défini comme un objet dont le rapport : masse/rayon atteint la valeur 6,74.10^26.
    Un TN peut avoir toutes les masses qu'on veut (à l'inverse d'une étoile à neutrons, l'objet compact le plus voisin en densité pour es valeurs comparables de masse) ; mais l'effondrement d'une étoile étant le seul mécanisme connu de création d'un TN, on ne connaît pas de TN dont la masse soit à de plus petites échelles.
    Le rayon d'un TN varie en proportion directe simple de sa masse : deux fois plus massif, deux fois plus de rayon.
    La densité d'un TN varie en proportion inverse du carré de sa masse : deux fois plus de masse, quatre fois moins de densité.
    La pesanteur "de surface" d'un TN varie en proportion inverse simple de sa masse : deux fois plus de masse, deux fois moins de pesanteur.

    Effets de marée

      Examinons la question des effets de marée qu'on dit souvent par leur violence mettre en pièces tout ce qui tombe dans un TN. 
      Considérons un homme tombant verticalement les pieds les premiers dans un TN de masse solaire et de rayon 3 kilomètres. Assimilons-le à deux masses de 40 kg distantes d'un mètre et cherchons quelle force de marée tend à les écarter.
      Lorsque l'homme est encore à 700 000 km du TN, c'est-à-dire lorsqu'il passe la limite jusqu'où s'étendait autrefois le soleil mué en TN, il baigne dans une pesanteur de 274 m/s². Un mètre d'altitude sépare ses deux moitiés définies ci-dessus. La différence de pesanteur sur 1 mètre d'altitude au-dessus d'un astre de 700 000 ooo mètres de rayon, vaut 2 fois 1/700 000 000-ième de 274 m/s², soit en valeur absolue 0,8 micron/s². La force tendant à écarter deux masses de 40 kg vaut 0,1 milligramme-force. Cet écartement n'est pas encore un écartèlement.
      Le sujet tombe encore et parcourt les 999/1000 du chemin restant vers le TN : il en est à 700 km. La force qui tend à le couper en deux atteint 3130 kilogrammes-force. Il est déjà déchiré depuis quelques kilomètres. S'il parvenait entier au ras du TN, la force de marée qui le coupe en deux monterait à 10 millions de tonnes-force.
      Tombant de la même façon dans le TN déjà évoqué de 100 milliards de masses solaires et 300 milliards de kilomètres de rayon, de pesanteur "de surface" valant 15 g, la force de marée écartant les deux masses de 40 kg serait de 2 nanogrammes-force. Le sujet ne s'apercevrait ainsi de rien en traversant l'horizon du TN.

      Le bruit et la fureur dont les TN sont la source lorsqu'ils avalent ce qui passe à portée proviennent des conséquences mécaniques des effets de marée. Cela, nous venons de le voir, ne s'applique pas aux très gros TN dans lesquels les objets peuvent s'effacer sans douleur... au début. Qu'une masse de gaz soit arrachée à une étoile en orbite avec le TN, ou qu'une étoile entière soit aspirée : elle perd toute allure sphérique avant d'atteindre l'horizon : sa propre gravitation n'est plus rien devant les effets de marée ; sa matière perd toute cohérence. Différemment accélérée en vertu des effets de marée selon  le point de l'étoile d'où elle provient, la matière stellaire se percute elle-même à des vitesses relatives énormes, en émettant de grandes quantités d'énergie rayonnée. C'est là c'est ce qu'on détecte d'un TN, c'est ainsi qu'on le "voit" indirectement : c'est un rayonnement qui n'est en fait émis qu'à ses abords ; une fois que la matière aspirée a passé l'horizon, elle n'émet rien qui puisse quitter le TN.
      Il est possible qu'un maximum d'un peu plus de 40% de la masse attirée par le TN ne passe pas son horizon, et, changée en énergie rayonnante via la relation d'équivalence  E = mc², ne laisse que les 60% restants aller effectivement grossir le TN. 
      Si le TN est suffisamment gros pour que ses faibles effet de marée laissent intact ce qui traverse son horizon, rien n'est émis ; la totalité de la masse avalée s'ajoute à celle du TN. 
      Bien entendu, le rayon du TN s'accroît alors en fonction de sa masse augmentée.

    Le TN réel, ou TNR, objet décrit par la relativité généralisée (RG)

      Un TN réel est régi par la RG, et non par la mécanique newtonienne ; cela n'étonne pas puisque la relativité en général remplace la physique classique lorsque les paramètres deviennent extrêmes ; et parce que la Relativité Généralisée étant la théorie vraie de la gravitation, il faut bien qu'elle commande ce que doit être un objet où la gravitation prend des proportions extrêmes. Cependant la valeur du rayon d'un TN et ses autres caractéristiques déterminées plus haut par la physique classique restent valables. Voyons maintenant quelques unes de ses caractéristiques ne correspondant pas du tout à ce qu'indiquerait la physique classique. 

      Tout d'abord aucune lumière ne sort d'un TNR, ce qui n'est visiblement pas le cas du TNN, classique, newtonnien : rien n'empêche la lumière quittant sa surface de monter à distance indéterminée, pourvu qu'elle retombe ensuite ! (rappelons qu'elle est supposée faite de corpuscules ayant une masse). La vitesse de libération depuis la Terre vaut 11 km/s ; un projectile lancé à 10, 9 km/s retombera nécessairement, mais après avoir culminé très loin de la planète. Que la vitesse de libération d'un TNN vaille 300 001 km/s (un TNN juste un peu plus massif  que le minimum nécessaire) n'empêchera pas sa lumière d'aller loin avant de retomber ; elle pourra être captée de loin : le TNN ne sera un astre invisible qu'au-delà d'une certaine distance. Il n'est rien de tel avec un TNR.
      Nous avons montré que le rayon d'un TNN croît avec sa masse, mais il était sous-entendu qu'il s'agissait d'un TNN dont la vitesse de libération est 300 000 km/s tout juste ! Or rien n'empêche un TNN d'entasser dans son rayon autant de masse qu'on peut en mettre, et on a vu que les gros TNN doivent disposer de place puisque leur densité peut devenir dérisoire ; un tel TNN plus massif que le minimum strictement nécessaire pour son rayon, présentera une vitesse de libération de 400 000 km/s, 1 millions de km/s... toutes vitesses permises en physique classique.
      Il n'en est rien pour un TNR : sa vitesse de libération ne peut dépasser la limite relativiste réelle de 300 000 km/s, non plus évidement qu'être moindre, et pour une masse donnée il n'est qu'un rayon de trou noir possible. 
     
      Un TNN de rayon assez modeste pour avoir une densité comparable à celle des solides peut très bien ne pas être un vrai trou, avoir une surface que l'on percute, bref être "matériel". Par exemple, une planète géante qui présenterait cependant la densité moyenne de 5,5 de la Terre serait, un TNN pour "peu" que son rayon atteigne 170 millions de kilomètres. Un TNR n'est nullement un amas de matière. Dedans il n'y a rien ; ce n'est pas un astre, mais une région d'espace aux caractéristiques particulières.
      Faute de sol, le TNR est délimité par une surface sphérique immatérielle purement géométrique appelée "horizon" du TNR ; ce nom se justifie par le fait qu'on ne voit rien au-delà, et ceci, qu'on se trouve en dedans ou en dehors. Le rayon de cet horizon, rayon donc du trou noir, est appelé "rayon de Schwarzschild" (RS). 
      Si de la lumière "piégée" sur l'horizon ne peut s'en éloigner, elle peut courir sur lui comme en orbite. Plus précisément, elle le peut en demeurant à quelque distance, en ne s'aventurant pas plus près de l'horizon que 1,5 RS. Or la RG enseigne que la lumière suit tout bonnement la courbure de l'espace imposée par la gravitation locale ; on en déduit que sur l'horizon du TNR la courbure de l'espace est complète, que ses géodésiques sont des lignes refermées sur elles-mêmes ; alors que plus loin elles ne sont que des courbes ouvertes à la façon d'une parabole décrite au-dessus de la Terre par une météorite que la planète dévie sans parvenir à la capturer, et qui quoique déviée poursuit sa course en nous fuyant définitivement.
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      A l'intérieur du TNR la courbure ne fera que s'exacerber jusqu'à prendre en théorie des valeurs infinies jusqu'au point mathématique sis au milieu et désigné habituellement "singularité centrale", dont l'existence mathématique ne garantit pas l'existence physique. Du moins est-il cohérent d'envisager en ce point la disparition finale de la matière telle que nous la percevons. En oubliant les spéculations nombreuses sur le sujet, aussi problématiques à démontrer qu'à réfuter, "le plus simple" est de penser que la matière absorbée par le TN finit dans la singularité centrale où il n'y a pas lieu de s'interroger sur un quelconque volume nécessaire à son entassement indéfini. Dans une archi-dense étoile à neutrons, il faut au moins le volume des neutrons "entassés". Ils ne sont pas des billes dures mais des volumes de vide où évoluent des quarks, lesquels sans doute n'occupent aucun espace ; le broiement ultime de la matière, protons et neutrons, ne laisse pas de résidu encombrant. Ne subsiste que l'énergie correspondant à la masse engloutie, et la forte courbure d'espace que la singularité entraîne jusqu'à la distance entre elle et l'horizon, et qui referme l'espace sur lui-même.
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      On soulignera enfin la nature réellement non classique d'un TNR en notant parmi bien d'autres une particularité inattendue, qui dénote comment l'intuition commune ne saurait donner d'un trou noir que des images grossières dont il faut constamment se méfier. Cette particularité est que les orbites possibles autour d'un TNR diffèrent de celles possibles autour d'un astre ordinaire et d'un TNN, qui usent de la même physique classique. Toutes les orbites à quelque altitude que ce soit sont en fait possibles autour d'un astre ordinaire ou d'un TNN ; il suffit que le satellite ne descende pas dans l'atmosphère (Terre) ou ne percute pas une montagne (lune). Il n'en va pas du tout de même autour d'un TNR, où existent des orbites interdites : il est impossible à un objet matériel d'orbiter sans être capturé, s'il est plus bas qu'une altitude valant deux fois celle du rayon du TNR  : imaginons qu'autour de la Terre de rayon 6400 km, un satellite puisse orbiter au-dessus de 12800 km d'altitude, soit 19200 km de centre de la planète ; et qu'à cette altitude exactement, la moindre pichenette le précipite infailliblement au sol. Il n'y a donc de ce point de vue rien de commun entre astre usuel ou TNN, et TNR.

      Il est intéressant d'examiner un point souvent évoqué, et plutôt mal, sur la façon dont serait franchi l'horizon. On lit fréquemment qu'un astronaute tombant vers un TN serait vu de loin comme s'approchant de plus en plus lentement de l'horizon sans jamais l'atteindre, et qu'on verrait ses gestes se ralentir finalement jusqu'à sembler figés pour toujours.
      Cela est vrai : c'est ainsi que l'homme en chute serait vu de loin. Le défaut tient à ce que cette présentation ne va souvent pas plus loin, laissant entendre que les objets s'accumulent pour l'éternité au ras de l'horizon sans jamais entrer dans le TN. Bien entendu, l'horizon est franchi en chute par définition à la vitesse de la lumière, après quoi la singularité centrale est atteinte en un temps propre très bref : presque instantanément dans un TN de masse solaire, quelques heures dans un TN de masse galactique.
      De loin, de l'extérieur du TN, on ne peut voir l'homme déjà de l'autre côté de l'horizon. On ne voit figée éternellement au ras de l'horizon que la dernière image de l'homme un temps epsilon avant franchissement de l'horizon. Pourquoi ?
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      On peut représenter l'horizon d'un TNR comme une surface à travers laquelle l'espace alentour se précipite à la vitesse de la lumière. Peu avant l'horizon cette vitesse d'engloutissement est encore un peu moindre, en sorte que l'image émise par l'homme en chute "remonte encore le courant d'espace", quoique "lentement". Tout près de l'horizon l'image ultime ne "remonte" presque plus, et met un temps "infini" à "s'extirper" du courant contraire : un observateur lointain continue éternellement à voir quelque chose, dont les gestes sont de plus en plus lents à ses yeux puisqu'une scène très brève, le passage de l'homme au ras de l'horizon, est de plus en plus étirée en durée d'émission.
      Cette explication n'est pas en contradiction avec l'expérience de Michelson et la constance de la vitesse "c" à laquelle se propage la lumière indépendamment de la vitesse de sa source : la vitesse constante de la lumière s'entend dans un fond d'espace statique, ce qui n'est pas ici le cas. Ce n'est pas le cas non plus sur des distances cosmiques assez grandes pour que la vitesse d'expansion de l'univers y devienne significative devant la vitesse de la lumière, et en effet observe-t-on pour cette cause le décalage vers le rouge des galaxies lointaines : leur lumière "patine" en luttant de vitesse contre l'expansion - et au-delà de l'horizon cosmologique, perd la course.
      La lumière qui "patine à contre-courant" portant la dernière image de l'homme en chute vers le TNR ne se borne pas à rougir, puis à passer dans des longueurs d'onde invisibles de plus en plus longues ; le nombre de photons reçus par l'observateur lointain chaque seconde est de plus en plus proche de zéro, puisque cette dernière image portée par un nombre de photons nécessairement fini, les envoie sur un temps infini. En définitive, voir indéfiniment la dernière image figée de l'homme devant l'horizon est bien problématique.

     L'évaporation des TN

      Le physicien Stephen Hawking démontre dans les années 1970 que les TN ne sont pas éternels. Ils se dispersent peu à peu dans l'espace par un processus quantique parfaitement ignoré de la physique classique.
      Dans l'espace apparaissent constamment des paires particule/antiparticule dites virtuelles, en ce sens qu'elles vivent si brièvement avant de se retouver et s'annihiler, que peu d'effets s'en remarquent. La physique quantique donne leur durée de vie, qui ne peut dépasser un temps d'autant plus bref que leur masse est importante. Nous ne faisons pas ici un cours de cette physique, et nous bornerons à fournir un résultat tout fait pour un exemple concret : une paire virtuelle composée d'un électron et d'un positon, l'anti-électron de charge positive, ne peut vivre plus de 3.10^-22 seconde.  Procédons à ce qu'on nomme en physique un "calcul naïf". On entend par là une représentation, simpliste et obéissant aux lois classiques newtoniennes, d'un phénomène relativiste ou quantique plus complexe et de nature intime même très différente de l'image classique qu'on en donne pour ce calcul naïf.
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      Imaginons que naisse une paire (e-, e+) de tels électrons quelque part à l'extérieur d'un TNR, à peu de distance de son horizon. Les deux particules emploient leur vie très éphémère pour s'éloigner l'une de l'autre à la vitesse de la lumière, exécuter un demi-tour et venir se rejoindre pour s'annihiler et retourner au vide. Pour enfantine qu'elle soit, cette image permet avec la durée de vie donnée de trouver qu'au maximum, les deux électrons se seront éloignés de 10^-13 mètre. Par ailleurs, ils exercent l'un sur l'autre à cette distance une force d'attraction électrostatique de 0,023 newton (2,3 grammes-force).
      Supposons que le trajet des deux électrons durant leur courte vie s'effectue au long d'un rayon issu du centre du TNR : la distance maximum dont il se sont écartés équivaut à une différence d'altitude entre les deux électrons. Un effet de marée intervient : la force gravitationnelle exercée par le TNR sur chacun de ces électrons (leur poids !) à l'instant de leur séparation maximum de 10^-13 mètre n'est pas la même ; elle est plus forte sur l'électron "le plus bas". Si jamais la différence entre l'attraction gravitationnelle exercée sur chaque électron dépasse alors les 2,3 grammes-force de leur attraction électrostatique réciproque, la gravitation l'emporte sur l'attraction électrostatique : la paire est dissociée.
      L'électron le plus bas tombe dans le TNR ; l'électron le plus haut lui échappe : le TNR s'est allégé de sa masse.
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      Sans doute, les deux électrons sont-ils nés du vide autour du TNR, et non pas nés du TNR lui-même ; mais le vide ne crée gratuitement des paires que si elles s'y réenglouissent aussitôt. Or le processus décrit a empêché ce réengloutissement et permis la création ex-vacuo d'une particule réelle échappée aux abords du TNR : le TNR a nécessairement fourni l'énergie correspondante, s'allégeant d'autant en vertu de la relation  E = mc². Le TNR s'évapore ainsi lentement.
      Toutefois, la différence de pesanteur sur une différence d'altitude infime de 10^-13 mètre est si ridicule près de l'horizon d'un TNR de masse solaire de 3 km de rayon (comparer 10^-13 m et 3000 m), que ce mécanisme ne se produit pas. Trouvons un cas qui convienne.
      Calculs faits, la baisse de pesanteur sur la différence d'altitude doit être la bagatelle de 2,5.10^28 m/s².
      On trouve après de laborieux calculs (longs mais non pas savants, puisque naïfs) que le TNR permettant la dissociation de la paire d'électrons par effet de marée est de rayon à peu près égal au 10^-13 mètre dont les électrons s'étaient séparés. On se serait épargné ces laborieux calculs en se souvenant que c'est précisément la règle ! Le TNR cherché doit être d'un rayon égal (au plus) à ce chiffre...
      Or un TNR de rayon 10^-13 mètre a pour masse 70 milliards de tonnes. Ce n'est vraiment rien, la masse de 25 kilomètres cubes de roches, la masse du Mont Blanc. 

      On ignore si de tels TNR existent : ceux qui naissent de la fin d'une étoile sont autrement massifs. Cela ne veut pas dire qu'un TNR d'existence certaine, né d'une étoile, ne s'évapore pas du tout ; car la physique quantique mise en oeuvre ne dit pas oui ou non, mais donne toujours une probabilité, si minime soit-elle. Une particule s'échappera d'un TNR existant, effectif, mais des millions d'années après la précédente. 
      Quelle est la durée de vie d'un TNR avant évaporation totale ? Au vu du paragraphe précédent, on l'imagine formidablement longue. Cependant, une surface émettant de l'énergie n'en a pas moins une température. Chaque mètre carré du soleil porté à 6000 degrés émet plus de 60 000 kW. Quelle est la température de la "surface" d'un TNR de masse solaire et 2950 m de rayon ? Une célèbre encyclopédie en ligne nous apprend qu'elle vaut 6,15.10^-8 degré K. On présume qu'il émet peu d'énergie, peu de particules. La formule de Stefan-Boltzmann donne la puissance émise par une surface de corps noir portée à température absolue T :      Puissance émise  =  5,67.10^-8  x  T^4.
      Appliquée à la température T de 6,15.10^-8 K, la puissance émise est 8,1.10^-37 W/m², un chiffre infinitésimal. Tout l'horizon du TNR de masse solaire avec ses 2950 m de rayon émet ainsi 8,8.10^-28 W, une dérision. L'énergie de masse d'un électron valant (au repos) 8,2.10^-14 joule, on divise la puissance émise par ce chiffre pour trouver que le TNR en question, supposé pour l'exemple s'avaporer en n'émettant que des électrons, n'en émet qu'un tous les 3 millions d'années. Parler de température lorsque l'émission est aussi discontinue relève de la pure forme.
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      Encore un TNR de masse solaire n'émet-il même rien du tout, ou plutôt, s'alourdit-il plus qu'il ne s'évapore, même à supposer que jamais un atome d'hydrogène cosmique ne passe à sa portée. L'univers entier baigne dans le rayonnement fossile à 2,7 K ; cette température minime étant bien supérieure à celle du TNR, le TNR absorbe bien plus d'énergie qu'il n'en émet. Ainsi grossira-t-il encore un temps inconcevable, jusqu'à ce que l'expansion de l'univers atteigne encore un facteur tel que sa température tombe au-dessous des 6,15.10^-8 K de l'horizon.  Alors seulement il s'allégera en s'évaporant au rythme indiqué.
      Pour autant l'univers ne sera-t-il pas près d'atteindre le zéro absolu auquel un TNR de masse solaire s'évapore complètement en 2.10^67 années. Ce chiffre fabuleux vaut à peu près mille milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de fois l'âge actuel de l'univers.

      Cette durée de vie varie au cube de la masse du TNR, ce qui veut dire qu'elle varie assez vite pour que d'hypothétiques petits TNR s'évaporent en un temps à l'échelle de l'univers, voire bien moins encore.
      Ainsi, le TNR de la masse du Mont Blanc s'évapore-t-il en 10^15 années, bien plus encore que l'âge de l'univers ; mais un TNR de 70 000 tonnes, soit un million de fois moins, ne demandera-t-il que 9 heures. 
      Un TNR commençant à s'évaporer le fait donc de plus en plus vite puisque sa masse diminue. Très lent, le phénomène devient à terme extrêmement rapide. Or émettre davantage d'énergie veut dire être porté à plus haute température : le TNR de faible masse est fantastiquement chaud, car sa température croît en proportion inverse simple de sa masse. La température du TNR de masse solaire étant 6,15.10^-8 K, celle d'un TNR de la masse du Mont Blanc est un joli deux milliards de degrés. Les températures atteintes dans les derniers instants d'évaporation sont inconcevables, correspondant à une émission d'énergie et donc de masse extravagante.
      Un TNR qui n'a plus qu'une seconde à vivre fait encore deux mille tonnes : il lui reste à émettre en une seconde l'énergie de quelques centaines à quelques milliers de bombes H.
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      Enfin, le TNR réduit à la masse de Planck, ou 22 microgrammes, s'évapore dans le temps de Planck de 5,4.10^-44 seconde. Vingt-deux microgrammes ne représentent qu'une émission modique de 550 kWh, une bombe ordinaire de 100 kg. Cette énergie étant cependant émise en un temps de Planck, on peut s'amuser de manière un peu dépourvue de sens à diviser 550 kW par 5,4.10^-44 pour attribuer une puissance rayonnante à ce trou noir de Planck. Le résultat est naturellement fabuleux, et c'est pourquoi l'on dit parfois que la puissance d'un trou noir de Planck en explosion (il ne peut d'ailleurs exister dans un autre état) vaut un million de fois la puissance rayonnée par tout le contenu de l'univers visible.  

       Note : nous avons assimilé un TNR à une sphère émissive de surface classique 4.pi.r² alors que la valeur à réellement prendre est quelque peu différente : la physique de la lumière et du rayonnement est nettement modifiée dans leur voisinage.
      En outre les particules émises par un TNR de masse encore importante sont des photons. Les particules massives n'apparaissent que lorsque la masse, température, évaporation du TNR sont fort avancées. Nous avons pris l'exemple d'une paire d'électrons pour bénéficier de la simplicité du calcul naïf permis par leur charge électrique.

    Une nouvelle idée du trou noir

      Et si la matière ne disparaissait pas dans une singularité centrale ? Si elle échappait à ce sort étrange en s'accumulant au centre mais en restant bien matière ? Il faudrait que ce fût une matière assez dense pour occuper un rayon physique moindre que le rayon de Schwarzschild (RS) correspondant à la masse considérée. La matière extrêmement dense des étoiles à neutrons n'est pas encore assez compacte puisqu'un tel astre est d'un rayon encore un peu plus grand que le RS correspondant à sa masse.

      On envisage que la matière chutant vers le centre du TN à vitesse quasi-luminique s'y condense dans l'état le plus dense permis par la théorie connue, la densité de Planck valant environ 10^96 kg/m3. Une étoile entière est ainsi ramenée à quelque chose de plus petit qu'un atome. Cependant, la propriété intéressante ici est que cette étoile de Planck n'a aucune longévité : la matière qui la forme rebondit immédiatement, franchit en un temps minime le RS qui la sépare de l'horizon, dans un mouvement symétrique de celui de sa chute, et en jaillit dans l'espace "normal" ; le TN a vécu.

      Le temps mis par la matière stellaire en chute pour passer le RS à l'aller en constituant le TN, puis en ressortir de façon symétrique, est d'une fraction de millième de seconde. Comment alors est-il possible pour nous d'observer maint TN probable, à l'allure évidemment stable - songeons à la longévité de ceux qui siègent au centre de galaxies - si sa vie ne dépasse pas le millième de seconde ?

      Le paradoxe est résolu de façon surprenante mais logique par la dilatation relativiste du temps. Si l'étoile de Planck existe, sa combinaison de masse d'étoile normale et de rayon microscopique engendre sur place une pesanteur inimaginable. Or un observateur lointain dans une pesanteur faible ou presque nulle voit le temps, donc les mouvements, se ralentir pour les objets placés dans un champ gravitationnel intense. Or le champ gravitationnel est si vertigineux à proximité d'une étoile de Planck (bien plus qu'à la surface du TN qu'elle engendre) que vue par un astronome terrestre regardant l'emplacement d'un TN, la matière en rebond est vertigineusement ralentie du point de vue de cet astronome (si un observateur pouvait suivre cette matière dans le TN, il chronométrerait bien son temps de transit à l'intérieur du RS comme de l'ordre de la milliseconde). La gravitation au centre du TN est ainsi assez grande pour qu'un phénomène s'y déroulant à l'échelle de la milliseconde paraisse de l'extérieur jouir d'une durée astronomique.

      

     

     

     

    LA  FUSEE - PRINCIPES PHYSIQUES 

     

      Cet exposé présenté a été prononcé par l'auteur dans un club d'astronomie où, moyennant une expression orale certes un peu plus souple, il a été bien reçu. L'auteur en permet l'usage et la reproduction libres, sous la seule réserve de l'indication de leur origine.  

      Si vous utilisez à titre collectif ou public tout ou partie de ce texte, merci de laisser un commentaire pour préciser dans quel genre de contexte.

     

    Principes de base

      La fusée se propulse par réaction, c'est-à-dire en éjectant sa propre substance à la plus grande vitesse possible. Jadis on interprétait mal le phénomène, en dépit de la connaissance qu'on avait pourtant depuis Newton du phénomène d'action et de réaction. On écrivait que les gaz émis "prenaient appui sur l'air" ; on pensait ainsi que les gaz émis repoussaient la fusée en se détendant entre elle et l'air ambiant. Ce dernier en quelque sorte remplaçait le fond du tube d'un canon, où les gaz de la poudre en détente en espace clos repoussent le boulet. Bref, il fallait un appui. La fusée selon ces idées ne pourrait fonctionner dans le vide.     

      S'il est faux de dire que les gaz émis ont besoin de prendre appui sur quelque chose, il est en revanche vrai que ces gaz sont par eux-mêmes le point "résistant" sur lequel s'appuie la fusée : on peut prendre appui sur toute chose qui, du fait de son inertie, ne cède pas instantanément sous l'effort. Celui qui saute en l'air se propulse par réaction : il prend appui sur la Terre ; or la Terre n'est appuyée sur rien ; le saut la fait infinitésimalement reculer.

      Tout se propulse par réaction, depuis le tourniquet de jardin qui d'évidence tourne sous l'effet de l'éjection de son eau, jusqu'au piéton qui n'avance qu'en mettant imperceptiblement la planète en rotation en sens inverse.

      Or il existe en physique un grand principe (conséquence du principe d'inertie) appelé principe de conservation de la quantité de mouvement.

      La quantité de mouvement d'un corps est numériquement égale au produit de sa masse (en kg) par sa vitesse (en mètres /seconde). Elle est à ne pas confondre avec son énergie cinétique, demi-produit de sa masse par le carré de sa vitesse, et qui s'exprime en kilogrammètres ou en joule. L'unité de quantité de mouvement n'a pas reçu de nom particulier : ce sont des "kg.m/s".

      La quantité de mouvement d'un corps que rien ne freine se conserve, dit le grand principe. Il ne perd donc pas de vitesse. C'est aussi le principe d'inertie trouvé par Galilée. La quantité de mouvement d'un ensemble de corps que rien ne freine et qui ne sont soumis à nulle influence extérieure à cet ensemble est dit "système isolé". La quantité de mouvement d'un système isolé est la somme des quantités de mouvement des corps qui le composent ; elle se conserve. En revanche il peut y avoir des échanges de QDM entre les corps composant le système. Imaginons par exemple un billard anglais de nombreuses boules que par hypothèse le tapis ne ralentit pas. Les boules se choquent, l'une ralentissant et l'autre accélérant à due compensation : la QDM totale est conservée.

      Que deux projectiles de masse et de vitesse identiques se heurtent de plein fouet, bien en face. S'ils sont en chewing-gum, on conçoit intuitivement qu'ils sont tous les deux stoppés net en restant collés. Or chacun disposait avant la collision d'une quantité de mouvement ; mais il semble que la quantité de mouvement après le choc soit zéro (plus de vitesse) ; et nous avons dit plus haut que la QDM de l'ensemble des deux corps doit se conserver !

      Le principe est pourtant sauf, car la QDM est en fait un vecteur. La QDM d'un des deux corps avant le choc se représente par une flèche d'une certaine longueur et d'une certaine orientation. L'orientation est celle de la trajectoire du corps ; la longueur est proportionnelle à sa vitesse. La QDM de l'autre corps est un vecteur de longueur identique mais orienté en sens opposé : leur résultante est nulle. Nulle était donc la QDM totale de l'ensemble des deux corps avant le choc, en dépit de l'apparence... et nulle est est manifestement après, lorsque tout est à l'arrêt.

      (Leur énergie cinétique n'est, elle, pas conservée : les projectile arrêtés voient leur énergie mécanique annihilée et transformée en chaleur qui échauffe les deux corps, ou en action mécanique qui les déforme).

      Considérons maintenant une boule de matière homogène scindée en deux hémisphères qu'un ressort intérieur tend à projeter chacun de son côté. Ils ont même masse. Un lien retient comprimé le ressort. La boule est supposée flottant dans l'espace loin de toute influence. On l'admet immobile : sa quantité de mouvement est nulle. Il n'y a pas de vecteur à dessiner.

      Le lien cède. Le ressort lance les deux hémisphères à vitesses identiques et sens opposés ; il n'y a pas d'autre solution mécanique. Chaque moitié animée d'une vitesse aura une certaine QDM ; mais ces deux QDM seront deux vecteurs représentés par des flèches de même longueur et opposées : leur somme est nulle, et nulle donc la QDM de l'ensemble après séparation.

      Elle s'est conservée.

      Nous avons construit là une fusée élémentaire où l'un des hémisphères est la charge utile et l'autre le combustible éjecté. Qu'à présent l'une des masses séparées par le ressort vaille "n" fois l'autre. On doit toujours avoir la même longueur de vecteur pour chaque masse ; puisque l'une est lourde n fois comme l'autre, il faut qu'elle soit repoussée de son côté n fois moins vite que la plus légère. Que la masse initialement réunie fasse 11 kg et se scinde en un morceau d'un kg et un de dix ; si le morceau lourd est repoussé à 3m/s, alors le morceau léger le sera à 30 m/s.

      Nous disposons à présent de tous les éléments pour calculer le comportement d'une fusée spatiale.

      Une fusée brûle son combustible. Cette combustion est-elle en soi nécessité ? Nullement : le ballon de baudruche gonflé et lâché débouché éjecte sa masse d'air intérieure avec force et constitue une fusée bien connue. De même pour une bouteille d'air comprimé ouverte qui flotterait dans l'espace, et de même pour le tourniquet de jardin. La combustion ne sert qu'à ajouter à la détente des gaz le surcroît d'énergie, donc de vitesse d'éjection, que donne la réaction chimique. Ainsi l'air comprimé s'échappant d'une bouteille à température ambiante sort-il à quelques 400 m/s (indépendamment de la pression dans la bouteille) tandis que les gaz de combustion d'une fusée portés à plus de 3000 degrés filent à 2500 m/s. La poussée obtenue est directement proportionnelle à cette vitesse d'échappement.

      La combustion en fusée la plus usuelle fait oxyder un corps comme le pétrole ou l'hydrogène (le carburant) par l'oxygène liquide ou un composé instable et dissociable riche en oxygène comme l'acide nitrique ou le peroxyde d'azote (le comburant). Carburant plus comburant forment le propergol ; carburant et comburant considérés séparément sont des ergols. Certains corps instables se dissocient d'eux-mêmes (sous l'effet de certaines provocations) en dégageant force chaleur et vapeurs : les monergols. Citons l'eau oxygénée pure ou le nitrométhane. L'eau oxygénée pure ou peroxyde d'hydrogène, ou perhydrol, sert notamment de monergol dans les ceintures-fusées. Certains propergols prennent feu au contact, sans allumage : les hypergols. Le plus connu est l'hydrazine brûlant dans le peroxyde d'azote, employé dans le LEM au bénéfice de la sécurité la plus absolue possible au redécollage depuis la lune : pas de panne possible à l'allumage.  

      Avant de pousser plus loin la chimie des fusées, voyons comment on calcule la poussée d'une tuyère.

      La poussée (en newtons, N) est égale au débit de masse éjectée (en kilogrammes par seconde) multiplié par la vitesse d'éjection (en mètres par seconde).

      On rappelle que 1 newton (N) égale environ 102 grammes-force. 1 kilogramme-force vaut environ 10 newtons, ou plus précisément 9,81. cette valeur n'est pas identique à celle de l'accélération terrestre par hasard : 1 kilogramme (masse) pèse bien 1 kilogramme-poids à Paris, ce qui est la même chose qu'un kilogramme-force puisque le poids est une force. Le poids (vertical) d'un kilogramme pendu à un fil tirera quelque chose dans une direction quelconque au moyen d'un jeu de poulies : il fait bien office de force.     

      La relation fondamentale donnée en gras est universelle, applicable à la fusée comme au tourniquet de jardin ou au recul de la mitrailleuse. Elle se démontre assez facilement. Démontrons-la, quoique avec une rigueur critiquable : 

      Imaginons une fusée d'une tonne se propulsant en éjectant des boules d'acier ou toute autre chose, d'un kilogramme chacune, à la vitesse de 1000 m/s. La première boule reçoit une quantité de mouvement de : 1 kg  x  1000 m/s  =  1000 unités de QDM, unité dont on a dit qu'elle n'est pas nommée. La fusée reçoit symétriquement la même QDM de 1000 unités. Sa masse étant 1000, la vitesse à elle communiquée n'est que : 1000 unités / 1000 kg = 1 m/s.

      Le seconde boule éjectée agira sur une fusée de 999 kg seulement, mais nous ignorons cette différence. On voit que si 10 boules sont éjectées à chaque seconde, la fusée gagnera en vitesse 10 m/s à chaque seconde.

      Or la relation fondamentale de la dynamique :  force = masse  x  accélération, nous apprend qu'il faut d'une façon générale, pour accélérer une masse d'une tonne de 10 m/s à chaque seconde, lui appliquer une force de :  masse  x accélération  =  1000 kg  x  10 m/s  =  10 000 newtons. 

      Donc, éjecter 10 kg de masse par seconde à la vitesse de 1000 m/s produit bien une poussée de 10 000 N !

      "Donc", la poussée d'une fusée est bien égale à son débit de masse (kg/s) par la vitesse d'éjection (m/s). Prendre garde à ne pas noter le résultat en kilos de poussée : il est en newtons, soit dix fois moins.    

      Revenons à la nature des propergols. Le plus anciennement connu est la poudre noire, ou poudre à canon qui dans un cylindre ouvert peut fuser sans exploser. Les fusées à poudre noire ont atteint au début du XIXème siècle des masses de plusieurs dizaines de kilos et des portées militaires de plusieurs kilomètres. La poudre noire est un mélange de charbon de bois pulvérisé (du carbone, un carburant), de soufre (un autre carburant) et de salpêtre, le nitrate de potassium (comburant). La poudre brûle ainsi sans recours à l'oxygène de l'air, ce qui est commun à toutes les fusées et leur permet de fonctionner dans le vide ou sous l'eau (départ en plongée peu profonde, des missiles embarqués sur sous-marin). La poudre noire libère un grand débit de gaz carbonique (combustion du carbone) tandis que le soufre et le nitrate de potassium composent une fumée dense de poussières solides. Or seuls les gaz prennent d'eux-mêmes la vitesse d'éjection ; les poussières ne sont qu'entraînées. Un tel propergol est donc médiocre, car il n'emploie pas utilement toute sa masse. 

      Un kilogramme de poudre noire peut donner une poussée d'un kilogramme-force pendant 80 secondes : on dit que l'impulsion spécifique de la poudre noire vaut 80 secondes. On calcule aussi grâce à la formule déjà donnée que pour aboutir à un tel résultat, il a fallu que les gaz (avec leurs poussières) soient éjectés à 800 mètres/seconde. La notion d'impulsion spécifique est d'une importance première.

      Note : il ne faut pas en rigueur multiplier par 10 l'impulsion spécifique afin d'obtenir la vitesse d'éjection, mais par seulement 9,81. Pourtant, nous adopterons par simplicité cette valeur 10 dans toute la suite.

     

    Les différents propergols et leurs qualités particulières

      La fin du XIXème siècle vit apparaître les explosifs nitrés bien plus puissants que la poudre noire. Leur emploi en fusée fait mieux que doubler l'impulsion spécifique de la poudre classique. Ils ne produisent que des gaz. Aujourd'hui la "fusée à poudre", puisque le terme subsiste, recèle un mélange plastique moulé en forme. C'est souvent un mélange de perchlorate d'ammonium, le meilleur comburant solide car le plus riche en oxygène et ne laissant aucun résidu solide, et d'une résine combustible ou tout simplement d'asphalte comme dans les bouteilles JATO des chasseurs anciens au décollage. Les impulsions spécifiques sont voisines de quatre minutes, 250 secondes.

      Les propergols solides sont très commodes d'emploi puisque simplement moulés en place et, ne requérant ni entretien notable ni mécanismes comme les propergols liquides (pompes, tubulures), autorisent des fusées simples et bon marché prêtes à partir sans remplissage ni autre procédure. Les fusées "à poudre" sont donc largement utilisées dans les missiles tactiques, les roquettes,  les boosters de grosses fusées à liquides, les engins stratégiques en silo ou sous-marin, prêts à partir sans préavis. En revanche ils ne s'éteignent, ne se rallument, ou malaisément, et ne se règlent guère en cours de vol. Leur impulsion spécifique est très inférieure à celle des propergols liquides.

      C'est avec l'examen des propergols liquides que nous étudierons plus avant la physique de la propulsion.

      Quelle arme nécessite trente tonnes de pommes de terre pour sa fabrication ? La réponse est : la fusée V2 consommant de l'alcool et de l'oxygène liquide. L'alcool de formule C2H5OH contient de l'oxygène en soi inerte dans sa combustion ; c'est un poids mort qui explique aussi les performances médiocre de l'alcool en propulsion automobile. Le carburant courant le plus simple est le pétrole (kérosène), fait uniquement de carbone et d'oxygène. Le comburant le plus efficace est l'oxygène liquide. Le premier étage de la fusée Saturn V les emploie dans son premier étage, qui en contient deux mille tonnes.

     

       Puisque l'impulsion spécifique définit le temps pendant lequel un kilo de propergol peut fournir un kilo de poussée (les physiciens horrifiés par ce langage se feront une raison), il est manifeste qu'un moteur de même poussée fonctionnera plus longtemps avec un propergol de plus grande impulsion spécifique, communiquant en fin de combustion plus de vitesse à la fusée.

      Le second et le troisième étage emploient l'hydrogène et l'oxygène liquides. Ils contiennent quelques centaines de tonnes de propergol. Le couple hydrogène/oxygène donne une impulsion spécifique de l'ordre de 450 secondes, soit une vitesse d'éjection des gaz de 4500 m/s. Le couple pétrole/oxygène ne donnait que 260 secondes ; pourquoi ?

      Sans doute le pétrole donne moins de chaleur que l'hydrogène en brûlant et partant moins d'énergie, de vitesse aux gaz éjectés. Un autre facteur pourtant l'emporte largement : un propergol sera éjecté à vitesse plus grande si la masse de chaque molécule gazeuse ejectée est plus faible. 

      Le pétrole en brûlant donne du gaz carbonique CO² et de la vapeur d'eau H²O. Les deux sont éjectés à 3000 degrés, mais les molécules de CO² sont bien moins rapides que celles de la vapeur d'eau. Aussi le même débit en masse de propergol dans la tuyère fournit-il avec du pétrole une vitesse d'éjection moyenne moindre qu'avec de l'hydrogène pur. Le rapport des deux vitesses est dans le rapport de la racine carrée des masses moléculaires respectives. La masse moléculaire du CO² est 44, celle de l'eau 18. Le rapport 44/18 vaut 2,44, chiffre dont la racine est 1,56 : de ce seul point de vue, la vitesse d'éjection d'une fusée à l'hydrogène/oxygène est 1,56 fois celle d'une fusée hypothétique fonctionnant à la poussière de carbone pur dans l'oxygène ! Pour le pétrole composé à la fois de C et de H, la valeur est naturellement intermédiaire.

      L'hydrogène liquide présente l'inconvénient d'une densité ridicule de 70 grammes par litre, qui proscrit son emploi dans un premier étage de deux mille tonnes dont les dimensions seraient titanesques. On accroît très modérément la densité de l'hydrogène liquide en lui mélangeant de la neige d'hydrogène solide (slush hydrogen).  

      Il existe un couple chimique dont la combustion fournit une impulsion spécifique encore un peu supérieure : la combinaison hydrogène/fluor. Le produit de combustion est l'acide fluorhydrique HF dont le caractère terriblement corrosif et toxique rend l'emploi impraticable, tout du moins avant d'être en orbite. Hors de l'atmosphère, le couple hypergolique hydrazine/peroxyde d'azote a parfois été remplacé par l'autre couple hypergolique un peu plus performant hydrazine/pentafluorure de chlore. Ce dernier produit est un liquide comparable au peroxyde d'azote en ce qu'il bout un peu au-dessous de zéro mais peut être conservé liquide et dense sous une pression modique.  

      Or il n'existe aucune molécule gazeuse provenant d'une combustion et dont la masse moléculaire soit moindre que celle de l'eau, avec sa valeur 18. Certes l'hydrogène pur avec sa masse moléculaire 2 serait un propergol miraculeux, s'il pouvait être chauffé autant qu'en le brûlant... mais en le brûlant pas, en ne le changeant pas en vapeur d'eau. Sa masse moléculaire est 9 fois plus petite que celle de la vapeur d'eau, et la racine de 9 est 3. A même température en tuyère, la vitesse d'éjection serait triplée en comparaison de la vapeur d'eau. Elle atteindrait 3  x 4500  =  13 500 m/s, et l'impulsion spécifique la valeur fabuleuse de 1 350 secondes. 

      La chose est possible. Le moyen de chauffer sans combustion l'hydrogène stocké liquide est de l'employer au refroidissement d'un petit réacteur nucléaire. La tenue à la température des matériaux réfractaires de ce réacteur est alors la seule limite à sa température et donc à la vitesse d'éjection. La température est en pratique moindre que celle d'une flamme, mais encore suffisante pour donner une vitesse d'éjection voisine de 10 000 m/s, soit une impulsion spécifique de 1000 secondes.

      (Dans un chalumeau à fondre les métaux réfractaires, le chimiste prescrit le dosage de 8 kg d'oxygène pour chaque kilo d'hydrogène brûlé afin d'obtenir une combustion complète et donc le maximum d'énergie dégagée et de température atteinte. Pourtant, la fusée à hydrogène/oxygène repose sur un fonctionnement plus subtil. La vitesse d'éjection la plus élevée s'obtient avec une proportion d'hydrogène plus forte, telle qu'on n'envoie en tuyère que 5 kg d'oxygène par kilo d'hydrogène. Cinq kilos d'oxygène brûlent 5/8 = 0,6 kilo d'hydrogène en produisant : 5 + 0,6 = 5,6 kg de vapeur d'eau. Les 400 grammes d'hydrogène imbrûlé sont simplement chauffés par la flamme. Puisque l'hydrogène à la même température que la vapeur d'eau est éjecté trois fois plus vite, le bilan total est gagnant même si la température est un peu réduite. De ce point de vue la fusée à hydrogène/oxygène fonctionne (très) partiellement comme une fusée nucléaire : elle éjecte à grande vitesse un peu d'hydrogène simplement chauffé mais non brûlé.)

    Elements de mécanique du vol des fusées

       Il s'agit de trouver la vitesse finale d'une fusée en fin de combustion, lorsqu'elle se retrouve réduite à sa charge utile et à sa carcasse à part cela vide d'ergols.

      Il est simple de retenir que tout égal par ailleurs, la vitesse finale sera proportionnelle à la vitesse d'éjection plus ou moins forte, à l'impulsion spécifique plus ou moins forte, du propergol choisi.

      Il est moins simple de déduire la vitesse finale en fonction de la proportion de propergol dans le poids total de la fusée. La vitesse finale augmente évidemment avec la proportion, mais de plus en plus lentement lorsque cette proportion croît. 

      Une croyance autrefois très répandue dans la vulgarisation, et encore aujourd'hui dans les esprits peu avertis, est qu'une fusée ne peut dépasser une vitesse égale à celle de l'éjection de ses gaz. Cette idée ne reposant sur aucun principe physique suffisait à faire jadis imprimer que la satellisation à près de 8 km/s n'aurait jamais lieu, puisque les meilleurs propergols ne sont guère éjectés à plus de la moitié de cette vitesse ! L'erreur vient peut-être d'une confusion avec le projectile du canon, qui ne peut en effet dépasser la vitesse à laquelle se détendent les gaz de la poudre. A ce propos, Jules Verne se berce d'illusions en croyant pouvoir propulser par explosion son obus lunaire à 16 km/s (les astronomes amateurs savent qu'il ne se berce pas moins d'autres illusions dans le même roman à propos du grossissement et du pouvoir séparateur de son télescope géant des Montagnes Rocheuses).

      Imaginons une fusée en un seul étage, où le propergol représente 1% de la masse initiale. Ce peut être le cas d'un satellite en orbite doté de petits moteurs destinés à l'orienter ou a produire de petites corrections de trajectoire. Faisons lui brûler tout son propergol en une fois. On peut ici négliger la différence entre la masse à accélérer au début du fonctionnement du moteur (100) et la masse à accéleréer en fin de combustion (99). Certes, le moteur de poussée constante sera un peu plus efficace à la fin qu'au début sur ce qu'il pousse, mais de si peu qu'il est permis d'appliquer de manière simple la règle de la conservation de la QDM. Si l'impulsion spécifique est 300 secondes, soit une vitesse d'éjection de 3000 m/s :

      QDM du propergol éjecté :  3000 (vitesse) x  1 (masse)  =  3000 unités de QDM

      Donc, QDM du vaisseau spatial en fin de fonctionnement :  3000 aussi

      Donc, vu sa masse de 100, vitesse atteinte en fin de combustion :  3000 / 100  =  30 m/s

      Ce calcul est inapplicable en général à la fusée dont le propergol représente souvent 90% de la masse au décollage. La poussée constante n'accélère évidemment pas la fusée presque vide comme la fusée au départ. On pourrait s'amuser à tronçonner les 90% en 90 tranches de 1% et faire 90 calculs élémentaires comme celui de l'exemple précédent, mais il est plus commode d'appliquer la relation générale :

      Vitesse finale  =  vitesse d'éjection  x  logarithme népérien du rapport : (masse avec le plein de propergol / masse à vide de propergol)

      Exemple : éjection à 3000 m/s et 90% de propergol dans la masse au décollage. Le rapport (masse à plein/masse à vide) vaut 10.

      Log népérien de 10  =  2,3.         Vitesse finale  =  3000  x  2,3  =  6900 m/s

      Ce chiffre est assez proche de la vitesse de satellisation circulaire à basse altitude de 7800 m/s. Un calcul inverse du précédent permet de trouver le log népérien du rapport de masse qui permettrait d'atteindre 7800 m/s :

      7800 / 3000  =  2,6 qui est le log népérien de 13,5. Tel devrait être le rapport des masses au décollage, soit plus de 93% de propergol au décollage. C'est un chiffre difficile à obtenir, car les 7% restant représentent la fusée vide avec ses moteurs et ses pompes, en plus de la charge utile pour laquelle est faite la fusée.

      Les choses ne s'arrêtent hélas pas là. Le calcul de la vitesse finale tel que nous l'avons fait suppose une fusée dans le vide loin de toute pesanteur. C'est le cas d'une fusée déjà en orbite, et pouvant faire fonctionner son moteur à l'horizontale : la pesanteur ne joue pas. Il en va tout autrement lorsqu'au décollage le fusée est droite : la part de sa poussée qui sert simplement à équilibrer le poids de l'engin est complètement perdue pour l'accélération utile.

      Une V2 pesant 12,5 tonnes avec un moteur de 25 tonnes de poussée consomme 12,5 tonnes pour se sustenter : il n'en reste que 12,5 pour accélérer.

      Une Saturn V pesant 3000 tonnes avec 5 moteurs totalisant 3400 tonnes de poussée n'a plus que 400 tonnes pour accélerer : le rapport n'est pas le même !

      On peut calculer qu'une force de 12,5 tonnes accélérant une masse de 12,5 tonnes lui communique une accélération de 9,81 m/s à chaque seconde écoulée, encore noté 9,81 m/s², ou 35 km/h par seconde écoulée. Une force de 400 tonnes poussant une masse de 3000 tonnes ne lui communique qu'une accélération de 1,31 m/s², ou 4,7 km/h par seconde écoulée (application de la relation fondamentale de la dynamique rappelée en début d'exposé). 

      A cette perte s'ajoute la résistance de l'air qui devient vite très importante lorsque la fusée atteint plusieurs mach à 10 ou 15 km d'altitude ; elle diminue ensuite du fait de la rapide raréfaction de l'atmosphère.

      Troisième handicap : les impulsions spécifiques données sont souvent valables dans le vide. Au niveau de la mer, elles sont amputées d'environ 15 à 20% du seul fait de l'obstacle à l'éjection des gaz constitué par l'air ambiant. Notons au passage que c'est là le contraire des croyances anciennes évoquées tout au début...

      De tous ces facteurs de baisse des performances théoriques, il résulte que la vitesse finale déterminée comme il est montré plus haut, ne sera jamais atteinte. Comme il n'est pas possible d'envisager des rapports : (masse à plein/masse à vide) de 99%, c'est-à-dire des fusées sans poids et n'emportant rien, il n'existe pas de fusée capable de se placer en orbite terrestre.

      Nous voulons dire : de fusée sans étages. Le principe de la fusée à étages n'a d'autre fonction que de contourner cet obstacle embarrassant. Scinder une fusée en étages lui permet tout simplement de se débarrasser par morceaux de la carcasse au fur et à mesure de l'allègement de la fusée, ce qui réduit la masse inutile à accélérer sans objet. Comparons deux fusées de même impulsion spécifique égale à 300 secondes et de même rapport : (masse avec le plein / masse à vide) supposé de 0,9. L'une est sans étage, c'est-à-dire n'a qu'un étage ; l'autre en a trois. Les deux pèsent mille tonnes et la charge utile est de 20 tonnes.

      Nous avons déjà vu que la vitesse finale atteinte par la fusée d'un seul étage est 6900 m/s. Sur 1000 tonnes au début elle comporte 900 tonnes de propergol, 80 tonnes de carcasse inerte et 20 tonnes de charge utile. On rappelle que jamais lancée du sol elle n'atteindrait cette vitesse en luttant contre la pesanteur et la résistance de l'air ; on envisage le cas idéal d'une accélération tout entière exécutée dans une monde sans gravitation ni traînée aérodynamique.

      La fusée de 1000 tonnes en trois étages sera par hypothèse ainsi constitué :

    - Troisième étage portant les 20 tonnes de charge utile, 5 tonnes de carcasse et 40 tonnes de propergol. Total de 65 tonnes. Rapport des masses :  65 / 25  =  2,6.  Accroissement de vitesse dû au troisième étage :  3000 m/s  x  log népérien de 2,6  =  3000  x  0,96  =  2880 m/s.

    - Deuxième étage de 250 tonnes dont 25 tonnes de carcasse et 225 tonnes de propergol. Masse totale de 315 tonnes avec le troisième étage. Rapport des masses :  315 / 90 =  3,5.  Accroissement de vitesse dû au deuxième étage :  3000 m/s  x  log népérien de 3,5  =  3760 m/s.

    - Premier étage de 685 tonnes dont 60 tonnes de carcasse et 625 tonnes de propergol. Masse totale de 1000 tonnes avec les deux autres étages.  Rapport des masses : 1000 / 375  =  2,67.  Accroissement de vitesse dû au premier étage :  3000 m/s  x  log népérien de 2,67  =  2940 m/s.

      Total :  2880  +  3760  + 2940  =  9580 m/s.  Cette fusée placera son dernier étage sur orbite même en tenant compte de la pesanteur et de l'atmosphère. 

      La pesanteur sur la lune est 6 fois plus faible sur la Terre. Le seul étage de remontée du LEM pesant à l'envol 4,5 tonnes suffit à placer en orbite à 1700 m/s deux hommes avec un rapport de masses qui ne dépasse pas 2. Placer en orbite terrestre deux hommes à 7800 m/s réclame une fusée à étages de plusieurs centaines de tonnes et d'un rapport de masses beaucoup plus élevé. Le rapport des moyens à mettre en oeuvre n'est visiblement pas de 6, le rapport des pesanteurs à vaincre ! Il se rapproche plutôt de la valeur 81 du rapport entre les masses des deux astres, c'est-à-dire du travail qu'il faut produire pour précisément s'arracher à l'étreinte de leur masse. On peut en déduire que d'éventuels Joviens n'eussent pas facilement créé l'astronautique.

      Attachons-nous enfin à évaluer la valeur de l'accélération au cours du vol et de l'allègement progressif d'une fusée.

      Une Saturn V de 3000 tonnes au décollage est enlevée par 5 moteurs cumulant une poussée de 3400 tonnes. La fusée verticale est donc soutenue par 3000 tonnes de poussée, et seulement accélérée par les 400 tonnes excédentaires. Il en résulte une bien modeste accélération initiale de 400/3000 = 0,133 g = 1,3 m/s² : la fusée accélère de 1,3 m/s ou moins de 5 km/h à chaque seconde qui passe. Voilà pourquoi il lui faut plus de dix secondes pour dépasser sa propre tour de lancement.

      Très vite elle accélère plus fort pour deux raisons : d'une part elle s'allège très rapidement, d'autre part elle commence dès l'envol à se coucher progressivement. La fraction du poids restant à équilibrer par les moteurs est diminuée d'autant. Fusée à l'horizontale, le poids n'aurait plus aucun effet et l'accélération serait maximum. A 20 000 mètres déjà la fusée a basculé d'à peu près 70 degrés !

      En fin de combustion du premier étage la fusée vole depuis 150 secondes et se trouve à plus de 60 kilomètres d'altitude. Elle est presque horizontale ; on négligera donc l'effet résiduel de son poids sur son accélération. Elle a consommé les 2000 tonnes de propergol du premier étage et ne pèse plus que 1000 tonnes. La poussée des moteurs à consommation constante est passée de 3400 tonnes dans l'air dense à 4000 tonnes dans le vide. L'accélération atteint dès lors 4000/1000 = 4 g, ou 140 km/h de plus à chaque seconde écoulée.

      Les étages supérieurs ne dépasseront pas cette accélération, limite tolérable pour les passagers. Une accélération excessive se paie aussi en masse de structure destinée à tenir de plus grands efforts.   

    Synthèse générale : la fusée Saturn V et la mission lunaire

      Qu'est-ce qui rend techniquement possible la conquête de l'espace ? La réponse est : l'atmosphère. Une Saturn V communique la vitesse nécessaire de 11 km/s au train lunaire (capsule, LEM, module de service, carcasse vide du troisième étage) de masse 59,5 tonnes : 47,5 tonnes de capsule, LEM, module de service et 12 tonnes de carcasse du troisième etage et autres équipements. La fusée pèse 3038 tonnes au décollage : 51 fois la masse envoyée vers la lune. La capsule seule fait 6 tonnes. l'atmosphère seule au retour la freine de 11 km/s à presque zéro. Imaginons qu'il n'y ait pas d'atmosphère : il faudrait une rétrofusée 51 fois plus massive que la chose à freiner... c'est-à-dire 306 tonnes.

      Il aurait fallu envoyer ces 306 tonnes vers la lune en plus des 59,5 "normales", soit 365 tonnes en tout. La fusée capable de propulser à 11 km/s le train lunaire de 59 tonnes pèse 3038 - 59 = 2979 tonnes. La fusée capable de propulser à 11 km/s un train de 365 tonnes pèserait en proportion 18 800 tonnes, soit 19 165 tonnes au décollage !

      Encore ai-je négligé de compliquer le calcul en considérant qu'il faudrait un module de service beaucoup plus gros pour freiner le train de 365 tonnes à l'arrivée près de la lune, et surtout ensuite le réarracher à l'orbite lunaire afin de renvoyer vers la Terre capsule et rétrofusée de 306 tonnes.

      Disons que la fusée au décollage devrait peser cinquante mille tonnes et n'en parlons plus. Un lecteur pointilleux fera le calcul et trouvera peut-être pire encore.   

      Revenons au cas réel avec atmosphère. Il s'agit de faire revenir sur la Terre une simple capsule de 6 tonnes permettant la vie de trois hommes. L'air suffit à son freinage ; le module de service doit pour quitter l'orbite lunaire accélérer les deux éléments de la vitesse orbitale lunaire de 1,7 km/s à (environ) la vitesse de libération lunaire de 2,4 km/s.  

      Il reste au début de cette manoeuvre : 6 tonnes de capsule, 6 tonnes de module de service à vide et environ le tiers des 18,4 tonnes de propergol du module de service. Total de 18 tonnes à accélérer de 700 m/s. Le propergol du module de service est l'hypergol : peroxyde d'azote / mélange d'hydrazines ; impulsion spécifique 314 secondes ou vitesse d'éjection d'environ 3140 m/s. L'application de la formule logarithmique déjà connue avec les valeurs 3140 m/s, masse initiale 18 tonnes, masse finale 12 tonnes, donne un gain de vitesse possible de plus de 1200 m/s.

      Nous continuons à remonter le temps : on voit qu'à commencer la description du vol par la fin, on détermine chaque étage en fonction des besoins de tout ce qui est au-dessus de lui ; la démarche est plus logique que d'imaginer a priori une fusée de masse au décollage estimée au flair, pour aller regarder ce qu'il est possible de lui faire envoyer ! Poursuivons par la phase encore antérieure, quoique en laissant de côté l'excursion indépendante du LEM vers la lune. Cette phase antérieure est la mise en orbite autour de la lune du train spatial qui arrivait à peu près à vitesse de libération lunaire. Il faut freiner de 2,4 à 1,7 km/s, soit 700 m/s. La manoeuvre serait symétrique de la précédente si la masse à freiner n'était très différente : capsule de 6 tonnes, LEM de 15 tonnes, module de service encore inemployé de 24,5 tonnes ; soit 45,5 tonnes. En considérant que les deux premiers tiers de son propergol servent à ce freinage, soit 12 tonnes d'ergols, nous trouvons par la formule habituelle un freinage possible de 950 m/s.      

      Ces estimations montrent que le module de service dispose d'une large marge de freinage/accélération. Il doit en effet assurer les corrections aléatoires sur le chemin entre les deux astres, ainsi que participer aux manoeuvres de rendez-vous avec l'étage de remontée du LEM. Il assure à partir de la mission Apollo 15 un rôle de plus : faire descendre lui-même le LEM de l'orbite lunaire initiale à 110 km jusqu'à l'altitude de début de freinage du LEM, soit 15 km. Le LEM n'ayant plus à le faire lui-même grignote un peu de capacités d'emport.  

      Pour envoyer le train en orbite lunaire, il a fallu l'arracher à l'orbite terrestre où la fusée l'avait mis en premier ; c'est-à-dire le faire passer en gros de 8 à 11 km/s et lui communiquer presque la vitesse de libération terrestre. On a vu que la masse du train est 45,5 tonnes, mais il faut ajouter à la masse accélérée celle de l' "intrument unit", cet anneau d'une masse de deux tonnes placé au-dessus du troisième étage et contenant les moyens de navigation de la fusée. Il faut ajouter surtout les 10 tonnes de masse à vide du troisième étage. Ces deux éléments sont séparés du train lunaire avant la manoeuvre de passage du LEM à l'avant de la capsule. La masse accélérée vers la lune est donc 45,5 + 2 + 10 = 57,5 tonnes.

      Le troisième étage contient 104 tonnes d'hydrogène/oxygène d'impulsion spécifique 421 secondes, ou vitesse d'éjection 4210 m/s. De ces 104 tonnes, 34 sont employées à terminer le mise en orbite terrestre et les 70 suivantes à lancer vers la lune. La masse accélérée vers la lune est alors au début : 57,5 + 70 = 127,5 tonnes. La formule logarithmique encore employée donne pour ces 70 tonnes de propergol un surcroît de vitesse de 3280 m/s, ce qui est cohérent avec l'effet recherché.

      Le troisième étage a commencé dans un premier temps à brûler 34 tonnes de propergol pour gagner les 3000 derniers kilomètres heures (800 m/s) manquant pour la mise en orbite terrestre : le second étage n'avait porté l'ensemble qu'à 25 000 des 28 000 km/h voulus. La masse du troisième étage avant allumage est 114 tonnes, en plus des 47,5 tonnes du train lunaire/anneau d'instrumentation. Ce total de 161,5 tonnes en début d'accélération descend de 34 tonnes, soit à 127,5 tonnes. La formule toujours identique donne un gain de vitesse possible de 3 580 km/h. Il faut noter que le troisième étage fonctionne quasiment à l'horizontale, et que son poids n'étant plus supporté par le moteur ne réduit plus (énormément) la force utile à accélérer.

      Le second étage lui aussi à hydrogène/oxygène fait passer le vaisseau de 10 000 à 25 000 km/h, soit un gain de 4100 m/s. Sa masse est 480 tonnes dont 444 tonnes de propergol. Là encore le temps d'accélération se fait sinon à l'horizontale, du moins sous une pente faible que nous ne prenons pas ici en considération, surtout d'ailleurs parce que divers paramètres complexes la rendent malaisée à déterminer précisément. L'ensemble fait donc avant allumage 161,5 + 480 = 641,5 tonnes, et 197,5 tonnes en fin de combustion. La formule donne une possibilité d'accélération de 4960 m/s.

      Le premier étage avec sa trajectoire a été étudié plus haut. Sa masse de 2300 tonnes comprend 2000 tonnes de pétrole et oxygène d'impulsion spécifique 258 secondes au décollage, davantage en altitude. Disons un mot encore de la tour de sauvetage. Cet appendice visible au décollage au-dessus de la capsule est une fusée à poudre de deux tonnes. Elle emporte en cas d'accident une masse de 8 tonnes (la capsule et elle-même) en donnant pendant 3,2 secondes une poussée (une traction ?) de 66 tonnes, réduite à 54 tonnes utiles du fait du braquage de 35 degrés de ses tuyères, car leur jet doit éviter la capsule. Le tout peut depuis le sol et sans vitesse initiale hisser la capsule à 1200 mètres pour lui laisser la possibilité d'ouvrir ses parachutes. On espère le pas de tir assez proche de l'océan, sans quoi, mal au dos !

     

     

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  • REDDE CAESARI...

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      La rupture entre la Gauche et l'Eglise va de soi ; elle est comme naturelle ; tout radical à barbiche et lunettes d'acier à petits verres ovales vous le confirmera. Attelons-nous à présent par simple souci d'équilibre politique au rééquilibrage de la Calotte d'avec la Droite. 

    - Mon père, je m'accuse d'avoir aidé un immigré à pénétrer illégalement en France.
    - L'avez-vous racketté ?
    - Pas du tout ; j'ai agi par compassion pure.
    - Lui avez-vous fait croire qu'il serait aisément accepté ?
    - En aucune façon. Je ne lui ai dissimulé aucune difficulté, en particulier de nature judiciaire. Je lui ai expliqué qu'il risquait de s'entendre dire qu'on l'expulse non parce qu'il est étranger, mais parce qu'il est délinquant, ayant commis le délit d'être entré. C'est là un échantillon d'une forme réthorique nouvelle, à laquelle un nom grec fait encore défaut, et qui tient entre autres du sophisme, de la pétition de principe et de la lapalissade spécieuse. S'il trouve quelque chose à répliquer à ça !
    - Dans ces condition, mon fils, je ne vois pas que vous lui ayez fait un tort coupable...
    - Comment ! J'ai enfreint la loi votée démocratiquement par des parlementaires élus librement et régulièrement ! C'est d'évidence un péché, ou je ne sais plus mon catéchisme !  
    - Holà ! pas si vite ! Vous rendrez peut-être compte aux tribunaux d'une infraction à la loi, mais la morale n'y a rien à voir. Dieu n'a ni tracé les frontières ni fait défense à quiconque de voyager à son gré. Si nous nous calfeutrons derrière les limites de nore hexagone, c'est parce que nous n'avons pas la moindre idée de la façon dont notre revenu national pourrait bien financer la chirurgie cardiaque et la médecine cancérologique de six milliards d'individus. Il en résulte que nous nous taisons sous l'effet d'un sentiment d'impuissance, et moi le premier, lorsque notre gouvernement n'entreprend point de croisade alimentaire et sanitaire à travers le monde. Bref, on se cache faute de savoir quoi faire. Cela dit, soutenir à qui aura passé la frontière qu'il est très vilain de venir manger un pain qui n'existe pas chez lui... relève du surréalisme. Si la France ne veut pas appliquer la liberté reconnue à tout humain par l'acte fondateur de l'ONU de choisir sa nationalité, elle n'avait qu'à pas le signer ! Allez en paix ! In nomine...

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    Les requêtes faites sur moteur de recherche et dirigeant sur ce document sont très variées dans leur teneur. En conséquence, on peut se référer à la table des matières abondante qui suit quelques écrans plus bas.  

    Et n'oubliez pas de visiter la catégorie : "fictions sur l'aéronautique et l'espace"

     

      

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    Les sensations du pilote

    Le comportement de la machine

    La mécanique de son vol en fonction de sa morphologie

    en langage vernaculaire

    Et quelques autres considérations

    A l’intention des maquettistes

    Spotters, documentalistes,

    Et tous aérophiles ne pilotant pas eux-mêmes

     

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    Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connoissance de la Physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et un peu plus égayée, ce qu’ils sçavent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j’ai crû pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s’ils cherchent ici de l’utilité ; et les seconds, s’ils n’y cherchent que de l’agrément.

     

    Fontenelle, préface à Entretiens sur la pluralité des mondes

     

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    AVERTISSEMENT

     

    Cet ouvrage ne saurait être en aucun cas regardé comme une source d’informations utiles au pilotage, quand bien même l’auteur explique ce qu’il fait lui-même en vol, ou ce que les autres font usuellement, voire inusuellement. L’auteur qui n’est pas instructeur de pilotage ne donne aucun conseil ; son lecteur s’il pilote ne se référera jamais dans sa pratique aux pages de ce livre, mais demandera conseil à un instructeur qualifié.

    En particulier diverses affirmations relèvent de la généralisation et/ou de la simplification, et ne sauraient s’appliquer au vol réel de tel ou tel avion.

    *

    Les chapitres 58 et 77 peuvent être regardés comme récréatifs, et lus indépendamment du reste du texte.

    *

    La discussion entre aérophiles montre souvent une chose étrange à celui d’entre eux qui est quelque peu technicien : le passionné moyen lit les fiches techniques et regarde les plans trois-vues sans être a priori capable d’en déduire l’ordre de grandeur des performances d’une machine, ni rien de son comportement en vol.

    Tout au plus l’aérophile fait-il des comparaisons simples. Il préfère souvent la science des insignes à celles de l’aérodynamique et de la mécanique ; l’auteur de cet ouvrage est lui-même pilote et créateur de trois monoplaces légers qui ont volé, si bien que les cocardes et autres blasons lui importent moins que la façon dont un avion glisse à travers les airs.

    « Qui utilise ces livres [le plus gros des ouvrages d’aviation, trop ignorants des fondements techniques et physiques ; note que nous ajoutons] est obligé de faire lui-même les calculs dans la marge ; cela […] amène inévitablement à penser que bien peu d’auteurs et d’aviateurs savent apprécier l’utilité d’un avion. 

    « Ces montagnes de détails fournissent rarement les charges alaires […] jamais le rapport charge/masse à vide. […]

    « Ceci soulève une question qu’il faut poser : les historiens de l’aviation souhaitent-ils comprendre la machine et rendre sa fonction intelligible, ou veulent-ils simplement ajouter leur contribution à un immense bavardage ? (c’est nous qui soulignons).

    (Richard K. Smith, traduit par Gonzague Gaudet dans le Fana de l’Aviation n°411)

     

    Tel éditorialiste de la presse aéronautique regrette à l’inverse la technicité selon lui abusive de trop de monographies courantes. Il prend l’exemple technique de la charge alaire pour dire qu’il est « bien triste » de voir une indication si peu passionnante être substituée à de plus utiles considérations, comme par exemple l’exposé par un pilote des réactions en vol de la machine.

    En vérité l’un ne va pas sans l’autre. Nous comparons plus loin le comportement de deux avions de masse identique et de mission similaire, l’Avro Vulcan et le Boeing B-47. La charge alaire de l’un est presque triple de celle de l’autre. Pourquoi le plafond du second est-il à peine la moitié de celui du premier ? Pourquoi le Zéro vire-t-il plus sec que ses adversaires ? Pourquoi le Bucaneer ou le TSR-2 filent-ils au ras du sol comme sur un rail, là où des machines prévues au départ pour la haute altitude s’y font durement secouer ? C’est affaire de charge alaire, tantôt faible, tantôt forte.

    Si des auteurs en viennent à juger leurs propres confrères malhabiles à comprendre et transmettre leur sujet valablement, ne faudrait-il pas disposer d’un ouvrage traitant de façon qualitative de la mécanique du vol et prédisant le comportement d’un avion selon ses caractéristiques ? d’un ouvrage qui mît l’aérophile moyen un peu au fait de ce qu’on peut sans trop risquer l’erreur grossière déduire du plan et des chiffres d’un avion ? Dans l’attente de l’ouvrage définitif qu’un aigle rédigera sur cet utile sujet, l’auteur propose avec ces pages un premier essai.

    L’auteur est pilote. Nous avons constaté souvent en discutant avec d’autres pilotes, que le seul fait de piloter ne donne pas suffisamment le sens intuitif du comportement de machines vraiment différentes de celles que l’on a eues entre ses mains. Les théories tenues par tel pilote sur ce que doit être aux commandes telle machine inconnue de lui, sont parfois surprenantes. Nous ne savons pas ce qu’à l’inverse le théoricien du vol qui n’a jamais quitté le sol peut pressentir du comportement d’un engin dont il connaît très bien sur papier les paramètres physiques. Le fait en revanche d’être pilote et de comprendre en quoi et pourquoi la morphologie d’un avion détermine son comportement, permet l’analyse intellectuelle et le pressenti correct de ce que fera la machine en vol. Le chapitre traitant de l’U-2 illustrera plus particulièrement ce point.

    Prenons un exemple pour suggérer ce que peut être un tel comportement. Nous volons en palier à pleins gaz. Nous réduisons alors le moteur à fond. Faisons l’expérience sur deux avions ayant le même fuselage et la même surface d’aile ; ils seraient semblables si l’un ne faisait six mètres d’envergure et l’autre quinze. En d’autres termes le premier possède une voilure bien trapue, et le second une aile de la forme en plan d’un réglet de métreur. Ayant réduit les gaz sur l’appareil à aile courtaude, nous constatons qu’il perd à grande allure sa vitesse comme un vélo en roue libre dans un chemin boueux. Puis il se met très vite en descente, en piquant presque comme s’il dévalait un escalier (nous forçons un peu le trait) ; il y est contraint, car en planant de façon moins raide il ne conserverait pas la vitesse nécessaire à ne pas décrocher (tomber en « perte de vitesse »). Réduisant à présent les gaz sur l’avion à aile très allongée, nous observons qu’il met au contraire beaucoup de temps et de distance à ralentir. Nous pouvons un long moment le maintenir en palier avant d’avoir à le placer en descente. Nous pouvons même pendant ce temps tirer un peu le manche et voir la machine capable encore de petits bonds vers le haut. Une fois ralenti peu au-dessus de sa vitesse minimale de vol, l’avion se met en glissade longue et lente vers le sol dont il survolera une grande étendue avant de frôler terre.

    Nous voudrions que l’aérophile fût un peu plus qu’un collectionneur de fiches diversement coloriées. Nous avons exclu de faire un cours progressif et rigoureux, mais choisi d’aborder le vol à bâtons rompus par courts sujets disparates. Il est quelquefois nécessaire d’avoir lu le ou les sujets précédents pour en comprendre un nouveau, mais fréquemment ce n’est pas indispensable.

    Nous avons souhaité donner du relief au texte en décrivant souvent les impressions du pilote en telles ou telles circonstances.

    Le technicien de la partie jugera que nous avons traité à des niveaux très inégaux les questions distinctes successivement abordées. Il n’aura pas tort : nous avons fait subjectivement le choix qui nous semblait le plus approprié au but recherché, et délibérément oublié foule d’éléments perçus par nous peu nécessaires.

    *

     

    TABLE DES MATIERES

     

    1 Généralités sur le comportement d’un avion-type

    2 L’air ; l’atmosphère standard ; table de densité selon l’altitude

    3 Avion surmotorisé, sous-motorisé

    4 Effets importants de la température sur les performances

    5 Démonstration pratique simple du principe de la sustentation

    6 Estimation de la vitesse minimum de sustentation ; description du décrochage

    7 Ensemble du domaine de vol en palier ; vitesses de finesse maximum et de puissance minimum ; écart de vitesse.

    8 Pourquoi la vitesse maximum n’augmente qu’à la racine cubique de la puissance disponible Comparaison du rendement de la propulsion par hélice et par réacteur

    9 Facteurs accroissant la vitesse maximum

    10 Finesse maximum et angle de plané ; cabré correspondant de l’avion

    11 Précisions sur la relation physique entre finesse et angle de plané

    12 Le rendement : soyez de la mince élite qui n’emploie pas ce mot à tort et à travers

    13 Comment accroître la finesse

    14 Calcul de l’allongement

    15 Une confusion regrettable dans l’usage du mot «finesse»

    16 Comment l’altitude décale et étend le domaine de vol ; la vitesse indiquée

    17 L’effet du vent sur les diverses performances

    18 Le plafond absolu ; comportement particulier de l’avion au plafond absolu 

    19 Exemples de la valeur de la finesse maximum pour diverses sortes d’avions

    20 Intérêt de la finesse maximum ; charge soulevable

    21 Ressource après piqué ; nombre de «g» pris ; facteur de charge

    22 Parabole en apesanteur

    23 Facteur de charge négatif

    24 Résistance de la structure ; facteurs de charge limite et extrême

    25 Restitution après ressource

    26 Physique de la montée en chandelle

    27 Le seuil de piste franchi en nette survitesse…

    28 «rappel au chapitre 28» : formule de la poussée

    29 Solide exposé sur la traînée induite et les vertus de l’allongement

    30 La puissance induite

    31 Relation entre allongement, finesse maximum et performances générales

    32 Relation empirique entre vitesse ascensionnelle et plafond

    33 L’effet de sol

    34 Physique du virage ; inclinaison et facteur de charge

    35 Le décrochage dynamique

    36 Puissance exigée en virage serré ; perte de vitesse, d’altitude

    37 Réduction des facteurs de charge possibles en altitude

    38 Effets moteur

    39 Centrage

    40 Fonction des empennages

    41 Approcher, atterrir

    42 Pourquoi passer au réacteur ?

    43 Equivalence entre poussée d’un réacteur et traction d’une hélice

    44 Pourquoi le Me 262 si rapide accélère-t-il si mollement ?

    45 Pourquoi n’y a-t-il pas de réacteur sur avion lent ?

    46 Les matériaux de structure : bois, métal, stratifié

    47 Analyse physique de la post-combustion et du double flux

    48 Une règle fondamentale à retenir

    49 Les phénomènes transsoniques

    50 Loi de montée en altitude de l’avion à réaction ; plafond de propulsion ; plafond aérodynamique

    51 Les avions à propulsion par fusée

    52 Notions sur la physiologie du vol sans visibilité

    53 Distance franchissable maximum de l’avion à hélice

    54 Pourquoi l’avion à réaction ne croise-t-il guère qu’en altitude élevée ?

    55 Distance franchissable de l’avion à réaction ; extrapolation ludique absurde

    56 La flèche variable

    57 Le vol supersonique

    58 Petit catalogue des inepties dans les fiches techniques de la littérature aéronautique

    59 Effets en vol du recul des armes

    60 Analyse d’une illusion

    61 Tableau des distances franchies en fonction de l’accélération au démarrage

    62 Lockheed U-2: analyse

    63 Curtiss-Wright Demon : le Zéro américain

    64 P-51 Mustang

    65 Les avions canard

    66 Les ailes volantes ; psychologie de leurs détracteurs

    67 Colomban Cri-Cri: analyse d’une démarche d’optimisation

    68 Tank 152H: comportement en haute altitude d’un chasseur « allongé » ; oxyde d’azote et injection d’eau

    69 Curtiss P-40 : de l’intérêt ou non du profil laminaire

    70 Avro Vulcan et Boeing B-47. Deux avions de même destination et de morphologies très différentes : différences de comportement en vol

    71 Mirage IV et Vigilante : des jumeaux hétérozygotes

    72 Blackburn Buccaneer : physique du soufflage

    73 Mirage IV : analyse du rôle du ravitaillement en vol

    74 Réflexions a posteriori sur les avions Leduc

    75 Fairchild A-10 : balistique des obus en uranium

    76 Les avions modernes et laids : réflexions sur la fadeur de l’optimisation moderniste

    77 Les joyeusetés du traducteur d’anglais aéronautique

    76 Récréation physico-mathématique (simple)

    77 Table d’équivalence des unités métriques et anglaises

    78 Quizz pas toujours facile

    *

     

    REMARQUE SUR LES UNITES

     

    L’auteur dès le lycée n’a pas appris d’autres unités que celles du système SI, et pourtant il les mélange un peu partout avec des unités anciennes incohérentes et prohibées.

    Les unités anciennes favorisent la compréhension intuitive. Un quidam comprend aisément ce qu’est une atmosphère (unité de pression) ou un kilogramme-force ; on sera moins bien venu de lui dire que des bouteilles de plongée sont chargées sous 20 mégapascals ; il reste préférable de parler de 200 atmosphères, d’où se déduit bien plus naturellement qu’elles enferment 200 fois leur volume en air détendu. On évitera aussi de dire au quidam que strictement parlant la charge alaire d’un avion s’exprime en pascals. Quant aux forces, constatons qu’exprimées en « kilos », elles sont immédiatement imagées par quiconque.

    Le poids et la masse feront dans ces pages l’objet d’un mélange indifférent aux censures de l’Université.

    L’auteur insiste sur le fait qu’il emploie délibérément des unités aujourd'hui illégales, par lui apprises postérieurement à celle du système SI. Les puristes y trouveront sujet à méditation ou à dédain.

    Enfin, nous emploierons quelquefois par souci de favoriser la compréhension intuitive, la notion fallacieuse de force centrifuge.

     

    1

     

    Nous tenons les commandes d’un chasseur de la Seconde Guerre mondiale volant en palier à très basse altitude. Le type n’en est pas spécifié ; c’est un générique représentatif de bon nombre de modèles. Son moteur donne en ce moment 750 chevaux et tire l’appareil à 400 km/h stabilisés. A pleins gaz il peut donner le double, 1500 chevaux.

    Le compte-tours indique 3000 t/mn, mais il les indique aussi à pleins gaz ou bien à puissance plus réduite encore que la moitié : l’hélice est non seulement à pas variable mais aussi « à vitesse constante ». Elle (et le moteur) tourne au même régime, qu’elle reçoive peu ou beaucoup de puissance. Elle fait simplement varier l’angle de calage de ses pales en faisant tourillonner leur pied dans le moyeu commun, selon le nombre de chevaux qu’elle doit absorber.

    Peu de chevaux ? La pale se braque peu, cherchant à présenter à l’air son profil le plus mince, celui qui de face offre le moins de résistance. Peu braquée, la pale est au petit pas. Beaucoup de chevaux ? la pale se braque fortement pour « ramer » du plus qu’elle peut dans la masse du fluide, y rencontrant par conséquent beaucoup de résistance. Elle peut la supporter puisque des chevaux nombreux sont alors derrière. Le fort angle sous lequel est ainsi braquée la pale est son grand pas(ceci est une schématisation).

    Pour ce qui est de faire varier la puissance du moteur sans changer sa vitesse de rotation n’a rien de paradoxal. Un moteur de voiture à cinq mille tours en côte donne toute sa puissance avec l’accélérateur à fond ; au même régime en descente le pied est presque relevé, l’admission des gaz presque close, les chevaux fournis peu nombreux.

    Le tableau de bord de notre chasseur possède un appareil appelé manomètre de pression d’admission. Le moteur n’est pas « atmosphérique », mais doté d’un compresseur qui le gave de mélange air/essence plus dense que l’air ordinaire. Le manomètre d’admission indique sous quelle pression le compresseur gave les cylindre.

    Admettons qu’à la mi-puissance où nous volons, le manomètre d’admission indique « zéro » et que l’avion soit anglais. Voyez tout cela sur votre simulateur guerrier préféré. « zéro » veut dire que le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif ; le moteur au niveau de la mer avale de l’air à pression ordinaire. Les Britanniques disent « zéro de boost » ou « zéro livres de boost » : le moteur n’est pas « boosté », ou est boosté de zéro ; on parle de zéro « livre » comme nous disons : « kilo de pression » pour signifier un bar ou une atmosphère.

    Quand nous disons : « le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif », nous considérons que nous sommes au niveau de la mer. Si nous volions plus haut, là où la pression atmosphérique a baissé, lire au manomètre « zéro de boost » signifierait que l’air serait envoyé aux cylindres à la même pression que s’ils l’avalaient sans compresseur au niveau de la mer ; mais puisque la pression atmosphérique aurait baissé, il va de soi que malgré l’indication « zéro », le compresseur cette fois serait en action.

    Si le chasseur était allemand, le manomètre d’admission serait gradué en atmosphères : « ATA » lu sur le cadran. Au niveau de la mer dans les mêmes conditions, il indiquerait donc « 1 ». Un manomètre français afficherait « 100 » pour cent pièzes, puisqu’un hectopièze vaut 1 atmosphère (à 2% près ; l’hectopièze vaut en fait 1 bar). Un autre type de manomètre français pourrait aussi indiquer des millimètres de mercure, ici 760. Un manomètre étasunien indiquerait quant à lui « 30 », trente pouces de colonne de mercure, c’est-à-dire 76 cm et toujours 1 atmosphère.  

    A noter que sans le dire nous employons volontiers la notion de « boost » au sujet de nos pneumatiques. Un pneu gonflé « à deux kilos » est à deux kilos de surpression, et donc à trois kilos dans l’absolu puisque kilo de pression et atmosphère sont presque synonymes.

    Le moteur fournissant la moitié de sa puissance maximum de 1500 chevaux, donne 750 chevaux. Un moteur à 4 temps consomme par exemple 220 grammes d’essence par cheval et par heure : sa consommation spécifique vaut 220 g/ch/h s’il est à carburateur. L’injection fait descendre la consommation spécifique aux environs de 180 g/ch/h. 220 grammes font environ le tiers d’un litre, qui pèse 700 grammes ou un peu plus. Ainsi divisera-t-on par trois la puissance effectivement développée pour connaître en litres la consommation horaire. On diviserait par 2 seulement pour un vorace moteur à deux temps, mais par 4 pour un diesel économique.

    Notre avion donnant 750 chevaux brûle par conséquent 250 litres d’essence à l’heure. Il emporte 400 litres ; il volera 1,6 heure et franchira sans vent 640 kilomètres.

    Le pilote reste au niveau de la mer et donne tous les gaz. Le moteur fournit à présent 1500 chevaux. Le compte-tours n’a naturellement pas bougé, puisque l’hélice est à vitesse constante. Les pales de l’hélice se sont bornées à prendre un angle d’attaque plus fort, à augmenter leur pas. Ce pas plus fort fera avancer l’avion davantage à chaque tour d’hélice, et cet angle d’attaque plus fort subira de l’air ambiant une résistance au mouvement plus forte.

    Cette résistance accrue absorbera la puissance plus forte donnée par le moteur. Admettons que le manomètre d’admission ait sauté à « 14 » livres de boost s’il est anglais ou à « 60 » pouces de mercure s’il vient des Etats-Unis. Le compresseur est en pleine action ; il gave les cylindres sous le double de la pression atmosphérique du niveau de la mer. Dans un poids d’air doublé peut brûler un poids d’essence doublé. L’explosion est deux fois plus énergique, ce qui double la force qui repousse le piston. Le couple du moteur en est doublé. La puissance est alors doublée malgré la constance de l’indication du compte-tours et de la vitesse de rotation de l’hélice.

    Une atmosphère comme unité de pression vaut 30 pouces en mesures anglaises. 60 pouces de mercure font deux atmosphères. Le principe est plus complexe quand on parle de livres de boost. Un kilo de pression fait bien 2,2 livres (la livre pesant 454 grammes), mais le kilo de pression s’exprime par centimètre carré tandis que la livre de pression s’exprime par pouce carré. Un pouce carré fait 6,45 cm². La livre de boost vaut ainsi quelques 70 grammes par cm² (calculez) ; il en faut bien 14 pour former un « kilo de pression ».

    Un manomètre allemand de la guerre indique 1,4 atmosphère seulement à pleins gaz, car ces moteurs sont moins bons que leurs équivalents adverses. Le manomètre monte un peu plus avec l’emploi des dispositifs à méthanol (MW 50) ou oxyde d’azote (GM 1) qui ne sont en fait que des ersatz compliqués.

    Nous avons mis les pleins gaz ; la puissance passant de 750 à 1500 chevaux à donc doublé. Le pilote peut employer le doublement de puissance vers deux buts bien opposés :

    - voler plus vite en palier ;

    - voler à même allure mais grimper.

    Ou toute possibilité intermédiaire.

    Le pilote choisit de voler à pleins gaz en palier, toujours au niveau de la mer. La vitesse est bien loin de croître en fonction de la puissance fournie, puisqu’elle n’augmente en réalité queselon la racine cubique de la variation de puissance. La puissance a doublé ; la racine cubique de 2 est 1,26 ; la vitesse de pointe à zéro mètre d’altitude passe de 400 km/h à 400 x 1,26 = 504 km/h.

    La consommation horaire a doublé, passant à 500 litres ; l’autonomie ou temps de vol n’est plus que 0,8 heure et la distance franchissable 403 km. Refaites par vous-même tous les calculs.

    Le pilote avec tous les gaz choisit à présent de voler à 400 km/h toujours, mais cabre son avion pour employer les 750 nouveaux chevaux à lutter contre la pesanteur, en prenant de l’altitude. Que l’avion vole en oblique désormais ne change pas la résistance de l’air à son avancement s’il reste à la même vitesse (tant qu’il n’a pas atteint une altitude où l’air est plus ténu). Nous appellerons désormais cette résistance de son nom technique, la traînée. L’avion toujours à 400 km/h emploie donc encore 750 ch à vaincre sa traînée.

    Les 750 autres le font monter à un taux identique à celui que donnerait un treuil muni d’un moteur de 750 ch qui hisserait l’appareil à la verticale au moyen d’un câble. Or le cheval est défini comme la puissance d’un moteur hissant un poids de 75 kg à raison d’un mètre de hauteur à chaque seconde. L’avion pèse 3750 kg, ce qui fait 50 fois 75 kg. Il escalade donc le ciel au taux de : 750 chevaux/50 = 15 mètres par seconde. Cela fait 900 m/mn (mètres à la minute), ou 3000 ft/mn (pieds par minute) sur un variomètre anglo-saxon.

    Vous saviez déjà qu’un chasseur à hélice monte environ 1 kilomètre par minute.

    Note : le variomètre est l’instrument indiquant si l’avion monte ou descend, et à quel taux.

    Le pilote est à présent repassé en vol horizontal à 6000 mètres (20000 ft). Il conserve les pleins gaz et observe avec nous la suite des événements.

    Bien qu’il ait réduit les gaz pour ne plus lire sur le manomètre d’admission que la demi-puissance (30 pouces de mercure/0 livre de boost/1 atmosphère), il vole aussi vite qu’il volerait à pleins gaz au niveau de la mer : 504 km/h.

    En effet l’air à 6000 m est de densité moitié moindre qu’à 0 mètre. Moitié moins dense, il oppose moitié moins de traînée à la même vitesse. Il est donc naturel que l’avion vole à même allure de 504 km/h avec moitié moins de chevaux. Il consomme évidemment toujours la même chose au cheval par heure. Il ira plus loin qu’à basse altitude, s’il ne vole pas plus vite. Calculez la nouvelle distance franchissable.

    Il n’est cependant pas question de prétendre le compresseur inactif, sous prétexte que la pression d’admission est ici égale à la pression atmosphérique à 0 mètre : le compresseur comprime bel et bien par un facteur 2 l’air raréfié pris à 6000 m, afin de lui rendre la pression et la masse volumique du niveau de la mer.

    Remettons pleins gaz : la pression d’admission remonte à 2 atmosphères/60 pouces/14 livres de boost. Puisque la puissance est doublée, on sait déjà que la vitesse croîtra d’un facteur 1,26. La vitesse maximum à 6000 m atteint donc : 504 x 1,26 = 635 km/h. Notons de plus que le compresseur comprime ici son air d’un facteur quatre (de 1/2 à 2 atmosphères).

    Tous les nouveaux chasseurs à pistons reçurent un compresseur dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. La vitesse de pointe n’augmente en revanche pas dans le cas d’un moteur de chasseur SPAD ou d’avion de tourisme ; l’un et l’autre sont dépourvus de compresseur : leur moteur perd en altitude sa puissance approximativement au rythme où la résistance de l’air se fait plus ténue.

    Le terme de « vitesse ascensionnelle » définit toujours le taux de montée de tant de mètres par seconde, ou tant de pieds par minute. La vitesse ascensionnelle n’est jamais définie comme la vitesse de l’avion sur sa trajectoire tandis qu’il monte.

    Continuons à monter au-delà de 6000 mètres. Nous observons enfin une baisse progressive de la pression d’admission. Dans un air trop ténu le compresseur finit par ne plus pouvoir maintenir à l’admission 2 kilos de pression. Vous le constatez sur un simulateur. Le compresseur consent encore à 6000 m à maintenir 2 kilos à l’admission ; très souvent cette altitude est à peu près la plus élevée où il y parvient encore.

    Cette règle fréquemment observée n’a certes rien d’intangible ; certains moteurs conservent leur pression d’admission et leur puissance beaucoup plus haut.

    Montons encore : le compresseur ne se montre plus aussi efficace ; la puissance motrice commence à diminuer progressivement avec l’altitude. La vitesse maximum diminue lentement d’abord, puis plus rapidement à l’approche du plafond de l’avion.

    Le compresseur au niveau de la mer fournit une certaine pression à l’admission, garantissant donc au moteur une certaine puissance maximum. Il parvient à maintenir cette pression d’admission et cette puissance maximum jusqu’à une certaine altitude seulement ; cette altitude est l’altitude de rétablissement. La vitesse maximum est donc atteinte à l’altitude de rétablissement. Plus haut, elle diminue.

    La perte progressive de puissance entraînera une perte progressive de vitesse ascensionnelle. Celle-ci finira par valoir zéro lorsque le moteur ne donnera plus que la puissance juste nécessaire à rester en palier ; l’avion sera à son plafond absolu. Atteindre le plafond absolu est laborieux et ne sert qu’à établir un record. Le plafond pratiqueest défini comme l’altitude un peu moindre où la vitesse ascensionnelle n’est plus que de 0,5 m/s.

    On peut demander pourquoi on n’employait pas le rapport de compression possible de 4 pour obtenir à cylindrée égale 3000 chevaux au niveau de la mer, plutôt que 1500 chevaux pour un rapport de compression de 2. La réponse tient à la chimie : les essences même du plus haut degré d’octane ne peuvent sans détoner faire tourner un moteur très au-delà de 2 kilos à l’admission.

    Un chasseur comme le P-47D ou le P-51B présente une altitude de rétablissement de 9000 mètres au lieu de 6000. On en déduit qu’ils tendent dans cet air encore plus rare à se montrer d’autant plus rapides, à comparaison faite de l’ensemble des autres données.

    L’hélice en mathématiques est la courbe en trois dimensions dont un ressort à boudin ou l’arête d’un filet de vis donnent l’image matérielle. La profondeur dont s’enfonce la vis en un tour, ou bien l’écart entre deux tours de fil du ressort, est son pas.

    La surface enroulée par laquelle une voiture descend les niveaux d’un parc souterrain est plus qu’une hélice au sens mathématique, puisqu’elle est surface hélicoïdale entière au lieu de simple ligne. Les dessins d’hélicoptère de Léonard de Vinci montrent une telle hélice, ou plutôt une telle surface hélicoïdale entière. Une hélice d’avion est une surface hélicoïdale dont on a retiré les neuf dixièmes, ne laissant que deux ou trois pales qui sont à la surface hélicoïdale entière ce que sont deux ou trois marches à l’ensemble d’un escalier à vis (à ceci près que les pales d’hélice sont fixées dans le même plan, et inclinées).

    Cependant l’hélice d’avion n’est pas une tôle plane ; un coup de scie tranchant perpendiculairement une pale nous montrerait un profil souvent identique à celui d’une aile : la pale est une petite aile qui dans son mouvement de rotation produit une sustentation. La chose est évidente sur le rotor d’un hélicoptère stationnaire. Pivotée de 90° pour devenir horizontale dans le cas de l’hélice d’avion, la sustentation agit comme une traction.

    L’hélice « peu coûteuse » d’un avion de tourisme de base est d’un seul morceau ; elle est à pas fixe. L’hélice d’un avion plus élaboré a ses pales articulées de manière à pouvoir tourillonner sur le moyeu ; elle est à pas variable. Une analogie passable peut se faire avec le vélo à pignon unique (pas fixe) ou à plusieurs vitesses (pas variable). Le résultat est le même : l’avion à hélice à pas fixe accélère moins bien au démarrage et grimpe moins bien qu’avec une hélice à pas variable. On choisit le pas d’une hélice à pas fixe en consentant un compromis. Pour un avion remorqueur de planeurs ou un avion de montagne décollant court et grimpant sec, on choisit un pas court (braquet court) qui ne permettra pas d’atteindre de très hautes allures. On choisit pour un rapide avion de course un pas élevé, qui en contrepartie rendra poussifs le départ et la montée. La machine à tout faire d’aéro-club adopte un pas moyen.

    Note : dire soit que l’hélice tracte par sustentation sur ses pales, soit par effet de réaction vers l’avant de l’air qu’elle refoule en arrière, sont deux points de vue aussi vrais l’un que l’autre. Ce sont deux façons de regarder le même phénomène. On verra d’ailleurs plus loin comment l’aile d’un avion se sustente précisément en refoulant vers le bas l’air qu’elle traverse.

     

    2

     

      Parlons de ce fluide où évolue l’avion. L’air est 800 fois moins dense que l’eau : Archimède contraint les ballons dirigeables à être 800 fois plus volumineux que les sous-marins, leurs homologues dans un autre fluide. On observe pourtant qu’en dépit de cette ténuité de l’air, il n’est pas nécessaire à l’avion pour être porté de voler 800 fois plus vite qu’un skieur nautique n’avance à la surface : les phénomènes de sustentation et de résistance à l’avancement croissent ou décroissent non comme la vitesse, mais comme son carré. 800 est le carré de 28 : se sustenter dans l’air n’exige ainsi que d’aller 28 fois plus vite qu’en ski nautique. Nous parlons ici d’un avion dont chaque mètre carré d’aile porterait le poids considérable que porte chaque mètre carré de ski ; ce n’est visiblement pas le cas d’un léger deltaplane qui soutient la même charge – un homme – avec des dizaines de fois plus de surface.

    L’air devient un point d’appui fort solide quand on prend un peu de vitesse ; on s’en rend(ait) compte en passant le bras par la fenêtre en chemin de fer. Il n’est guère d’avion si « fer à repasser » qui ne puisse décoller à 300 km/h.

    Un mètre cube d’air au niveau de la mer, à la température de 15 degrés Celsius et sous une pression de 760 mm de mercure (1 atmosphère) pèse 1,226 kilogramme. L’atmosphère standard est celle qui répond à ces critères ; les performances des appareils sont données en principe en atmosphère standard et dénommées : « performances ISA », pour International Standard Atmosphere. Elles changent à altitude même constante s’il fait notablement plus chaud ou plus froid.

    La pression atmosphérique diminue avec l’altitude puisqu’il reste alors moins de poids d’air au-dessus pour peser sur ce qui est dessous. La pression est divisée par 2 à 5 500 mètres, et la baisse suit une loi exponentielle : cela veut simplement dire que la pression sera (à peu près) divisée encore par 2 à chaque nouvelle tranche de 5 500 mètres. La pression de 1 atmosphère à zéro mètre sera d’environ 0,5 atm à 5500 m, 0,25 à 11000 m, 0,125 à 16500 m…

    La pression cependant ne signifie rien en soi puisqu’un même volume de gaz à la même pression est moins dense quand le gaz est chaud ; il contient moins de matière que s’il est froid ; or le poids d’oxygène avalé par un coup de piston dépend non de la pression de l’air mais de sa densité. D’autre part la sustentation des ailes ne dépend pas de la pression de l’air mais de son caractère plus ou moins substantiel : de sa densité.

    Or la température baisse avec l’altitude, décroissant de 0,65 degré par tranche de 100 mètres. Elle continue ainsi à baisser jusqu’à 11000 mètres, où elle est tombée à -56,5° s’il faisait au sol les 15° ISA (vérifiez). Ce froid considérable suffit à contracter les gaz dans la proportion de 25%. On peut ici relire son livre de physique du lycée. L’air glacé à 11000 mètres est d’un quart plus dense que le chiffre de la seule pression laisserait croire. Les performances des moteurs et la portance des ailes n’ont donc pas baissé autant que le chiffre de la seule pression pourrait laisser supposer.

    Le refroidissement de l’air avec l’altitude combat donc en partie la baisse de pression. A 5500 mètres la pression n’est plus que la moitié de sa valeur du niveau de la mer ; mais c’est à 6500 m que densité de l’air et puissance des moteurs sans compresseur sont divisées par deux.

    La température demeure constante au-dessus de 11000 mètres et jusqu’à 20000 mètres. La plupart des questions d’aviation s’en suffisent donc. L’altitude 11000 m est la tropopause ;lastratosphère s’étend au-dessus, tandis que notre basse atmosphère est la troposphère. Puisque la température ne varie plus au-dessus de la tropopause, pression et densité au-delà baissent désormais de pair sans qu’une baisse nouvelle de température combatte les effets de la baisse de pression. On ne sera donc pas étonné que la tropopause ait quelque chose à voir avec la vitesse de pointe de beaucoup d’avions à réaction capables de plafonner plus haut encore ; ni que cette vitesse maximum n’évolue plus guère au-dessus ; ni que les fiches techniques annoncent précisément souvent leur vitesse maximum comme constatée à 11000 mètres.

     

    Altitude / densité relative / pression relative  :

     

    niveau de la mer :   dr = 1,00 / pr = 1,00

    2 km / 0,82 / 0,78

    4 km / 0,67 / 0,61

    6 km / 0,54 / 0,47

    8 km / 0,43 / 0,35

    10 km / 0,34 / 0,26

    12 km / 0,25 / 0,19

    14 km / 0,185 / 0,14

    16 km / 0,135 / 0,10

    18 km / 0,10 / 0,075

    20 km / 0,07 / 0,055

     

     

    3

     

     

    Prenons les commandes d’un petit avion de plaisance comme le monoplace Bébé Jodel, ou type D-9. « D » est l’initiale de son concepteur Jean Delemontez qui le fit voler en 1948. Un tel engin pèse environ 180 kilos à vide, dont près de la moitié pour le pesant moteur Volkswagen récupéré sur une Coccinelle. C’est un moteur de quatre cylindres à plat refroidi par air, installé sur bien des avionnettes. On l’a employé depuis sa version la plus ancienne de 1100 cm3 qui donne moins de 25 chevaux, jusqu’à des blocs dotés d’éléments additionnels pour la compétition. Il est fréquent de rencontrer la version de 1600 cm3 donnant une grosse quarantaine de chevaux dans son adaptation aérienne.

     

    80 kg de métal pour moins de 25 chevaux font en aviation un très mauvais rapport poids/puissance. Un pareil aéroplane vole parce que le concepteur rattrape les choses en faisant une aile assez grande pour que chacun de ses mètres carrés ait très peu à porter, à peine plus de trente kilos. La charge alairede cet avion avoisine 30 kg/m². Ainsi l’ingénieur dispose-t-il de deux paramètres de base pour soulever de terre un certain poids. Il peut faire avec une aile très étendue un avion « feuille dans le vent » de faible charge alaire qui ne demande qu’à rester en l’air sous la traction d’un moteur même faible. Il peut aussi dessiner un appareil « fer à repasser » de forte charge alaire, qui ne demanderait qu’à rejoindre le sol au plus vite s’il n’était gréé d’un moteur très puissant.

     

    Mettons les gaz du Volkswagen 1100 de 25 chevaux. L’avion roule et prend de la vitesse gentiment, sans la moindre vivacité. Il atteint les 70 ou 80 km/h nécessaires à l’envol ; le pilote tire fort légèrement le manche, pour ne pas cabrer l’avion au-delà de ce que l’hélice tirant peu est capable de maintenir en montée.

     

    Il n’est naturellement pas question de grimper à la vitesse à laquelle on a quitté le sol ; ce serait voler trop près de la vitesse minimum qui soutient encore l’avion ; un rien le feraitdécrocher et choir. On démontre d’autre part que juste au ras de la vitesse minimum de vol, l’avion gaspille ses chevaux en « ramant », si nous osons dire. On peut faire l’analogie avec le ski nautique encore embourbé dans l’eau à vitesse très faible. Il faut accélérer pour gagner un peu de vitesse, gagnant en sécurité, « ramant » moins et dégageant ainsi en faveur de la montée quelques chevaux trop rares sur ce moteur.

     

    Il est bien certain que s’il accélérait encore plus il ne monterait cette fois plus du tout, car le pilote devrait baisser le nez pour obtenir la poursuite de l’accélération ; d’autre part le nombre de chevaux requis pour contrer la traînée remonterait évidemment après avoir baissé d’abord un peu.

     

    Les roues hors du sol, le pilote a d’abord l’impression qu’il est contraint de choisir entre continuer d’accélérer – mollement – ou bien s’éloigner de terre, mais non les deux à la fois. Cette contrainte est bien réelle ; il faut choisir entre accélérer et monter ; il importe par sécurité de laisser un moment l’avion gagner fort progressivement un peu de vitesse en palier près de l’herbe.

     

    Prendre une vingtaine de km/h de plus que la vitesse d’envol suffit à réduire notablement l’angle de cabré qu’a besoin de faire le plan de l’aile avec l’horizontale pour donner une sustentation égale au poids de la machine. L’avion très sensiblement cabré au moment de l’envol, voit alors avec un peu plus de vitesse redescendre son nez presque sur l’horizon. Rappelons qu’il reste en palier près du sol pendant ce temps de modeste accélération.

     

    Seconde phase : le pilote vers 100 km/h tire de nouveau le manche avec douceur pour cabrer une seconde fois le nez en agissant très modérément ; il maintient sa légère traction pour demeurer ainsi. Ce cabré en vérité ne dépasse pas un nombre modeste de degrés ; à peine le capot du moteur déborde-t-il par-dessus l’horizon. L’avion ralentirait si l’on voulait cabrer davantage. A peine le variomètre indique-t-il une montée de 2 petits mètres par seconde, une centaine de mètres par minute. L’altimètre tourne laborieusement ; il s’y faut prendre d’assez loin pour passer une colline. L’altitude souhaitée une fois atteinte, repoussons le manche en avant pour abaisser le nez à peu près sur l’horizon et faire cesser la montée. La puissance jusque là consommée pour contrer la pesanteur devient disponible pour accélérer. De 100 km/h la vitesse grimpe à 115. C’est peu de gain car la traînée croît vite, au carré de la vitesse ; tandis que la puissance nécessaire à combattre cette traînée croît plus vite encore, au cube de la vitesse.

     

    Ainsi 3% de puissance en plus ne font-ils voler plus vite que de 1%.

     

    L’avion dorénavant volette en palier. Les éventuelles turbulences le secouent en lui donnant chacune un petit coup de frein. Le pilote a l’impression de tenir une machine légèrement cabrée qui cherche laborieusement son appui sur l’air ; tout lui est prétexte à perdre quelques mètres de hauteur, difficiles à regagner ; encore ne les regagne-t-il qu’au prix d’une chute momentanée de la vitesse à 105, 100 km/h. L’avion semble mou, las, prêt à s’agenouiller face aux éléments. Un virage un peu serré, balancé sur la tranche, le ferait d’évidence s’enfoncer de dizaines de mètres. Avec ses 25 petits chevaux pour plus de 250 kg, il est visiblement sous-motorisé.

     

    Posons-nous pour aller prendre le manche du même avion tiré cette fois par la version de 1600 cm3 et 50 chevaux du même bloc moteur.

     

    L’accélération dès la mise des gaz est franche et presque sportive. L’avion quitte le sol à en prenant son pilote de court. Point n’est besoin de palier après décollage : l’appareil prend une franche assiette de montée tout en accélérant encore. Le moteur dissimule largement l’horizon. L’avion n’en atteint pas moins en un clin d’œil les 100 km/h où il monte le mieux. Cette vitesse atteinte en deux ou trois secondes de vol, le pilote cabre un peu plus encore pour la conserver en l’empêchant de croître davantage. L’avion emploiera mieux ses chevaux à vaincre la pesanteur plutôt que la traînée des vitesses plus élevées. Le siège du pilote est sensiblement incliné vers l’arrière. La vitesse ascensionnelle est de 4 gros mètres par seconde. La hauteur de croisière désirée est atteinte en fort peu de temps. Le pilote pour se placer en palier repousse le manche franchement, tout en réduisant déjà les gaz pour ménager ses oreilles. La vitesse grimpe rapidement à 145, 150 km/h. A cette allure l’air supporte si facilement une voilure peu chargée (35 ou 40 kg au mètre carré) qu’aucun cabré visible n’est plus nécessaire. Le pilote pousse le manche non seulement pour que le nez descende sur l’horizon, mais encore pour qu’il semble piquer de deux ou trois degrés. Malgré cela, les vol reste en palier : l’aile est toujours boulonnée de quelques degrés en cabré sur le fuselage, et « rase » l’air à la façon du ski nautique pratiquement à plat sur l’eau à grande vitesse ; les quelques degrés de boulonnage cabré de l’aile sur le fuselage expliquent alors que le nez semble très discrètement piquer bien que l’avion soit en palier. Le nez aussi bas, le paysage devant le pare-brise est bien dégagé. Le pilote qui ne surveille pas constamment l’altitude la voit croître constamment, puisque l’appareil à son insu force vers le haut dès que son cocher relâche un peu sa pression vers l’avant sur le manche (1). Les éventuelles turbulences ne se bornent plus à remuer l’avion ; elles lui flanquent de secs et imprévisibles coups de tabac, mais n’affectent guère sa détermination à foncer ainsi, rageur, nez bas, toujours prêt à s’échapper vers le haut si on oublie de lui bourrer fermement le nez à piquer. L’avion n’est pas sur-motorisé ; un avion ne l’est jamais, pas plus qu’une moto ! Disons qu’il se comporte en avion. Il vit, vibre, bourdonne en frémissant de joie sous la main du bienheureux aux commandes. Beaucoup d’appareils placides pour le vol dominical du pilote d’aéro-club sont à mi-chemin entre les deux comportements que nous avons dépeints.

     

    (1) dans le cas, fréquent sur cette catégorie de tout petits avions, où l’appareil n’est pas doté d’un compensateur de profondeur.

     

     

    4

     

     

    Mettons en route le moteur de 115 chevaux du Petit Prince de l’aéro-club, un excellent avion à train tricycle de la famille Jodel. Sa motorisation modeste propulse néanmoins en croisière à 205 km/h au niveau de la mer cet engin très aérodynamique, capable d’emmener deux adultes et deux enfants. Le temps est doux, entre 15 et 18 degrés. Avec deux personnes de corpulence moyenne à bord il grimpe assez franchement aux alentours de 3,5 m/s, fonction du poids de l’essence restante. Il est raisonnablement vif, sans rien de spectaculaire.

     

    La canicule est venue ; il fait 35 degrés. Mettons les gaz en début de piste : l’accélération se fait immédiatement remarquer par sa tempérance, comme si le moteur avait égaré une bonne quinzaine de chevaux. Le compte-tours cependant est au régime habituel, ou presque, quoique l’hélice ne soit pas d’un type à vitesse constante. Les repères que nous avons l’habitude de remarquer par notre travers ou peints sur la piste au moment que nous la quittons, sont passés déjà sans que nous ayons décollé. L’avion ne daigne se soulever qu’une centaine de mètres plus loin. Il n’a rien de son entrain coutumier ; il hésite entre prendre un peu de vitesse en l’air ou grimper. Nous l’asseyons sur une pente cabrée sensiblement plus faible que les autres jours ; il monte à 2,5 m/s en refusant tout effort supplémentaire. Lorsque fatigués de lui demander ce qu’il ne donne plus, nous le plaçons en palier, le badin nous indique 195 km/h plutôt que les 205 attendus.

     

    Six mois plus tard il gèle à pierre fendre. Nous mettons les gaz au sol dans les mêmes conditions. Le Petit Prince s’élance en avant comme ferait par temps doux son frère aîné de 160 chevaux, le Chevalier. Ce n’est pas qu’il ait pris 45 chevaux de mieux ; il en a tout au plus gagné dix ou quinze ; mais étant moins rapide en croisière, il est équipé d’une hélice à pas plus court qui sous puissance égale tire plus fort au démarrage. Il s’envole aussi court que s’il voulait s’échapper d’un porte-avions, puis en un instant gagne sa vitesse de montée tout en affichant 4,5 m/s ascensionnels. Mis en palier, il affiche 215 km/h et surprend par une nervosité qu’on ne connaissait à l’automne qu’à ses frères plus puissants. Que s’est-il passé ?

     

    L’air comme tous les gaz est dilatable ; chaque degré de variation vers le haut du thermomètre dilate l’air dans la proportion de 1/273ème. Un air plus chaud de vingt degrés se dilate ainsi d’environ 7%. Chaque descente de piston remplit le cylindre du même volume d’air, mais d’une densité moindre de 7%. Le même cylindre ne contient alors plus qu’un moindre poids d’oxygène, lequel ne brûle plus qu’une moindre quantité d’essence. L’explosion est plus faible et le couple est réduit en proportion. Le régime du moteur demeure à peu près inchangé ; la puissance baisse donc en proportion de la baisse du couple. Le régime est demeuré inchangé parce que l’air moins dense dans lequel tourne l’hélice à pas fixe la freine moins, si bien qu’il y a à peu près compensation.

     

    A cela s’ajoute en air moins dense une moindre portance sur l’aile : l’envol exigera cinq ou six km/h de plus par la chaleur que par le temps doux. La traction moindre de l’hélice accroîtra encore la distance nécessaire à l’atteinte de cette nouvelle vitesse de décollage, ennui que verra sans mal le pilote le moins averti. Ajoutant à cela la faible vitesse de montée après envol, la colline ou le rideau d’arbres même éloignés du bout de la piste paraîtront subitement présenter un obstacle dont on n’avait pas l’habitude.

     

    Le grand froid produit évidemment la contraction de l’air, avec des effets exactement inverses. L’été fait d’un avion moyen un veau poussif que l’hiver suivant changera en lion. L’envol depuis une piste en altitude et donc en air beaucoup plus ténu, aura sur l’avion l’effet d’un été tropical malgré le froid des hauteurs.

     

    A noter que la vitesse réelle en croisière l’été ou l’hiver est à peu près la même : l’air plus ou moins dense s’oppose plus ou moins à la vitesse, ce qui compense à peu près la puissance du moteur accrue ou diminuée. Pourtant, nous avons vu que la vitesse au cadran change sensiblement. C’est que instrument, l’anémomètre, mesure en réalité la pression dynamique de l’air : la petite surpression que la vitesse fait exercer à l’air sur les objets qui le traversent. La pression dynamique de l’air chaud moins dense est plus faible à vitesse réelle égale que celle de l’air froid plus dense. L’anémomètre à même vitesse réelle indique moins en air chaud qu’en air froid.

     

    Cet anémomètre, ou badin, du nom de son inventeur, ne donne la vitesse réelle que par 76 cm de mercure et 15°C. Il semble ainsi bien médiocre. Nous verrons plus loin pourquoi cette apparente médiocrité est au contraire une précieuse caractéristique.

     

    Note : les mots « anémomètre » et « badin » s’emploient indifféremment pour désigner l’instrument. « badin » possède en revanche un autre sens : il est synonyme commode de « vitesse indiquée ». On parlera d’un « badin trop fort » si le pilote d’un Jodel prétend passer à l’atterrissage le seuil de la piste à 200 km/h ; ou bien encore d’un dangereux « badin dans le coma », si faible que l’aiguille ne dépasse pas les premières graduations.

     

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    Une expérience simple surprend généralement ceux qui ne la connaissent pas : on tient aussi légèrement que possible entre pouce et index l'extrémité de la queue d'une cuiller qu'on laisse pendre tête en bas ; on approche doucement le dos bombé de la cuiller jusqu'à le faire tangenter un jet d'eau vertical issu d'un robinet. Sitôt le contact, le dos de la cuiller n'est pas du tout repoussé par le jet, mais au contraire vivement aspiré. Depuis le bout de sa queue toujours tenu par les doigts et le jet d'eau dans lequel son autre extrémité reste captive, la cuiller peut faire alors un angle important avec la verticale.

    Faites l'essai. Vous observez alors autre chose : l'eau qui colle au dos de la cuiller ne retombe pas ensuite dans l'évier à la verticale dans le prolongement du jet une fois la cuiller dépassée. Au contraire, cette eau colle si bien à la courbure du dos qu'elle conserve après la cuiller une déviation bien dirigée par la forme de la cuiller vue de profil. Le jet étant de la sorte dévié de la verticale avec une composante latérale de vitesse, doit créer par réaction une force horizontale appliquée à la cuiller : la force qui précisément l'aspire au sein de l'eau.

    Si le jet était horizontal et la cuiller approchée par dessous, l'analogie avec une aile serait d'autant plus frappante : la cuiller vue de côté est un profil d'aile bombé par-dessus comme le sont les profils d'aile ; il se produit une vive interaction entre lui et le fluide en mouvement ; on observe une aspiration franche du bombé vers le haut ; on observe un rejet, une déflexion du fluide vers le bas. On semble tenir là une explication de la portance d'une aile.

    Mais au fait : l'aile est-elle sustentée par l'aspiration visible ou par l'effet de réaction non moins visible dû au fluide défléchi vers le bas ?

    On explique généralement en aéro-club que c'est par l'aspiration, par une dépression que la mécanique des fluides prédit quand un fluide en mouvement lèche une surface courbe. Or il se trouve que sous l'aile, souvent cabrée d'un tout petit angle, l'air vient en quelque sorte buter et rebondir vers le bas ; il s'ensuit surpression sous l'aile et déflexion du fluide aussi. La déflexion est de quelques degrés. Surpression et dépression s'ajoutent sur et sous l'aile, créant une portance qu'on peut attribuer tant à la surpression/dépression qu'à la déflexion. Il n'y a aucune concurrence entre les deux, qui sont simplement deux manifestations équivalente d'un même phénomène.

    Il est toutefois plus simple d'expliquer (en mesurant par des manomètres dépression et surpression) en chiffres la portance : imaginons 10 grammes par centimètre carré de dépression sur l'extrados et 3 g/cm² de surpression sous l'intrados ; c'est un total de portance de 13 g/cm² ou 130 kg par mètre carré ; c'est ce que porte chaque m² d'une aile de bimoteur à hélices.

    Deux remarques :   1) La dépression d'extrados n'est certes pas égale sur toute la surface entre l'avant et l'arrière de l'aile ; nous prenons une moyenne ; la dépression est à son maximum vers le quart avant de l'aile, là où elle est à son plus bombé.     2)   10 et 3 ne sont pas des valeurs arbitraires ; il existe en effet un rapport moyen usuel de 3 entre dépression d'extrados et surpression d'intrados. Ainsi aime-t-on dire que l'avion est suspendu et non pas soutenu. C'est bien entendu une illusion : une dépression n'aspire rien (le vide ne travaille pas) ; c'est la surpression dessous qui a d'autant plus d'effet de support qu'on "allège" le "poids" de l'air par-dessus ; en fin de compte l'avion est bien "soutenu".

    Il est beaucoup plus compliqué d'expliquer numériquement la portance si l'on choisit de le faire en chiffrant l'effet de réaction de la masse d'air défléchie vers le bas. On considère qu'est défléchi tout l'air passant sur et sous l'aile dans un disque vertical dont l'envergure de l'avion représente le diamètre ; est ainsi défléchi un air pouvant être très éloigné de l'aile et sans vrai contact avec elle. Cependant, l'ai passant près de l'aile est le plus défléchi, tandis que la déflexion se réduit progressivement avec la distance à l'aile, produisant d'autant moins d'effet de réaction. Chiffrer le total pour évaluer la portance fournie est complexe.

    Un constructeur amateur avait fait un avion de voltige dont le revêtement de contreplaqué de l’extrados était collé sur moins d’appuis que prévu sur les plans. A l’occasion d’une séance de voltige, la dépression arracha purement et simplement le revêtement. La suite n’est que trop évidente. Sur un avion de bois entoilé, on distingue très bien comment la toile d’extrados est gonflée par la succion entre deux nervures, là où en arrière du longeron principal elle ne porte sur aucun support.

    Apportons une importante précision : le mécanisme qui fait coller le jet d'eau au dos de la cuiller n'est pas celui qui aspire l'extrados d'une aile. Nous l'avons présenté pour l'intérêt pédagogique dans la similitude de l'apparence et des effets.


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    A quelle vitesse l’avion doit-il au moins voler pour être sustenté par ses ailes ? Cette vitesse minimum de sustentation est appelée aussi vitesse de décrochage : l’avion ralentissant à cette vitesse « décroche », quitte son vol et choit (souvent) en faisant une brusque abattée. Certains avions sont réticents à l’abattée, se bornant à s’enfoncer mollement sans décrocher mais sans plus ralentir non plus.

    On a vu comment la portance naît de la déflexion de la masse d’air par le profil de l’aile. Cette déflexion est d’autant plus forte que l’angle d’incidence est grand, mais cet angle ne dépasse pas une certaine valeur au-delà de laquelle l’air cesse de se plier à la volonté de l’aile : il se décolle de son extrados, ne se laisse plus défléchir et ne porte plus. Cet angle varie selon le type de profil. Il est souvent de l’ordre d’une quinzaine de degrés.

    A cet angle, ou incidence de décrochage, on retiendra qu’une aile de profil banal donne au niveau de la mer une portance de l’ordre de 9 kilogrammes par mètre carré en volant à 10 mètres/seconde ou 36 km/h. Un profil mince de chasseur à réaction donne moins.

    Atteinte au plus grand angle de cabré possible, cet chiffre est une portance bien entendu maximum.

    De cette valeur numérique, on déduit toutes les autres en appliquant la règle du carré : l’aile qui vole deux fois plus vite porte non pas deux, mais quatre fois plus. Ainsi l’aile donne-t-elle 36 kg de portance par mètre carré à 72 km/h, 81 kg à 108 km/h, etc.

    Cette évolution au carré est aisée à comprendre. L’aile volant deux fois plus vite attaque deux fois plus de masse d’air, qu’elle défléchit deux fois plus vite : ainsi la portance croît-elle 2 fois 2 fois.

    A quelle vitesse décroche un chasseur de 3750 kg disposant de 24 m² de voilure ?

    Commençons par calculer sa charge alaire, poids supporté par chaque m² d’aile : 3750/24 = 156 kg/m²

    En 156 vont 17,3 fois 9 ; la vitesse de décrochage est 36 km/h multipliés par racine carrée de 17,3 c’est-à-dire 4,16. Le chasseur décroche (ou ne peut décoller à moins de) à 36 x 4,16 = 150 km/h ou 40 m/s.

    Nous n’avons ici parlé que de la vitesse de décrochage d’une aile dont les éventuels dispositifs hypersustentateurs sont escamotés ou absents : volets de courbure, becs de bord d’attaque. Leur déploiement accroît la portance à incidence et vitesse égale, réduisant ainsi la vitesse de décrochage, la vitesse d’envol et surtout d’atterrissage.

    Comment se passe un décrochage ?

    Le pilote a réduit à fond les gaz et lentement tire à lui le manche pour cabrer progressivement, ralentissant à quelques km/h au-dessus de la vitesse de décrochage. Supposons-là de 90 km/h. Il s’agit pour ce chiffre d’un avion de tourisme ; continuons avec des chiffres valables pour cette sorte d’appareils. L’avion qui n’a pas encore décroché s’enfonce alors sans moteur à raison de trois ou quatre mètres par seconde, le nez restant plus ou moins cabré sur l’horizon. Son centre de gravité suit ainsi aux alentours de 100 km/h une pente de descente assez marquée, de l’ordre de 8 ou 9 degrés.

    L’avion décrochera lorsque ses ailes affecteront un angle d’une quinzaine de degrés par rapport à sa trajectoire de descente. L’angle entre ailes et trajectoire est l’incidence. Si la trajectoire de plané descend déjà de 8 degrés comme dans notre exemple, il ne reste que 15 moins 8 = 7 degrés de cabré « visible », par rapport à l’horizon.

    Si pourtant comme il est d’usage l’aile est boulonnée au fuselage avec un angle de calage de 2 à 4° (le bord d’attaque calé plus haut que le bord de fuite), le nez sera moins cabré au-dessus de l’horizon. En bref, l’avion peut décrocher en affichant un cabré visuel à peine marqué. Ce piège tue de temps à autre un pilote, trop souvent habitué à penser qu’on ne décroche que le nez accroché au ciel.

    Les « phénomènes avertisseurs du décrochage » sont paraît-il exigés de tout avion et devraient se manifester quelques km/h avant le décrochage. L’avion est supposé trembler de toute sa membrure, agiter ses gouvernes, chercher à tomber de gauche et de droite. Un fort klaxon remplace ces « phénomènes avertisseurs » généralement absents des appareils modernes.

    Il est cependant vrai que l’avion à ce stade cherche souvent, selon les modèles, à perdre l’horizontalité de sa voilure pour sembler tomber d’une aile ou de l’autre. Admettons que s’enfonce tout à coup de vingt degrés l’aile gauche. Le pilote mal formé donne de réflexe un coup de manche à droite afin de rétablir l’horizontale. Ce faisant il abaisse l’aileron de l’aile gauche enfoncée. Cet abaissement équivaut au braquage d’un volet de courbure, mais le malheur veut qu’une aile braquant un volet de courbure décroche certes à vitesse moindre, mais aussi et malgré cela à un angle d’incidence généralement plus bas. Or l’avion frôlait déjà l’incidence de décrochage ; le braquage vers le bas de l’aileron gauche place alors l’aile gauche dans une situation où elle est décrochée. Elle s’abat soudain sans que l’aile droite fasse de même : la descente en vrille, l’autorotation a démarré (il est d’autres moyens de la déclencher).

    Malgré toutes les considérations qui précèdent, nous n’avons pas encore décroché…

    L’avion s’enfonce donc sans moteur de 3 ou 4 mètres par seconde, vole à sa vitesse minimum de sustentation voisine de 90 km/h, est tout prêt à décrocher. Le pilote tire un peu plus le manche ; l’avion cabre un peu plus et atteint enfin l’angle d’incidence où la sustentation portée à son maximum s’enfuit soudain. Le nez plonge brutalement.

    Un vain peuple pense qu’il plonge parce que portance enfuie, le nez est entraîné par le poids du moteur. Ce serait croire qu’un avion à moteur propulsif décroche en abattant sur sa queue, ce qui n’est pas. Ce n’est pas le nez qui plonge, mais (j’avertis les aérodynamiciens que nous allons simplifier les phénomènes à l’extrême) la queue légère et surfacée qui reste à la traîne, retenue par l’air. Il arrive la même chose que si l’on avait lâché de haut, horizontale et sans vitesse, une flèche d’arc à l’avant bien lesté : elle bascule bientôt pointe vers le sol puisque l’empennage freiné par l’air la dirige ainsi. Avion ou flèche tombant dans le vide au lieu d’air ne basculeraient vers l’avant ni l’un ni l’autre.

    L’avion plonge. En quelques dizaines de mètres de chute pour un Jodel, en quelques centaines ou davantage pour un chasseur, il a repris assez de vitesse pour être ramené en vol horizontal normal par une traction progressive et mesurée sur la manche. Le pilote aura cependant pris la précaution de ne pas tirer trop tôt : l’avion tendrait à redresser trop tôt sans assez de vitesse. Il risquerait d’enchaîner un second décrochage, voir pour certains appareils de s’enfoncer indéfiniment à moitié redressé dans une sorte de décrochage entretenu.

    Selon le type d’avion, le plongeon peut montrer tous les degrés de la douceur à la violence. On a des avions à décrochage brusque et franc, où l’on voit en plongeant le sol droit face à soi. On a des machines offrant un simple salut de quelques degrés d’amplitude, qui mérite à peine le nom d’abattée. C’est une affaire de profil d’aile, dont certains décrochent net et d’autres sans conviction ; c’est affaire aussi de puissance de la gouverne de profondeur, qui peut être trop peu puissante pour cabrer l’avion jusqu’à vraiment son incidence du décrochage.

    Nous avons examiné le décrochage avec le moteur réduit. Il est également possible de mettre pleins gaz, puis de cabrer l’avion si nettement qu’il n’est plus capable de conserver sa vitesse en dépit de la pleine puissance. On approche du décrochage ; la vitesse baisse tandis que le nez tiré par le moteur se tient spectaculairement haut, souvent à une trentaine de degrés ou plus sur l’horizon. Lorsque est atteinte par ralentissement la vitesse de décrochage, le nez bascule.

    Les manifestations de l’appareil au décrochage seront assez différentes de ce qu’elles sont moteur réduit. Elles pourront selon le cas être soit plus douces, soit plus violentes. Examinons deux cas : 1), puis 2).

    Cas 1). Supposons que sous l’assiette très cabrée atteinte au moment du décrochage au moteur, le pilote laisse les pleins gaz. La reprise de vitesse qui débute sous la traction motrice dès que le fuselage abattant revient vers l’horizontale, peut suffire sur certains avions à extraire l’appareil du décrochage avant même qu’on ait perdu une altitude sensible ; le décrochage semblera effacé. Sur d’autres modèles d’avions l’abattée se maintiendra ; le nez à piquer tiré par le moteur emballé fera prendre rapidement à l’appareil une vitesse considérable.

    Cas 2). Ou bien supposons qu’à l’instant de l’abattée sous fort cabré au moteur, le pilote réduise instantanément les gaz à fond. Le nez abattra, avec une amplitude spectaculaire puisque le plongeon part d’un angle de cabré initial considérable. Les passagers novices épouvantés ne remonteront jamais en aéroplane.

     

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    Comment se comporte l’avion tandis que sa vitesse croît de la plus faible valeur possible jusqu’à la vitesse maximum en palier ? Comment avec la vitesse évolue son besoin de puissance, et partant son autonomie, sa distance franchissable ?

     

    Considérons un avion à hélice à peu près représentatif de l’ensemble des machines de morphologie moyenne, doté d’une voilure qui ne se distingue ni par un allongement de planeur, ni par un dessin exagérément ramassé comme celui d’un X-15 ou un F-104.

     

    Nous avons tout pris en compte, jusqu’au fait que le rendement de l’hélice à pas fixe varie sensiblement (s’améliore) en passant de la basse vitesse à la vitesse de croisière rapide.

     

    De tout cela nous tirons une méthode complètement dépourvue d’allure scientifique, mais pas très différente d’une réalité moyenne.

     

    Pour abréger les phrases nous remplacerons souvent l’expression « vitesse de décrochage » par le symbole « Vs » : velocity of stall, qui signifie la même chose.

     

    Ce symbole n’est pas réglementaire ; l’utilisation réelle de l’avion réclame plusieurs symboles différents. Voir l’encyclopédie virtuelle habituelle.

     

     

    *

     

    A sa plus faible vitesse possible de vol, à sa vitesse de décrochage, l’avion est fortement cabré de manière à « ramasser » sous lui le plus d’air possible (ceci est une simplification outrancière). Analogie avec le ski nautique tiré à très faible allure. Le pilote ne voit plus l’horizon devant lui ; le moteur le masque largement. Cette posture de l’avion explique (autre simplification abusive) que la résistance de l’air à l’avancement, sa traînée, soit alors considérable. Disons que sur les 150 chevaux dont il dispose, un avion de tourisme d’une tonne a besoin d’en utiliser environ 80 à 100 pour simplement ne pas perdre d’altitude à cette vitesse-là.

     

    Accélérons en demeurant continuellement en palier : le cabré va progressivement se résorber : le nez baisse sur l’horizon. Analogie encore avec le ski émergeant progressivement de l’eau pour finir à plat sur elle. L’avion « ramant » de moins en moins va rencontrer (d’abord) une résistance moindre de l’air, et cela quoiqu’il vole plus vite ; sa traînée va d’abord diminuer.

     

    Lorsque nous serons à 120% de la vitesse de décrochage, le cabré aura très sensiblement décru. Il aura décru beaucoup plus qu’en proportion de l’accroissement de vitesse. Accroître la vitesse de 20% (la multiplier par 1,20) augmenterait sans changer le cabré la portance au carré : 1,2 x 1,2 soit presque moitié de portance en plus. Mais l’avion qui ne pèse pas plus lourd n’a aucun besoin de plus de portance. Il résorbera donc ce gain inutile en réduisant franchement son cabré.

     

    C’est à cette vitesse de 120 km/h que l’avion de tourisme décrochant à 100 km/h tiendra l’air strictement avec le moins de chevaux. Appelons-la vitesse de puissance minimum.

     

    Le minimum de puissance nécessaire à tenir tout juste l’air est d’évidence la puissance du plus petit moteur qui permettrait de maintenir l’avion en vol sans perdre d’altitude. Sur avion de tourisme ce minimum de chevaux pour tenir l’air est souvent compris entre le tiers et la moitié de la puissance du moteur installé ; il est évidemment très variable selon le chargement de la machine.

     

    Ce minimum peut être une fraction sensiblement plus faible que le tiers, notamment sur un motoplaneur qui tient l’air « avec un filet de gaz ». Il est également une fraction faible de la puissance maximum sur un chasseur à hélice, parce que ce genre de machine dispose par définition d’une puissance énorme.

     

    C’est donc à cette vitesse de puissance minimum qu’il reste un maximum de chevaux disponibles, l’excédent de puissance. L’excédent sert ou bien à accélérer sans monter, ou bien à monter sans prendre davantage de vitesse. C’est donc à cette vitesse que l’avion pourra en donnant tous les gaz grimper le plus vite, disposer de la plus forte vitesse ascensionnelle. Si tel avion de tourisme de 150 chevaux n’a besoin que de 50 chevaux pour tout juste rester en l’air, il lui reste 100 autres chevaux pour monter. Il montera au taux d’environ 4 m/s, ou encore 240 m à la minute (sur un variomètre en pieds/minute : 800 ft/mn).

     

    La vitesse de puissance minimum est aussi la vitesse à laquelle moteur en panne ou complètement réduit l’avion s’enfoncera le moins vite. Le taux de chute le plus faible possible d’un avion de tourisme sera généralement de l’ordre de 3 m/s. L’avion à cette allure est encore un peu cabré, au détriment léger de la visibilité ; il est également passablement « mou » aux commandes qui réagissent avec moins de fermeté, donnant l’impression de piloter une chose mollassonne et mal assise sur l’air.

     

    Accélérons encore, toujours en palier. Vers 150% de la vitesse de décrochage se présente un nouveau point remarquable : la vitesse de finesse maximum.

    La finesse maximum d’un avion est un paramètre essentiel qu’on retrouve en bien des circonstances.

     

    Elle indique en cas de vol plané sans moteur la plus grande distance que l’avion peut franchir pour une perte de hauteur donnée. Un avion léger capable de planer 12 kilomètres en partant d’une altitude de 1000 mètres possède une finesse maximum de 12. Il franchira cette distance en planant à sa vitesse de finesse maximum ; à toute autre vitesse plus faible ou plus forte, il planera moins loin.

     

    La finesse est encore égale au rapport de la portance sur la traînée. En vol ordinaire la portance est égale au poids. Un avion d’une tonne possédant une finesse maximum de 12 présente ainsi une traînée minimum (et ce vers 150% de sa vitesse de décrochage) de 1000/12 = 83 kg.

     

    Conséquence immédiate : un petit réacteur de 83 kgp (kilogrammes de poussée) suffit à tenir cet avion tout juste en vol si c’est un avion à réaction. Une hélice aussi devra tirer 83 kg. Nous ne demanderons pas combien il lui faut de chevaux pour cela, puisqu’à l’instar de la bicyclette à dérailleur ou de la voiture à boîte de vitesses, la puissance du moteur nécessaire ne se déduit pas directement ; elle dépend à la fois de la traction exercée et de la vitesse de translation du véhicule.

     

    Conséquence : puisque c’est à cette vitesse que la résistance à l’avancement est la plus faible, c’est à cette vitesse que la quantité de travail (d’énergie) consommée pour parcourir 100 km est la moindre (le travail étant le produit de la force de traction par la distance parcourue). C’est donc à cette vitesse que sera maximum la distance parcourue au litre de carburant. La vitesse de finesse maximum est celle qu’adopte un avion de record de distance ou encore un avion de tourisme très à court d’essence. C’est une vitesse assez lente : 150 km/h pour une vitesse de décrochage de 100, dans l’exemple de l’avion léger que nous continuons à suivre.

     

    Il faut à vitesse de finesse maximum 15 ou 20% de chevaux en plus qu’à la vitesse de puissance minimum. Cela fera dans notre exemple : 50 chevaux x 1,2 = 60 chevaux. L’excédent de puissance sera moindre, et moindre donc aussi la vitesse ascensionnelle possible pour qui désire grimper en conservant cette vitesse-là.

     

    Poursuivons l’accélération. Le nez de l’avion cette fois se plaque tout à fait sur l’horizon ; le pilote voit devant lui comme s’il roulait au sol avec un train tricycle. Son cabré à peu près résorbé, l’avion paraît vu de face comme sur un plan trois vues.

     

    A 190% de la vitesse de décrochage (soit 190 km/h dans notre exemple poursuivi), la puissance requise n’est encore majorée que d’environ 60% par rapport à la valeur minimum exigée à vitesse de puissance minimum (pour rappel, 120% de la vitesse de décrochage).

    Relisons le paragraphe correspondant : notre avion exigeait 50 chevaux à 120 km/h ; il lui faut ici : 50 x 1,60 = 80 ch.

     

    Libérons enfin tous nos kilowatts. Le nez de l’avion ne bouge plus guère : il n’y a presque plus de cabré à résorber. Une loi simple va présider à l’accroissement de la puissance requise avec la vitesse. C’est la même qu’en bateau : le besoin de puissance monte comme le cube de la vitesse ; c’est autant dire qu’on n’accélérera plus beaucoup.

     

    Pour des raisons mécaniques on croise avec la plupart des moteurs d’aviation légère à 75% de la puissance maximum, ou 112,5 chevaux pour un moteur de 150.

    Continuons notre exemple : 112,5 chevaux au lieu de 80 font 1,406 fois plus ; la racine cubique de 1,406 est 1,12 ; la « vitesse de croisière à 75% » passe à : 190 x 1,12 ou 213 km/h.

     

    Mettons pleins gaz pour atteindre la vitesse de pointe ; c’est un tiers de puissance encore en plus : 100% par rapport à 75%. L’application de la même règle qu’au paragraphe précédent (déterminez la racine cubique du rapport 100/75 ou 4/3) donne une vitesse maximum de 234 km/h.

     

    Souvent alors l’aile à cette vitesse est si bien à plat sur sa trajectoire, que le pilote à l’impression de voler nez bas un rien penché sur l’avant. Sa vue est magnifiquement dégagée. Ce n’est pas une impression : l’aile étant généralement cabrée de quelques degrés sur le fuselage (notamment pour limiter le cabré de celui-ci à l’atterrissage), une aile bien décabrée a pour effet un fuselage un peu piqueur. Le cas est signalé par Clostermann au sujet du Fw-190 dont il observe « la curieuse assiette de vol nez bas… ».

     

    Remplaçons l’avion de tourisme par un chasseur à hélice : la très forte puissance se battant contre la loi du cube parvient tout de même à tirer la machine jusque 3 ou 3,5 fois sa vitesse de décrochage. Les chasseurs de la SGM atteignaient en moyenne 450 km/h au niveau de la mer au début du conflit, puis 550 à la fin.

     

    On rencontre souvent la notion d’écart de vitesse. On considère soit l’écart entre vitesse de décrochage et vitesse maximum en palier, soit le rapport entre la vitesse maximum et la vitesse de décrochage.

    L’écart des vitesse dans notre exemple est de 90 à 234 km/h.

    On peut aussi le définir selon le rapport : 234/90 = 2,6.

    Plus l’écart est grand, plus la machine s’avère d’un emploi commode et agréable.

     

     

    *

     

     

    Résumons les valeurs indiquées dans ce chapitre :

    (entre crochets, les chiffres pris plus haut pour notre avion exemple).

     

    - Vitesse de décrochage, symbolisée par l’expression « Vs » (velocity of stall). A Vs, la puissance exigée pour juste tenir l’air est notable ; [80 à 100 ch]

    - 1,2 Vs : vitesse de puissance minimum requise pour tenir l’air ; nommons cette puissance « Wmin » ; [120 km/h ; 50 chevaux]

    - 1,5 Vs : vitesse de finesse maximum ; puissance requise = 1,2 Wmin ; [150 m/h ; 60 chevaux]

    - 1,9 Vs : vitesse à laquelle la puissance requise = 1,6 Wmin ;

    Jusqu’à 1,9 Vs, la puissance requise a crû selon une loi mollement croissante. [190 km/h ; 80 chevaux]

     

    Au-delà :

    - On fait croître 1,6 Wmin au cube de la vitesse.

    - Vitesse de croisière à 75% de la puissance : [112,5 chevaux et 213 m/h] ;

    - Vitesse de pointe à pleins gaz : [150 chevaux et 234 m/h].

     

     

    8

     

     

    Détaillons pourquoi la vitesse de pointe n’augmente que selon la bien modeste racine cubique de la puissance disponible.

    Si un moteur de 100 chevaux fait atteindre en pointe 200 km/h à un avion donné, alors, lui substituer 150 chevaux ne fera monter la vitesse qu’à 229 km/h en consommant moitié plus.

     

    La conscience de ce triste fait est essentielle : le comprendre est comprendre qu’accroître la puissance d’un avion le fera sans doute monter beaucoup mieux (la vitesse ascensionnelle est en proportion simple de l’excédent de puissance), mais non pas aller notablement plus vite.

    Pour aller notablement plus vite il faut jouer sur d’autres facteurs : améliorer le profilage et voler plus haut en air moins résistant si toutefois le moteur dispose d’un compresseur qui lui garde sa puissance originelle en altitude.

     

    Un mobile en mouvement dans le fluide aérien et marchant deux fois plus vite heurte deux fois plus de molécules dont chacune a « deux fois plus de mouvement » ; il rencontre donc une résistance quadruple : au carré de la vitesse.

     

    La puissance est égale au produit de la force par la vitesse. Pour lutter contre une force résistante en se déplaçant contre elle à une certaine vitesse, il faut user d’une puissance égale à la résistance rencontrée multipliée par la vitesse de déplacement.

    Voler deux fois plus vite cause une traînée quadruple, qui multipliée par une vitesse double vaut donc une puissance octuple : au cube de la vitesse.

     

    Un turboréacteur dont la poussée est grossièrement en première approximation constante en subsonique avec la vitesse, ne donne pas des chevaux mais des kilos de poussée qui équilibrent la traînée de l’avion. Voler deux fois plus vite avec une traînée quadruple ne demande donc pas une poussée octuple, mais quadruple seulement. Le réacteur consomme ainsi quatre fois plus pour voler deux fois plus vite, lorsque le moteur à pistons consomme huit fois plus.

     

    Il en résulte que le réacteur est bien mieux adapté aux vitesses élevées que le moteur à hélice, et qu’il est inversement fort mal adapté aux vitesses basses.

    Exemple : un avion à hélice de 1000 chevaux atteint 450 km/h. On calcule que sa traînée à 450 km/h est de 470 kg. Un petit réacteur de 470 kgp le ferait voler à la même vitesse.

     

    Pour une consommation spécifique courante de 200 g/ch/h, l’avion à hélice de mille chevaux vole à 450 km/h en consommant 200 kg de pétrole à l’heure. Pour une consommation spécifique courante de 0,7 kg/kgp/h, le réacteur de 470 kgp consommera à la même vitesse : 470 x 0,7 = 329 kg de pétrole à l’heure. La comparaison montre la mauvaise adaptation du turboréacteur aux vitesses encore « lentes » telles que 450 km/h.

     

    Supposons l’avion à hélice atteignant le double, soit 900 km/h. Il lui faut 8 fois plus de chevaux, soit 8000. De tels moteurs n’existent guère. L’avion consommerait sinon 1600 kg à l’heure. Le réacteur donnant les mêmes 900 km/h aura une poussée de 4 fois 470 kgp, ou 1880 kgp. Sa consommation horaire sera 1880 x 0,7 = 1316 kg.

    Il a égalé en sobriété le moteur à hélice et l’a même dépassé. Le turboréacteur est bien adapté aux hautes vitesses.

     

    9

     

     

    On en sait assez déjà pour juger de l’effet des divers paramètres sur la performance maîtresse de l’avion qu’est la vitesse de pointe.

     

    Si l’avion n’est pas une machine archi-traînarde et sous-motorisée d’avant 1930, sa vitesse maximum se placera au moins entre deux fois et deux fois et demie la vitesse du décrochage. Nous considérerons donc la vitesse maximum comme située dans la plage où la traînée croît au cube de cette vitesse, et où la vitesse de pointe n’augmente plus qu’à la racine cubique de la puissance installée.

     

    Pour doubler la vitesse maximum à altitude constante (densité constante du fluide résistant) on octuplerait la puissance ; mais cela est généralement impossible.

    Considérons le cas plus réaliste d’une modeste variation de puissance.

     

    On sait par les techniques arithmétiques usuelles que majorer un nombre d’une très petite quantité majore son cube d’une quantité triple, et inversement : Si le cube de 1 est 1, le cube de 1,01 est 1,03 ou plus rigoureusement : 1,030301.

    Inversement : sachant qu’un nombre est peu supérieur à 1, tel par exemple 1,03, sa racine cubique est presque exactement : 1 plus le tiers des décimales… soit 1 plus 0,01 = 1,01.

     

    Soit un avion de 100 chevaux atteignant 200 km/h. Ramenons la valeur 200 au chiffre « 1 ». Faisons-le voler à 202 km/h, soit « 1,01 » ; il lui faudra 100 chevaux majorés de 3%, donc 103 chevaux.

     

    Prétendons maintenant le faire voler à 220 km/h, soit « 1,10 ». Il lui faut 100 chevaux plus 30%, ou 130 chevaux. Notons cependant que pour une majoration de 10% la règle arithmétique commence à s’altérer ; un calcul plus exact donne non 130 mais 133 chevaux. Si l’on ajoutait 20% de vitesse, on n’exigerait pas 60% mais 73% de chevaux en plus ; etc.

     

    A l’inverse, une diminution de traînée à puissance égale agira dans les mêmes proportions sur la vitesse maximum. Réduire de 3% la traînée accroît de 1% la vitesse ; réduire la traînée de 30%, chose très difficile, augmente la vitesse du chiffre bien modeste de 9%. On ne fait donc pas galoper un avion peu rapide en carénant un accessoire ou deux.

     

    Escamoter le train n’augmente pas souvent la vitesse maximum de plus de 10% ; l’effacement d’un train très bien caréné comme celui des Jodel Robin ne fera sans doute pas gagner beaucoup plus de 5%.

     

    Réduire la surface alaire ?

    Sur un avion bien profilé, l’aile représente environ 40% de la traînée totale à vitesse de pointe ou de croisière rapide. En réduire du quart la surface donnera donc 10% de traînée en moins, soit le quart de 40%. Ce sera 3% de vitesse supplémentaire.

    On fait souvent beaucoup de cas de telles réductions de surface, mais on peut retenir que la puissance nécessaire pour tirer 1 mètre carré de voilure à 150 km/h n’est guère que d’un cheval, ou de 8 chevaux à 300 km/h. Le lecteur en déduira des exemples de gain de vitesse par cette voie. Ils n’ont rien d’extraordinaire.

    On perd souvent plus à réduire la surface alaire qu’à l’accroître. La réduction de surface entraîne un gain bien modeste de vitesse, qui se paie d’un coût important en : longueur au décollage, violence au choc en cas de panne en campagne suivi d’un posé dans un champ trop court, vitesse ascensionnelle, aisance en virages serrés.

     

    La seule vraie façon d’augmenter spectaculairement la vitesse maximum est de voler haut pour évoluer dans un milieu moins résistant. Il n’y a cependant là aucun bénéfice avec un moteur sans compresseur : la puissance du moteur diminue dans la même proportion que la densité de l’air. Dans un air moins dense du tiers la traînée est diminuée du tiers, mais la puissance du moteur l’est aussi. On n’ira pas plus vite. Cependant, on consommera moins. Aussi les manuels de vol des avions légers sans compresseur affichent-ils leur meilleure croisière vers 8000 pieds.

     

    L’idéal est ainsi de voler avec un compresseur à son altitude de rétablissement, là où l’on conserve encore la puissance du niveau de la mer tandis que la densité atmosphérique a beaucoup diminué. Un avion comme le P-47D garde sa puissance jusqu’à 9000 mètres, où la densité de l’air est divisée par 2,6.

     

    Pour voler à 9000 mètres à la vitesse maximum atteinte à zéro mètre, soit un bon 500 km/h, il suffit donc de la puissance maximum divisée par 2,6. Cela veut dire 38% de la puissance maximum (100/2,6).

     

    Mettons alors pleins gaz. La puissance fournie passe à 100% ; elle est multipliée par 2,6 (100/38). La racine cubique de 2,6 est 1,37. L’avion atteint à 9000 mètres 500 x 1,37 ou 685 km/h.

     

     

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    Nous volons en croisière rapide. Réduisons à zéro les gaz en palier ; coupons même le moteur pour arrêter l’hélice. Ralentissons jusqu’à la vitesse de finesse maximum. Imaginons avoir une hélice dont les pales se mettent en drapeau, chacune présentant alors au vent relatif une simple lame et rien de plus ; supposons pour simplifier que l’hélice alors ne traîne plus du tout. Un motoplaneur se doit d’être doté d’un tel propulseur, car une hélice aux pales fixes immobilisées représente à elle seule 15% au moins de la traînée complète de l’appareil.

     

    L’avion sans propulsion maintenu en palier ralentit et donc se cabre progressivement. Pour cesser de ralentir, et puisque nous sommes sans moteur, poussons un peu le manche pour placer l’avion en descente sur une trajectoire planée. Nous pouvons choisir de le placer sur une descente à la vitesse de notre choix, et cette vitesse sera d’autant plus forte que nous prendrons une pente de descente abrupte. Plus la pente sera abrupte, moins évidemment ce plané nous portera loin.

     

    C’est à vitesse de finesse maximum que le plané jusqu’au sol sera le plus long.

     

    On dit alors que la finesse maximum d’un type d’avion est par exemple de 12, s’il peut à cette vitesse la plus favorable planer jusqu’à 12 fois en distance la valeur de l’altitude qu’il perd : l’avion franchira 12 kilomètres chaque fois qu’il perdra 1000 mètres.

     

    Poussons encore le manche : l’avion piquera évidemment plus fort, descendant selon un angle plus raide. Sa finesse à cette vitesse plus élevée aura donc non moins évidemment diminué. Elle devient égale à zéro si le piqué devient vertical : l’avion n’avance plus du tout à l’horizontale.

     

    Partons d’un plané à vitesse de finesse maximum pour agir cette fois en sens inverse : tirons précautionneusement vers nous le manche afin de ralentir doucement.

     

    Puisque nous volerons moins vite que la vitesse de finesse maximum, nous perdrons de la finesse et planerons moins loin. Ainsi perdons-nous de la finesse en volant plus vite comme en volant plus lentement.

     

    Nous sommes donc à présent planant à vitesse moindre que la vitesse de finesse maximum. L’avion cette fois cabre nettement. Il cabre par rapport à sa pente de descente, ce qui fait que vu du pilote le capot plonge peut-être encore un peu sous l’horizon.

     

    Continuons à ralentir jusqu’à frôler la vitesse de décrochage : la traînée, le cabré deviennent vraiment forts tandis que la finesse se réduit d’un gros tiers par rapport à son chiffre maximum. Il se peut que l’avion plane selon une pente prononcée de 10°, soit 6 de finesse. Vérifiez sur une calculatrice : la tangente de 10° est proche de 1/6. Peu d’avions dépasseront sans décrocher un cabré sur trajectoire de 15° ; le nez paraîtra cabré de la différence, c’est-à-dire de 15° - 10° = 5° au-dessus de l’horizon.

    Cette mauvaise finesse près de la vitesse de décrochage est bien entendu en rapport avec la puissance importante qu’il y faut pour se maintenir en palier.

     

    Il n’est ainsi pas contradictoire d’être cabré tout en descendant. Nous l’avons déjà vu dans le chapitre consacré au décrochage.

    La chose est très visible sur un atterrissage de Mirage III, qui descend le nez en l’air. Elle est même spectaculaire, parce que les avions à aile delta ont la particularité rare d’atteindre sans décrocher des cabrés beaucoup plus importants que les autres. Revoyez à ce sujet un épisode des Chevaliers du Ciel, comme j’en ai revu récemment après trente ans de privation.

    Nous nous souvenions que cette série était niaise, mais avions oublié à quel point.

     

    Bien entendu le pilote approchant en delta voit peu ou pas devant, d’où le nez basculant du Concorde.

     

     

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    Une bicyclette freins desserrés se met à rouler sans pédalage lorsque la pente est suffisante ; un avion moteur coupé a toujours sous les ailes une pente suffisante pour « rouler sans pédalage » puisqu’il n’est pas gêné par le sol pour accentuer s’il faut la pente de son plané.

     

    Pour que roule la bicyclette, la pente de la route peut être faible si le revêtement est bon ; elle doit être plus raide si c’est un chemin bourbeux. La pente de descente nécessaire au plané d’un avion est d’autant plus faible que ses lignes sont pures ; elle sera d’autant plus forte que ses lignes seront heurtées, ou bien que roues et volets divers seront sortis.

     

    La pente de descente est aisée à déterminer. Le panneau annonçant une pente dangereuse de 10 % prévient qu’on perdra 10 mètres d’altitude par 100 mètres parcourus. Or une loi très simple précise qu’un mobile de 100 kg sur une pente de 10 % est entraîné par une force de 10 kg. Une pente de 10 % faisant perdre 10 mètres par 100 mètres franchis est d’évidence la pente de plané d’un avion de finesse 10 : 100/10 = 10 (1).

     

    Un avion planant avec 10 de finesse est donc entraîné par une force égale à 10 % de son propre poids. Cette force équilibre la traînée de l’avion à cette vitesse-là, donc 10 % aussi de son poids, ou encore 10% de sa portance, qui lui est égale et opposée (2).

     

    La finesse est ainsi le rapport de la portance sur la traînée, ou encore du poids sur la traînée. « Poids sur traînée » est une notion assez abstraite qui devient directement concrète une fois transcrite sous la forme : pente de plané.

     

    Connaissant la finesse maximum de tel avion et sachant à quelle vitesse il l’obtient, il est facile de diviser cette vitesse par la finesse pour obtenir directement le taux de chute de cet appareil. Un avion doté d’une vitesse de décrochage de 144 km/h, ou 40 m/s, disposera de sa finesse maximum vers 60 m/s ; si sa finesse maximum est 12, il planera en chutant de 60/12 = 5 m/s.

    Rappelons pourtant que le taux de chute le plus faible est obtenu non à vitesse de finesse maximum, mais à vitesse plus basse (voir chapitre 7). Cet appareil en pratique aura un taux de chute minimum de l’ordre de 4 m/s.

     

     

    « La finesse est la raison d’être de l’avion » disait Albert Caquot, ministre promoteur d’une vaste politique de production de prototypes dans les années 1920. Il n’a pas été toujours écouté : « Quand on méprise la traînée, elle se venge », écrivait Jacques Lecarme, célèbre ingénieur et pilote d’essai.

     

     

    (1) On voit que nous assimilons la distance au sol parcourue en plané, à la longueur de la trajectoire du vol plané. La seconde est toujours supérieure à la première : c’est l’hypoténuse comparée au côté adjacent. L’écart est cependant minime, et l’assimilation reste légitime tant que la finesse, cas général, reste supérieure à 3 ou 4.

     

    (2) Là encore ceci n’est pas vrai en toute rigueur puisque la portance étant perpendiculaire à la trajectoire du vol, elle n’est pas exactement verticale en descente planée. L’approximation est la même que celui de la note (1).

     

     

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    Nous nous jugerions très heureux si nos lecteurs pouvaient être du petit nombre qui emploie le mot rendement à bon escient, car ce terme sert ordinairement de tarte à la crème dans tous les « raisonnements » qu’on entend sur tous les sujets dans les bars d’aéro-clubs, et ailleurs.

     

    Le rendement n’est pas la quantité de travail fournie ou disponible. Le rendement n’est pas une puissance non plus. Le rendement est un paramètre sans unité ; il est le rapport de deux quantités de même nature.

     

    Un moteur automobile donne au bout de son vilebrequin une puissance de 100 chevaux. La boîte de vitesses est malheureusement derrière ; le frottement de ses engrenages et le travail perdu à en agiter l’huile consomment par exemple deux chevaux ; la souplesse du caoutchouc déforme les pneus et les échauffe en gaspillant l’équivalent d’un cheval de plus. 97 chevaux seulement propulseront réellement la voiture, pour 3 chevaux perdus. Le rendement de la transmission est ainsi de : 97 chevaux/100 chevaux = 0,97 ou 97 %. On voit comment les unités ont disparu en simplifiant numérateur et dénominateur.

     

    Une dynamo est entraînée par un moteur donnant 1 cheval, ou 736 watts. On mesure à la sortie de la dynamo une tension de 11 volts et une intensité de 60 ampères. Elle débite donc 11 x 60 = 660 watts électriques pour 736 watts mécaniques qu’elle a reçus. Son rendement est de 660/736 = 0,9 ou 90 %. Le reste est dissipé en chaleur, directement ou via des frottements.

    Le moteur à pistons comme toute machine dite thermique présente un rendement qu’on nomme aussi rendement thermique ou rendement de Carnot. Il s’agit du second des trois Carnot illustres, et de celui qui n’intéresse pas beaucoup les historiens. C’est dommage : les pères de la science dans cent mille ans resteront, tandis que le Grand Carnot se distinguera mal d’Onkr et des autres batailleurs des cavernes, ou des as de la chasse.

     

    La combustion du carburant dégage à la seconde, à la minute… une certaine énergie thermique ; l’arbre du moteur fournit dans le même temps une certaine énergie mécanique ; énergie thermique ou mécanique s’expriment en joules ou kilojoules l’une comme l’autre ; le rendement thermique est la fraction de l’énergie thermique de combustion changée en énergie mécanique disponible sur l’arbre. Le reste chauffe le paysage.

     

    On peut aussi faire plus directement le rapport de la puissance mécanique fournie sur la puissance thermique de la combustion, si les deux sont exprimées en watts ou kilowatts.

     

    Un moteur à pistons ordinaire consomme environ chaque heure 200 grammes d’essence par cheval réellement fourni : 200 g/ch/h. Cela fait 272 g/kW/h (200/0,736). Or un livre de chimie nous apprend que 200 g d’essence brûlent en donnant une énergie calorifique, thermique, voisine de 2,6 kWh. Le rendement thermique de ce moteur vaut donc : 1/2,6 = 0,38 ou 38 %. Le reste est de la chaleur évacuée par le radiateur, l’échappement et toutes les surfaces chaudes de la mécanique.

     

    Un autre rendement intéresse l’aviation, le rendement de l’hélice.

    Le moteur transmet à l’hélice une certaine puissance, mais des calculs d’aérodynamique permettent de montrer que tout se passe comme si l’avion n’était mû que par sensiblement moins de chevaux. Il y a perte, « patinage » de l’hélice : elle ne s’appuie malheureusement pas sur le fluide aussi fermement qu’une roue sur le sol. La perte est sensible puisque le rendement de l’hélice ne dépasse que rarement 80 à 85 % en croisière, voire 60 % aux faibles vitesses (montée) si cette hélice est à pas fixe.

     

    D’une part les pales de l’hélice ont comme tout corps en mouvement une traînée de forme qui leur est propre ; elles perdent ainsi à frotter dans l’air un peu de puissance en échange de rien. D’autre part, une fraction notable de la puissance transmise à l’hélice lui sert à mettre en mouvement vers l’arrière le flot constant d’air sans lequel, faute de réaction, elle ne propulserait rien. Cette fraction notable est l’énergie cinétique injectée dans la veine d’air mise en mouvement. En dépit du paradoxe, cette énergie est bel et bien perdue pour la propulsion de l’avion lui-même. Il faut payer ce tribut à la nature.

     

    La perte de rendement (par rapport à 100 %) de la roue contre le sol n’est due qu’à la qualité du contact ; elle est réductible par la technique. La perte de rendement de l’hélice est fatale, inhérente à son principe même.

     

     

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    Nous avons vu deux définitions de la finesse : elle est le rapport de la distance franchie en plané sur la hauteur perdue en même temps ; elle est aussi le rapport de la portance sur la traînée, donc du poids de l’avion sur la résistance à l’avancement que l’air lui oppose.

     

    Accroître la finesse d’un avion donné, donc d’un poids donné, signifie ainsi réduire sa traînée.

     

    On y parvient par une première voie bien évidente : profiler les lignes du fuselage, choisir dans les catalogues de profils d’ailes ceux qui traînent le moins (les autres ont d’autres avantages), réduire les saillies, soigner les raccordements, éviter les fuselages trop courts dont le rétreint arrière est mal suivi par l’air, etc.

     

    Un second moyen est de polir toutes les surfaces (dites « mouillées ») pour que l’air n’y accroche pas. Une peinture de camouflage terne et mate sur un chasseur à hélice peut le freiner à pleins gaz de 20 ou 30 km/h en comparaison d’une finition au métal nu et poli, ou encore par rapport à ces peintures astiquées à mort pour mieux flasher dans l’œil des visiteurs de certains musées aéronautiques (si, si…).

     

    Tout ceci bien exploité, reste ensuite le paramètre quasi-magique de l’allongementde l’aile.

     

    Soient deux ailes de même surface et même portance. L’une est ramassée, l’autre étroite et fort longue en envergure. Son allongement est plus élevé. On montrera pourquoi la finesse de la seconde est très supérieure à celle de la première. Lorsque l’aile présente un allongement extrême comme sur les planeurs, la finesse atteint des chiffres impressionnant. Tel est bien ce qu’on attend d’un planeur : qu’il plane loin en descendant peu.

     

     

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    L’allongement est notion suffisamment importante pour que l’aérophile sache le calculer.

    Rien n’est plus simple si l’aile est rectangulaire : son allongement est égal au rapport de la longueur du rectangle sur sa largeur, c’est-à-dire de l’envergure sur ‘a corde. Une aile de 20 mètres d’envergure et 2 mètres de corde fait 10 d’allongement. La littérature symbolise généralement l’allongement par la lettre lambda minuscule.

     

    Lorsque dans le cas général l’aile n’est pas rectangulaire, on divise l’envergure par la corde moyenne. Il est facile de déterminer cette dernière si l’aile est trapézoïdale, mais complexe si elle est elliptique, ou composée d’un rectangle central et deux trapèzes en bouts.

    Dans tous les cas, l’allongement s’obtient en divisant le carré de l’envergure par la surface alaire.

     

    Soit une aile de n’importe quelle forme en plan présentant 22 mètres d’envergure et 52 mètres carrés de surface. Son allongement est :

    (22 x 22)/52 = 484/52 = 9,3

    L’allongement n’a pas d’unité.

     

     

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    A noter l’emploi occasionnel et regrettable du terme « finesse » pour désigner une caractéristique purement géométrique, aussi nommée « élancement ». On lira que la finesse du fuselage de l’avion untel est 10. Cela veut dire que la longueur du fuselage vaut dix fois sa largeur maximum.

     

     

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    Puisque doubler la vitesse quadruple la portance, tout égal par ailleurs, on déduit que doubler la vitesse permet de se sustenter, tout égal par ailleurs, dans un air quatre fois plus ténu.

     

    Il est bon de retenir que l’air est deux fois moins dense à 6500 mètres qu’au niveau de la mer, et quatre fois moins à 12000 mètres.

     

    Il n’est donc pas possible à 12000 mètres de tenir l’air sans voler au moins au double de la vitesse de décrochage mesurée au niveau de la mer. A 12000 mètres, la vitesse de décrochage est double de celle observée au niveau de la mer.

     

    Il en va de même de toutes les autres vitesses caractéristiques dont nous avons déjà parlé au chapitre 7 ; double également la vitesse de finesse maximum ; double donc en même temps le taux de chute correspondant. Chuter plus vite en air plus rare est logique.

     

    Bref, tout le domaine de vol de l’avion est à la fois décalé et étiré avec l’altitude.

     

    A 6500 mètres, l’air n’est que deux fois moins dense qu’au sol ; la vitesse de décrochage et toutes les autres ne sont multipliées que par la racine de 2 : soit une majoration de 41%. Ainsi le lecteur armé de la table de la densité selon l’altitude donnée au chapitre 2, extrapolera-t-il lui-même à toutes les valeurs d’altitude possibles.

     

    Si à 12 000 mètres l’avion en plané s’enfonce au taux de chute double de ce qu’il est au niveau de la mer, il faut pour juste le soutenir en palier disposer d’une puissance minimum double aussi de ce qu’elle est à ce même niveau de la mer.

     

    Sur un simulateur usuel est souvent offert le choix dans le réglage de l’anémomètre. On peut choisir entre un anémomètre imaginaire affichant la vitesse réelle de l’avion à toutes altitudes (vent toutefois mis à part), ou bien l’anémomètre réel donnant la vitesse indiquée ; indiquée par son aiguille, naturellement.

     

    En quoi cette vitesse indiquée par l’anémomètre diffère-t-elle de la vitesse réelle ?

    Elle n’en diffère pas au niveau de la mer.

    Le premier anémomètre de l’histoire fut l’étévé, du nom de son inventeur. C’était une simple plaquette en plein vent, perpendiculaire au dit vent et repoussée par lui vers l’arrière. Un ressort antagoniste faisait résister la plaquette à la poussée du vent, mais la plaquette n’en reculait pas moins d’une valeur croissant avec la vitesse. Il suffisait de lire sur une graduation le recul de la plaquette pour connaître cette vitesse. On voit que l’étévé d’un aéroplane immobile au sol peut indiquer une certaine vitesse, celle du vent de face. Il suffit alors pour décoller d’accélérer seulement de la différence d’avec la vitesse d’envol par vent nul.

     

    Moins rudimentaire, l’anémomètre moderne fonctionne sur le même principe : il mesure la pression dynamique, la surpression que la vitesse donne à l’air qui s’engouffre quelque part ou frappe quelque chose avec une certaine célérité.

     

    Chiffrons la pression dynamique au niveau de la mer dans un air de densité 1,2 kg par mètre cube. Elle vaut 5 grammes par centimètre carré ou 0,5% d’atmosphère à 100 km/h ; elle vaut 20 g à 200, 45 g à 300 et ainsi de suite en progressant au carré. Aux mêmes vitesses réelles, elle vaut la moitié de ces valeurs à 6500 mètres où l’air est moitié moins dense.

     

    Que l’anémomètre soit monté sur un satellite volant à 28000 km/h dans le vide : il indiquera évidemment zéro. On en déduit qu’à vitesse réelle constante, la vitesse indiquée diminue constamment avec l’altitude et la raréfaction de l’air.

     

    La vitesse indiquée diminue avec l’altitude à la manière de presque toutes les lois aérodynamiques que nous rencontrons : au carré ou à la racine carrée. C’est ici la racine. Une vitesse réelle ou indiquée de 400 km/h au niveau de la mer et qui resterait 400 km/h réels à toutes altitudes, deviendrait :

    - à 6500 mètres, densité moitié, 400 divisé par racine de deux : 283 km/h de vitesse indiquée ;

    - à 12000 mètres, densité du quart, 400 divisé par racine de quatre : 200 km/h de vitesse indiquée ;

    - à 17000 mètres, densité du neuvième, 400 divisé par racine de neuf : 133 km/h de vitesse indiquée.

     

    On lira souvent dans une publication technique des vitesses en altitude exprimées en KIAS : knots indicated airspeed, soit vitesse indiquée exprimée en nœuds. La vitesse réelle est quant à elle en anglais la true airspeed : TAS. Vérifiez que 500 km/h réels à 12000 mètres représentent une vitesse de 270 TAS ou 135 KIAS ; il suffit pour ce calcul de savoir que 1 nœud, en anglais 1 knot abrégé en 1 kt, vaut 1,852 km/h).

     

    La vitesse indiquée peut sembler parfois démoralisante, puisqu’elle ne croît pas avec l’altitude alors même que le moteur compressé fait filer l’avion plus vite. Le P-47 ou le P-51 n’atteignent pas au niveau de la mer 300 nœuds, indiqués ou réels puisque c’est à zéro mètre la même chose ; ils ne les atteindront pas davantage lorsqu’à grande altitude ils voleront à près de 400 nœuds réels.

    Quel est l’utilité de la vitesse indiquée ? Pourquoi ne pas corriger par un moyen quelconque la vitesse lue sur l’anémomètre, de manière à lire la vitesse réelle ?

     

    Les phénomènes de la mécanique du vol se manifestent à vitesse indiquée toujours identique à n’importe quelle altitude. Le même avion décroche à 150 km/h indiqués au niveau de la mer, au sommet du Mont Blanc ou de l’Everest. Sa vitesse tolérée en piqué sera par exemple de 400 km/h indiqués aussi, plus élevée donc en réalité à haute qu’à basse altitude.

     

    En effet la pression dynamique qui endommagerait l’avion à plus de 400 km/h indiqués correspond bien à 400 km/h réels au niveau de la mer, mais à davantage en altitude (2 x 400 ou 800 km/h à nos 12000 mètres coutumiers).

     

    Le pilote dispose ainsi avec l’anémomètre et sa vitesse indiquée d’un précieux instrument de sécurité. La connaissance de la vitesse réelle ressort des moyens de navigation.

     

     

    17

     

     

    Nous parlerons de l’effet du vent sur le vol. Nous avons eu la surprise d’entendre un instructeur affirmer qu’un fort vent de face améliore la vitesse ascensionnelle ; il devait prendre son avion pour un cerf-volant. Voyons tout cela.

    Le vent peut être dévié vers le haut en frappant une colline ou montagne. Il importe peu que ce vent ne soit pas dévié jusqu’à la verticale ; il possèdera sans mal une composante verticale de plusieurs mètres par seconde, suffisante pour soutenir et faire monter un planeur – voire un avion - en vol de pente, allant et venant inlassablement au long de la chaîne de reliefs.

     

    Au-dessus de la crête l’air perd progressivement sa vitesse verticale. Quelques centaines de mètres au dessus des sommets, la composante verticale de la vitesse du vent défléchi par le relief tombe à la valeur (en sens opposé) du taux de chute du planeur. Celui-ci stagne sans plus monter.

     

    Plus spectaculaire est le vol d’onde, où le planeur atteint parfois l’altitude des avions de ligne en exploitant les mouvements ondulatoires de très forte amplitude que certains reliefs donnent au vent qui les frappe. Nous renvoyons aux textes plus spécialisés.

     

    Ces cas particuliers mis à part, examinons l’influence plus banale sur un avion du vent ordinaire et tout à fait horizontal.

     

    Le principe de relativité doit être considéré : l’avion qui n’a plus de lien avec le sol « ignore » s’il y a du vent et quel il est ; ses performances par rapport à l’air, en mouvement ou non, doivent rester inchangées quoi qu’on raconte.

     

    La vitesse en palier indiquée par l’anémomètre ne change nullement, que le vent soit nul, de face ou de dos. Une croyance ancestrale de la Sibérie affirme que le canard sauvage volant vent de dos a les plumes de la queue retroussées par le vent glacé, et en meurt de froid. Un tel cas de vol est impossible, à moins que l’oiseau n’ait le secret du vol rapide en marche arrière.

     

    La vitesse ascensionnelle et la vitesse de chute moteur réduit lues au variomètre ne sont jamais modifiées par le vent horizontal.

     

    Toutes les performances relativement au sol sont en revanche altérées.

    La chose est évidente pour la vitesse : on ajoute ou soustrait celle du vent à celle de l’avion selon que le vent souffle de dos ou de face.

     

    Lorsque le vent n’est pas dans la direction de l’avion, on combine graphiquement les vecteurs « vitesse de l’avion » et « vitesse du vent » pour trouver leur résultante. On découvre alors que même un vent de plein travers ralentit l’avion ! si du moins celui-ci résiste à l’action du vent latéral en pointant un peu du nez vers le côté d’où vient ce vent traversier.

     

    En croisière par bon vent de travers, l’avion pointe le nez de quelques degrés vers le vent à seule fin d’aller droit par rapport au sol. Ainsi le pilote vole-t-il en crabe. Un avion voulant aller plein est (cap 90°) est soumis par exemple à un vent de travers gauche suffisant à le repousser à droite de 10 degrés. Que le pilote ne réagisse pas et conserve au compas son cap 90° : l’avion suivra par rapport au sol un tracé orienté au cap 90 + 10 = 100 degrés. S’il entend maintenir sa route par rapport au sol à la valeur plein est de 90°, il faudra pointer le nez 10° à gauche dans le vent. 10° est ici la dérive, ou angle de dérive. Le pilote affichera donc 80° au compas.

     

    A basse hauteur en approchant pour atterrir, le pilote soumis à un vent traversier doit aussi pointer le nez vers le côté d’où vient le vent. S’il le pointait dans l’axe de la piste, il serait refoulé de côté. Or l’avion vole ici lentement ; la vitesse du vent est alors une fraction notable de celle de l’avion : l’angle de dérive est élevé. Le sol tout proche contribue à le faire paraître plus net encore.

     

    La dérive vue dans ces conditions peut souvent sembler d’une importance étonnante. Le pilote une fois posé malgré cette adversité arrosera son exploit au bar du club en racontant qu’il approchait avec 45 degrés de dérive. Il le croira, d’ailleurs, comme il croit virer incliné de 80° quand il dépasse de peu 45. Il est douteux qu’il ait en fait excédé dix petits degrés, mais l’effet optique est surprenant.

     

    Il va de soi qu’une manœuvre de redressement de dernier moment a lieu pour mettre l’avion et les roues dans l’axe de la piste à l’instant de toucher terre.

     

    Voici quelques valeurs de dérive. Nous supposons le vent de plein travers animé d’une vitesse égale à 1%, 5%, 10%, 20% de la vitesse propre de l’avion.

     

    1% : 0,5°

    5% : 3°

    10% : 5,5°

    20% : 11,5°

    Par vent de face, la réduction de longueur de roulement au sol avant décollage est extrêmement importante sitôt que ce vent devient notable. La longueur de roulement croît au carré de la vitesse d’envol : on en déduit avec raison qu’un vent de face égal à la moitié de la vitesse d’envol réduit la course au décollage par quatre en première approximation. Tel ULM nécessitant cent mètres pour soulever ses roues à 60 km/h se contentera de 25 mètres face à 30 km/h de vent.

     

    Un chasseur décolle à 300 km/h en 500 mètres par vent nul ; face au même vent de 30 km/h, il quittera le sol à 270 km/h qu’il atteindra en 405 mètres.

     

    Noter que la vitesse indiquée lue sur l’anémomètre pour les deux machines ci-dessus sera toujours 60 et 300 km/h à l’instant du décollage.

     

    L’affaire prend toute sa mesure sur porte-avions où la somme de la vitesse du navire et du vent naturel se monte souvent à 100 km/h. Le chasseur à réaction précité quitterait le pont même sans catapulte en 222 mètres, s’il pouvait employer plus que la courte piste de catapultage. Un chasseur à hélice quitte le bateau sans assistance.

     

    Un ULM doit pouvoir tenir encore l’air à 65 km/h ; cette condition est exigée dans le but de réduire à peu de choses le risque de mort par collision avec un obstacle en cas d’atterrissage sur panne de moteur. Cette exigence vient de ce que le moteur n’est pas « certifié » : il n’est par conséquent pas réputé aussi sûr. Que l’engin se pose face au vent de 30 km/h ou bien au contraire vent de dos : sa vitesse minimum par rapport au sol sera respectivement selon le cas de 35 ou de 95 km/h. On voit que percuter quelque chose au sol dans l’un ou l’autre cas n’aura pas du tout le même résultat.

    (La probabilité de se tuer croît à peu près au carré de la vitesse ; on en déduit l’effet majeur du vent sur la sécurité du posé).

     

    Qu’un avion embarqué doté d’hypersustentateurs très développés, voire d’un soufflage de voilure, s’approche « lentement » d’un porte-avions filant à pleine vitesse contre le vent : il se présente relativement à lui guère plus vite qu’une machine de grand tourisme se posant sans vent sur le sol ferme.

     

    Attention : la puissance en chevaux nécessaire pour décoller ne change absolument pas avec le vent (1)

    Envoyons face à l’avion un vent égal à sa vitesse d’envol, pour le faire décoller sur place à vitesse nulle par rapport au sol. Il ne faudra pas à cet avion un cheval de moins pour prendre de la hauteur (re-1)

    (Nous ne disons pas que même sans moteur un tel vent ne ferait pas « décoller » l’avion pour le fracasser un peu plus loin).

    Le vent affecte fortement la pente de montée ou de descente, mais la vitesse ascensionnelle est la même face au vent ou sans vent.

     

    On appelle vitesse propre de l’avion, sa vitesse personnelle abstraction faite du vent. Supposons-la en montée de 126 km/h ou 35 m/s. Alors, la pente de montée par vent nul est : 5/35 = 14,3 % ou 8,1°.

    Si le vent souffle de face à 40 km/h, la vitesse-sol, c’est-à-dire par rapport au sol, tombe de 126 à 86 km/h ou 23,9 m/s. La pente de montée passe à : 5/23,9 = 20,1 % ou 11,8°.

     

     

    (1) Cette règle n’est complètement valable que sur sol roulant et plat. Il est certain qu’un avion décrochant à 100 km/h ne pourra jamais décoller par vent nul si le sol bourbeux l’empêche par exemple d’atteindre plus de 80 km/h ; mais que cet avion pourra décoller si le vent de face est d’au moins 20 km/h… Cependant, sitôt l’avion à un centimètre du sol, la règle reprend ses droits rigoureusement.

     

    Apportons une autre nuance. Si la piste est en pente descendante sensible, un vent de face défléchi vers le haut par la pente possédera une composante verticale venant se déduire du taux de chute sans moteur de l’appareil : on est dans le cas du vol de pente des planeurs. Moins de taux de chute sans moteur revient, moteur en marche, à moins de puissance exigée pour tenir l’air. Ainsi l’avion aura-t-il décollé ; mais il n’est pas assuré de conserver sa hauteur une fois le sol redevenu plat.

     

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    Faisons grimper un avion à son plafond. Deux facteurs vont déterminer celui-ci.

     

    D’une part la puissance maximum du moteur diminue avec la baisse de densité de l’air ; il conserve son régime de rotation, mais chaque coup de piston est moins vigoureux. Le moteur n’en conserve pas moins sa vitesse de rotation, puisque l’air plus ténu freine d’autant moins l’hélice.

     

    D’autre part la puissance minimum requise pour simplement tenir l’air augmente avec l’altitude et la baisse de densité de l’air.

     

    Le plafond est donc l’altitude à laquelle se croisent les deux puissances, l’une baissant et l’autre croissant.

    La baisse de puissance du moteur est le facteur prédominant.

    Soit un avion pouvant voler au niveau de la mer depuis sa vitesse de décrochage de 100 km/h, jusqu’à la vitesse maximum de 300 km/h que permet son moteur. Il dispose d’un écart de vitesse de 200 km/h. On peut aussi donner cet écart sous forme d’un rapport : 300/100 = 3. Le pilote choisit sa vitesse sur une plage de 200 km/h.

     

    A son plafond, l’avion a besoin de toute la puissance qui lui reste. Au plafond, cette puissance résiduelle est par définition la puissance minimum nécessaire à tenir l’air, celle que nous avons définie déjà comme la puissance requise à 120% de la vitesse de décrochage.

     

    Il en résulte qu’on ne peut voler au plafond qu’à cette seule et unique vitesse. L’écart de vitesse tombe à zéro km/h.

     

    On a vu que l’air plus ténu de l’altitude décale toutes les vitesses remarquables. Cette unique vitesse possible au plafond sera plus élevée que 120% de la vitesse de décrochage au sol ; mais elle restera :

    - la même vitesse indiquée sur l’anémomètre ;

    - encore 120% de la vitesse réelle de décrochage à l’altitude considérée.

     

    En altitude la vitesse maximum vraie (par opposition à la vitesse indiquée) n’augmente pas si l’avion est dépourvu de compresseur. Puisque la vitesse minimum vraie augmente, l’écart de vitesse disponible se réduit ainsi progressivement avec l’altitude. Vient enfin le plafond, où l’écart de vitesse s’annule en se limitant à un seul point. On en verra une intéressante application pour l’avion fameux U-2.

     

    (que le moteur soit muni d’un compresseur permettant d’accroître la vitesse en altitude ne fait que retarder vers des altitudes plus grandes le resserrement de l’écart de vitesse disponible).

     

    Le plafond absolu est le vrai plafond, le plafond physique. Le plafond pratique est par convention l’altitude où la vitesse ascensionnelle est tombée à 0,5 mètre/seconde. Quelques centaines de mètres séparent les deux plafonds.

     

    A la vitesse de 120 % du décrochage l’appareil est sensiblement cabré ; il commence à se montrer un peu mou aux commandes, faute d’un bien grand appui de l’air sur ses gouvernes. Approchant du plafond, le pilote constate évidemment sur le cadran de son variomètreque la vitesse ascensionnelle s’affaiblit notablement. Ce n’est pas le seul symptôme.

     

    Supposons que le pilote veuille faire une pause dans sa montée en effectuant un palier. Il pousse alors son manche pour décabrer sa machine et la laisser reprendre de la vitesse à l’horizontale. Est-il déjà bien proche du plafond ? Il ne reste presque pas de chevaux disponibles pour accélérer ; il n’existe presque plus d’écart entre sa vitesse réelle et la vitesse maximum à cette altitude ; l’avion ne prend dès lors que peu de km/h et décabre à peine. L’avion vole sur un écart de vitesses possible très réduit, et pousser le manche un rien de plus le fera aussitôt commencer à redescendre.

     

    Le plafond absolu est enfin laborieusement atteint, encore qu’on ne puisse en pure théorie que l’approcher comme on approche une asymptote. L’avion est cabré ; le moteur est à pleins gaz pour donner peu ; le pilote tient le manche du bout des doigts et ressent l’impression justifiée de se tenir en équilibre sur une pointe d’épingle :

     

    Que le pilote pousse d’un millimètre son manche, et l’avion en palier au plafond entame naturellement une descente ; qu’il tire vers lui le manche même fort légèrement, et l’avion cabrant un peu plus, ralentissant un peu plus, repasse à une vitesse inférieure à la vitesse de puissance minimum. Il n’a plus alors assez de chevaux pour tenir, et s’enfonce le nez haut.

     

    Que le pilote bouge le manche à gauche ou à droite pour entamer un virage, même large, et l’avion s’enfonce également : il faut davantage de puissance en virage qu’en ligne droite. Bref, le pilote au plafond absolu ne peut absolument rien faire sans perdre de la hauteur. Précisons qu’en pratique il s’avachira plus ou moins mollement sur des dizaines ou des centaines de mètres avant de parvenir à se rétablir dans un air un peu moins rare.

     

    Aucune performance de l’avion n’est plus sujette à variation que le plafond. L’auteur a personnellement conduit un jour à 4600 mètres un monoplace léger du type Turbulent avant de recommencer quelques jours après au même poids sans parvenir à dépasser 3800 m.

     

    Qu’il fasse froid : l’air se contracte ; il se dilate en cas inverse. Le temps froid rétracte l’atmosphère vers le sol, le temps chaud la dilate en la rééchelonnant en altitude. Ainsi le temps froid très favorable aux performances à basse altitude (lire plus haut) est-il au contraire inapproprié aux tentatives de record d’altitude, sauf s’il s’agit d’un record pour catégorie plafonnant bas par nature.

     

    Les plafonds donnés dans les fiches techniques sont purement théoriques, notamment parce qu’ils précisent rarement à quel poids il sont valables.

     

    Il est éducatif et intéressant de faire décoller au simulateur divers avions sur la piste interminablement longue de la Paz (Bolivie) sise par quatre mille mètres d’altitude. C’est déjà presque le plafond des avions légers.

     

     

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    Donnons quelques exemples de finesse maximum pour des machines de catégories diverses.

     

    - ULM pendulaire : 6 à 8

    - ULM biplace côte à côte trois-axes en stratifié, morphologie « avion », ailes d’allongement prononcé : 14 à 16

    - avion de tourisme courant, train fixe : 8 à 12

    - avion de ligne à réaction : 20

    - avion à pistons de grande taille, genre B-36 ou L.1049 : 20

    - chasseur ancien, biplan : 6

    - chasseur à hélice P-51 : 14

    - chasseur à réaction d’allongement faible, ailes trapues : 6 à 9

    - Concorde : 12,8 (en subsonique) 

    - X-15 : 3 ou 4

    - Rutan Voyager : 27

    - planeur primitif genre Avia X : 8

    - planeur en bois 1950 d’usage courant : 20

    - planeur de grande performance 1960 : 40

    - planeur de grande performance 2000 : 60 à 70

     

    La finesse est d’une manière générale favorisée par l’allongement de l’aile : ainsi la comparaison entre le planeur de grande performance et l’avion de tourisme banal.

    La grande taille de l’appareil et sa vitesse favorisent également la finesse, même à formes égales : la maquette n’a pas la finesse de l’avion en grandeur. C’est une conséquence du nombre de Reynolds, un paramètre aérodynamique dans lequel nous n’entrerons pas plus avant.

    Ainsi le Concorde est-il beaucoup plus grand qu’un Mirage III ; son aile n’est pas plus allongée, mais la finesse du Concorde est double. Il est vrai aussi que son fuselage, forte source de traînée, est proportionnellement plus réduit.

     

    Un avion fin est un appareil de finesse élevée, indépendamment de la grâce de ses lignes, même s’il existe souvent un lien entre esthétique et faible traînée.

     

     

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    Une finesse élevée va naturellement de soi sur un planeur, qui doit voler loin en perdant peu de hauteur.

     

    Elle est non moins indispensable sur un avion commercial ou sur un bombardier qui doit transporter une charge au loin en consommant peu : un avion de même poids mais deux fois plus fin a deux fois moins de traînée ; il a donc deux fois moins de besoin de puissance en croisière économique, deux fois moins de consommation kilométrique. Il ira deux fois plus loin.

     

    On poussera l’observation un peu plus loin en notant que plus de finesse représente, à égale puissance disponible, davantage de charge soulevée de terre. Si une tonne d’avion d’une certaine finesse coûte 100 chevaux à faire croiser, la même puissance disponible pourra faire croiser deux tonnes d’un avion de finesse double.

     

    Cela ne veut pas dire qu’on doublera réellement le poids total de l’avion, car la meilleure finesse n’a qu’un effet modéré sur la vitesse ascensionnelle : les moteurs travaillent en montée moins contre la traînée que contre la pesanteur ; la finesse ne réduit en rien la gravitation ; les mêmes moteurs ne peuvent donc utilement gréer un avion de poids double.

     

     

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    Un avion pique à bonne vitesse avant de remonter rapidement sur sa lancée ; il a effectué une ressource, arc de cercle (à peu près) entre piqué et remontée. Dans cette section courbe de la trajectoire, nous pénétrons le domaine passionnant des accélérations, ou manœuvres sous facteur de charge.

     

    Il importe ici de prévenir l’incompréhension fréquente : « de quelle accélération parlez-vous puisque la vitesse de l’avion ne varie pas toujours énormément au cours de ces phases de vol ? »

     

    Lorsque le Stuka redresse sèchement au bout de son piqué, il encaisse « 8 g », et l’on dit que l’équipage se sent peser 8 fois son poids. On parle également d’une « accélération de 8 g ». La notion d’accélération intrigue souvent puisque la vitesse de l’appareil diminuerait plutôt dans cette phase.

     

    Relisons « Prototype FX-13 » dans la série dessinée Buck Danny. Nous voyons le pilote Tumbler mettre pleins gaz en palier, pour sombrer dans le voile noir sous l’effet de la prodigieuse accélération due aux moteurs.

     

    Ce n’est pas tout à fait cela…

    Le voile noir survient au-dessus de 5 ou 6 g, et nul avion connu n’est capable d’atteindre pareille accélération en ligne droite : il faudrait que la poussée de ses réacteurs valût 5 ou 6 fois son poids. Cela n’existe pas, hors le catapultage sur porte-avion où l’équipage ne tombe précisément pas dans le voile noir (1). Il est vrai qu’il n’en aurait pas le temps. L’accélération au sens classique, l’accélération en ligne droite est parfaitement incapable d’infliger 6 ou 10 g. Quelques dixièmes de g font une belle accélération déjà.

     

    Qu’est donc cette accélération particulière à l’avion, sans lien avec celle du véhicule terrestre ?

     

    L’avion en piqué descendait à 360 km/h ou 100 m/s. Supposons le piqué sous un angle de 30°, angle où la composante verticale de la vitesse est moitié de la vitesse effective. La vitesse de descente était donc 50 m/s. Supposons qu’en ressource l’appareil remonte également sous un angle cette fois ascendant de 30° lui aussi.

     

    La ressource aura donc annulé la vitesse verticale de descente de 50 m/s pour lui substituer une vitesse verticale ascendante de 50 m/s également. La ressource aura modifié au total de 100 m/s la vitesse verticale.

     

    On sait qu’une accélération de « 1 g », celle de la pesanteur, celle que prend un corps en chute libre, vaut 9,81 m/s par seconde : le corps en chute (dans le vide) voit à chaque seconde écoulée sa vitesse croître de 9,81 m/s ou 35 km/h. On adopte souvent 10 pour valeur approchée de 9,81.

     

    La vitesse verticale de l’avion en ressource a varié de 100 m/s, ce qui fait 10 fois 10 m/s. Cela suppose une accélération dirigée vers le haut valant 1 g pendant 10 secondes, ou 2 g pendant 5 secondes, ou 5 g pendant 2 secondes… Le chiffre est d’autant plus fort que le temps de ressource est bref, c’est-à-dire que le pilote aura tiré fortement son manche pour la ressource.

     

    Voilà de quelle accélération il s’agit ; on voit qu’elle est sans lien direct avec une éventuelle variation de la vitesse indiquée au tableau de bord.

    Il s’agit en fait de la force centrifuge produite dans la ressource.

     

    Le pilote en palier éprouve évidemment son propre poids normal. Dans la ressource s’y ajoute l’accélération détaillée ci-dessus. Est-elle par exemple de 5 g, le pilote se sent peser 5 + 1 = 6 fois son poids. L’oppression est intense ; les joues tirent vers le bas sous les yeux ; la tête est difficile à tenir droite, les lunettes glissent, les bras sont difficiles à lever. Les objets lâchés filent au plancher comme des balles. Le cerveau mal irrigué perdra conscience si l’accélération croît encore ; avant l’évanouissement surviendra le voile noir, ou perte de la vue.

     

    Le voile noir vient de la désertion du cerveau par le sang « alourdi » que le cœur ne parvient plus à monter au cerveau. On pourrait donc imaginer le voile noir dans un ascenseur d’une puissance inouïe, où l’accélération est dans le sens qui fait descendre le sang vers les chaussettes. Nous avons calculé pour vous que sous une accélération de 6 g suivie d’un freinage égal, l’ascenseur atteindrait le 5ème étage en 1 seconde.

     

    Le voile noir ne risque donc pas de se produire dans une accélération comme on l’entend habituellement en voiture : le sang n’a ici nulle raison de descendre. Cette accélération ne concerne pas la vitesse sur trajectoire de l’avion, sa vitesse au sens usuel. Elle concerne (en gros) la composante verticale de cette vitesse.

     

    Nous ne résisterons pas à la tentation de rappeler après Buck Danny une autre amusette de Spirou vers la même époque. On vit un jour dans la chronique deux-roues un projet de motocyclette ultraperformante. Pour résister aux accélérations fabuleuses le conducteur était couché sur le ventre, la tête vers l’avant, comme le sont les pilotes des avions expérimentaux destinés à l’étude des effets médicaux des g (Berlin B-9, Meteor spécial…). Cette position est en effet idéale sur une moto invraisemblablement puissante pour précisément hâter la fuite du sang hors de la tête.

     

    Le nombre de « g » est le facteur de charge.

     

    Le facteur de charge est positiflorsque l’accélération est dirigée du plancher vers le plafond de l’avion (2) ; l’effet de force centrifuge est alors dirigé en sens inverse, chassant le sang aux pieds. Qu’en est-il si l’accélération est dirigée cette fois en sens inverse ?

     

    Commençons par étudier le cas où le facteur de charge est nul. Nous verrons ensuite les cas où il est négatif.

     

     

    (1) et hors les dragsters dits « Top Fuel ».

    (2) et non nécessairement « du bas vers le haut » puisque l’avion peut voler autrement que la tête du pilote vers le haut.

     

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    Le facteur de charge nul :

     

    Le mécanisme par lequel on crée assez longuement l’apesanteur en avion peut à présent s’expliquer. Les astronautes à l’entraînement peuvent ainsi disposer d’une trentaine de secondes sans poids à chaque manœuvre.

     

    L’avion choisi est un transport à réaction rapide doté d’un fuselage assez large pour y voleter à son aise. Il débute sa manœuvre à partir d’un vol en palier à quelques 900 km/h, ou 250 m/s. Le pilote cabre assez promptement l’avion pour l’installer en montée à 30 degrés. La manœuvre produit évidemment un certain facteur de charge qui dure tant que l’angle de montée recherché n’est pas atteint ; les passages se sentent brièvement – un peu - plus lourds.

     

    Une fois lancé vers le ciel sous 30° de pente ascensionnelle, le pilote repousse le manche de manière à diminuer l’incidence de l’aile jusque vers zéro, en sorte qu’elle ne porte plus du tout. L’avion se comporte alors en pur projectile : ses occupants sont en apesanteur. Le pilote maintient juste assez de poussée pour équilibrer la traînée résiduelle (la traînée induite ayant disparu avec la portance) afin de l’empêcher de réduire le temps d’apesanteur en freinant l’appareil.

    Une autre façon de comprendre l’apesanteur dans l’avion est de considérer qu’il est lancé vers le haut indépendamment de ses passagers non attachés, tandis que ces passagers sont eux-mêmes lancés parallèlement. Avion ou passager non ceinturé, chacun dès lors continue à monter vers le ciel en libre projectile, à la même allure, chacun sans se soucier de l’autre. Avion, passagers, ne supportent aucun facteur de charge ; ils sont en « zéro g ».

     

    Ou bien l’on dira que les passagers flottent immobiles dans l’avion, ou bien que l’avion flotte immobile autour des passagers.

     

    L’avion montant comme un simple projectile perd de sa vitesse ascensionnelle comme n’importe quel objet lancé vers le haut. Une pente de 30° est une pente à 50% ; la composante ascensionnelle est donc de 125 m/s pour une vitesse sur trajectoire de 250.

     

    La pesanteur est de 9,81 m/s², ou 10 en chiffres ronds. Cela veut dire qu’un corps en chute accélère de 10 m/s à chaque seconde, ou qu’il ralentit de 10 m/s à chaque seconde s’il a été lancé vers le haut à la verticale. Il commence à retomber une fois épuisée sa vitesse ascensionnelle.

     

    Il importe peu que la montée soit verticale ou suive une courbe : seule compte la composante verticale de la vitesse.

     

    La vitesse ascensionnelle de 125 m/s est donc réduite à zéro en 125/10 = 12,5 secondes. A ce moment l’avion est au sommet de sa trajectoire et s’apprête à replonger. La redescente est symétrique en tout point à la montée. On peut interpréter ici l’apesanteur en disant que l’avion et le passager non attaché tombent vers la terre chacun pour son compte, sans mouvement l’un vis-à-vis de l’autre. L’avion redresse ensuite pour revenir en palier et recommencer.

     

    L’ensemble de cette trajectoire en cloche et en apesanteur a duré 25 secondes. La forme en est celle d’une parabole ouverte vers le bas. La même manœuvre en Concorde partant de mach 2 aurait duré une minute. L’altitude atteinte aurait sans doute causé l’extinction des moteurs.

     

    Durant la manœuvre, tous objets à bord sont ôtés ou bien arrimés : les gros colis pesants flottent comme les petits avant de retomber sur la tête de l’équipage. Le pilote sent son estomac remonter : il ne tire plus sur ses ligaments suspenseurs ; ses jambes sans poids tendent à quitter les pédales ; les menus objets oubliés çà et là flottent dans la cabine ; la poussière du plancher vient voler dans les yeux.

     

    Cette manœuvre est à déconseiller sur un avion léger qui n’est pas adapté à la voltige : le moteur ne sera ni alimenté en essence ni graissé. Il ne dispose pas non plus des doubles ceintures des avions de voltige.

     

    La série Buck Danny vous donne dans son épisode X-15 une description de la parabole d’apesanteur. Le scénariste fait débuter l’apesanteur seulement au moment où l’avion parvenu au sommet de sa trajectoire courbe commence à plonger. Ce n’est pas là notre seul désaccord avec la série.

     

     

    23

     

     

    Au-delà du facteur de charge nul « zéro g » ne manquera pas d’exister le facteur de charge négatif. Retournons l’avion sur tréteaux le ventre en l’air : l’effort sur les ailes tend cette fois à les replier vers le bas, si « bas » veut dire « le bas de l’avion ; vers ses roues ». C’est visiblement l’effort subi en vol sur le dos. Le vol rectiligne sur le dos se déroule sous facteur de charge de – 1 g.

     

    Le facteur de charge négatif est permanent dans une boucle inversée, celle où la tête du pilote est constamment à l’extérieur du virage. Le facteur de charge négatif est présent même au sommet de la boucle, là où l’avion paraît normalement tourné ventre vers le sol (tout comme le facteur de charge positif se manifeste dans une boucle normale même quand à son sommet le pilote est tête en bas).

     

    Si le facteur de charge négatif est suffisant le sang cette fois est centrifugé vers la tête avec le risque de voile rouge, obstruction de le vision par afflux sanguin aux yeux. Les « g » négatifs sont beaucoup plus désagréables et mal supportés que les « g » positifs.

    Sous facteur de charge négatif le pilote sens son séant vouloir se décoller du siège ; ses épaules tendent les bretelles du harnais ; ses jambes veulent se soulever ; des brides sont nécessaires pour que ses pieds ne quittent pas les pédales vers le haut.

    En vol paisible dominical par beau temps d’été, la turbulence peut sans préavis soumettre l’avion à de brusques chocs d’une fraction de seconde, au cours desquels il prend des « g » aussi bien négatifs que positifs.

     

     

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    L’avion supporte lui aussi les efforts que subit le pilote sous facteur de charge.

     

    La structure de l’avion en vol travaille à peu près comme suit : le fuselage pèse tandis que les ailes portent ; la portance est répartie d’une extrémité d’aile à l’autre, en sorte que la moyenne s’en trouve à mi-chemin du fuselage et du bout d’aile (si l’aile est aussi large en bout). Soulevons l’avion avec son plein et son chargement, pour en poser les deux ailes sur deux tréteaux placés à mi-distance du fuselage et de chaque bout d’aile. Les roues ne touchent plus terre. On voit qu’ainsi la charpente des ailes « force » là où elles se fixent au fuselage. On dit que la structure de la voilure supporte 1 g, l’effet du seul poids de l’avion ; ou bien qu’elle supporte un facteur de charge de 1.

     

    En ressource sous 6 g, la force qui cause l’accélération vers le haut (lire plus haut) est tout simplement un surcroît momentané de portance des ailes. Passer de 1 à 6 g exige que les ailes portent 6 fois la normale, ce qui n’est pas rien ; c’est comme si l’on multipliait par 6 le poids du fuselage de l’avion sur tréteaux. Les racines d’ailes ne sont pas loin de casser.

     

    Un avion de tourisme casse à 6 g, un avion de voltige à 9 g au moins, un chasseur au-dessus de 12. Un appareil de vol musculaire nécessairement allégé à l’extrême supporte à peine 2 g. Il s’agit là du facteur de charge extrêmeOn définit le facteur de charge limite comme celui au-dessus duquel le matériau de structure subit des déformations définitives quoique sans casser encore. L’avion est bon à réformer. Le facteur de charge limite est environ des deux tiers du facteur de charge extrême, variable selon le matériau de construction. On ne doit pas dépasser en vol le facteur de charge limite.

     

    En facteur de charge négatif, les efforts tendent cette fois à replier les ailes vers le bas. Un avion casse souvent en facteur de charge négatif à la moitié de ce qu’il supporte en facteur positif. On dira par exemple que le facteur de charge extrême de tel appareil vaut : « +6 g, - 3 g ».

     

    Le facteur de charge limite ou extrême dépend évidemment du chargement de l’avion ; il est défini pour sa charge maximum.

     

    Le lecteur soucieux de moins de simplicité dans l’exposé peut faire des recherches sur la notion de délestage au sujet des efforts de flexion de l’aile.

     

    Cas extrême : une aile volante qui n’aurait pas de poids de fuselage au centre, mais au chargement intégralement réparti en envergure, tient un facteur de charge illimité sans se briser en son centre : comment y définirait-on une flexion ?

     

     

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    On lit souvent que tel avion de chasse « restitue » très bien, ou restitue plutôt mal. Ceci fait directement suite à la question de la ressource au terme d’un piqué.

     

    Un appareil qu’on supposera sans moteur (pour simplifier la question) se met en piqué ; supposons que partant de 5000 mètres et 300 km/h, il plonge jusqu’à atteindre 500 km/h. Il fait alors une ressource et remonte en pente raide comme il était descendu.

     

    Rappelons qu’il est sans moteur. Il « restitue » parfaitement s’il remonte à 5000 mètres et les rejoint aux 300 km/h auxquels il est parti. On voit l’intérêt de « restituer » en combat : un piqué suivi d’une remontée devient une manœuvre gratuite en vitesse et énergie.

     

    Cette restitution parfaite est certes impossible puisqu’elle suppose l’absence de traînée pendant la manœuvre.

     

    « Je décide d’essayer un piqué. Doucement, je presse sur le manche – 500, 600, 650 km/h… La terre semble se ruer à ma rencontre de façon effrayante. Effaré par la vitesse, instinctivement je tire sur la profondeur, et soudain ma tête s’enfonce dans les épaules, une masse de plomb s’affaisse sur la colonne vertébrale et m’écrase sur le siège. Mes yeux se voilent.

    « Comme une bille d’acier tombant sur un bloc de marbre, Le Spitfire a rebondi sur l’air élastique et, droit comme un cierge, a fusé dans le ciel.

     

    En son style merveilleusement évocateur et concis, Clostermann vient de décrire parfaitement ressource, facteur de charge et restitution.

     

    La restitution parfaite est un idéal soumis en chemin à de fortes pertes d’énergie, dont la pire se place au moment de la ressource.

    On verra plus loin pourquoi le facteur de charge s’accompagne d’une augmentation de traînée proportionnelle à son carré : sous 5 g la traînée est multipliée par 25. Elle devient supérieure au poids de l’appareil. On imagine comment l’avion est durement freiné dans cette phase heureusement brève, et comment sa remontée est amputée d’autant.

     

    Un planeur de grande performance est la machine idéale pour « restituer ». Sa traînée minime ne freinera que peu la prise de vitesse en piqué, puis la remontée. La ressource elle-même ne créera qu’une traînée modique dans l’absolu, puisqu’on partait de presque rien. Un planeur peut dès lors offrir sans moteur une assez longue séance de voltige : ses manœuvres même énergiques ne consomment que peu d’énergie. Un planeur de 60 de finesse mis en piqué sous trois degrés, si l’on peut nommer cela piqué, passe vite de 100 à 200 km/h.

     

    Un bombardier biplan de 1918 qui ahane derrière ses moteurs ne restituera à peu près rien. A peine prendra-t-il un maigre surcroît de vitesse en piqué, tant traînent sa voilure, sa mâture, son train et son fuselage sans carénage. Le surcroît de traînée de la ressource mangera le peu d’énergie prise en piqué ; la remontée ne s’amorcera même pas. Le planeur était la bille de Clostermann tombant sur le marbre dans l’air ; le biplan poussif est une bille qui tomberait sur du marbre posé au fond d’un aquarium.

     

    Le pilote de simple tourisme sentira déjà nettement la différence de restitution entre un avion léger sans grande finesse comme le Morane-Saulnier Rallye (il a d’autres qualités) et une machine précisément fine comme un Robin en bois à train classique. Nous parlons de la finesse au sens aérodynamique, non pas au sens du styliste. Le Rallye atteint laborieusement une vitesse notable sous la condition d’un long piqué assez impressionnant ; puis il freine si bien en remontant, qu’il remonte peu. Le Sicile, un Robin de qualité, prend bientôt un net excédent de vitesse sans plonger beaucoup ; après quoi il remonte avec vivacité. Le monoplace semi-planeur RF-4 de René Fournier avec ses 17 de finesse prend en piqué à peine prononcé une vitesse bientôt supérieure à ce qu’on lui autorise ; d’une légère traction du doigt le pilote passe une boucle presque sans effort. L’intercepteur-fusée Messerschmitt Kometde formule aile volante frôlait 20 de finesse et restituait admirablement. La machine après son envol atteignait 10000 mètres et 900 km/h avec ses réservoirs déjà mis à sec. Ensuite, une succession d’attaques en piqué suivies de ressources et regains d’altitude moyennant peu de pertes, constituait sa seule possibilité de manœuvre un peu convaincante.

     

     

    26

     

     

    Un sujet dérivé du précédent sera celui de la montée en chandelle. Un avion qui file en palier à une certaine vitesse entame soudain une montée verticale. Quelle altitude gagnera-t-il avant d’avoir épuisé toute sa vitesse ? ou du moins une part ?

     

    Considérons le cas idéalisé d’un avion sans traînée ni moteur : la première ne freinera pas la chandelle, tandis que le second ne l’allongera pas.

    Le problème revient à un simple exercice de balistique, équivalant à demander jusqu’où monte un obus tiré par le canon à la verticale.

     

    Un corps lancé à la verticale à vitesse de 10 m/s (36 km/h) ne monte que de 5 mètres. Accroissant la vitesse, la hauteur gagnée augmente au carré de l’accroissement. Lancé dix fois plus vite à 100 m/s ou 360 km/h, il montera cent fois plus haut, soit 500 mètres.

     

    Par raison de symétrie, ces chiffres sont naturellement identiques à ceux des vitesses atteintes en chute libre dans le vide sur la même dénivellation.

     

    Le lecteur peut désormais calculer tous les exemples. Le précédent peut correspondre au gain possible en chandelle d’un chasseur à hélice de la SGM. Pour un chasseur à réaction volant à mach 2 en altitude, soit 600 m/s, le gain théorique de hauteur possible est 18 km. Ainsi obtient-on les records d’altitude en « zoom » qui dépassent les 30 km à partir d’une chandelle tirée depuis une douzaine de mille mètres.

     

    Bien noter que l’angle vertical ou non du piqué est sans effet sur le résultat ; seule compte la variation d’altitude.

     

    27

     

     

    Abordons au ras du sol le seuil d’une piste où nous désirons atterrir successivement avec un avion de tourisme et un planeur de performance. Nous franchirons ce seuil dans les deux cas avec une vitesse inhabituelle, 50 km/h en excès sur la meilleure vitesse d’approche. Dans les deux cas nous aurons préalablement mis la machine en palier à un mètre du sol. Comment se comporteront les deux appareils ?

     

    L’avion présente une traînée sensible. Il lui suffit pour se tirer d’affaire que la piste ne soit pas trop courte. Supposons que le pilote réduise soudainement les gaz en passant le seuil : il éprouvera un ralentissement voisin de 5 km/h par seconde s’il n’a sorti aucun volet de courbure, ou de l’ordre de 10 km/h s’il les a complètement déployés. Pour ne pas toucher terre à une vitesse propre à rebondir et redécoller, il faut demeurer le plus longtemps possible à un mètre du sol à ralentir sous l’effet de la traînée. Il va falloir cabrer très progressivement le nez pour que l’incidence augmentant conserve à l’avion la même portance tandis qu’il ralentit. C’est une manœuvre à finement doser pour ne descendre ni monter. En deux ou trois cents mètres volets abaissés, ou le double sinon, l’avion aura perdu son excédent de 50 km/h et touchera terre.

     

    Dire que la finesse d’un planeur est 50 est dire que sa traînée ne dépasse pas la cinquantième partie de son poids. Un si faible freinage ne lui fait même pas perdre un kilomètre à l’heure par seconde. Nous avons supposé les puissants aérofreins escamotés ; leur sortie confère au planeur à peu près la traînée d’un avion.

     

    Chiffrons la question en faisant arriver notre planeur à 150 km/h au lieu des 100 qui eussent été souhaitables.

    Le pilote ici n’éprouve absolument pas le besoin de cabrer progressivement pour lever le nez afin de refuser le sol. Le planeur file nez toujours à plat, en effaçant avec allégresse un kilomètre de piste. La proximité du sol donne au pilote une singulière impression de silencieuse puissance. Le rase-mottes sans moteur est un plaisir. Après quoi sur une légère traction au manche, l’appareil jaillit à dix ou vingt mètres de hauteur. Le pilote a certes perdu dans l’affaire un peu de vitesse, mais il a eu l’impression de rebondir souplement et très nerveusement sur… rien. Il peut repousser le manche ; l’engin revient au ras du sol en reprenant sa vitesse. L’amusement est grisant, mais finira mal.

     

    Il finira dans la nature après l’aérodrome, parce que l’excès de vitesse en entrée de piste empêchait l’atterrissage : il eut fallu beaucoup moins de vitesse ou beaucoup plus. Beaucoup moins : la chose est simple à comprendre ; il aurait fallu se présenter en début de piste 50 km/h moins vite. Quant à beaucoup plus…

     

    Le pilote du planeur peut se présenter carrément à 250 km/h au seuil de piste pour effectuer la classique manœuvre de victoire à l’issue d’un beau vol (1) : après avoir rasé la piste à grande vitesse de bout en bout, le planeur aura conservé assez de vélocité pour bondir ensuite à cent mètres et davantage, faire demi-tour et se poser enfin, sortant même les aérofreins pour en finir.

     

    (1) Du temps ancien que nous volions en planeur. Nous ignorons si notre époque moderne abrutie de prudences permet encore pareilles folies.

     

     

    28

     

    Ce chapitre un peu aride traite de l’effet de réaction en termes «mathématiques», mais ses conclusions sont fondamentales pour l’interprétation correcte de deux phénomènes :

    - la portance, qui est obtenue par réaction lorsque l’aile défléchit vers le bas l’air qu’elle traverse ;

    - la traction d’une hélice ou la poussée d’un réacteur, obtenue par refoulement d’air vers l’arrière.

     

    Qui s’étonne de voir analyser la portance de l’aile en termes de réaction, n’a qu’à songer à la pale de rotor d’hélicoptère en vol stationnaire. C’est une aile dont le déplacement engendre à l’évidence vers le bas un envoi d’air, qui d’évidence est la cause par réaction de la sustentation de l’appareil (1).

     

    Débutons par la définition fondamentale : la force de réaction est égale au produit du débit de masse refoulé multiplié par la vitesse de refoulement.

     

    Le débit est en kilos par seconde et la vitesse en mètres par seconde. Le résultat est une force de réaction exprimée en newtons. On la divise par 10 (ou plutôt 9,81) pour obtenir des kilos de poussée ou de portance.

     

    La formule s’applique à tout ce qui fonctionne à réaction : moteur d’avion, de navire, de fusée, tourniquet d’arrosage, recul d’arme automatique.

     

    Exemples :

     

    Un réacteur absorbe et éjecte par seconde 50 kg d’air et les éjecte à 500 m/s. Sa poussée vaut :

    50 x 500 = 25000 N ou 2500 kgp

    (on a négligé l’ajout de la petite quantité de carburant)

     

    Une hélice de gros avion refoule par seconde 833 kg d’air (680 mètres cube) à la vitesse de 30 m/s. Elle donne pour traction :

    833 x 30 = 25000 N ou 2500 kg

    (son diamètre est de l’ordre de 5 mètres)

     

    Une aile défléchit par seconde 1000 kg d’air en lui communiquant une composante verticale de vitesse valant 3 m/s. Elle fournit une portance de :

    1000 x 3 = 3000 N ou 300 kg

    (il s’agit d’une vitesse moyenne, la masse d’air défléchie étant à cet égard largement inhomogène)

     

    Une donnée extrêmement importante à laquelle il sera fait plusieurs fois référence est la suivante :

     

    Il est toujours très avantageux d’obtenir une poussée ou une portance donnée en refoulant beaucoup de masse d’air à faible vitesse, et toujours très désavantageux d’obtenir le même résultat en refoulant peu de masse d’air à grande vitesse.

     

    Cela tient à ce que refouler un débit de masse en lui donnant de la vitesse exige de l’énergie : l’énergie cinétique que l’on injecte dans le débit d’air mis en mouvement.

    Cette énergie communiquée à l’air est évidemment indispensable à l’obtention soit d’une poussée, soit d’une portance. On doit tout faire pour minimiser cette énergie.

    Or l’énergie cinétique est donnée par la formule connue : 1/2.m.v² : elle croît comme la masse (m) refoulée, mais comme le carré de la vitesse de refoulement (v²).

     

    La conclusion est immédiate : il faut toujours refouler le plus d’air possible en lui donnant le moins de vitesse possible.

     

    Ce résultat est si important que plusieurs fois le texte l’utilisera en signalant simplement : «rappel au chapitre 28»

     

     

    (1) L’explication habituelle de la portance en termes de dépression d’intrados et de surpression d’intrados n’est pas en contradiction avec celle de la réaction. Ces variation de pression s’observent en même temps que la déflexion de l’air vers le bas par l’aile. Il s’agit de deux aspects d’un même phénomène.

     

     

    29

     

     

    Nous insisterons sur la notion detraînée induite plus qu’on aurait pu s’y attendre dans un ouvrage élémentaire. Cette notion nous semble essentielle pour la compréhension de l’architecture des machines, pour celle des performances aux faibles vitesses indiquées (plafond, rayon d’action), et pour celle enfin du comportement sous facteur de charge.

     

    La traînée d’un corps quelconque est due aux remous que celui-ci produit dans l’air, ainsi qu’au frottement de l’air sur l’ensemble de la surface du corps : ce sont respectivement la traînée de forme et la traînée de frottement. La traînée induite est une résistance complémentaire particulière aux ailes, c’est-à-dire aux corps qui donnent une portance.

     

    Le rotor d’hélicoptère en vol stationnaire rejette un flot d’air continu droit sous lui ; il faut peu d’intuition pour saisir comment il se sustente par simple effet de réaction.

     

    Or chacune de ses pales affecte l’allure d’une aile mince et longue qui, quoique en rond, avance bel et bien dans l’air comme une aile d’avion. On en déduit que l’aile d’avion pourrait bien se sustenter elle-même par un effet de réaction, c’est-à-dire en rejetant elle aussi de l’air sous elle. On a vu l’illustration de la chose à travers l’exemple de la cuiller dans un jet d’eau : l’arrondi de la cuiller dévie de plusieurs degré le flot de liquide.

     

    De l’air balayé par l’aile est ainsi repoussé vers le bas, ce qui ne va pas sans exiger une consommation d’énergie spéciale à cet effet. La sustentation est à ce prix ; la sustentation coûte ainsi nécessairement un complément de puissance en sus de ce qu’il faut pour vaincre la traînée ordinaire. Seule est gratuite la sustentation statique du ballon par le principe d’Archimède (1).

     

    S’il faut 100 chevaux à un avion pour vaincre sa traînée ordinaire à une certaine vitesse et 50 autres pour dévier vers le bas le flot d’air qui le sustente, il volera moyennant 150 chevaux. Ce supplément se traduit en pratique par l’observation que l’hélice tire plus fort : ce supplément de traction sert à vaincre la traînée induite, ce qui sous-entend « induite par l’apparition de la portance. »

     

    Une maquette en soufflerie peut être calée à zéro degré face au vent, en sorte de ne pas donner de portance. Les profils d’aile usuels cessent en fait de porter aux environs de 2 ou 3 degrés à piquer. La maquette sans portance n’a que sa traînée ordinaire, de forme et de frottement. Cabrons-la de quelques degrés à peine pour voir la balance qui la tient enregistrer une portance. La maquette ne paraît pas devoir traîner beaucoup plus, puisque son cabré très léger ne lui fait pas présenter au vent beaucoup plus de maître bau, de section frontale. Or cependant elle enregistre un important supplément de traînée dû à l’apparition de la traînée induite, qui n’existait pas sans portance.

     

    L’hélicoptère en vol stationnaire est l’aéronef qui réclame la plus forte puissance par unité de poids sustentée, hors les avions genre Harrier soutenus par un fluide en veine étroite. Il en réclame moins dès qu’il commence à avancer.

    Le ski nautique lancé à 100 km/h ne réclame presque pas de puissance pour être tiré sur l’eau ; il la rase en se sustentant sans effort sur un fluide apparemment solidifié. La traînée induite est énorme aux basses vitesses, minime (2) aux vitesses élevées. Voilà donc une traînée qui fonctionne à rebours des habitudes.

     

    Cela se justifie par la masse d’air que l’aile rejette vers le bas pour se sustenter. A grande vitesse l’aile brasse beaucoup d’air, et en brasse peu à faible vitesse. Pour obtenir dans les deux cas la même sustentation, il suffit à grande vitesse (de l’avion) de refouler vers le bas ce beaucoup d’air en ne lui communiquant que peu de vitesse (à l’air) ; tandis qu’il faut à faible vitesse (de l’avion) refouler le peu d’air en lui communiquant beaucoup de vitesse (à l’air). Rappel au chapitre 28

     

    C’est paradoxalement aux faibles vitesses de l’avion que l’énergie communiquée à l’air refoulé étant maximum, la traînée induite sera maximum. C’est inversement aux vitesses élevées de l’avion qu’elle sera minimum.

    Soit un avion de tourisme capable d’un assez grand écart de vitesse comme le Robin DR-250. Il est susceptible de voler en palier entre 90 et 280 km/h. Son aile d’allongement 5,4 étale une surface de 14 m² ; il pèse 900 kg.

    On calcule sa traînée induite à 90 km/h, là où est elle est à son maximum puisque la vitesse est à son minimum possible. Cette traînée induite vaut une force de résistance à l’avancement de 80 kg. On sait que la traînée induite diminue avec la vitesse : elle n’est plus que de 9 kg à 280 km/h.

     

    Il est absolument impossible de réduire la traînée induite par profilage ou qualité du poli des surfaces ; le seul moyen existant est d’augmenter l’allongement de l’aile. En particulier, la qualité du profil adopté pour l’aile, type 14-18 ou laminaire moderne, est sans effet sur la traînée induite.

     

    Un racer possède une aile courte, un planeur une aile très allongée, un avion de transport une voilure d’allongement intermédiaire.

    Le Short Skyvan est d’aile bien rectangulaire. Envergure : 19,50 mètres ; corde : 1,78 mètre. Son allongement vaut 19,50/1,78 = 10,96. Il n’y a pas d’unité.

     

    A quoi sert l’allongement ?

     

    L’air dévié vers le bas par l’aile qui se sustente ne se résume pas à celui qui frôle la voilure. L’air à plusieurs mètres au-dessus comme au-dessous est encore dévié, quoique de façon progressivement moindre. On représente assez valablement la zone d’air dévié comme un long tunnel cylindrique dont l’axe est le fuselage de l’avion en mouvement, et dont la section est un disque dont l’aile d’un bout à l’autre représente le diamètre.

     

    Il est alors évident qu’au même poids et à la même vitesse, un avion de 20 mètres d’envergure brassera et déviera vers le bas 4 fois plus d’air que s’il n’avait que 10 mètres d’envergure. On retrouve ici la différence entre brasser beaucoup d’air en lui communiquant peu de surcroît de vitesse et d’énergie, ou bien, brasser peu d’air auquel on injecte au contraire beaucoup de vitesse et d’énergie. La première méthode est très largement payante. Rappel au chapitre 28.

     

    L’allongement élevé est souvent le principal moyen d’obtenir une finesse élevée.

    Son effet bien entendu est considérable là où la traînée induite est forte : aux basses vitesse.

    Aux grandes vitesses, où la traînée induite est minime, son effet est quasi-nul.

    L’allongement élevé est ainsi d’un effet très favorable sur toutes les performances qui se mesurent à basse vitesse, mais d’un effet souvent négligeable sur les performances à haute vitesse. L’allongement élevé est donc payant en termes de vitesse ascensionnelle, distance franchissable, temps de patrouille, plafond, décollage à puissance réduite (terrain en altitude et par temps chaud).

     

    Il est au contraire presque sans effet sur la vitesse de pointe.

     

    Pourquoi tous les avions n’ont-ils pas un immense allongement ?

    L’aile très allongée rend le garage coûteux et la manutention malaisée. La résistance des matériaux contraint une aile allongée à peser très lourd : les planeurs modernes ne sont en rien des plumes. Le grand allongement est un sérieux problème d’ingénieur et un cauchemar de constructeur amateur. L’allongement est lourd. Cette formulation veut dire bien entendu : lourd à surface d’aile donnée.

     

    Un avion bien pensé n’a que l’allongement minimum suffisant à sa mission la plus fréquente. Le constructeur amateur désireux de simplement voler en monoplace derrière son moteur Volkswagen est satisfait pourvu qu’il vole, et ne se met guère en peine d’un allongement pesant et encombrant ; son domicile ne recèle pas nécessairement la place pour construire allongé. Le pilote d’avion léger rapide n’a pas grand besoin d’un allongement sans intérêt à haute vitesse.

     

    Il est vrai qu’il changera d’avis lorsque son moteur tombera en panne en vol. De l’allongement lui aurait donné plus de finesse, donc plus de choix dans son terrain d’atterrissage de fortune. De même les virages plus ou moins désespérés qu’il effectuera dans cette manœuvre lui feront-ils perdre à chacun d’eux beaucoup d’altitude supplémentaire si l’allongement est médiocre. On verra plus loin pourquoi.

     

    L’allongement type d’un avion de plaisance va de 5 à 8. Un chasseur à hélice de 3000 chevaux pour 6 tonnes n’a que faire en montée des 5% de vitesse ascensionnelle supplémentaire que lui donnerait un allongement élevé. Il a sensiblement l’allongement de l’avion de tourisme.

     

    Le transporteur cherche l’économie. L’allongement l’intéresse, comme tout moyen de gagner de la finesse et du pétrole en réduisant la traînée à charge commerciale égale. Cependant l’allongement est lourd, et vient un moment où son accroissement devient contre-productif. Le meilleur compromis commercial se place autour de 10 à 12 d’allongement.

     

    Un simple coup d’œil sur l’allongement d’un avion donne une première idée de ce qu’on attend de cet appareil.

     

    Si vraiment l’on veut un avion de record de distance, on lui donnera un très grand allongement afin de réduire sa traînée au minimum ; mais il faudra pour ne pas trop grever le poids, consentir sur la solidité de l’aile un sacrifice rendant l’appareil inutilisable de façon courante.

     

    Si l’on désire véritablement un avion de record d’altitude ou bien une machine de vol musculaire (il s’agit du même problème : tenir l’air avec la plus faible puissance possible), on fera encore un très grand allongement au mépris de la robustesse de structure.

     

    Le choix de l’allongement relève ainsi d’un compromis entre le gain qu’il procure en traînée, et le poids qu’il ajoute.

     

    Sur avion de tourisme le seul fait de pouvoir tout simplement voler l’emporte fréquemment sur l’exigence véritable de performances et de rentabilité. Il en résulte qu’on oublie souvent dans cette catégorie de se soucier de l’allongement. Plus d’un avion léger même industriel doit son allongement trop faible et sa valeur médiocre à la paresse conceptuelle.

     

    Prix obligé de la portance, la traînée induite est du même ordre que la traînée ordinaire aux vitesses peu supérieures à la vitesse de décrochage (Vs). Il suffit en revanche de voler à deux fois Vs pour que la traînée induite devienne modique, tandis que la traînée ordinaire progresse notablement. La traînée induite devient presque insignifiante à trois fois Vs.

     

    Croisons à 800 km/h dans un chasseur à réaction dépourvu d’aérofreins. L’avion s’approche de la piste d’atterrissage. Il peut falloir réduire les gaz 8 à 10 km avant la piste afin de perdre assez de vitesse pour descendre aux quelques 300 km/h où la sortie du train et des volets devient praticable. Or une telle façon d’agir est souvent inacceptable : la chasse ennemie guette.

     

    Plutôt que faire ainsi, basculons notre chasseur à 800 km/h presque sur la tranche pour entamer un virage de 360° les ailes à peu près verticales. L’avion se trouve dans un cas voisin de celui (déjà étudié) de la ressource sous facteur de charge, si ce n’est qu’il semble faire ici une « ressource » dans le plan horizontal. Serrons ce virage assez pour que le pilote et sa machine y encaissent par centrifugation un facteur de charge de 5g.

     

    Nous avons dit plus haut que sous 5 g la traînée est multipliée par 25 ; cela ne concerne en fait que la traînée induite. La traînée ordinaire n’a pas de motif particulier à s’avérer sensible à ce paraît « peser » l’avion sous 5 g, car elle dépend simplement de sa forme qui n’a pas varié. La traînée induite en revanche augmente vertigineusement, parce que la même aile doit donner 5 fois plus de portance. Pour dévier en ce but assez d’air, on doit faire monter la puissance requise au carré de la portance à produire.

     

    Une traînée colossale va freiner le chasseur en un clin d’œil. Il sortira de son tour complet en y ayant laissé des centaines de km/h. Il pourra donc effectuer cette manœuvre tout près de la piste et non pas au loin. Essayer au simulateur.

     

    Remarque importante : « faible vitesse » ou « grande vitesse » s’entendent dans cet ouvrage par comparaison avec la vitesse de décrochage ; 350 km/h est une très grande vitesse pour un avion de tourisme et une très faible pour un chasseur à réaction. 800 km/h à basse altitude pour un appareil du gabarit de l’avion de ligne à réaction est une forte vitesse ; 800 km/h est une faible vitesse pour le même avion à 12 000 mètres en air rare et peu porteur.

     

     

    (1) Gratuite en apparence. Gonfler le ballon suppose refouler la pression atmosphérique sur la volume rempli de gaz. Au niveau de la mer, gonfler un ballon de 500 mètres cubes consomme un travail de 14 kWh. Soit ce travail avait été déjà produit pour charger des bouteilles de gaz, soit il est à déduire de la chaleur produite par la réaction chimique qui a produit le gaz. On trouvera une justification analogue pour tout autre cas.

     

    (2) Le plus souvent. Avoir érigé cela en postulat universel a conduit même des ingénieurs à se fourvoyer.

     

     

    30

     

     

    Nous ferons un chapitre encore avec l’allongement et la traînée induite, tant ces notions nous semblent fondamentales en aviation. Le chapitre précédent décrivait qualitativement le phénomène ; celui-ci donne les moyens de le chiffrer.

     

    Le lecteur pourra très bien passer ce chapitre assez pesant, mais il y reviendra s’il juge plus loin que des éléments concernant la traînée induite lui font défaut.

     

    Nous savons estimer la traînée minimum en vol, sachant qu’elle est égale au poids de la machine divisée par sa finesse maximum. Ce chiffre ne vaut évidemment qu’à la vitesse de finesse maximum.

     

    Cette traînée minimum contient la part de la traînée induite, c’est-à-dire de la traînée réductible par l’allongement, seule voie de réduction qui reste lorsqu’on a soigneusement caréné l’avion.

    Apprenons à la chiffrer.

     

    Nous prendrons simplement un exemple moyen, un avion-type. Nous donnerons ensuite des formules simples pour extrapoler à d’autres machines.

     

    Soit un avion d’une tonne doté d’une aile d’allongement 5 et de surface 15 m² ; sa charge alaire vaut 67 kg/m².

    D’un de nos chapitres précédents, nous déterminons sa vitesse de décrochage : 27 m/s ou 97 km/h.

    Sa traînée induite à cette vitesse sera de 98 kg. Pour la contrer, un avion à réaction consacrerait 98 kg de sa poussée ; un avion à hélice (de rendement 80%) y consommera 44 de ses chevaux. Cette fraction de la puissance nécessaire au vol spécifiquement affectée à contrer la traînée induite est communément appelée puissance induite.

     

    I) A toute vitesse plus élevée, la traînée induite du même appareil diminuera comme le carré de cette vitesse. A deux fois la vitesse de décrochage, la traînée induite sera divisée par 4 et tombera à 24,5 kg.

    A ces vitesses plus élevées, la puissance réclamée par un avion à hélice pour contrer la traînée induite diminuera en proportion simple de la vitesse : à deux fois la vitesse de décrochage, la puissance induite ne sera plus que 22 chevaux.

     

    II) Changeons la masse de l’avion ; doublons la en doublant aussi sa surface alaire pour conserver la même charge alaire, ainsi que le même allongement de 5. Soient ainsi 2 tonnes et 30 m² ; la charge alaire restera 67 kg/m² ; les chiffres de traînée induite et de puissance induite ont évidemment doublé : 49 kg et 44 chevaux.

     

    III) Conservons la masse de l’avion à 1000 kg, mais doublons par exemple sa charge alaire en divisant par deux la surface des ailes (à allongement inchangé) : 7,5 m² et 133 kg/m². La traînée induite à la vitesse de décrochage (qui est passée à 38 m/s) est inchangée : 98 kg. La puissance induite initiale est donc multipliée dans la proportion de l’accroissement de la vitesse de décrochage, c’est-à-dire par la racine carrée de l’accroissement de la charge alaire.

    La charge alaire est doublée ; la puissance induite à la vitesse de décrochage est multipliée par 1,41 : elle passe de 44 à 62 chevaux.

     

    IV) Conservons la masse de 1000 kg de l’avion ainsi que sa surface de 15 m² et sa charge alaire de 67 kg/m², mais doublons l’allongement de l’aile qui passe à 10.

    La traînée induite est divisée par deux quelles que soient les autres données précédemment calculées. Il en va de même pour la puissance induite : 49 kg et 21 chevaux.

    Rappelons que nous raisonnons toujours sur la traînée induite à la vitesse de décrochage, la plus forte de tout le domaine de vol.

     

    Application générale : quelle est la traînée induite d’un avion d’allongement 7, pesant 4 tonnes, ayant 26 m² d’aile et volant à 350 km/h ? La démarche sera la suivante :

    - Sa charge alaire est 154 kg/m² ;

    - Sa vitesse de décrochage sans volets est donc (vérifiez) 41 m/s, ou 148 km/h ;

    - Il vole à 350 km/h, soit 2,36 fois la vitesse de décrochage.

    - Appliquons I) : partant de l’avion-type qui était celui du cas de départ (1000 kg, 98 kg de traînée induite à sa vitesse de décrochage, charge alaire 67 kg/m², allongement 5), et considérant que la vitesse est maintenant 2,36 fois celle de décrochage, l’étape présente est que la traînée induite passe de 98 kg à 98/2,36² = 18 kg.

    La puissance induite passe à : 44/2,36 = 19 ch

    - Appliquons II) : l’avion actuel pèse 4 tonnes et non pas une ; la traînée induite à cette étape passe à :

    18 x 4 = 72 kg, si la surface alaire était elle aussi quadruplée comme le poids, afin de conserver la même charge alaire.

    La puissance induite passe à : 19 x 4 = 76 ch

    - Appliquons III) : la charge alaire de l’avion actuel n’est pas 67 mais 154 kg/m², ce qui fait 2,3 fois plus.

    La traînée induite est inchangée : 72 kg.

    La racine carrée de 2,3 est 1,52. A cette étape la puissance induite passe à : 76 x 1,52 = 115 ch

    - Appliquons IV) : l’allongement passe de 5 à 7. La traînée induite en est diminuée du facteur 7/5, ou 1,4. Elle devient pour finir : 72/1,4 = 51 kg.

    La puissance induite passe à : 115/1,4 = 82 ch

     

    Nous vous laissons mener les calculs de puissance induite. Vous en savez assez désormais pour déterminer quelles économies on fait en passant par exemple d’un avion courant comme le DC-3 à un appareil équivalent mais d’allongement spectaculaire comme un bimoteur Hurel-Dubois.

     

     

    31

     

     

    Deux monoplaces légers de sport furent ou sont très appréciés des pilotes de loisir : le Bébé Jodel et le Fournier RF-4. Ils sont propulsés par le même moteur de 40 chevaux Volkswagen ou dérivé. Le premier est un appareil d’allure bien classique ; le second est à moitié planeur avec ses ailes très allongées ; il est capable d’un peu de vol à voile moteur coupé. Le Bébé sans moteur plane avec une finesse de 8 ou 9, banale pour un avion ; le second atteint une finesse de 17. Leur aile emploie pratiquement le même profil. La roue centrale unique du Fournier est escamotable pour diminuer la traînée ; mais l’essentiel de la différence est ailleurs.

     

    Le Jodel possède une aile d’allongement 5, le Fournier d’allongement 11. Les envergures respectives sont 7 et 11 mètres.

    Les vitesses de décrochage sont similaires, l’aile allongée (donc lourde) du Fournier étant un peu plus surfacée. Par ailleurs un allongement élevé porte un peu mieux à surface égale.

     

    Le Fournier pleins gaz dépasse un peu 180 km/h ; le Jodel fait de même si son constructeur amateur s’est donné la peine de lui monter une belle verrière galbée, de caréner ses roues et de recouvrir son moteur d’un capot finement étudié. Les deux machines sont assez comparables à l’allongement près ; l’allongement a peu d’effets bénéfiques en vol rapide ; le même moteur emmène logiquement les deux appareils à la même vitesse de pointe.

     

    On a vu que l’allongement est presque sans effet aux grandes vitesses. La différence d’allongement a donc très peu d’influence sur la croisière rapide, généralement établie à 90% de la vitesse de pointe sur beaucoup d’avions. Les deux machines d’allongement très différents font ainsi jeu égal en croisière rapide sur les plans de la puissance requise et de la consommation d’essence. La distance franchissable en croisière rapide avec le même réservoir de 30 ou 35 litres sera la même, voisine de 550 km en 3 heures.

     

    Tout change aux basses vitesses où l’allongement élevé du Fournier va produire des effet bénéfiques que l’on n’obtiendra pas du Jodel.

    Admettons que les deux machines présentent leur finesse maximum à 90 m/h, et réduisent à fond leur moteur. 90 km/h font 25 m/s. Le Fournier de finesse 17 présentera un taux de chute de : 25/17 = 1,5 m/s. Le Jodel de finesse 8 donnera : 28/8 = 3,1 m/s (1).

     

    Le Jodel trouvera peu d’ascendances assez fortes pour s’y amuser au vol à voile ; le Fournier en rencontrera presque partout par une belle journée.

     

    Si le Fournier ne chute sans moteur qu’à 1,5 m/s au lieu de 3, il lui suffit de moitié moins de puissance qu’au Jodel pour tenir l’air au minimum de chevaux.  Avec le même réservoir de 30 à 35 litres il tiendra l’air 7 ou 8 heures au lieu de 4 pour le Jodel, s’il reste à la faible vitesse de 90 km/h où son grand allongement est bénéfique. Le Jodel ne peut réduire autant son moteur. Si le pilote du Fournier résiste à l’ennui, le même volume d’essence le portera deux fois plus loin que le Jodel à condition de croiser à la faible vitesse de finesse maximum.

     

    Une finesse maximum deux fois plus élevée double la distance franchissable si l’avion vole, lentement, à la vitesse de finesse maximum. La consommation d’énergie par unité de distance est deux fois plus faible puisque la traînée l’est elle-même.

     

    Une finesse maximum plus élevée, fruit d’un allongement plus grand qui réduit la traînée induite aux basses vitesses, s’évanouit en revanche aux vitesses élevées où la traînée induite diminue d’elle-même au point de rendre fort secondaire l’allongement.

     

    Il reste à évoquer la vitesse ascensionnelle comparée des deux machines. Le grand allongement divisant par deux le taux de chute sans moteur, divise par deux le nombre minimum de chevaux requis pour tenir le vol en palier. On pense donc qu’il reste davantage de chevaux disponibles pour grimper plus sec : hélas ! Le poids de l’allongement élevé mange le bénéfice ; les deux avions montent à 3 m/s.

    Le bénéfice n’est en général pas mangé entièrement ; mais le Fournier est intrinsèquement lourd non seulement pour son allongement élevé, mais aussi pour sa structure calculée pour les efforts de la voltige.

     

    Parlons encore du plafond des deux avions, même s’il est vrai que les vols de loisir ne s’approchent à peu près jamais du plafond.

     

    Le Fournier tient l’air au minimum avec moitié de chevaux en moins que le Jodel ; l’un ou l’autre avion perd autant de chevaux en prenant la même altitude ; il est certain qu’il reste des chevaux disponibles au Fournier lorsque le Jodel à son plafond n’en a plus. Le Fournier continue à grimper, jusque vers 6 000 mètres lorsque le Jodel abandonnera la partie autour de 4 500.

     

    Nous avons ainsi fait le tour de tous les motifs qui selon la mission attendue de l’avion justifient pour l’ingénieur le choix de son allongement, ou plus exactement du meilleur compromis entre allongement et cahier des charges du client.

     

    (1) Puisqu’il s’agit de deux avions réels, précisons que ces deux chiffres de taux de chute sont légèrement pessimistes. Ils ont pour nous l’avantage de la simplicité dans la démonstration.

     

     

    32

     

     

    Ce chapitre concerne les seuls avions à hélice dépourvus de compresseur. C’est la plupart des machines de plaisance.

     

    On fait une agréable remarque : la plafond pratique d’un avion de tourisme sans compresseur est égal à 1000 fois sa vitesse ascensionnelle au niveau de la mer. C’est ainsi qu’un avion de vitesse ascensionnelle initiale 3,5 m/s plafonne très près de 3 500 mètres.

     

    On soupçonne donc avec raison que tous les avions de tourisme atteignent leur plafond dans le même temps, quels que soient leur vitesse ascensionnelle initiale et leur plafond. Ce temps vaut trois quarts d’heure, ou 2700 secondes. Nous disons 2700 et non 1000, parce qu’en grimpant la vitesse ascensionnelle diminue et tend progressivement vers 0,5 m/s au plafond pratique.

     

    Ce hasard du chiffre 1000 tient à plusieurs paramètres, le plus souvent les mêmes dans cette classe d’appareils :

    - Un rapport poids/puissance moyen, voisin de 5 à 6 kg par cheval.

    - Une charge alaire moyenne de l’ordre de 60 à 70 kg par mètre carré de voilure.

    - Un allongement courant proche de 5 à 6.

     

    Examinons l’effet de notables écarts à cette règle empirique :

     

    Ecart en rapport poids/puissance :

    Un monoplace de course (racer) dispose d’un rapport de motorisation élevé de l’ordre d’un cheval pour 3 kilos seulement. Il est ainsi capable de grimper à basse altitude à 10 m/s. Autant de puissance au niveau de la mer fait qu’il en reste en altitude au racer plus qu’à un autre avion. Son plafond en sera plus élevé, toutes choses égales par ailleurs ; mais on n’atteindra certainement pas 1000 fois la vitesse ascensionnelle. Un racer de 100 chevaux chargé très léger atteint 6000 mètres et non 10000. Il serait hors de question qu’il y trouve encore sans compresseur la puissance même minimum pour tenir l’air.

     

    Ecart en charge alaire :

    Une charge alaire beaucoup plus faible comme celle des ULM permet de tenir dans un air plus ténu, même si la puissance restante a beaucoup baissé. Un ULM ancien chargé à 20 kg/m² et ne montant au niveau de la mer qu’à 3 m/s, peut plafonner à plus de 4000 mètres.

     

    Ecart en allongement :

    Un grand allongement donnant une grande finesse réduit fortement la puissance minimum nécessaire à tenir le vol ; l’avion peut voler très haut en dépit d’une forte baisse de sa puissance en haute altitude. Le Fournier RF4 ne monte qu’à 3 m/s au niveau de la mer, mais plafonne à 6000 mètres. Il les atteindra évidemment en un temps de beaucoup supérieur à 45 minutes.

     

     

    33

     

     

    On entend par effet de sol une interaction entre l’aile et le plancher des vaches, lorsque l’avion vole au ras de la piste. Elle se traduit par une réduction de la vitesse minimum allant jusqu’à dix pour cent, et par une baisse de la puissance minimum exigée pour tenir l’air.

     

    Dès que l’aile se trouve à une hauteur qui est une fraction notable de son envergure, l’effet de sol s’efface après avoir diminué d’abord. Certaines sources parlent même d’une hauteur inférieure à la corde de la voilure, et il est vrai qu’une aile haute ressent nettement moins l’effet de sol qu’une aile basse.

     

    Un certain matelas d’air très légèrement surpressé se crée par forcement de l’écoulement sous l’aile très proche du sol ; il accroît la portance. Pour ce qui est du gain de puissance minimum, des considérations aérodynamiques savantes font équivaloir le bénéfice de l’effet de sol à celui d’un allongement accru. Une meilleure portance abaissant la vitesse minimum réduit aussi la puissance minimum nécessaire, puisque la puissance est le produit de la traînée par la vitesse.

     

    Les engins russes géants de la famille des Ekranoplan exploitent l’effet de sol à condition d’évoluer sur une eau peu agitée. Ces machines affectent l’allure de gros hydravions à la voilure rabougrie, inapte au vol en altitude hors de l’effet de sol. Il est alors possible de transporter du fret « aérien » pour moins cher qu’en avion et beaucoup plus vite qu’en bateau.

    Ces machines qui décrochent et choient si quelque maladresse les conduit trop haut, n’ont pas connu de développement considérable en dépit d’appareils probatoires spectaculaires.

     

    Ce n’est pas la vitesse d’une aile qui crée un matelas d’air surpressé sous un véhicule ordinaire à effet de sol (un aéroglisseur), mais le mouvement des pales des rotors internes refoulant continuellement de l’air sous l’appareil. Il n’est plus ici question de l’effet de l’allongement sur une machine aptère, mais de l’effet des dimensions.

     

    Un engin de très grande surface présente un périmètre plus faible relativement qu’un engin de petite surface. Un carré de 100 m² a 40 mètres de périmètre (0,4 m/m²) ; un carré de 1 m² possède un périmètre de 4 mètres (4 m/m²). Or l’air refoulé sous la machine par ses moteurs fuit par le périmètre, et la quantité d’air en fuite est à remplacer par les moteurs ; le périmètre rapporté à la surface détermine alors la puissance exigée pour se soulever. Pour chacun de ses mètres carrés le grand véhicule de notre exemple perd dix fois moins d’air que le petit. Il se contente d’une puissance comparativement bien moindre.

     

    Le véhicule à effet de sol n’est pas dangereux, les moyens lui faisant défaut pour gagner brutalement de manière accidentelle une hauteur où l’effet de sol va lui manquer. Rien ne lui permet une prise de hauteur à la façon d’un avion ou d’un Ekranoplan.

     

    L’effet de sol s’avère le mauvais génie des envols tangents. On voit par temps chaud sur un terrain en altitude un avion bien chargé s’arracher laborieusement de terre, puis demeurer en effet de sol au ras du paysage. Avec assez de chevaux encore pour voler en effet de sol, il n’en a pas assez pour s’en affranchir. Incapable de grimper, il se vautre dans le premier obstacle venu.

     

    Il en va tout autrement pour l’hélicoptère pour qui l’effet de sol est au contraire précieux. Voici des éléments tirés de la fiche technique du petit Hiller 360 de 200 chevaux remontant à 1947.

     

    Il présente à sa masse maximum de 1130 kg un plafond de 2 850 mètres en vol horizontal ordinaire, ainsi qu’un plafond de 500 mètres seulement en vol stationnaire : il faut beaucoup plus de puissance pour voler en sur-place que pour avancer. On libère donc beaucoup de chevaux en quittant le stationnaire ; on grimpe alors beaucoup plus haut.

     

    On objectera qu’avec un si maigre plafond stationnaire, il est peu pratique d’employer une machine incapable de s’envoler d’un très banal terrain à 600 mètres.

    Ici intervient l’effet de sol. Puisque l’effet de sol sensible jusqu’à quelques mètres réduit d’environ 20% la puissance nécessaire à tenir le vol stationnaire, décoller de plus de 500 mètres est possible. Certes, on ne montera pas à plus de quelques mètres. Cependant, prenant de la vitesse tout près du sol, on réduit la puissance minimum requise et l’on peut commencer à grimper : il faut à l’hélicoptère moins de puissance en translation à vitesse modérée qu’en stationnaire. On grimpera obligatoirement ensuite en vol de translation.

    Il reste possible au Hiller 360 de décoller en effet de sol jusqu’à 1 200 mètres. Ces chiffres s’entendent à pleine charge.

     

    L’hélicoptère dispose de trois plafonds : plafond pratique en translation de 2 850 mètres, plafond stationnaire hors effet de sol de 500 mètres, plafond stationnaire en effet de sol de 1 200 mètres.

     

     

    34

     

     

    Nous n’avons volé encore qu’en ligne droite ou en évoluant dans le seul plan vertical. Nous allons maintenant virer. Nous avons étudié plus haut le phénomène de facteur de charge en ressource, où il se manifeste de façon brève. Il va se produire au contraire aussi longuement qu’on voudra dans le virage.

    En dépit de l’analogie marine, le gouvernail de direction n’a que peu de rôle dans le virage. Commandée par les ailerons, l’inclinaison des ailes fait presque tout ; il en va comme en bicyclette où il est aisé de voir qu’une fois la machine installée sur sa courbe, la roue directrice (gouvernail) ne fait à peu près aucun angle avec le cadre.

     

    On peut représenter la portance de l’aile par une flèche, un vecteur dirigé verticalement à l’aplomb de la voilure. L’avion une fois incliné, la flèche verticale s’incline elle-même vers l’intérieur du virage. Elle s’incline bien entendu du même angle que l’avion lui-même : elle demeure toujours perpendiculaire au plan des ailes.

     

    Cette inclinaison du vecteur permet de le décomposer graphiquement en une composante verticale et une composante horizontale.

    La composante horizontale tire l’avion vers l’intérieur du virage : elle est la force centripète qui maintient l’appareil en trajectoire courbe.

     

    La composante verticale soutient l’avion… mais n’est évidemment plus suffisante pour ce rôle puisqu’elle est nécessairement une flèche plus courte que la portance devenue inclinée (dessinez).

     

    Elle redevient suffisante si l’on accroît la portance en conséquence, si on allonge le vecteur. La nouvelle portance, toujours inclinée, en devient pour le coup plus grande que le poids qu’elle égalait en vol rectiligne ; les ailes subissent donc une tendance plus forte à fléchir. Le pilote quant à lui se sent plus lourd. C’est un facteur de charge, positif. « g » devient supérieur à 1. Le poids apparent de l’avion et du pilote augmentent. L’entrée en virage réclame ainsi qu’on accroisse la portance.

     

    Accroître la portance peut se faire en accroissant la vitesse, mais très souvent on accroîtra plutôt l’incidence en ne changeant guère la vitesse. Outre qu’il s’est placé en inclinaison en poussant le manche de côté, le pilote aura dû le tirer plus ou moins à lui et cabrer quelque peu sa machine inclinée : l’incidence en est accrue.

     

    Supposons le virage si serré que les ailes soient presque à la verticale comme en combat tournoyant. La portance toujours perpendiculaire au plan des ailes est devenue presque horizontale. Puisque sa composante verticale n’est plus alors qu’une fraction faible de la portance (dessinez) tandis qu’elle doit continuer à égaler le poids constant de l’avion, il faut que le vecteur de la portance devienne une flèche d’une longueur étonnante : les ailes subissent un effort énorme. Le pilote est écrasé sur son siège.

     

    La vitesse de décrochage est évidemment accrue en virage puisque le virage implique une portance plus élevée.

     

    Le rayon du virage est d’autant plus réduit que la facteur de charge est violent : chercher en combat à se placer dans la queue de l’adversaire mène donc tout droit à virer aussi incliné et serré que possible. La limite est souvent celle du poids apparent (« nombre de g ») que supportent les pilotes.

     

    Le facteur de charge vaut 1 tout rond lorsque l’avion vole droit sans aucune inclinaison. Voici un résumé des facteurs de charge en fonction de l’inclinaison du virage :

    Pour une inclinaison de 10°, très faible et donnant un virage fort large, le facteur de charge  est égal à 1,015. La portance des ailes et le poids apparent du pilote croissent dans ce facteur, c’est-à-dire croissent d’un insensible 1,5%.

     

    Inclinaison de 20° ; facteur de charge n de : 1,06

    30° 1,15

     

    Pour le confort des passagers on ne dépasse pas cette inclinaison en vol commercial ; par sécurité on ne la dépasse pas non plus en vol sans visibilité. Accroissons encore l’inclinaison :

     

    40° 1,31

    50° 1,56

    60° 2

     

    Le pilote du dimanche est déjà assez mal à l’aise à 60°.

     

    70° 2,92

    75° 3,86

    80° 5,76

    85° 11,47

     

    Peu d’avions donc et moins encore de pilotes sont capables de supporter un virage stabilisé sous 85° d’inclinaison ! A noter que pareil virage ne sert à rien : une fois les ailes presque verticales, le rayon de virage ne diminue plus même si le facteur de charge devient colossal, car il y a compensation entre des éléments antagonistes.

     

     

    35

     

     

    Que l’avion prenne des g en virage serré ou bien en ressource énergique à la façon d’un Stuka en sortie de piqué, il multiplie par autant de fois que de g la portance que ses ailes doivent donner.

     

    Il en résulte qu’il décrochera à vitesse indiquée plus élevée. Le décrochage statique est le décrochage ordinaire, lorsque l’avion vole en palier sans manœuvrer ; le décrochage dynamique est celui qui se produit sous un certain nombre de g. Il se produit par exemple à vitesse double du décrochage statique, si le facteur de charge vaut 4 et que les ailes ont ainsi 4 fois plus à porter.

     

    Un avion dont le décrochage statique se produit à 100 km/h présentera une vitesse de décrochage dynamique de :

    - 200 km/h sous 4 g (2 x 2)

    - 300 km/h sous 9 g (3 x 3)

     

    Il en résulte qu’un avion en piqué peut décrocher si le pilote au ras du sol tire comme un sourd afin de redresser au dernier moment.

    Considérons l’avion précédent dont le décrochage statique se produit à 100 km/h. Supposons qu’il pique à 300 km/h et soit déjà si bas que sa ressource n’évitera le sol qu’à condition de la serrer sous l’effort énorme de 10 g.

    L’aile est incapable de les donner puisque dépasser 9 g à sa vitesse actuelle lui est impossible. Ou bien le pilote ne tirera pas assez le manche pour dépasser 9 g, et il percutera. Ou bien il tirera plus fort et fera un décrochage dynamique tout près du sol. Il percutera seulement avec une assiette différente !

    Il est facile en voltige de pratiquer un décrochage dynamique, point de départ volontaire de diverses figures dites déclenchées.

     

    Le décrochage dynamique peut même se produire lorsqu’il est très peu attendu. Un avion léger vole assez bas à vitesse de croisière valant environ deux fois sa vitesse de décrochage. Il décrocherait en dynamique sous 4 g. Le pilote désirant remonter ne tire pas en douceur son manche, mais d’un geste très sec. L’avion cabre et atteint son incidence de décrochage quasi-instantanément sans avoir le temps de changer de trajectoire, de l’incurver vers le haut. Il en résulte que le pilote se sent presque en vol normal et se retrouve en régime décroché sans avoir ou éprouvé, ou pris conscience d’un trop bref commencement de g. L’avion devenu simple projectile balistique poursuit sa ligne droite par un arc de parabole qui le jette sur les obstacles. Le pilote a le réflexe « anti-naturel » de pousser alors le manche. L’avion décabre, « raccroche » sitôt repassé sous l’incidence de décrochage, se retrouve à une incidence néanmoins supérieure encore à celle nécessaire à la vitesse où il vole ; il subit alors un certain facteur de charge, une certaine surportance qui repousse avec énergie l’appareil vers les hauteurs où le pilote se sent propulsé avec force.

     

     

    36

     

     

    Le virage serré engendre une traînée induite énorme qui impose à l’avion de disposer d’une puissance supplémentaire non moins énorme pour ne pas s’enfoncer sans remède.

     

    « prendre » 5 g par exemple impose à l’aile de produire une portance quintuple de la normale. Elle doit refouler vers le bas une quantité d’air spectaculairement plus élevée, ce qui impose de communiquer à cet air une quantité d’énergie non moins spectaculaire : d’où apparition d’une énorme traînée induite. Cette énergie sera prise à trois sources possibles :

     

    (1) Le moteur, s’il est largement surpuissant : l’avion met pleins gaz.

    (2) La vitesse de l’avion, réservoir d’énergie. La traînée induite énorme le freinera en quelques secondes ; voir l’exemple déjà cité du freinage du chasseur à réaction. Ce réservoir-là est bientôt vide.

    (3) L’altitude de l’avion. Chaque tranche de 75 kg d’avion qui perd 1 mètre d’altitude par seconde fait fournir une puissance de 1 cheval au champ de gravitation terrestre. On descendra assez vite.

     

    Le pilote d’avion de tourisme doit mettre un peu plus de gaz en virage s’il ne veut pas perdre de la vitesse ou de la hauteur. Le facteur de charge modeste de 1,15 qu’on mesure en virage incliné de 30° ne requiert pour supplément de puissance que 1,15 x (racine de 1,15), soit 23 % de chevaux en plus.

     

    Un combat tournoyant serré entre des avions virant inclinés presque sur la tranche les fera volontiers voler à la limite du voile noir.

     

    Un des chasseurs à hélice les plus surpuissants est le F8F Bearcat de Grumman, léger et gréé d’un moteur de 2100 chevaux. Ne pas oublier de prononcer Bèrcat (de bear, « bèr », l’ours) et non pas – chose courante - Bircat, comme si ce chat se saoulait de bière. Il lui faut au minimum 250 chevaux pour juste tenir l’air en palier sans virage. Or il en possède 7 fois plus.

     

    Virant sous 2 g et 60° d’inclinaison, il lui faut 250 x 2 x (racine de 2) = 707 chevaux.

    Sous 3 g et 70° : 250 x 3 x (racine de 3) = 1299 ch.

    Sous 4 g et 75° : 250 x 4 x (racine de 4) = 2000 ch. Ce dernier chiffre est pratiquement le maximum. Il ne reste plus de marge.

    Le Bearcat peut donc soutenir un virage sous 4 g toute la journée sans perdre d’altitude. Veut-il virer longuement sous 6 g (et 80°) ? Le moteur n’y suffit plus. L’avion doit utiliser en plus l’une des deux dernières sources d’énergie précitées :

    - Source (2) : le pilote peut aussi entamer son virage serré en basculant tout à coup son avion sur la tranche depuis une vitesse élevée. Le ralentissement sera énergique.

    - Source (3) : pour soutenir un virage sous 6 g continus, il faudrait 3674 ch ; c’est 1574 de plus que ne donne le moteur. L’avion peut les trouver en perdant continuellement de la hauteur, beaucoup de hauteur. Il pèse en moyenne 3800 kg, soit 50 tranches de 75 kg. Descendre de 1 m/s lui fournit donc l’équivalent de 50 chevaux. Il « suffit » ainsi de dégringoler de 31 mètres par seconde pour trouver 1574 chevaux (50 x 31).

     

    Il doit être possible en serrant son virage sous 6 g de passer dans la queue de celui qui ne serre qu’à 4 g ; mais si le poursuivi maintient son altitude tandis que le poursuivant s’enfonce de 31 mètres par seconde… on voit que virer plus sec ne signifie pas obligatoirement se placer en position de tir dans la queue.

     

    Bien entendu le virage très serré se tient si possible à vitesse où le besoin de puissance est le moindre, à notre fameux 1,2 vitesse de décrochage. C’est très lent… mais pas tant que cela, puisque sous 4 g par exemple la vitesse de décrochage et toutes les autres vitesses caractéristiques sont multipliées par deux.

     

     

    37

     

     

    Il n’est plus possible à une certaine altitude de poursuivre un combat tournoyant un peu serré.

    L’air quatre fois moins dense à 12000 mètres double toutes les vitesses caractéristiques. Supposons qu’un chasseur à hélice donné ne puisse dépasser sans perte de contrôle mach 0,75 ou 797 km/h. S’il décroche au niveau de la mer à 170 km/h sans volets, il décroche à vitesse double à 12000 mètres : 340 km/h. On voit qu’il ne lui est pas possible même à 797 km/h de voler en virage serré tout en supportant plus de : (797/170)² = 5,5 g. Il décroche au-delà, alors lorsqu’il pourrait supporter bien davantage de g à basse altitude en air dense.

     

    Il ne s’agit pas ici d’une limitation due à un manque de puissance ; l’avion ne pourrait voler sous plus de 5,5 g même en perdant de la hauteur. C’est une limitation purement aérodynamique.

    La puissance de toute manière lui ferait défaut.

     

    Un chasseur à réaction subsonique de plus forte charge alaire et forte vitesse de décrochage aura moins de marge de g encore en altitude, malgré qu’il puisse voler à mach un peu plus élevé.

     

    Les avions supersoniques n’ont guère l’occasion de profiter de leur vitesse élevée pour tirer de nombreux g en altitude. D’une part eux non plus n’auraient pas la poussée nécessaire à conserver à ce jeu leur altitude ; mais encore observe-t-on que les combats aériens se déroulent principalement en sub- ou transsonique seulement. Cela se justifie sans mal : le rayon de virage à mach 2 et 60° d’inclinaison vaut 20,5 km ; un tour complet 129 km ; ce tour dure 3 mn 40 au terme desquels la postcombustion a presque vidé les réservoirs. L’avion supersonique a ainsi peu de potentiel de manœuvre.

     

     

    38

     

     

    Disons quelques mots des effets moteur, que rencontre parfois le lecteur de récits de la Seconde Guerre mondiale : ils concernent principalement les chasseurs monomoteurs de forte puissance à train classique. Ils concernent aussi les bimoteurs en panne d’un côté. Certains effets sont éliminés ou réduits par l’appui ferme au sol de la roue avant sur train tricycle.

     

    Nous parlerons de trois sortes d’effets : les effets gyroscopiques, le couple de renversement, le souffle hélicoïdal. Ils sont souvent mal distingués les uns des autres. Nous en laisserons de côté un quatrième, dit facteur P.

     

    Clostermann expose les ennuis rencontrés lors de la course au décollage du néophyte sur Typhoon ; il ne parvient que malaisément à conserver l’appareil en ligne presque droite au sol durant son accélération. D’autres n’y ont pas réussi, qui ont percuté un hangar placé non loin de la piste.

     

    Ces effets sont d’ordre à la fois gyroscopique et aérodynamique. L’hélice en rotation est un important gyroscope ; qui a manié cet instrument sous la forme d’une toupie ou d’un jouet, en sait les réactions capricieuses à l’encontre de l’intuition.

    Les moteurs rotatifs de la guerre de 14 constituaient de par leur masse de plus puissants gyroscopes encore.

     

    Mettons à l’arrêt pleins gaz sur un moteur de plusieurs milliers de chevaux entraînant une hélice de trois mètres de diamètre et plus de cent kilos : c’est un gyroscope de taille. Admettons qu’on voie de la place du pilote cette hélice tourner en sens horaire. Au bout d’un certain roulage le pilote soulève la queue pour mettre l’appareil en ligne de vol. Ce faisant il a basculé le plan de l’hélice d’un angle d’une douzaine de degrés, celui de l’assiette de l’avion posé sur sa roulette arrière. Le basculement du gyroscope requiert une certaine force, car il « veut » rester comme il était. Sous la contrainte qu’on lui impose, le gyroscope réagit en infligeant une réaction au reste de l’avion. La connaissance du sens du basculement, du sens de rotation de l’hélice et de la théorie du gyroscope permet dans l’exemple choisi (rotation de sens horaire) de prédire la réaction : l’avion est « forcé » à entrer en virage au sol à droite. Cela ne dure que le bref instant du lever de la queue, mais l’avion est parti pour quitter la piste à droite si le pilote au palonnier n’a anticipé l’effet gênant.

    On le voit, le gyroscope a ceci de déroutant qu’il réagit dans un plan autre que celui où on l’a chatouillé.

     

    On aime parfois à dire plaisamment qu’un avion trop puissant se mettrait à tourner autour de son hélice. Disons plutôt qu’une hélice immense telle qu’un rotor d’hélicoptère a en effet le besoin visible du rotor anticouple de queue pour tenir droit le fuselage. Le même besoin se fait pourtant ressentir même sur un avion dont l’hélice n’a pas la même ampleur ; mais l’avion dispose d’une paire d’ailerons qui moyennant un très léger braquage, souvent imperceptible, fournissent un couple opposé à celui de l’hélice.

     

    Il peut arriver pourtant que le couple donné par les ailerons ne soit plus capable de contrer celui d’un moteur puissant, lorsque la vitesse devient si faible que même à plein braquage les ailerons n’agissent plus suffisamment. L’accident se produit lorsqu’un avion monomoteur puissant et/ou d’envergure limitée vole lentement en approche, et lorsque le pilote mal formé remet précipitamment tous les gaz pour interrompre cette approche. L’avion passe sur le dos à faible vitesse et faible hauteur ; l’affaire finit mal. L’accident peut concerner les chasseurs à hélice, les simples racers et des monoturbopropulseurs puissants. Le motoplaneur aux ailerons immensément éloignés d’une minuscule hélice ne risque évidemment rien.

     

    Enfin, le souffle de l’hélice n’est pas droit ; il est affecté d’un mouvement… en hélice, en tire-bouchon ; c’est le « souffle hélicoïdal ». Celui-ci ne produit donc pas sur la dérive et les autres surfaces verticales un écoulement d’air rectiligne et symétrique de part et d’autre de l’avion ; un côté de l’avion est poussé de côté comme une girouette prise en travers. C’est l’effet majeur, durable, capable d’exiger du pilote une puissante correction du pied au gouvernail. Elle doit durer tout le temps que la vitesse atteinte ne suffira pas à ce que le compensateur du gouvernail de direction, dispositif aérodynamique correcteur, se mette à soulager le pilote ; le compensateur agira utilement lorsqu’un badin suffisant l’alimentera suffisamment. Si le pilote réagit faiblement ou tardivement, l’avion parti au sol en embardée sortira de la piste avant d’être récupéré. Le compensateur de direction n’existe pas sur les monomoteurs de petite puissance.

     

    Puisque les effets moteurs de toute nature sont facilement contrés par les gouvernes dès que la vitesse est considérable et leur donne une grande efficacité, les problèmes qu’ils posent se manifestent aux basses vitesses où les gouvernes sont faibles. Ils s’effacent au-delà.

     

    On remarque sur maint avion un braquage de la dérive qui est de construction légèrement désaxée ; on voit souvent la même chose au sujet de l’alignement du moteur : vue bien en face, la casserole d’hélice paraît avoir reçu une grande gifle et pointer en travers. Ces dissymétries combattent les effets moteurs.

     

    Sur les avions à réaction les parties en rotation sont de beaucoup moindre diamètre ; ces appareils ne présentent que peu ces effets ; ils sont en cela souvent plus faciles à piloter. La même remarque est valable pour les doublets d’hélices contrarotatives qui annulent les effets normaux d’une hélice simple. De même les hélicoptères à deux rotors coaxiaux contrarotatifs n’ont-ils pas besoin de rotor anticouple en queue.

     

     

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    La notion de centrage se rencontre souvent ; elle est essentielle à la compréhension de la stabilité de l’avion. On supposera par simplification le cas d’un appareil doté d’une aile sans flèche et parfaitement rectangulaire. La corde est ainsi constante et unique.

     

    Il est manifeste que le dessin de l’avion à vide et la répartition de son chargement doivent être tels que le centre de gravité se trouve à l’aplomb de l’aile. Mais encore ? Près du bord d’attaque, du bord de fuite, juste au milieu ?...

     

    On ne dispose pas de toute la corde de l’aile pour « mettre » le centre de gravité ; on ne le met pas davantage au niveau du bord d’attaque (on dirait le centrage à 0% de la corde) qu’à celui du bord de fuite (centrage à 100% de la corde). On dispose d’une plage de centrage limitée allant par exemple de 20% à 35% de la corde. Ces deux valeurs seront respectivement la limite de centrage avant et la limite de centrage arrière.

     

    On atteindra la limite de centrage avant sur un avion quadriplace dont les places arrières sont vides, vide le coffre à bagage encore derrière elles, peu rempli le réservoir de fuselage placé sous la banquette arrière, et si encore les deux places avant sont occupées par deux obèses.

     

    On atteindra et même on dépassera facilement la limite de centrage arrière si coffre et réservoir précédent sont pleins, les places arrière occupées par deux poids lourds et les places avant par deux sujets fluets (On évite cette répartition dans toute la mesure du possible, en faisant monter les gens légers derrière).

     

    Sur une aile dont la corde vaut 2 mètres, le point « 20% de la corde » se situe : 2 x 0,20 = 0,40 mètres en arrière du bord d’attaque. Le point « 35% de la corde » est de même placé : 2 x 0,35 = 0,70 mètre en arrière du bord d’attaque.

     

    La plage de centrage vaut ici 30 centimètres : on dispose de cette latitude pour laisser selon le chargement varier le centre de gravité.

     

    On a deviné que les limites de centrage sont telles que le centre de gravité ne s’éloigne pas trop du centre de portance, ou centre de poussée, le point d’application moyen de la portance au long du profil de l’aile.

    Le centre de gravité est-il un peu en avant du centre de portance ? Il tend à entraîner l’avion à piquer ; il faut donc appuyer un peu sur la queue pour le maintenir en équilibre : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué, son bord de fuite relevé vers le haut. Le centre de gravité est-il un peu en arrière du centre de portance ? L’avion tend à cabrer ; il faut soutenir sa queue : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué bord de fuite vers le bas (1).

    L’empennage horizontal est dimensionné pour être capable de cabrer l’avion jusqu’à le faire décrocher, c’est-à-dire capable de ralentir l’avion de manière à lui permettre d’atterrir à la plus faible vitesse possible. Si pourtant le centrage est trop avant, il fait piquer l’avion plus que l’empennage ne peut compenser à très faible vitesse – il est aisé de concevoir que la puissance d’une gouverne augmente avec la vitesse ; l’avion sera forcé de voler plus vite, ne pouvant jamais descendre à sa vitesse de décrochage. L’atterrissage sera plus rapide et plus long, de même que le décollage. Si au contraire le centrage est beaucoup trop arrière, l’avion voudra cabrer de lui-même irrésistiblement. Le pilote pourra l’en empêcher en poussant le manche à fond… et finira par décoller à la condition d’atteindre une vitesse confortable, sous laquelle il ne pourra pas non plus descendre pour se poser.

    Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop avant qui veut s’engager en piqué, il n’aura en principe qu’à tirer le manche pour récupérer. Cependant ce piqué est stable : si net qu’il soit, il s’équilibrera à une certaine valeur qu’il ne dépassera plus.

    Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop arrière, il ne pourra plus rien faire puisque son avion engagé en cabré a ralenti et ainsi diminué encore la puissance de l’empennage. Contrairement au cas du paragraphe précédent, l’avion est instable. Cela finit en quelques secondes par un décrochage approximativement irrécupérable, l’avion ne faisant pas toujours d’abattée sur l’avant, mais pouvant dégringoler plutôt sur sa queue.

    Le centrage trop avant est gênant ; le centrage trop arrière est dangereux.

     

    L’emplacement sur la corde du centre de portance varie beaucoup avec le type de profil employé ; il est cependant souvent quelque part entre le quart et le tiers de la corde, entre 25 et 30%, valeurs autour desquelles s’étend la plage de centrage permise.

     

    La réalité est pourtant moins simple : le centre de portance d’un profil donné est loin d’être fixe en général. Il se déplace le plus souvent loin vers l’arrière en vol rapide, s’éloignant du centre de gravité. Il en résulte que la tendance que pouvait avoir l’avion à piquer (cas d’un centrage avant) s’accroît, fortement parfois ; l’empennage horizontal aura une plus grande force à exercer vers le bas pour rétablir l’équilibre. Il en sera d’autant grand et plus lourd. La force importante qu’il exerce vers le bas s’ajoute de façon parasite au poids de l’avion. D’autre part les déplacements notables du centre de portance exercent sur la structure de l’aile des torsions importantes, qui doivent être contrées par de pesants épaississements des revêtements.

     

    On voit l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’un profil dont le centre de portance ne se déplacerait guère quelle que soit la vitesse de vol. Ils ne sont pas nombreux ; le plus connu est le type NACA 23012 inventé vers 1930 et toujours d’emploi fréquent, surtout chez les dessinateurs d’avions légers : il leur épargne d’inutiles alourdissements de structure ; il épargne aux ingénieurs du dimanche (conception amateur) de pénibles angoisses de calculs.

    Il est possible sur la plupart des avions de charger d’une manière qui satisfait le manutentionnaire désireux de caser toutes les charges emportées, mais qui outrepasse les limites permises de la plage de centrage.

     

    (1) Contrairement à la légende, foule d’avions sont stables quoique leur centre de gravité soit quelque peu en arrière du centre de portance.

    Cette légende vient d’une confusion entre centre de portance de la voilure et foyer (ce qui n’est pas la même chose) de l’avion entier. Le centre de gravité doit être en avant du foyer de l’avion complet.

     

     

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    Un chapitre ne semble pas inutile sur le rôle de l’empennage, horizontal surtout. Admirons en premier lieu cette appellation poétique tirée du projectile de l’arc… On est à cent lieues des pragmatiques « tail surfaces » de l’anglais. Ces grandes surfaces que sont nos empennages, même de métal, sont donc étymologiquement des « plumes ». Il est vrai qu’elles tiennent à peu près le même rôle que sur une flèche.

     

    L’empennage vertical réclame peu de commentaires : c’est un gouvernail pareil à celui d’un bateau ; ou bien il réclame au contraire énormément de commentaires, tant son effet indirect sur la stabilité en roulis est subtile et savante. On se limitera ici à son effet le plus intuitif et le plus évident : girouette et gouvernail de direction.

     

    Le plan fixe vertical, ou dérive, ramène dans le lit du vent relatif un avion qui de lui-même voudrait braquer son fuselage en travers ou faire un tête à queue. Le tête à queue est toujours possible tant que n’existe pas en arrière du centre de gravité une surface latérale plus importante qu’en avant (extrême schématisation). La dérive est un ajout massif de surface latérale bien placée tout au bout du long bras de levier qu’est le fuselage. C’est une girouette stabilisatrice.

     

    Le gouvernail de direction est la surface mobile articulée derrière la dérive. Lui aussi sert de surface stabilisatrice girouette s’il est tenu fixe par les pieds bien calés du pilote ou par quelque autre dispositif de rappel au neutre un peu énergique. Nombre d’ULM (nous parlons de ceux qui ont la forme d’avions) se mettent à battre de façon pénible de gauche à droite et de droite à gauche indéfiniment lorsqu’on retire les pieds des pédales. Cela n’arrive pas en principe sur avion, dont le processus de certification aura contraint le constructeur à éliminer pareil travers. Les ULM ne s’écrasent cependant pas pour ce motif, ce qui ajoute à la longue liste des pseudo-motifs de sécurité pour lesquels depuis un siècle on met en ruineux carcan l’aviation autre qu’ULM. Nous admettrons que ce travers fort tolérable pour la simple promenade aérienne doit l’être beaucoup moins en pilotage sans visibilité, lequel n’est pas autorisé en ULM.

     

    Venons-en à l’empennage horizontal, objet majeur du chapitre. On a entrevu sa fonction au chapitre précédent.

    Il n’a en première approximation aucune fonction sustentatrice sur la formule de l’avion classique, ou formule Pénaud, ou formule Blériot, c’est-à-dire aile avant et empennage arrière.

    On verra plus loin qu’il en va tout autrement sur la formule canard, mais le plus clair des avions ressort de la formule Blériot.

    Hors le cas particulier des ailes volantes dont on parlera également plus loin, une aile seule et sans un empennage pour la stabiliser est incapable de rester en vol. Le chapitre précédent trouve ici son utilité.

     

    Exemple : un centrage avant peut mener à ce que le centre de gravité soit à 15% de la corde tandis que le centre de portance est à 35%. Vérifiez que si la corde de l’aile vaut 2 mètres, le centre de gravité se trouve 40 centimètres devant le centre de portance.

    Le centre de portance est le point d’appui de l’avion. Si le centre de gravité est plus en avant que lui, l’avion piquera irrévocablement s’il n’a pas un empennage pour le stabiliser. L’empennage procédera tout simplement en poussant la queue de l’avion vers le bas, mais modérément, parce qu’il est loin de l’aile et parce que son bras de levier est important. Il poussera la queue vers le bas parce que le pilote en tirant un peu le manche relèvera un peu le bord de fuite du gouvernail de profondeur, créant une légère déportance, comme un aileron de voiture de formule 1 qui plaque la voiture au sol.

     

    Cet équilibre est analogue à celui de la balance romaine : un pivot (centre de portance), un gros poids juste à côté (centre de gravité), un petit poids de mesure très éloigné de l’autre côté (déportance d’empennage).

    Très souvent dans un cas de centrage arrière même normal, le centre de gravité est derrière le centre de portance : le poids est derrière le pivot ; l’avion cabrerait sans remède si l’empennage cette fois braqué en sens inverse ne créait une petite portance tenant soulevée la queue.

     

    Un avion est stable si, manche lâché par le pilote, il demeure en vol convenable et rattrape de lui-même les petits écarts dus à des causes comme la turbulence.

     

    On démontre qu’un avion centré en avant du centre de portance reste stable si avant qu’on ait placé le centre de gravité. On démontre que si le centre de gravité est en arrière du centre de portance, l’avion ne reste stable que si le centre de gravité ne recule pas au-delà d’une distance modérée.

     

    (Nous sommes parfaitement conscient en écrivant cela que les légendes aériennes ayant la peau fort dure, le pilote moyen se fera dévorer par les lions plutôt que d’accepter qu’un avion puisse être stable avec un CG en arrière du CP).

     

    Notre propre aéronef dessiné par nos soins, équipé d’une aile rectangulaire à profil 23012 dont le centre de portance ne quitte pas la cote 25%, est centré dans tous les cas plus arrière que ce chiffre. Nous n’avons pas observé qu’il fût instable.

     

    Si le centrage enfin est vraiment trop arrière, le pilote poussera constamment le manche en avant pour soutenir la queue. Il pourra voir l’appareil lui échapper en cabré brutal avant de choir d’une manière ou d’une autre. L’avion est instable ; on a dépassé sa limite de centrage arrière. Nous parlons ici de sa limite physique ; le manuel de vol impose une limite de sûreté moins arrière. .

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    La suite à l'article :

    les sensations du pilote, seconde partie

    (passer dans la catégorie : "Ouvrage de mécanique du vol, seconde partie"

     


  • ENTRETIEN D'EMBAUCHE

      Certains emplois réclament de qui les tient une assurance imperturbable, une complète maîtrise de soi, une aisance improvisatrice que rien ne saurait prendre de court. Justement, on embauche. Le candidat est introduit devant non pas un, mais trois ou quatre examinateurs qui semblent occupés à leur courrier. On l'invite à s'asseoir : il n'y a pas de siège. On lui présente une table couverte d'objets divers ; il doit en choisir un et commencer à discourir à son sujet cinq minutes dûment chronométrées. Le candidat se saisit d'un clou.

    - Le clou, mesdames et messieurs, est un modeste accessoire de quincaillerie indispensable au charpentier, sinon à son fils. Je pense naturellement en disant cela à Notre Seigneur, Djizeusskuaïsst comme l'appellent sans vergogne les Anglo-Saxons. Il est à noter que les deux larrons crucifiés autour de lui n'étaient liés que par des cordes, ce qui suggère bien comment la Palestine en ce temps-là déjà exsangue et martyre souffrait de l'impérialisme romain, si jusqu'aux clous venaient à manquer ! Cela démontre néanmoins s'il en était encore besoin à quel point le clou est intimement mêlé à notre civilisation judéo-chrétienne, laquelle...

    - Revenez à votre sujet.

    - Je m'égarais. Les Romains au sujet des clous avaient constaté un fait singulier. Ils...

    - Nonnonnon. Parlez du clou que vous tenez ; pas des autres.

    - Excusez-moi. Je persiste à penser que vous eussiez apprécié l'anecdote historique que je voulais citer. J'allais dire avant votre pertinent rappel à l'ordre que les Latins avaient découvert un phénomène de corrosion électro-chimique toujours valable d'ailleurs. Des clous servaient à fixer sur leurs trirèmes les bordés de cuivre destinés à protéger le bois contre les flèches incendiaires. L'eau de mer faisait alors office d'électrolyte dans la constitution d'un couple voltaïque Fe/NaCl/Cu dont la f.é.m. - je n'ai plus son chiffre en mémoire - est suffisante pour entraîner le passage en solution des ions Cu++. Bref, les trous des clous s'élargissaient et les blindages se détachaient.

    - C'est en effet très intéressant. Veuillez en finir avec cette digression pour...

    - Oui ! Les Romains eurent alors l'idée de plonger les clous dans un bain de plomb fondu qui les recouvrait d'une mince pellicule protectrice. J'imagine assez l'irritation d'Archimède, tandis qu'il incendiait lesdits vaisseaux, de ne pas avoir imaginé cela le premier ! Depuis cette époque...

    - C'est bon...

    - N'est-ce pas ? J'en viens maintenant à la place de choix qu'occupe le clou dans notre littérature. Nous voyons dans le Rouge et le Noir Julien Sorel entrer au service de monsieur de Rênal qui est précisément propriétaire d'une fabrique de clous. Ce n'est certainement pas par hasard !  Qu'on en juge : le père de Julien dirige une scierie. Or, qui a jamais tenté de scier une pièce de bois recelant un clou, connaît le résultat pour l'outil : autant dire que Julien Sorel devait se casser les dents et que la tragédie finale était inscrite dans les prémisses ! Freud n'a donc vraiment rien inventé que le clou n'ait su de longue date.  Parlons à présent de la composition du clou. Il ne peut être en acier, car il se briserait au choc du marteau et serait inapte à prendre les formes repliées qui assurent la bonne tenue des assemblages du marchand de caisses d'emballage. Le clou est donc en fer doux pratiquement décarburé. Toute la difficulté à enfoncer correctement le clou tient à ce qu'il plie volontiers, puisque son fort élancement le rend justiciable de la formule de Rankine, voire d'Euler pour les clous les plus longs. On note au passage que pincer la tige à mi-longueur entre les doigts réduit d'un facteur quatre la sensibilité au pliage accidentel : véritables messieurs Jourdain du clou, nos pères dépourvus de bases scientifiques n'en faisaient ainsi pas moins dès l'antiquité des mathématiques appliquées sans s'en douter. Considérons en effet un marteau d'un kilogramme s'abattant à la vitesse de, disons, cinq mètres par seconde, sur un clou qui s'enfonce de trois millimètres. Il en résulte une contrainte difficile à évaluer sans calculette, mais que l'expérience prouve suffisante à plier notre clou. N'avez-vous pas à ce sujet vu sur la fête foraine saisonnière des boulevards entre Barbès et Blanche, le jeu consistant à enfoncer complètement un clou en trois coups seulement et sans le tordre ? Il faut reconnaître que la chose n'est pas facile et que les joueurs ne repartent pas toujours avec les poupées espagnoles. Et puis, comment conclure ce tour d'horizon du clou sans évoquer les innombrables locutions et dictons dont il fait l'objet ? Nous y viendrons après avoir rappelé l'étymologie du mot clou. Clou vient du latin clavus qui veut dire clou. Ai-je songé à définir les autres acceptions de "clou" ? Je crois que non. Le clou est le nom populaire du furoncle, qui dans ce cas se dit clavulus en latin. Sans m'étendre outre mesure sur le clou de girofle, rapporté d'Orient par les Croisés en même temps que le chat - mais oui, le chat - l'horloge et les abricots, je me propose d'évoquer brièvement le clou, appellation vulgaire du Mont-de-Piété, aujourd'hui Crédit Municipal, créé à l'instigation du roi Louis XVI en vue de pratiquer le prêt sur gages à taux très faible en faveur des plus défavorisés. J'en reviens aux expressions usuelles forgées autour du clou, après quoi je traiterai des passages cloutés : un clou chasse l'autre ; être le clou du spectacle ; des clous ! être le clou du cercueil de quelqu'un ; être cloué au lit ; un vieux clou ; être cloué sur place... C'est assez par là souligner l'importance dans la tradition...

    (l'enregistrement s'interrompt ici pour cause technique sans que nous puissions affimer que le candidat approche de la fin. La bande reprend un peu plus loin avec la voix d'un autre postulant dissertant sur un bouton de culotte). 

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  • PARABOLE ECOLO-ZOLEENNE

      Tirée par la Louison livrée à elle-même après que chauffeur et mécanicien ont roulé sur la voie, le train fou du progrès filait à toute vapeur vers la catastrophe. Les passagers à bord riaient et plaisantaient : jamais la vie n'avait été aussi belle ni surtout le train si rapide ! Tout allait véritablement pour le mieux.

      Un passager sur dix pourtant avait compris la situation : il fallait ralentir ou mourir, comme ça, foudroyé au sommet de la performance. Ces voyageurs conscients décidèrent par conséquent d'aller tirer le signal d'alarme et tourner le volant du frein de secours.

      C'est ce que voyant les autres passagers froncèrent le sourcil, ou même rirent tout de bon ! Ils ne voulurent en tout cas pas se laisser faire : "J'arriverais un peu plus tard que prévu" protesta l'un ; "Je manquerais un rendez-vous et beaucoup d'argent" se plaignit l'autre. "Jeder Misbrauch wird bestraft / Ogni abuso vera punito" ajouta un dernier.

       Effarés par cette attitude incroyablement puérile, les voyageurs conscients n'en crurent pas leurs oreilles ; ils insistèrent en prédisant ce qui devait mathématiquement arriver ; ils n'en devinrent que la risée générale. Comme ils ne désarmaient pas, on en vint même à leur opposer un dévoiement fallacieux de la démocratie : "Vous êtes loin d'être majoritaires ; allez vous rasseoir et foutez-nous la paix !

      En vérité en vérité je vous le dis : ceux-là avaient raison. Est-ce que la réalité est affaire d'opinion majoritaire ? La démocratie ! Devaient-ils à cause d'un jeu de mots sur le sens d'un vocable aux consonnances grecques, se jeter à l'abîme ?

      Puisqu'ils avaient raison ! 

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      Note : l'auteur ne dit pas qu'il dépeint ce qui est, mais ce qui devrait être depuis beau temps.

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  • YANKEENOCUBASI ! 

     échange de courriers réels

      Le lecteur ne sera pas sans s'aviser à la longue de la désuétude légère de nombre de mes textes, écrits pour beaucoup d'entre eux dans le courant des eightees. Voici le texte d'une lettre authentique adressée par mes soins à Radio la Havane-Cuba en 1986, ce qui n'est si ancien qu'il y paraît puisque son actualité d'alors n'a pas encore été remise en cause par un quelconque changement réactionnaire aux Caraïbes (vu en 2010).

     

    Melun, le 24 avril 1986.  Réponse à votre concours : " Pourquoi écoutez-vous Radio la Havane-Cuba ? " (cinq voyages à Cuba à gagner).

      Chers amis,

      Je suis heureux que vous lanciez le concours " Pourquoi écoutez-vous Radio la Havane-Cuba ? " qui me donne l'occasion de vous faire part de ma satisfaction à vous entendre. Malheureusement je suis un auditeur peu favorisé : ne disposant pas d'un matériel suffisamment sophistiqué, j'ai beaucoup de mal à capter au milieu des ondes courtes et à conserver longtemps votre fréquence à chaque fois. Je vous écoute tout comme j'écoute aussi Moscou, Prague ou Varsovie en français ou en anglais. Je suis actuellement chômeur et sans grand espoir de retrouver rapidement un emploi dans une société gouvernée par le seul intérêt de l'argent. Ecouter les voix des pays socialistes, c'est trouver des raisons d'espérer un avenir moins noir puisque les travailleurs sont déjà au pouvoir dans une grande partie du monde. Pourquoi pas un jour en France ?

      Mais j'ai plusieurs raisons de rechercher de préférence Radio la Havane-Cuba. la première tient à la situation géographique de Cuba. Tandis que les pays socialistes d'Europe forment un ensemble regroupé qui facilite leur défense militaire, Cuba est au contraire dangereusement exposé - comme on l'a vu lors de l'épisode héroïque de la baie des Cochons - aux tentatives revanchardes yankees. Pour cela, tout les démocrates vous doivent un soutien particulier. Ensuite, votre proximité de l'Amérique de Reagan vous place d'autant mieux pour connaître le langage absurde et hystérique de la propagande du Pentagone. Vos bulletins d'informations permettent facilement de faire la différence entre votre objectivité et celle des media capitalistes qui nous submergent !

      Radio la Havane-Cuba nous apporte un enseignement bien spécifique : alors que les pays d'Europe devenus socialistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient déjà partiellement industrialisés, Cuba constitue l'exemple le plus frappant d'un passage rapide et total entre le sous-développement imposé par Washington et le système d'économie socialiste moderne, sous la conduite du Lider Maximo.

      Enfin, je suis comme vous un latin. Le jour où je pourrai voyager dans un pays socialiste, je préférerai naturelllement Cuba. Je vous avoue ne pas parler votre langue, mais je la comprendrai tout de même mieux que celle de nos amis soviétiques, par exemple - langue que très peu d'écoles secondaires enseignent en France, comme par hasard !

      C'est-y del lardo o del puerco ? durent se demander les organisateurs du concours... Au bénéfice du doute probablement, ils se mirent tout de même en frais d'une réponse (les rares fautes sont respectées) :

      La Havane, le 16 juin 1986, année du 30ème anniversaire du débarquement de Granma,

      Cher ami,

      C'est avec un très grand plaisir que nous avons reçu votre lettre du 24 avril dernier porteuse de votre réponse au 23ème concours international de Radio Havane Cuba et que nous vous accueillons dans la grande famille internationale de notre station.

      Nous sommes toutefois désolés d'apprendre que vous étiez au chômage et nous espérons que vous avez déjà trouver du travail. Nous le souhaitons de même que nous le souhaitons à tous les auditeurs qui sont dans votre cas.

      Ci-joint nous vous adressons un petit diplôme attestant de votre participation au 23ème concours et dès que le jury aura choisi les meilleurs travaux nous vous communiquerons les noms des lauréats. Comment nous entendez-vous à présent sur nos nouvelles fréquences ? Quels sont vos programmes préférés ? Vos rapports d'écoute, critiques et sugestions sur nos émissions seraient d'une grande importance pour notre travail.

      Nous sommes d'ailleurs à votre entière disposition pour vous faire parvenir des journaux, des revues, des brochures, des cartes postales, des affiches, etc. Si vous êtes amateur de timbres, nous vous invitons à capter notre programme " le monde de la philatélie " et à participer à son concours hebdomadaire.

      Dans l'attente du plaisir d'avoir de vos nouvelles, nous vous prions d'agréer, cher ami, nos salutations les plus fraternelles,  

      X....... , Courrier des Lecteurs

      Cinq voyages à Cuba promis dans la seule émission en français ! Il n'existe certainement pas plus de quatre autres tordus dans l'Hexagone pour avoir répondu. J'attends donc les résultats avec confiance. Mais... passerai-je le temps sur les plages de sable blanc en compagnie de jolies camarades, ou bien serai-je promené de visite d'usines socialistes en congrès du parti ?

      La liste des gagnants m'est parvenue. Il s'agissait de cinq gagnants pour le monde entier. Je regrette d'avoir égaré la liste ; les cinq noms sont tous boliviens, péruviens, etc. Le monde entier est apparemment restreint à la sphère d'action du feu Che, le problème linguistique évoqué dans ma réponse est réglé, et les vainqueurs reviendront de voyage avec les meilleures intentions politiques en des pays intéressants. " comme par hasard ! " écrivais-je. 

    Note : on peut n'être pas à droite et n'avoir pourtant jamais mordu une seconde aux créances marxistes. Désolé pour tous les lecteurs devenus notaires et directeurs de journaux réactionnaires après avoir perdu leur foi communiste, mais qui ne supportent toujours pas pour autant qu'on ironise aujourd'hui sur leurs engagements de jeunesse ! 

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  •  L'AN DEUX MIL D'AUTREFOIS

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      Premier janvier 2000 : ce que nous vivons en ce jour merveilleux était prévu depuis longtemps ! La presse en 1960 dépeignait déjà notre bel avenir. Il suffit de se remémorer les certitudes d'alors, et d'extrapoler à peine :

      Ce matin donc en ouvrant mes volets, je verrai glisser en silence les automobiles sur leur coussin d'air, tandis que les gens moins aisés mais plus pressés passeront au-dessus des toits sur leur scooter-hélicoptère. Il fera nécessairement beau puisque la ville est climatisée sous sa bulle géante de plexiglass invisible. Les jeunes filles s'en félicitent les premières, elles qui ne craignent plus de voir rire les jeunes gens au dévoilé de leurs dentelles lorsque le vent soulève leurs jupes, ni d'avoir à courir à l'abri lorsque les premières gouttes menacent de ruiner leur permanente pour peu qu'elles aient oublié leur fanchon. Mais que diable, l'éternel féminin sera toujours l'éternel féminin. Je n'ai pas besoin de me presser, puisqu'une société livre tout fait mon petit déjeuner de café au lait en biberon imité des cosmonautes, et de pilules de confitures. D'autre part comme tout un chacun je ne travaille que deux heures par jour en attendant la retraite à cinquante ans. Mon fils hier est rentré puni de l'école ; il doit rédiger une copie de quatre pages sur la disparition de la consommation des boissons alcoolisées dans la société ; cela lui apprendra à faire en classe de mathématiques ses opérations frauduleusement sur un cerveau électronique miniature qui tient dans la main, et qu'il tentait maladroitement de cacher au professeur. Je vais jeter un coup d'oeil amusé par-dessus son épaule pour voir ce qu'il écrit, tout en m'offrant l'innocent plaisir de la première cigarette de la journée.

      Tout à la maison comme ailleurs est électrique, du poste à lampes - les mirobolants transistors venus d'Amérique n'ont eu que le succès de toutes les modes - depuis que les piles ne se changent que tous les trente ou cinquante ans. Elles ne contiennent plus de produits chimiques douteux pour la santé ; elles sont quasi-éternelles grâce à l'incorporation de ces précieux "déchets" des centrales atomiques qu'on se garde bien de laisser perdre. On doit en principe les rendre lorsqu'on les change, mais quel gosse ne les détourne pas pour aller voir ce qu'elles ont dans le ventre ? Le passage d'un nouveau modèle de ceinture-fusée cent mètres au-dessus de la rue m'intéresse, et à travers la fenêtre au verre invisible et insalissable, qui rend superflu qu'on puisse l'ouvrir, je dirige mes jumelles. Avouons que la plongée un peu indiscrète sur les jarretelles de sa pilotesse n'est pas pour gâter l'intérêt technique du nouvel appareil, mais que diable, les femmes seraient bien les premières navrées que les hommes ne soient plus les hommes. Je mets un peu laborieusement au point cette marchandise extrême-orientale qui sent un peu la pacotille, car si les Nippons copient à s'y méprendre les extérieurs des fabrications optiques de nos industries traditionnelles, Dieu merci autrement sérieuses et assises, force est de constater que leur côté technique là comme ailleurs n'est pas près de s'améliorer vraiment. S'ils ne se décident pas à mieux faire, leurs ventes piétineront. Les Japonais semblent si peu au fait des réalités modernes qu'ils cherchent à nous vendre des motocyclettes, lorsque la démocratisation de l'automobile a chez nous envoyé au musée les sympathiques mais ferraillants deux-roues de nos pères. Le Soleil Levant aimerait d'ailleurs produire directement en France même, pour mieux nous fourguer sa pacotille, mais nos élus ne sont pas assez naïfs pour le laisser faire main basse sur notre patrimoine. Il n'y a de toute façon plus de place nulle part ; nos propres usines qui se sont prodigieusement multipliées occupent tout l'espace disponible.

      Je m'aperçois qu'il est neuf heures précises, et je n'ai qu'à penser "informations" pour qu'un bourdonnement emplisse mes oreilles : le carillon d'Europe numéro Quinze y résonne un instant, précédant le speaker. Fini, le parisianisme à la Molière : comme elle en a pris l'habitude, l'assemblée nationale se déplace afin d'honorer tour à tour nos préfectures ; elle décrète aujourd'hui solennellement depuis Alger l'humanisation de la peine de mort. La guillotine boit littéralement son dernier verre de rhum. Ce supplice n'était pas que sanglant ; il faisait honte à notre époque par sa technique antédiluvienne. Avec l'aval du président de la république de Gaulle, le président de l'assemblée annonce avec émotion la fin de la barbarie. Le condamné sera désormais évaporé dans une chambre spéciale par un puissant générateur de rayons gamma, sans proprement s'apercevoir de rien.

      Tout n'est pourtant pas parfait dans l'évolution de la société, et les parents s'inquiètent à juste titre. La généralisation par exemple des lycées mixtes n'est certes remise en question par personne, mais il faut bien reconnaître qu'en découlent des effets discutables ; c'est ainsi que plus de quarante pour cent des garçons et près de vingt pour cent des filles n'arrivent plus vierges au mariage. Le speaker passant ensuite à l'international brosse un tour d'horizon de la situation entre les blocs. Il est permis d'espérer qu'une entente doive être bientôt conclue entre Moscou et Washington. L'intérêt commun commandant de s'allier face à la montée du péril chinois, les fusées des deux rivaux ne seront pas trop pour tenir en respect près d'un milliard d'hommes politisés à l'extrême, qui rejetent le moindre bienfait du monde moderne et le moindre confort comme un péché contre leur fanatisme puritain. Le Premier Soviétique a reconnu les limites du communisme en matière économique et ses fautes contre la démocratie et la liberté ; le président américain a convenu que le capitalisme sans la force de l'état ne suffit pas toujours à garantir justice et solidarité ; le différend idéologique est en si bonne voie d'aplanissement qu'on peut tabler sur sa disparition à moyen terme. Tout serait ainsi pour le mieux si le honteux spectacle de l'Inde nageant dans la misère de son analphabétisme sans issue, ne venait régulièrement tarauder la conscience des nations occidentales où tout le monde gagne chaque année en prospérité comme en avantages divers, ou chaque année se raréfient les clochards et les ouvriers au smig. Les plus optimistes prédisent d'ailleurs paradoxalement - non sans quelque irrévérence - la mise au chômage de l'abbé Pierre et de Clara Candiani, seules victimes du progrès !

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  • ENTRETIEN D'EMBAUCHE

      Certains emplois réclament de qui les tient une assurance imperturbable, une complète maîtrise de soi, une aisance improvisatrice que rien ne saurait prendre de court. Justement, on embauche. Le candidat est introduit devant non pas un, mais trois ou quatre examinateurs qui semblent occupés à leur courrier. On l'invite à s'asseoir : il n'y a pas de siège. On lui présente une table couverte d'objets divers ; il doit en choisir un et commencer à discourir à son sujet cinq minutes dûment chronométrées. Le candidat se saisit d'un clou.

    - Le clou, mesdames et messieurs, est un modeste accessoire de quincaillerie indispensable au charpentier, sinon à son fils. Je pense naturellement en disant cela à Notre Seigneur, Djizeusskuaïsst comme l'appellent sans vergogne les Anglo-Saxons. Il est à noter que les deux larrons crucifiés autour de lui n'étaient liés que par des cordes, ce qui suggère bien comment la Palestine en ce temps-là déjà exsangue et martyre souffrait de l'impérialisme romain, si jusqu'aux clous venaient à manquer ! Cela démontre néanmoins s'il en était encore besoin à quel point le clou est intimement mêlé à notre civilisation judéo-chrétienne, laquelle...

    - Revenez à votre sujet.

    - Je m'égarais. Les Romains au sujet des clous avaient constaté un fait singulier. Ils...

    - Nonnonnon. Parlez du clou que vous tenez ; pas des autres.

    - Excusez-moi. Je persiste à penser que vous eussiez apprécié l'anecdote historique que je voulais citer. J'allais dire avant votre pertinent rappel à l'ordre que les Latins avaient découvert un phénomène de corrosion électro-chimique toujours valable d'ailleurs. Des clous servaient à fixer sur leurs trirèmes les bordés de cuivre destinés à protéger le bois contre les flèches incendiaires. L'eau de mer faisait alors office d'électrolyte dans la constitution d'un couple voltaïque Fe/NaCl/Cu dont la f.é.m. - je n'ai plus son chiffre en mémoire - est suffisante pour entraîner le passage en solution des ions Cu++. Bref, les trous des clous s'élargissaient et les blindages se détachaient.

    - C'est en effet très intéressant. Veuillez en finir avec cette digression pour...

    - Oui ! Les Romains eurent alors l'idée de plonger les clous dans un bain de plomb fondu qui les recouvrait d'une mince pellicule protectrice. J'imagine assez l'irritation d'Archimède, tandis qu'il incendiait lesdits vaisseaux, de ne pas avoir imaginé cela le premier ! Depuis cette époque...

    - C'est bon...

    - N'est-ce pas ? J'en viens maintenant à la place de choix qu'occupe le clou dans notre littérature. Nous voyons dans le Rouge et le Noir Julien Sorel entrer au service de monsieur de Rênal qui est précisément propriétaire d'une fabrique de clous. Ce n'est certainement pas par hasard !  Qu'on en juge : le père de Julien dirige une scierie. Or, qui a jamais tenté de scier une pièce de bois recelant un clou, connaît le résultat pour l'outil : autant dire que Julien Sorel devait se casser les dents et que la tragédie finale était inscrite dans les prémisses ! Freud n'a donc vraiment rien inventé que le clou n'ait su de longue date.  Parlons à présent de la composition du clou. Il ne peut être en acier, car il se briserait au choc du marteau et serait inapte à prendre les formes repliées qui assurent la bonne tenue des assemblages du marchand de caisses d'emballage. Le clou est donc en fer doux pratiquement décarburé. Toute la difficulté à enfoncer correctement le clou tient à ce qu'il plie volontiers, puisque son fort élancement le rend justiciable de la formule de Rankine, voire d'Euler pour les clous les plus longs. On note au passage que pincer la tige à mi-longueur entre les doigts réduit d'un facteur quatre la sensibilité au pliage accidentel : véritables messieurs Jourdain du clou, nos pères dépourvus de bases scientifiques n'en faisaient ainsi pas moins dès l'antiquité des mathématiques appliquées sans s'en douter. Considérons en effet un marteau d'un kilogramme s'abattant à la vitesse de, disons, cinq mètres par seconde, sur un clou qui s'enfonce de trois millimètres. Il en résulte une contrainte difficile à évaluer sans calculette, mais que l'expérience prouve suffisante à plier notre clou. N'avez-vous pas à ce sujet vu sur la fête foraine saisonnière des boulevards entre Barbès et Blanche, le jeu consistant à enfoncer complètement un clou en trois coups seulement et sans le tordre ? Il faut reconnaître que la chose n'est pas facile et que les joueurs ne repartent pas toujours avec les poupées espagnoles. Et puis, comment conclure ce tour d'horizon du clou sans évoquer les innombrables locutions et dictons dont il fait l'objet ? Nous y viendrons après avoir rappelé l'étymologie du mot clou. Clou vient du latin clavus qui veut dire clou. Ai-je songé à définir les autres acceptions de "clou" ? Je crois que non. Le clou est le nom populaire du furoncle, qui dans ce cas se dit clavulus en latin. Sans m'étendre outre mesure sur le clou de girofle, rapporté d'Orient par les Croisés en même temps que le chat - mais oui, le chat - l'horloge et les abricots, je me propose d'évoquer brièvement le clou, appellation vulgaire du Mont-de-Piété, aujourd'hui Crédit Municipal, créé à l'instigation du roi Louis XVI en vue de pratiquer le prêt sur gages à taux très faible en faveur des plus défavorisés. J'en reviens aux expressions usuelles forgées autour du clou, après quoi je traiterai des passages cloutés : un clou chasse l'autre ; être le clou du spectacle ; des clous ! être le clou du cercueil de quelqu'un ; être cloué au lit ; un vieux clou ; être cloué sur place... C'est assez par là souligner l'importance dans la tradition...

    (l'enregistrement s'interrompt ici pour cause technique sans que nous puissions affimer que le candidat approche de la fin. La bande reprend un peu plus loin avec la voix d'un autre postulant dissertant sur un bouton de culotte). 

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  • INTERVIEW DU MINISTRE DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI

    fiction 

     .

      Un ministre du Travail et de l'Emploi est toujours choisi avec soin parmi la plus fine fleur polytechnicienne : c'est qu'il devra disputer chiffre à chiffre avec opposants et journalistes. Nous donnons un extrait du plus récent entretien du ministre avec l'un de ces derniers.

    JOURNALISTE.   Monsieur le ministre, le chômage a encore augmenté de 5% en janvier.

    MINISTRE.   Sans doute le nombre absolu des chômeurs reste-t-il trop élevé ; mais nous avons de bonnes raisons de croire à une embellie sur le front du travail au regard de la stabilisation du non-emploi.

    J.   Stabilisation ? Les chiffres en janvier viennent d'être connus ; ils montrent un brusque saut de 5% ! Il faut remonter à octobre 1973 pour...

    M.   Oui-oui-oui. Je suis le premier, je vous assure, à me préoccuper de l'inquiétude des Françaises et des Français sur la stagnation de la disponibilité professionnelle. Si la croissance ne permet pas encore de retrouver le plein emploi, c'est bien la vitesse d'accroissement de la vacance compétentielle des salariés qui autorise un optimisme raisonné. Les électrices et les électeurs l'ont d'ailleurs bien compris, qui ont sanctionné favorablement la politique économique du gouvernement aux législatives partielles du Tarn-et-Saône dimanche dernier. Les Françaises et les Français, les électrices et les électeurs voient clairement l'horizon s'éclaircir et nous le témoignent en tant qu'électrices et qu'électeurs.

    J.   Le candidat de l'opposition arrivé six voix derrière celui de la majorité s'est désisté la rage au coeur pour barrer la route au Front National arrivé largement en tête au premier tour !

    M.   C'est bien cela. les Françaises et les Français ne perdent pas de vue, croyez-moi, les résultats de notre politique de l'emploi. Les électrices et les électeurs nous ont ainsi adressé un message fort. D'ailleurs, les électeurs...

    J. (étonné et consterné)   Vous avez oublié les électrices !    

    M.   Je songe en effet à tout instant aux électrices en interruption involontaire de participation à la vie des entreprises. Le gouvernement est donc heureux de vous faire part de l'amélioration dont je vous parlais... 

    J.   Mais justement, monsieur le ministre, le chômage a crû de 0,6% en octobre, 1% en novembre, 2% en décembre et 5% en janvier. Même la vitesse d'accroissement du chômage a augmenté !

    M.   Permettez-moi cette fois de ne pas comprendre votre attitude.  Je vois combien il est malaisé de faire passer auprès des Françaises et des Français, des électriciennes et des électriciens, le message favorable, même modestement favorable, que nous adresse notre économie. Tout ce qui est technique n'est pas toujours facile à faire entendre, mais je crois que vous n'êtes pas assez averti des modèles mathématiques de modélisation des phénomènes d'intermittence salariale. Considérez l'accroissement du chô... ou plutôt, je préfère dire, de l'alternance assédico-salariale, comme ma fonction du temps notée f(t). Elle a augmenté de 5% en janvier après 2, 1 et 0,6% en remontant les mois antérieurs. Dérivée première de la valeur précédente, l'accélération de l'accroissement de... du... de... la... du chômage, si vous tenez absolument à ce terme sans doute imagé mais à mon avis trop porteur de connotations négatives, l'accélération de l'accroissement du chômage  f '(t) a augmenté aussi puisqu'elle est passée en janvier à 150% (de 2 à 5% de chômage en plus) au lieu de 100% seulement (de 1 à 2%) en décembre et 67% (de 0,6 à 1%) en novembre.

    J.   Vous voyez bien...

    M.   Attendez un peu ! Parlons à présent de la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage, dérivée seconde f ''(t). Si l'accélération de l'accroissement du chômage a été de 150% en janvier contre 100% en décembre et 67% en novembre, la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage n'est bien cette fois que de moitié, 50% en décembre (de 100 à 150) comme en novembre (de 67 à 100).  Voilà déjà un premier élément de stabilisation ! Si je considère maintenant f tierce de t, ou f '''(t), je découvre qu'entre décembre et janvier l'évolution de la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage est nulle, puisque la variation (je condense pour demeurer intelligible) n'a pas bougé d'un mois sur l'autre. Chômage en hausse, mais dérivée troisième nulle et sans doute bientôt négative ; ne voilà-t-il pas le plateau annoncé dès le début de notre entretien dans les courbes du chômage ? Ces considérations un peu techniques sont évidemment loin du sensationnalisme dont certains de vos confrères se gargarisent, mais vous me permettrez de m'inscrire en faux contre leurs façons sommaires de comptabiliser l'inemploi - zut, ça me reprend - en arrêtant l'analyse au niveau qui arrange le commentateur. C'est proprement faire Charlemagne pour quitter un peu facilement la jeu sur un coup gagnant !

    J.   Ainsi les clignotants sont-ils enfin au vert à la sortie du tunnel. Merci de ces quelques précisions, monsieur le ministre.

     

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      Il nous paraît utile de fournir quelques remarques sur les diverses propositions du patronat énoncées au fil des années en matière d'emploi. Bien avant tout dispositif gouvernemental, on avait dès il y a trente ans proposé dans le cadre des mesures anti-chômage la création des ENCA. En quoi pouvaient consister ces Emplois Nouveaux à Contraintes Allégées ? Il paraît probable que les petits salariés bénéficiaires de ces en-cas n'eussent plus été tenus d'avoir à respecter systématiquement les contraintes, désormais allégées, traditionnellement liées au travail mercenaire, comme par exemple d'arriver à l'heure. L'hebdomadaire professionnel l'Entrepôt Nouveau avait également reflété les propos d'un haut dirigeant patronal, pour qui il fallait partager de façon plus dynamique les revenus de l'entreprise entre salariés et direction. On s'interroge tout d'abord sur la signification de ce charabia, pour en venir à penser tout doucement que, en effet, le spectacle d'un morne comptable occupé à remplir d'ennuyeuses fiches de paie au fond d'un bureau poussiéreux n'offre en rien l'image de dynamisme indispensable à l'entreprise ; tandis qu'un jeune cadre précisément dynamique et plein d'allant, parcourant les ateliers en petites foulées pour lancer au personnel des liasses de billets (une passe ! eeeeh ! une passe ! vous laissez pas surprendre !) et finissant par jeter habilement sur le bureau directorial le solde éventuel, voilà qui symboliserait mieux le partage dynamique des revenus souhaité par l'Entrepôt Nouveau.

      Eh bien, ce n'était pas du tout cela. En lisant un peu plus loin, on comprenait que partager de façon dynamique les revenus de l'entreprise entre salariés et direction, c'était tout simplement partager les revenus de l'entreprise d'une façon qui permît à la direction d'être plus dynamique.

      Nous voudrions suggérer aussi quelques ménagements psychologiques appropriés à l'envoi d'une lettre recommandée signifiant la cessation d'un contrat de travail. Au lieu d'adresser de simples mots secs accompagnés d'une demi-ligne de justifications économiques dont le légalisme formel n'égare personne, faites plutôt livrer à votre salarié un bon lit. Il aura certes l'occasion d'y passer de longues matinées grasses, mais la question n'est pas tant là. Supposons que l'entreprise soit une cimenterie. Glissez sous l'oreiller un mot d'accompagnement dans le genre : " Cher ami, vous savez comment le ciment en poudre est douloureusement abrasif sur la peau nue, notamment entre des draps. J'ai donc veillé particulièrement à ce qu'on vous adresse votre lit sans ciment ".

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