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    FICTIONS SUR L'AERONAUTIQUE ET L'ESPACE

     

     

    Liste des récits

     

    Le parachute (éloge de la morale sociétale contemporaine)

    Une vie de frustration (les uns disent qu'on n'est jamais allé sur la lune ; les autres croient que les premiers furent ceux d'Apollo XI...)

    In memoriam : Robert S. McNamara (au bon temps du Viet-nam)

    Le Mosquito (inhabituelle évasion hors de la France occupée)

    Avionnette Pander G (court essai de loufoquerie intégrale)

    Vol de nuit (1943 : raid plus ou moins crédible sur Berlin)

    Essai d'art héraldique aéronautique (le titre dit tout)

    Un point d'histoire un peu romancé (de la sincérité dans l'application des traités de 1918 ; inspiré de faits réels)

    Pour trois litres ! (hommage aux militaires de tous pays)

    Histoire romancée quoique vécue (transposition à l'étranger d'une certaine philosophie du partage de l'espace aérien quelquefois rencontrée en France)

    Critique de livres (tout ce que la critique stipendiée oublie de dire...)

    Courrier à la rédaction du Fanatique de l'Aviation (pour ceux que les changements de présentation et d'esprit de leurs revues préférées désolent)

    Entre gens de bonne compagnie (justification de l'indispensabilité de la visite médicale)

    Place ! Place au marquis de Carabas ! (incident vécu en aéroclub)

    Miscellanées : courtes interventions sur un forum (brèves réflexions loufoques)

     

     

    *

      

     

    LE PARACHUTE

            

      Le DC-3 roulait lentement au gré des turbulences, se frayant bruyamment à deux mille mètres un chemin sur la Floride ensoleillée. Les habitués de ce genre d'appareil somnolaient, montrant ainsi qu'ils eussent également pu le faire dans un champ de marteaux-piqueurs. Les autres passagers se juraient de faire la prochaine fois les frais d'un billet sur une vraie compagnie. Les ondulations douces du bout de l'aile peint en rose saumon sur le fond des nuages témoignaient seules du mouvement de l'avion. Il fallait depuis cette altitude observer assez longuement le sol pour déceler à notre modeste allure le défilement du paysage. Le pirate avait alors jailli dans le poste de pilotage, tuant sans préavis le copilote pour prouver qu'il ne plaisantait pas. Il avait malheureusement perdu la tête et abattu juste après l'autre membre d'équipage, après quoi il s'était donné la mort pour ne pas voir la suite. Il n'avait pas révélé un traître mot de ses exigences.

       Cet assassinat était d'autant plus regrettable que le détournement avait bien commencé. Habitués par vingt années de faits semblables à la télévision, mentalement entraînés par les psychologues de service et l'enseignement médiatique du comportement à tenir en pareil cas, les vingt-cinq passagers résignés mais peu inquiets s'étaient au premier coup de feu calés dans leurs fauteuils pour attendre patiemment la suite des événements. Comme d'habitude, le pirate se ferait pincer au terme d'un périple à rallonge. Les femmes et les enfants retrouveraient la liberté les uns après les autres au fil des aéroports successifs. Nous referions de l'essence un peu partout, à Miami, à la Nouvelle Orléans, à la Havane peut-être. A l'heure des repas, le pirate exigerait des autorités aéroportuaires des plateaux-repas et des bouteilles d'eau - de jus de fruit pour les enfants, sous peine d'avoir le lendemain une presse détestable. D'habiles psychiatres experts en manipulations exigeraient que les assiettes soient retournées lavées, puisque c'est ainsi qu'on habitue tout doucement les détourneurs à obéir, sans qu'ils songent à se tordre de rire. La douceur du mois d'octobre nous aurait épargné le calvaire des longues attentes sur les tarmacs brûlés de soleil. Quel meilleur souvenir à conter demain ?

      l'inquiétude n'était donc pas totalement présente au fond des coeurs avant le second meurtre, quoiqu'il n'eût pas été décent de ne pas afficher une anxiété de bon aloi. C'est à croire que de tels événements sont dûment programmés pour donner aux citoyens d'intenses moments de vie, pour les détourner de la rébellion contre la société cocoonante. Hélas ! C'était bel et bien en l'air que les deux pilotes venaient de rendre l'âme. Vingt-six personnes encore vivantes à bord et pas la moindre compétence aéronautique, pas seulement un pilote du dimanche ! Le steward ne savait qu'une chose : le pilote automatique venait d'être enclenché peu avant la tragédie. L'atterrissage était prévu normalement une heure plus tard ; l'agonie menaçait d'être longue. Un passager un peu technicien avait tenté le déchiffrage des cadrans placés devant les trois cadavres, pour annoncer qu'il restait deux cents gallons d'essence dans les réservoirs ; mais nul n'aurait su dire en combien de temps les deux puissants moteurs boiraient deux cents gallons. 

      Or ces faits ne me concernaient pas personnellement. Par hasard, je rentrais d'un meeting de parachutisme auquel je m'étais produit à l'autre bout de l'état. Je revenais avec mon Para Commander dans mon sac de voyage. Le sortir, l'enfiler, ouvrir la porte d'un avion sans pressurisation comme celui-ci, sauter malgré la vitesse un peu forte, voilà ce que j'avais fait déjà trois cent douze fois en six années de loisir parachutiste. Ce saut ne serait pas différent des précédents : même éblouissement soudain du soleil des hauteurs dans l'embrasure de la porte, même goulée de ciel bleu dans les mêmes cabrioles sans contrôle au départ de la chute, même demi-minute d'enivrante plongée dans un air que l'écoulement des secondes en accélération rend demi-solide. Enfin, même claquement sonore de la voile ouverte après, pourquoi pas, un salto ou deux vers quinze cents mètres.

      Tout le problème était de savoir si les autres passagers consentiraient à me laisser quitter le bord sans tenter de s'emparer de la voilure salvatrice. C'est en de telles circonstances que le visage véritable des femmes et des hommes se démasque. Certains sauraient demeurer dignes, sans chercher à me prendre un parachute qui ne leur appartenait pas. Mais pour ceux-là, combien de rictus féroces et de vaines jalousies ? Venir à bout d'un exalté ou deux ne serait rien, sans doute. La lèpre humaine se disperse à grands coups de bottes, et je portais justement d'excellentes bottes de saut. Mais si vingt malheureux venaient à se jeter sur moi au risque de déséquilibrer l'appareil ?  

      Il ne me restait qu'à réfléchir aux moyens. Jugeant disposer d'encore au moins deux heures, je conservai la calme certitude de trouver. Je posai en attendant un regard de compassion sur mes vingt-cinq compagnons d'infortune, ces êtres pour moi déjà immatériels, aux âmes déjà presque visibles au travers de corps déjà diaphanes, déjà en cours d'évaporation. Si je ne pouvais certes rien pour eux, il me semblait au moins de mon devoir de songer le temps d'une émotion à leur destinée, de communier un instant à leur envolée prochaine vers le fruit de leurs actions. Il me fallait avant de quitter en sûreté l'avion, éprouver silencieusement avec eux un moment de partage moral sans lequel je craindrais de ne plus couler ensuite en monstre froid que des jours de brute. 

      Bien sûr, je pourrais rester. Et alors ? En quoi mon sacrifice très noble sauverait-il un être de plus ? Donner sa vie est très beau, mais strictement facultatif. Les gens sont toujours scandalisés par les situations de mal sans issue. Il faudrait pour complaire aux moralistes de salon que la nature fut intrinsèquement bonne et ne voulût que le bien, alors qu'elle gère avec indifférence des équilibres cyniques. Les belles âmes voudraient que la nature fût mystérieusement déterministe et ne voulût que le bien ; elles réfutent opiniâtrement l'origine aléatoire du mal. Qu'elles aillent au diable !

      Ce dernier mot me fit songer aux damnés dont le sort serait scellé d'ici deux à trois heures. Ce quinquagénaire cravaté et enflé, exploiteur manifeste ? Cette jeune femme trop belle, briseuse probable de ménages ? Ce (ici, une profession lucrative dont le syndicat nous menace de papier bleu si nous la citons) en voyage de noces avec une copine de sa fille ? Plus le pirate, naturellement. Lynché par les passagers, par exemple, il lui serait resté une chance de pardon céleste qu'il venait de compromettre irrémédiablement en disposant de sa vie. Je désignai à l'inverse pour le royaume des cieux les élus vraisemblables : cet homme au front haut, au regard si profondément empreint d'humanisme ; cette vieille équarrie par les ans ; cette enfant blonde et jolie pleurant dans les bras maternels, si blonde et si jolie que c'était peut-être bien sa chance, justement, que de partir sans attendre.

      Plus les pilotes, naturellement. Un pilote même mécréant est un enfant de Dieu qu'une foi inconsciente attire vers l'azur baigné de la présence de son Créateur. Chacun de ses envols est une prière, chacun de ses atterrissages un retour à cette vallée de larmes qu'il ne lui est pas encore donné de quitter. J'ai lu tout cela dans un best-seller qui tirait à trois millions l'an dernier.

     J'en revenais toujours malgré moi à la pauvre enfant dont les pleurs sans fin qui auraient pu m'agacer, me bouleversaient pourtant. Et un fol espoir soudain s'empara de moi ! J'avais trouvé! Je savais comment sortir de l'appareil au vu et su de tous ! J'endosserais le parachute ; j'ordonnerais qu'on cherchât des cordes, des sangles, tout ce qui permettrait de lier à moi la frêle passagère ! Je la sauverais ! Qui oserait réclamer sa place ? Sauver un seul enfant ! des vingt-quatre adultes dûment imbibés de poncifs médiatico-moraux ne pourrait s'élever la moindre critique, quand bien même elle prouverait la possibilité de sauver les vingt-quatre adultes au prix de la vie du seul enfant. Voulez-vous semer le doute et le trouble dans une réunion de grandes personnes ? Posez un problème dont la facilité n'apparaît qu'aux irréfléchis : un car de touristes français ne peut éviter un chien errant qu'en allant au fossé moyennant une blessure légère - disons un bras cassé - à chaque voyageur. Que doit faire le chauffeur ?

      La question de la valeur du car, dix années de salaire moyen, est d'abord écartée pour sordide en regard des droits du vivant. Restent les êtres de chair : un chien, des grenouilles... Pour moi qui me suis brisé un jour un membre et ne recommencerais pas pour le salut de toutes les vaches de l'Inde, le dilemme est bientôt tranché. Il ne l'est pas moins pour tous les autres : l'animal innocent et conçu sans péché ne saurait souffrir, ni payer pour des individus responsables en général, de la construction d'un car et des accidents de la route en particulier.

      Remplacez ensuite le car de touristes par une navette scolaire : l'affaire se corsera, au grand dam des belles âmes.

      Il demeurait quelques inconnues. Si par extraordinaire un passager se levait en brandissant une licence d'instructeur parachutiste ? Clamant qu'il offrait à l'enfant de bien meilleures chances de salut qu'un simple pratiquant ?
     
    La réponse sans doute ne serait pas difficile : monsieur ! Vous êtes déjà monté des milliers de fois en avion sans jamais apprendre à piloter ? Alors qu'un pilote en cet instant nous sauverait tous ?
     
    A coup sûr l'homme se rassiérait, penaud. Je ne manquerais pas d'ajouter insinueusement :
    - D'évidence, la vie de cet enfant valait moins cher pour vous que les leçons de pilotage. Si nous en sommes là, c'est bien à cause de vous. 
     
    Quant aux autres... mais quels autres ?

      Un coup d'oeil dans la carlingue avait bien de quoi refroidir : personne ! Je veux dire : aucun de ces caractères indispensables dans tout avion en perdition sur la pellicule ou dans les pages d'un roman. Pas de révérend. Pas de fiancée partie rejoindre l'homme du début de sa vie et se lamentant pour lui. Pas de riche homme d'affaires parlant de traîner la compagnie en justice. Pas d'immigré d'Europe du Sud court et moustachu, en chapeau mou et costume rayé, implorant bruyamment toutes les madones. Pas de pauvre ménage tchécoslovaque saigné aux huit veines pour payer son passage vers l'eldorado californien ; pas de jeune sénateur play-boy trahissant brusquement devant l'épreuve la vacuité d'une âme dévorée d'ambitions soudain brisées. Pas de docteur-de-la-vieille-école-en-service-commandé-vingt-quatre-heures-sur-vingt-quatre, s'affairant au milieu des effondrés, distribuant des remontants tirés de la vieille sacoche de cuir élimé de ses débuts, et prenant Dieu sait pourquoi des tensions bien inutiles ; pas de femme sur le point d'accoucher, non plus qu'à son chevet d'homme frustre et rustre cachant mal ses larmes en ordonnant qu'on fît chauffer de l'eau et préparer de la charpie : on n'était pas non plus dans un western. Pas d'acteur comique sortant de son incognito pour dérider les passagers. Pas d'incurable montrant l'exemple du détachement, pas de prosélyte déclamant des versets sur la châtiment, pas de militant d'une sexualité différente, pas même un couple en ultime câlin dans un coin, rien !... l'enfer du romancier.

      Toujours est-il que je me retrouvai quelques minutes après suspendu sous ma voilure familière, l'enfant blonde et terrifiée tenue contre moi de savants tours de corde effectués par un ancien boy-scout. Pas de militante féministe pour avoir exigé l'interposition d'un coussin entre nous deux. Fin du fin, le disciple de Baden-Powell avait attiré mon attention sur le détail qui fait la différence : un noeud sur lequel il me suffirait de tirer une fois au sol pour nous séparer instantanément en cas de danger. On n'est pas plus consciencieux. Je n'aurais ensuite qu'à prévenir les autorités de l'imminence d'un crash de DC-3.

      C'est alors que les véritables ennuis commencèrent. Au-dessous de nous s'étendait malheureusement le désastre ; non pas un zoo rempli de lions et d'ours, comme dans ce film stupide qui a certainement sonné le glas de ses acteurs, tant l'histoire était sotte (1), mais bien le lac Okeechobee caché par les nuages au moment du saut. Or le malheur voulait que je ne susse pas nager. La fillette soucieuse me criait qu'elle non plus. Il peut sembler incroyable qu'un sportif de mon niveau ignore la natation, mais la presse rapporte bel et bien quelquefois la mort accidentelle d'un sauteur pour cette raison. Rien à faire ! Un vent de dos violent me poussait bien vers le quai d'un petit port de plaisance, mais il était désert, l'eau profonde, et mon coup d'oeil entraîné à l'atterrissage de précision ne me trompait pas : il manquerait vingt brasses peut-être tout au plus, mais je n'en tomberais pas moins à l'eau. Deux morts seraient à déplorer.

      Cinq cents pieds de hauteur encore et trente secondes à vivre. Il aurait pourtant suffi que je trouvasse le moyen de réduire si peu que ce fût ma vitesse verticale pour profiter de la poussée du vent deux ou trois secondes de plus ; mais le quai de plus en plus proche et de plus en plus éloigné à la fois me narguait inutilement.

      Je me donnai une solide entorse en heurtant le bord du quai à quarante milles à l'heure pour m'étaler sur le ciment, mais enfin le noeud du boy-scout avait fonctionné sans faillir. Tout là-haut, visible par un trou dans les nuages, un petit point emportait une maman qui contre toute morale vivrait plus longtemps que sa fille. 

    *

    (1)  La grande vadrouille : poursuivis par des terroristes anglais parachutés sur Paris, un chef d'orchestre et un peintre en bâtiment traqués jusqu'en Bourgogne refusent continuellement le secours des gendarmes allemands.

    *

       De nombreux lecteurs ont réclamé une fin plus heureuse :

      La petite fille s'en est sortie en tombant dans l'eau. Vous me direz que frapper l'eau d'une hauteur de cinq cents pieds emporte presque la même certitude de mort que tomber sur la terre ferme. Oui, mais c'était l'eau de la piscine sur le pont d'un luxueux voilier amarré dans le petit port. Vous me direz que c'est encore le même genre d'eau ; mais voilà, comme c'étaient des gens très riches, l'eau était recouverte d'une couche de mousse rose Obao sur une très forte épaisseur, et c'est ce qui a amorti le choc. Le propriétaire du voilier n'avait malheureusement pas d'enfant. Bouleversé par le récit de la petite fille, il en fit son héritière et son adoptière. Pendant ce temps le DC-3 soumis à de fortes turbulences se retrouvait sur un cap différent, et revenait par hasard survoler le petit port. La maman de la petite fille dans l'embrasure de la porte de l'avion cherchait à apercevoir son enfant, mais un retour de la turbulence la fit éjecter. Elle tomba dans la piscine, etc. Le propriétaire du bateau n'avait malheureusement pas de femme de ménage, et embaucha la maman pour qu'elle ne soit pas séparée de sa fille. Premier boulot : laver le pont de teck vernis éclaboussé par la mousse. Le propriétaire vécut très heureux, car il n'eut jamais d'autre enfant.
      Vous irez encore dire après ça que les riches n'ont pas le sens social.

      Le commentaire le plus judicieux fut celui de ce lecteur jugeant " la chute excellente ".

     

     

     

    UNE  VIE  DE  FRUSTRATION

     

      Ce soir de 2027 sera mon dernier. Il me reste au plus quelques heures de conscience, et j'ai demandé qu'on tire mon lit vers la fenêtre ouverte sur les montagnes du Nevada. Sous mes yeux à six mille pieds d'altitude s'étend la baie de Coolapeake, tout au sud du lac Tahoe ; je suis ici plus haut que ne m'avait porté ma première leçon de pilotage. Je tiens serré dans ma main le morceau de rocher qui m'a valu autant de malheurs que de joies extatiques.

      Les informations télévisées me rattachent encore au monde des vivants, car avec un peu de chance un second astre sera foulé par l'homme avant que je m'éteigne. C'est moi qui ai imprimé les premières empreintes de pas sur la lune ; mais je ne suis ni l'homonyme d'un joueur de jazz, ni celui d'un coureur cycliste. Sans cesse reportée depuis soixante ans, l'actuelle sortie en cours vers Mars s'est enfin posée. L'ordre de sortie des astronautes est attendu pour le prochaines heures. Avec l'inéluctable délai des transmissions, puisque Mars est actuellement distant de plus de cent millions de kilomètres, je verrai peut-être les images du premier homme posant le pied sur ce nouveau monde.

      Enfin, j'ai voulu dire : de la première femme. Sans doute les femmes que comptent les équipes d'ingénieurs et d'astronautes n'en sont-elles plus ordinairement au degré obsessionnel des féministes du siècle dernier. Aussi ne venait pas d'elles l'espèce d'obligation morale universellement reconnue d'avoir à laisser l'honneur du débarquement à une femme, signifiée à l'humanité par quelques unes des dernières fanatiques, dont plusieurs à des postes où leur autorité n'excluait pas toujours une incompétence valant sans discussion celle de leurs homologues masculins.  N'était-ce pas là le critérium absolu de l'égalité professionnelle ? (1)

      Le soupçon d'incompétence ne pesait assurément pas sur l'astronaute prête à sortir de son vaisseau, le docteur Maria Ibanez, trente-deux ans, diplômée du MoonTech et mariée au cours du vol avec son vieux flirt le colonel John Durand, trente-sept ans, par le révérend Lammonay (demeuré dans sa paroisse baptiste de Coeur d'Alene, Idaho) officiant par télévision. Les mariés avaient alors seulement été autorisés à faire cellule commune, ce à quoi avaient particulièrement veillé les ligues de vertu influentes au Congrès. Le supplément de masse imposé au vaisseau lui-même par les aménagements préconjugaux était modique, mais se répercutait du fait des lois physiques exponentielles toujours en vigueur, par deux cents tonnes et un demi-billion de dollars sur la masse au décollage et le prix de la mission. L'échange des consentements par le truchement d'ondes à la célérité immuablement limitée avait entre les "John, Maria, voulez-vous prendre..." et les "oui" laissé les jeunes époux libres de régler chaque fois entre deux, mille détails techniques à bord. Demain peut-être, Maria promènerait sur le sol couvert d'oxyde ferrique ses dix-sept printemps aréens.

      Moi, demain, je serai incinéré et mes cendres dispersées. Mon corps ne sera pas embaumé comme on sait le faire aujourd'hui, assis dans mon cadre habituel, l'oeil vif et la joue tendre garantis cinquante ans. Mon image ne sera pas numérisée sur un petaoctet en seize millions sept cent soixante-dix-sept mille deux cent seize couleurs, restituable à volonté sous la forme d'un hologramme animé à la lumière ambiante. Ma famille ne recevra donc pas la visite des croque-morts, qui viennent avec un échantillon de leur savoir faire, in French in the text : le buste virtuel du défunt flottant en l'air devant les proches émus ; l'entrepreneur des pompes funèbres emporte alors généralement l'affaire "corps entier". Mes familiers ne continueront pas à voir mon spectre aller et venir chez moi, pas plus que tenir conversation pour trois mille mondos de supplément.

      Je m'appelle Daniel Jackson et suis né le 3 juillet 1937 à Scanton, Pennsylvanie. J'avais quatre ans lorsque je découvris un jour de décembre mes parents effondrés par la peur : des monstres qui ne croyaient pas en Dieu avaient anéanti par-delà les mers un coin d'Amérique. Je me jetai dans les bras de ma mère, persuadé que les monstres devaient être au coin de la rue, derrière le terrain vague marquant la limite de mes horizons enfantins. Quatre ans plus tard mon équipe de base-ball du quartier les Coltshooters affrontait amicalement sans arme blanche les Lemonface de la rue parallèle, lorsqu'une incroyable nouvelle interrompit la partie sans nous laisser d'autre envie que celle de discuter interminablement du terme de la guerre. Deux prunes que l'Amérique de Toujours lui avait envoyées venaient de mettre Hiro-Hito K.O.  (2)

      Dix ans plus tard je joignais l'Air Force. Des années durant, je fis des pieds et des mains pour multiplier les mutations afin de tâter à tous les chasseurs à réaction possibles. Je ne connus qu'un échec : il me fut impossible de tenir le manche d'un Voodoo dont le nom seul me faisait rêver. On m'acceptait en 1962 dans le corps des astronautes.

      *

      On se rappelle le ridicule retour de la première mission Apollo officiellement posée sur la lune : un wagon de quarantaine prévu sur le portavion Hornet, une grue pour hisser la capsule de l'océan, un sas étanche pour passer de la capsule au wagon, la paranoïa microbiologique ! Et tout cela...

      Tout cela pour voir les héros ballottés par les vagues se plaindre du mal de mer, et un homme-grenouille ouvrir l'écoutille pour leur donner de l'air - en passant, il est vrai, un chiffon imprégné d'antiseptique sur le pourtour de la porte ! Tous les virus lunaires dispersés dans l'atmosphère du pacifique ! Les responsables étaient-ils fous ? 

      Ils ne l'étaient pas, même s'ils auraient dû montrer en public un peu plus de feinte conviction. Ils connaissaient parfaitement la stérilité du sol lunaire, et cela grâce à moi. 

    *

      Notre pacifique péniche de débarquement lunaire venait de se séparer de la cabine-mère orbitant bien rond au-dessus du sol figé depuis des éons. Des éons ! Je m'étais pourtant défendu la pompe verbeuse des grands mots. Bref, le moment vint de freiner un peu l'engin pour le faire tomber sur une orbite qui frôlerait la lune à quinze kilomètres. Notre mission n'était pas l'atterrissage, mais seulement la répétition générale de toutes les manoeuvres qui le précèdent. Nous remonterions ensuite sur notre lancée jusqu'à l'altitude de la capsule Apollo. Les quatre pieds devant, le moteur de descente fut enclenché. La diméthylhydrazine asymétrique et le peroxyde d'azote se précipitèrent dans la chambre de combustion au rythme de trois livres à la seconde pour fournir quatre cent cinquante kilos de poussée, le dixième de la puissance maximale. Cela dura quinze secondes, suivies de treize autres à quarante pour cent de la poussée. Nous perdîmes de la sorte une quarantaine de noeuds ; la trajectoire s'incurva vers le sol. Une heure après nous passions au plus bas à quinze mille mètres et commencions doucement à regagner sur notre lancée l'altitude initiale ; de retour à soixante-dix milles, après avoir fait un tête-à-queue nous remîmes le moteur en route à l'inverse de tout à l'heure, afin de reprendre nos quarante noeuds et ne plus redescendre. 

      Voilà pour la théorie. Le moteur venait certes de s'allumer pour descendre ; le sol de la lune s'étirait sous mes yeux et ceux impassibles de Jack. Comment vous décrire la vue au travers des hublots en triangle d'Apollo "X" (l'éditeur a préféré censurer le numéro exact) ? Je ne suis pas bon poète ; alors allons-y pour le style cliché : un spectacle dantesque de blanches parois déchiquetées sautait à mon visage. Jack se tendit quand s'alluma la lampe témoin de l'imminence de la coupure de la tuyère. Je me tournai brusquement vers lui.

      Il vit mon regard perçant, qu'il ne comprit pas ; mais lorsque mes yeux exaltés allèrent et vinrent de son visage au spectacle sous-jacent, lorsque sans émettre le moindre son qu'eût entendu la Terre, je me risquai à désigner d'un geste brusque la nouvelle Amérique sous nos pieds, il me dévisagea soudain comme s'il avait affaire à un dément. Sans attendre, je débranchai sèchement la radio. Je m'emparai purement et simplement des commandes. Le moteur de descente ne s'arrêta pas.

      Jack était un professionnel. Il comprit instantanément qu'entre un risque objectivement très faible et la perspective d'un pugilat avec un exalté dans un vaisseau cosmique, la première solution restait la meilleure. Ses mains se laissèrent aller, impuissantes. Je connectai de nouveau la radio.
    - We land. Over.
     
    Je coupai les transmissions.

      Servie pour partie par la chance, la manoeuvre aboutit droit sur un bout de terrain parfaitement plat. Pas une goutte d'ergols ne se passa en tergiversations, au contraire de la façon dont plus tard Apollo XI se promenait trente secondes à quinze mètres du sol à la recherche d'un endroit vachable. Je me posai avec soixante-treize secondes d'autonomie restante, exactement le chiffre atteint plus tard par le LEM d'Apollo XII. La suite alla de soi. J'offris un dédommagement à Jack : sortir devant moi pour être le premier à marcher sur la lune. Je savais ce que je faisais : je connaissais assez mon brave ami règlement-règlement pour prévoir qu'il s'enfermerait dans un dédaigneux refus de quitter le bord en profitant d'une désobéissance.

      Je sortis du LEM. J'avais bien concocté une parole historique à insérer dans les pages roses : "Minimus passuus mihi, maximus humanitati", ou quelque niaiserie de ce genre, mais les mots me restèrent dans la gorge devant la réalité de la situation. Là, debout sur le sol de la lune, un véhicule fait de main d'homme au-dessus de l'horizon, je sentis fondre en une seconde tant de certitudes et d'acquis mentaux, je sentis se réduire à la seule contemplation religieuse tout ce qui m'avait jusque-là fait vivre, que je n'eus qu'une pensée, qu'une évidence aveuglante :
    - Je démissionne de l'armée. Je ne suis plus militaire. Je ne veux plus l'être.
     
    Si j'avais eu un calot sur moi, je jure que je l'aurais face à la caméra placé sur mon casque, pour salaire des sergents-instructeurs et autres crétins qui m'avaient jadis allumé plus d'une fois pour m'avoir trouvé en uniforme sans couvre-chef dans les allées d'un cantonnement, ou quelque autre forfait grave de cette farine.

      La réponse de Houston me parvint sèche et ironique :
    - Bien joué, Dan. Tu nous a devancés d'un quart de seconde. Quoi qu'il en soit, tu as perdu quand même. Une démission orale ne vaut rien. Lorsque ta lettre arrivera, tu seras révoqué depuis longtemps.

    *

      Je pris un point de repère à distance, une éminence de quelques dizaines de pieds. Je la contournerais ; elle servirait de balise pour mon retour : j'avais décidé de m'offrir une promenade suffisamment à distance pour me trouver un moment hors de vue du LEM, hors de vue de tout objet, absolument seul sur la surface lunaire sous les constellations difficiles à reconnaître, brouillées par un nuage d'étoiles faibles mal perceptibles au fond de notre atmosphère. Je me rappelai ce vol un jour dans un petit monoplace torpédo où, la tête renversée vers le bleu au-dessus de moi, ne voyant ainsi plus ni pare-brise ni rien de l'avion, je m'étais un moment réjoui de l'irréalité de ce champ visuel tout à fait vide. Ici je serais encore dans une situation d'isolement radical, mais cette fois la plus inouïe possible. La marche est rapide sur la lune en dépit du scaphandre : pas d'air, pas de traînée. Je plaisante, bien sûr. Il suffit de s'habituer au curieux déphasage entre la retombée pendulaire normale de nos jambes à chaque pas dans la pesanteur terrestre, et ce qu'on ressent ici. Ici, il faut un petit effort musculaire supplémentaire destiné à ramener normalement vite nos jambes. En vingt minutes j'avais contourné mon repère et perdu l'engin lunaire de vue. Une crevasse impressionnante me barrait le passage.

      J'en estimai la largeur, puis fis un essai de course pour juger de ma célérité, la comparer dans mon engoncement à mes chiffres sportifs habituels. Le calcul mental m'apprit que le franchissement serait possible. Il faillit l'être. Je manquai le bord opposé d'un rien, retombai sur une sorte de large marche un peu en contrebas. Regagner le bord n'aurait rien été si... 
     
    J'eus la chance que la cabine en orbite passât en portée visuelle.
    - J'ai une jambe cassée.

      La durée du silence consécutif ne s'expliqua pas seulement par celle des transmissions. A Houston régnait l'effroi. Les réactions allaient de : "Seigneur, que faire ?" à "Il ne l'a pas volé !". Un élément positif pourtant dans mon malheur : il n'y avait personne pour m'aider. Avez-vous jamais assisté à l'empressement autour d'un blessé sur le trottoir ?  

      Rien de plus atroce que la bonne volonté du secouriste improvisé. Pour libérer de cette mortelle incompétence l'espace autour d'un accidenté, le secouriste breveté devrait avoir le droit d'ouvrir le feu : le blessé mérite plus de considération que ceux qui veulent l'achever. Impossible autrement à l'homme compétent d'approcher, sauf à disperser à coup de pied les amateurs qui ne l'écoutent absolument pas décliner ses titres. Tous n'ont qu'une obsession : mettre en application sur le blessé la bribe de secourisme vue à la télévision, tout leur bagage, et qu'elle soit en rapport ou non avec le cas présent. Ont-ils entendu qu'il faut desserrer l'écharpe et la cravate du moribond pour qu'il respire plus librement ? Les voilà tirant de toutes leurs forces sur l'écharpe même visiblement lâche, mais qui fait trois fois le tour du cou ; le blessé respirera plus librement ou pas du tout, selon la tenue de ses cervicales déjà endommagées. Et plût au Ciel que ces braves gens n'aient point vu faire un massage cardiaque ! Mais tout cela n'est rien en regard du comportement scandaleux du blessé. Les accidentés aussi devraient recevoir des cours préparatoires, car on imaginerait malaisément plus sotte engeance. l'accidenté-type a généralement sa première pensée pour ses lunettes, s'il en porte. On les retrouve le plus souvent, quoique peu propres désormais à leur usage. Il entend ensuite se relever sans attendre et reprendre incontinent le cours normal de ses activités ; l'idée qu'il n'est pas indemne ne l'effleure pas. Ne parvenant pas à quitter le sol, il peste contre la malveillance des lois de l'équilibre et de la mécanique, et, devant l'impossibilité de se redresser, attribue à leur méchanceté le simple résultat naturel de ses dirimances fracturales. Il s'avère presque impossible alors de persuader au blessé de remettre même l'idée de ses rendez-vous divers, pour en privilégier un impromptu avec le chirurgien.

      Les secours sérieux ne font pourtant pas défaut. Pompiers et secours hospitaliers arrivent alors des deux bouts de l'horizon, le plus souvent au même instant. Pour gagner du temps et un point dans la course aux crédits, médecin civil et médecin casqué sautent en marche. Le match est indécis : le pompier est mieux entraîné mais plus lourdement équipé. Terreur du blessé qui comprend enfin le sort de son compte en banque. Un pilote européen en stage sur notre base aérienne prétendait qu'il n'en coûte grâce aux assurances sociales presque rien de se casser un membre ou deux sur son foutu continent ; mais ça, c'est comme raconter qu'il y a à Paris un téléviseur dans chaque foyer et une automobile pour deux habitants. On n'est pas les gars de l'Oncle Sam pour gober la propagande communiste.

      Ces considérations ne m'apportaient cependant qu'une aide limitée. Les ordinateurs de Houston à présent tournaient à plein. Les mains des ingénieurs volaient sur les claviers, cherchant à modéliser toutes les issues possibles. les ordinateurs confirmèrent en premier lieu que Jack devrait nécessairement venir me chercher en voiture, sans imaginer sauter la crevasse en me portant sur le dos.

      Il restait soixante-treize secondes de poussée dans les réservoirs de l'étage de descente. La machine pouvait donc se soulever de quelques mètres, et rester un peu plus d'une minute en lévitation. La tuyère de l'étage de descente peut s'incliner latéralement de six degrés. Quelle distance l'engin franchirait-il en ce temps passé à dériver, debout, tuyère ainsi braquée, doucement accéléré à l'horizontale dans cette posture ?... Accélérer durant la moitié du temps de vol, freiner sur l'autre en ayant contre-braqué le moteur de six degrés en sens inverse... Calcul fait, la réponse est 218 mètres. Il y a aussi les seize petites tuyères directionnelles fixées à l'étage de remontée. Il serait possible d'en allumer deux, qui inclineraient nécessairement l'engin puisqu'elles seraient placées au-dessus de son centre de gravité. Le jet du gros moteur de descente en serait incliné encore d'autant, fournissant une composante horizontale accélérant davantage la machine que le simple jeu de l'articulation de la tuyère ; puis renversement de l'inclinaison et freinage à mi-chemin... C'est à l'échelle de sept tonnes, reproduire le petit jeu consistant à partir de l'arrêt avec une baguette de pain en équilibre vertical sur le doigt, se mettre en marche et s'arrêter plus loin, équilibre conservé.

      Je parle de soixante-treize secondes de sustentation possible à la poussée qui équilibre le poids lunaire, les 1200 kilos que pesaient ici nos sept tonnes de masse. Or c'est un fait constant qu'en présence d'une pesanteur à contrer par l'usage de la poussée, il est nécessairement rentable de donner d'office tous les gaz. C'est la généralisation d'une remarque simple : un avion requérant cinquante chevaux pour tenir l'air et ne disposant que de cinquante chevaux, ne grimpera pas moins vite que s'il en possédait cent : il ne grimpera pas du tout. Il faudrait donc libérer la pleine poussée disponible, 4500 kilos. Une simple règle de trois montrait que les 73 secondes disponibles tomberaient à vingt.

      Quelle distance pourrait être ainsi franchie en rase-régolite ? Les ordinateurs ne prédirent pas plus de quelques centaines de mètres. J'avais compté mes pas : on serait loin du compte. Loin du compte, parce qu'il n'est pas possible en vol à hauteur constante et rasante, d'incliner l'appareil suffisamment pour faire donner au moteur de descente une composante horizontale de poussée vraiment importante. Ce serait laisser se pencher fortement la baguette de pain et prétendre qu'elle ne tombera pas. La chose est possible, si celui qui la porte accélère assez énergiquement en courant. Jouer à cela à très basse hauteur serait affreusement scabreux.

      Il ne s'agirait donc pas ici de courir à ras de terre, mais de s'élever avant de redescendre en décrivant une cloche savante. Il fallait ajouter au moteur de descente l'assistance des quatre tuyères directionnelles dirigées vers le bas : deux cents kilos de plus. Le temps de vol n'en serait pas diminué puisque les petites tuyères fonctionnent sur leurs propres réservoirs. Une estimation rapide montrait que consommer la moitié des vingt secondes disponibles pour s'élancer vers le ciel, puis l'autre moitié à freiner la retombée, donnerait le résultat suivant : le LEM en fin d'accélération poursuivrait 29 autres secondes sur sa lancée pour culminer à 950 mètres. De là, il retomberait et se reposerait en douceur au terme de dix autres secondes de freinage à plein moteur.

      Restait à changer en cloche, pour aller quelque part, cet aller-retour purement vertical en soi sans intérêt. Les traités de balistique enseignent que la portée maximum d'un projectile dans le vide vaut en longueur deux fois la hauteur qu'il serait capable d'atteindre en tir au zénith. Il sembla clair que la meilleure gestion de l'inclinaison à communiquer à l'ascension, puis au freinage symétrique à la redescente, pourrait en principe expédier la machine à deux fois 950, soit 1800 mètres de son point de départ. Houston passa une demi-heure à déterminer le programme idéal, à l'injecter dans l'ordinateur du bord, attendu que la brièveté et la précision de l'opération exigeraient le complet automatisme.

      Grâce à la situation de mon repère intermédiaire visible par Jack aussi, grâce à quelques indications que je pus donner sur la position d'astres divers - mon souvenir des questions de Houston est brouillé - il fut établi que je me trouvais à un mille et quelques poussières lunaires du LEM dans son plein sud-sud-ouest. Jack remit à feu l'étage de descente.

      J'aperçus l'envolée du LEM quelques secondes après son départ, quand il entra dans mon champ visuel. Je le vis culminer, redescendre et fondre sur moi. Il devait naturellement m'éviter sensiblement pour ne pas me scier de son jet qui soulevait si bien poussières et cailloux. Très vite, je n'aimai pas sa trajectoire. Quelque chose n'allait pas. En trois secondes je compris l'épouvantable : Jack manquant de peu le bord de la crevasse plongea à court de propergol dans le ravin, passait à cent pieds de moi et disparaissait sous le sol, invisible pour moi dans ma position.

      Je n'avais rien vu encore. Je parvins à tourner un peu mon regard vers le bas. J'allais hurler pour me soulager un instant lorsque l'invraisemblable se produisit. Jack avant de s'écraser au fond de la faille avait pressé la bouton abort, celui qui permet normalement de repartir en orbite lunaire si sans avoir touché le sol, l'atterrissage est d'évidence manqué. Je vis l'étage de remontée s'extraire d'abord laborieusement du fossé, passer, énorme, par mon travers, accélérer et lentement s'incliner pour diminuer, diminuer tandis que Jack jouait sa dernière carte. J'ai continué d'apercevoir l'espérance qui s'en allait, pendant plus d'une minute, le temps qu'elle se soit éloignée d'une vingtaine de kilomètres.

      Il est des moments, comme cela, où l'on se sent seul.

      Tel fut le cauchemar dont j'étais secoué la nuit suivante à bord de la capsule. Jack avait superbement réussi son coup. Je devins le seul, je suis resté le seul humain à avoir assisté de l'extérieur à un atterrissage lunaire. La chose est belle ; être traîné sur deux cents pas avec une jambe cassée, hissé à bord et laissé en tas pendant l'envol, supporter l'accélération dans ces conditions, est moins drôle. Le retour fut un cauchemar. Je crus défaillir en prenant la demi-douzaine de g de la rentrée dans l'atmosphère. Le wagon de quarantaine prévu pour Apollo XI en juillet n'était pas prêt. Il avait fallu en bricoler un autre à toute allure en racontant à la presse qu'on faisait là une sorte de caisson à oxygène destiné à nous soigner d'émanations délétères accumulées au cours du vol. On me traita d'assassin du genre humain, en me signifiant que je serais fusillé ou incarcéré à vie selon que je rapporterais ou non un virus sélène capable de liquider l'humanité. On  finit évidemment par me laisser en liberté parce qu'il s'avérait impossible de trouver pour le public une raison logique à mon arrestation. Je fus averti que si j'avais le malheur de révéler quoi que ce fût de ma vie entière, les services spéciaux s'intéresseraient à moi de fort près. Ma femme reçut les mêmes mises en garde, pour le cas où je parlerais en dormant.

      On ne consentit qu'à me laisser un caillou, un fragment des roches que j'avais rapportées, celui que je tiens dans mon agonie avec défense rigoureuse d'en indiquer la nature à quiconque. Le premier homme officiel sur la lune fut quelques mois après mes exploits fêté dans le monde entier, et crut sincèrement toute sa vie avoir été le premier humain sur un autre astre. J'ai dû cinquante-huit années me mordre la langue quand tous les jours j'aurais voulu crier la vérité ! Jack tenu aussi au secret ne consentit jamais à m'adresser la parole autrement que par grognements. Je crois pourtant qu'il m'a pardonné : retourné sur la lune avec la toute dernière mission, il est resté grâce à moi le seul homme à avoir marché deux fois sur la lune.  

    (1)  Emprunté à Giroud.
    (2)  Emprunté à la série Buck Danny

    *

      Mon Universalis édition 1980 acquise cinquante euros à la dernière braderie de livres d'Amnesty International à la salle des fêtes de Guéret, volume 6, article "conquête de l'espace", tableau 2, page 489, indique : la masse du LEM atteignait 14 525 kg pour Apollo IX (resté en orbite terrestre), 15 062 kg pour Apollo XI et 13 993 kg pour Apollo X...
      Pourquoi cette tonne d'ergols en moins ?...

    *

      Pour finir sur le même sujet, une information remontant à 1991 dont vous déciderez de la véracité ou de la fausseté :

    " On apprend aujourd'hui la réintégration à la télévision ex-soviétique de l'ancien journaliste Lev Saratov promu en 1981 balayeur adjoint dans un entrepôt de borchtch sans betterave de la banlieue de Dniepropetrovsk. Lev Saratov avait aux funérailles de Brejniev tenu le micro de la principale chaîne moscovite. Repassons la bande :

    " Et voici que suivi de la délégation du Parti Communiste de l'Azerbaïdjan s'avance couvert de fleurs le catafalque portant la dépouille mortelle du camarade Léonide Brejniev, Premier Secrétaire du Parti Communiste de l'Union Soviétique, colonel du KBG, Maréchal de l'Armée Rouge, membre de l'Académie des Sciences de l'Union Soviétique, décoré de l'Ordre de Lénine et du Drapeau Rouge... Trois fois Héros de l'Union Soviétique... En l'honneur du camarade Léonide Brejniev tous les drapeaux de l'Union Soviétique sont en berne... Si les Américains enterraient leur président, ce n'est pas eux qui seraient capables de mettre comme nous tous leurs drapeaux en berne... Ils ont beau être Américains, ils ne retournent pas tous les jours sur la lune..."

     

     

     

    IN MEMORIAM

    Robert S. McNamara

    + 6 juillet 2009

     

      Voici trente ans mon Turbulent F-PKVU (1) survolant le bois de Belleau près de Château-Thierry saluait du haut des airs le monument à la première participation des Etats-Unis d'Amérique aux guerre modernes. Un avion comme le mien, du niveau technique et du degré de performances des aéroplanes d'alors, était tout indiqué. Mais voici qu'un grand serviteur de Mars est mort hier au pays du général Pershing. Saluons-le à son tour en prenant les commandes d'un appareil plus en rapport avec la politique du disparu, avec les combats qu'il mena. Tâche malaisée, sans doute, qu'illustrer la mémoire d'un homme assez peu habile pour s'en aller le même jour que Michael Jackson. 

      J'ai donc sauté dans un F-105 du simulateur Wings over Vietnam sous le regard envieux de mon vieux Druine décidément trop limité en emport externe. Vingt-sept fois déjà en quelques mois de retraite j'ai démoli dans ma chambre le pont Paul-Doumer, mais au prix de m'être fait tuer quatre fois et capturer trois autres. Mort quatre fois, j'ai donc également quatre Purple Heart que le logiciel me décerne automatiquement en cas de coup dur. C'est que la maison n'est pas regardante comme chez UbiSoft, où malgré touts les panzers que j'ai troués dans Il-2 à la roquette, au canon de 23 ou à la ShKAS-tout, j'attends encore d'être fait Héros de l'Union Soviétique. 

      Arrivant sur Hanoï depuis le sud à pleine " poussée militaire ", un Fishbed au train, manié par un type qui à coup sûr comme les autres de sa sorte n'a même pas son permis de conduire les voitures, j'ai pris en abordant la ville un peu de hauteur afin de repérer le pont. Ca a été trop tard, j'ai eu beau manoeuvrer inutilement, je n'ai plus eu qu'à abandonner ma cible en replongeant au ras de ce qui leur sert de toits et m'éloigner d'une douzaine de kilomètres, avant d'entamer un beau demi-looping suivi d'un demi-tonneau, puis d'un piqué aligné sur le pont enfin bien visible. Avec tout en haut de la manoeuvre un badin qu'il fallait aider d'un peu de g négatif pour ne pas décrocher, et huit mille pieds à l'altimètre, on aurait malaisément imaginé manoeuvre plus idiote face à vingt ou trente pièces de 88. J'ai dû confondre Hanoï avec le Bourget et mon escadre avec les Thunderbirds. Je ne sais pas si ça a été le Fishbed ou la flak, mais à peine avais-je pointé le nez sur le pont que le roulis subit à gauche n'était plus maîtrisable. Dommage. Je comptais sur un troisième passage ensuite pour m'occuper au canon des jonques qui traînent à côté du pont. C'est étonnant. On encadre le tas de bois flottant, on presse un bouton, on entend un bruit de fermeture Eclair et on voit le tas de bois s'effondrer presque en bon ordre. Si jamais c'est interdit par les règles d'engagement, le concepteur du logiciel n'avait qu'à y penser. Le Thud est monoplace ; on ne peut pas emmener un bavard derrière.

      On m'a donc avec tous les égards possibles traîné en laisse devant un officier communiste qui parlait un assez bon anglais. Il m'a demandé d'un air ironique ce que je pensais de cette jolie guerre impérialiste. " impérialiste " m'a fait penser à " empereur " ; j'ai claqué des talons sans prendre le temps de réfléchir, en déclarant me battre pour Dieu et pour le tsar. Le Viet a paru brièvement décontenancé, mais comment lui expliquer que j'étais encore sous l'effet de Michel Strogoff dont j'avais lu la veille une traduction ? Voilà ce que c'est de lire ces damned froggies dont le président nous insulte depuis son palais de Paris à cause de cette guerre, que nous ne faisons pourtant que parce que parce que son pays était trop pauvre pour la continuer lui-même. Alors, l'officier pinçant les lèvres a sorti des photos qu'il m'a mises sous le nez. 

      La première représentait une sexagénaire flasque d'un peu plus de deux cents livres, sur une plage de chez nous, avec des lunettes de soleil dont les coins en plastique s'épanouissaient en ailes de papillon ; sur la seconde, prise sur un comics, on voyait Minnie en colère poursuivant Mickey affolé en l'assommant de coups de sac à main ; la dernière montrait Scarlett O'Hara en espèce de crinoline avec un chapeau pas possible, faisant ses minauderies devant les jumeaux Tarleton. Le Viet m'a demandé si, sans rire, c'était pour ça que je me battais. 

      Qu'est-ce que vous voulez répondre à un type qui n'a jamais entre les palmiers au soleil couchant parcouru un front de mer les orteils en éventail sur les cale-pieds d'une Harley, en passant devant des villas tarabiscotées, sur fond de la Bamba ? Il n'y a rien à discuter avec un idéologue qui n'a même pas lu Tom Clancy, pas seulement fait la route avec Jack Kerouac, pas même roulé un peu trop vite en Porsche à l'est d'Eden. Le choc des civilisations, c'est pas mon truc, et d'ailleurs c'est pas prévu avant trente ans. J'ai donc fait Echap, Quit, évité ainsi quelques années de villégiature au Hanoï Hilton, à tort peut-être puisqu'on a pu lire plus tard çà et là dans la presse progressiste qu'on s'y prélassait en jouant aux échecs et en écoutant du jazz toute la journée !  

      

      

    (1)  appareil dont l'auteur cessa d'être propriétaire en 1981.

     

     

    LE MOSQUITO

     

      Ce récit entièrement imaginaire n'est inspiré d'aucun fait connu de l'auteur.

    - Je suis désolé, jeune homme. Sans votre cousin Jack...
      Le médecin-chef de la Royal Air Force m'expliquait dans son français un peu laborieux que les portes de l'aviation britannique resteraient fermées devant moi. Mon oeil droit montrait treize dixièmes, et le gauche eût eu autant sans la fléchette malencontreuse décochée jadis au cours de nos jeux d'enfants par mon cousin Jacques. Vers quelle triste unité de biffins allait-on diriger maintenant l'évadé du sol français occupé, avec son vingtième d'acuité à gauche ?

      Mon baccalauréat de philo obtenu deux mois plus tôt, je passais avec ma famille l'été dans notre résidence de Saint-Jean-le-Blanc, la banlieue sud d'Orléans. Nous rentrerions à Paris dans quinze jours, et je partageais d'ici là mon temps entre la lecture et les longues promenades à bicyclette que j'affectionnais. J'avais défense paternelle de quitter la route pour m'aventurer par les chemins ; le risque de crevaison y était plus élevé, ce qui eût signifié la fin de l'engin. La pénurie de pneus, de chambres à air, de dissolution, la pénurie sévissait là comme ailleurs. Sitôt disparu le toit de la demeure familiale, je me hâtai cet après-midi comme les autres de bifurquer vers les chemins agricoles.

      Assis à côté de la bicyclette posée à terre, je lisais enfin le classique sur lequel avait porté la dissertation du bachot. Je n'aurais pas été repêché d'extrême justesse pour ma note désastreuse si je l'eusse étudié en cours d'année, mais je fais jamais rien comme les autres. On va d'ailleurs s'en assurer sous peu. Mon père en outre n'aimait guère me savoir en vadrouille, car il avait naguère caché des traqués et ne souhaitait pas me voir attirer l'attention ; or il me soupçonnait non sans raison d'être l'auteur de certains faits de résistance tels que des inscriptions clandestines sur les murs, fort remarquables et appréciées à la commandanture (Des lois ont été passées depuis, qui interdisent de mal parler des personnes différentes. Aussi, les fins jeux de mots pour temps de guerre que notre jeune ami avait concoctés sur nos frères d'outre-Rhin, ne peuvent-ils plus figurer).

      Un ronronnement lointain semblait indiquer la présence d'un avion. Je cherchai des yeux pour le découvrir, petit point noir indistinct volant très bas. Il grossissait lentement sans mouvement apparent, ce dont je déduisis qu'il venait à peu près droit sur moi. Je finis par deviner un appareil bimoteur. Pourquoi se déplaçait-il si bas et à si faible vitesse loin de tout aérodrome ? Il devint énorme et passa à trente mètres par mon travers. Il arborait des cocardes britanniques !

      Suffisamment seul pour hurler mon enthousiasme sans risquer d'être mal jugé, j'adressai au pilote déjà éloigné de grands gestes illusoires de béret tenu à bout de bras. A ma stupeur, l'avion revint aussitôt vers moi ! Comprenant ma sottise à n'avoir pas instantanément deviné qu'il y avait seulement coïncidence, je vis le bimoteur repasser près de moi de l'autre côté, s'éloigner à nouveau et revenir encore. Cette fois les roues étaient sorties et la vitesse plus réduite encore. L'appareil passa exactement au-dessus de ma tête pour s'abattre froidement à l'orée du champ proche. Il roula assez court et s'arrêta sans couper ses moteurs.

      La stupeur n'est pas la peur, et je m'élançai à perdre haleine à travers les quatre cents mètres qui me séparaient de l'avion immobilisé. J'aperçus la trappe d'accès sous la cabine s'abaisser, puis une silhouette s'extraire lourdement... Que se passait-il ? Je n'étais plus qu'à cinquante pas lorsque l'aviateur m'aperçut. Il pointa instantanément un pistolet vers moi.

      Holà !... J'interrompis ma course pour marcher lentement en agitant les bras. Parvenu à vingt mètres, je reçus un choc en détaillant le visage de l'Anglais : son propre baccalauréat ne devait pas avoir plus d'un an.
    - Friend ! lançai-je en cessant de gesticuler des bras.
     
    L'aviateur dut avoir en me voyant les mêmes pensées que moi ; il abaissa son arme. Ses traits plus apeurés que les miens se crispèrent encore davantage.
    - Don't approach ! Don't...
     
    Ma désobéissance parfaite à son rodre le fit taire. Il me quitta des yeux pour sembler s'adresser au ciel en gémissant :
    - Willie ! The bastards ! They killed Willie !
     
    Je commençai à comprendre. J'approchai jusqu'à la trappe. Je rassemblai mon meilleur anglais:
    - I 'll help you !
     
    Pour la première fois de ma vie où j'adressais dans sa langue la parole à un sujet de sa Gracieuse Majesté, je ne me sentis pas peu fier de l'ellipse parfaitement réussie sur l'auxiliaire. Je pressentais quelque malheur dont le pilote éprouvé sans doute par sa mission portait les stigmates au visage. Je grimpai dans la cabine sans attendre une réponse, et là... Willie... enfin, Willie n'avait plus de tête. Voilà.

      L'avion était un Mosquito, le fameux bombardier léger biplace qui volait plus vite que les chasseurs. Quelquefois, du moins. John, le pilote, rentrait d'une attaque sur Bordeaux lorsque vingt minutes auparavant du côté de Romorantin les Focke-Wulf embusqués dans le soleil avaient dévalé sur l'appareil désarmé. L'un d'eux avait tué à côté de John son navigateur, d'une longue rafale envoyée au terme d'une magnifique passe frontale sur le dos. Son pare-brise droit déchiqueté, le pilote avait réussi à semer les charognards en sautant de cumulus en cumulus. La tension dissipée, John avait senti depuis par trois fois le coeur lui manquer et la conscience vouloir le quitter. La compagnie du cadavre hideux ne devait pas y être étrangère, mais aussi le fait que sa propre jambe pissât le sang. Il s'était posé au risque d'être capturé, plutôt que prendre celui de mourir inutilement exsangue en l'air pour n'avoir pu se panser.

      John rafistolé, j'ignorai son geste d'avoir à m'éloigner. Je lui souris...
    - There is a free seat, now... 
     
    Le pilote me regarda sans comprendre, avant de me dévisager comme s'il voyait un Marsien, et de m'entendre ajouter :
    - You fly back with me ; your frend stays here !
    - Are you crazy !
     
    Pas plus que cela, l'ami ! Incapable d'expliquer rapidement en anglais tout ce que j'avais à dire, je me plantai devant le pilote pour débiter dans ma langue à toute allure, comme si l'énergie et l'émotion devaient traduire mes paroles :
    - Je pense exactement la même chose que toi de l'ennemi, sauf que je ne le vois absolument pas jeter à la voirie le corps d'un Britannique descendu. Il attendra ici la fin de la guerre, ou bien il y restera définitivement comme des milliers d'autres. Je ne sais pas si on peut s'entasser à trois là-dedans, mais c'est moi qui ne peux pas faire le voyage avec ça sur les genoux !
     
    Il sembla qu'à défaut de faire comprendre les mots, l'intonation les suggéra ou en suggéra d'équivalents à John. Le navigateur allongé sur l'herbe, je me retrouvai à la place du mort, aux deux sens du terme. John donna de grands coups de gaz pour venir s'aligner à l'extrémité du champ. Les faubourgs d'Orléans défilèrent à ma droite ; John mit le cap sur l'Angleterre. J'aurais véritablement joui du voyage sans le torrent d'air passant par les déchirures du plexiglas et me contraignant sans cesse à protéger mes yeux. John rasait les toits, si bien que je n'apercevais les principaux repères géographiques jusqu'au dernier instant : la Seine, la côte normande, les falaises d'Albion, et enfin l'aérodrome.

      Nous passâmes l'un et l'autre un très mauvais moment à nous expliquer devant les officiers d'intelligence, si je puis me permettre cet oxymore un peu saugrenu. Dans la soirée, le recoupement de bribes d'information glanées par les services d'écoute sur les ondes ennemies permit de confirmer nos dires. Le comportement logique de John coïncidant médiocrement avec le texte des manuels réglementaires, il était suspendu de vol pour manifestation intempestive d'émotivité au combat, pensait un moment se voir classer LMF ("lacking moral fibre") et envoyer dans une mine de charbon ou affecter à la British Army quelque part dans ce que l'Orient a de moins fascinant. Les services secrets britanniques firent passer à leurs homologues d'en face la demande d'une sépulture décente pour le second lieutenant William Murchison, DFC toute fraîche. Le colonel qui venait de me cuisiner sans aménité des heures durant me sourit derrière son guidon de vélo, fier d'un tel garçon. Je formulai la gorge serrée la demande d'admission parmi les élèves-pilotes étrangers de la RAF, sur un ton à la solennité malheureusement ridiculisée par la gorge serrée, justement. Le group captain me secoua vigoureusement les mains ; il me pistonnerait ; c'était dans la poche.  

       On sait la suite. Eliminé par l'examen médical, je fus trimbalé de barrack en casernement pour me briser à la fin le fémur à l'entraînement dans les troupes parachutistes. Efficacement plâtré de la hanche au pied dans un "Tobrouk", système d'immobilisation remarquable mis au point sans doute sur le champ de bataille du même nom (1), j'avais en dix-huit mois à peine retrouvé presque toute confiance dans ma jambe. A peine sur pied, j'étais rapatrié vers la France juste libérée.

      C'est ma jeune soeur Maude que j'aperçus en premier en pénétrant dans le parc familial. Elle jeta ses quinze ans vifs et gais dans mes bras (2).
    - Vous n'avez pas été trop inquiets tout ce temps, avant de savoir où je me trouvais ?
    - Pas du tout ! Nous savions dès le premier jour où tu étais !
    - Quoi !?
    - La BBC n'était pas trop brouillée ce soir-là. Les messages personnels étaient audibles. La bicyclette abandonnée près d'Orléans s'est envolée pour l'Angleterre ; je répète... Trois répétitions bien insistantes confirmaient qu'on cherchait à atteindre des gens non prévenus... 
    - Ah bon...
    - Et remarque, ton Anglais l'a échappé belle.
    - On nous a vus ?
    - Tu plaisantes ! Deux cents personnes au moins ! Les héritiers de Goethe et de Leibniz (une fois encore, le lecteur conscient des obligations du langage moderne comprendra que tels n'étaient pas strictement les termes employés par Maude) étaient déjà partis là-bas ! Deux minutes de plus et ton Anglais était coffré !
    - Elle devint grave :
    - Et pour toi...
     
    Pour moi en effet les choses se fussent certainement plus mal passées.
    - Bref, repartit-elle en retrouvant sa pétulance habituelle, les Allemands sont venus ici auf dem Feld. Ils ont fini par admettre que nous n'étions pour rien dans ce concours de circonstances et, Dieu merci, absoudre Papa pour ta fuite attribuée à l'inconscience de la jeunesse. Après leur départ, Papa a hurlé de rage toute la soirée d'avoir dû feindre de te désapprouver. Mais puisque tu n'étais plus attrapable ! Seulement, ils sont revenus nous vider pour installer chez nous leur Commandanture. Ils avaient découvert sur place que la propriété était la plus agréable du coin. Ils nous ont même dédommagés. Ce n'était pas gras, mais leur herr mayôôôr, s'amusa Maude d'un accent à casser les cailloux, a juré à Papa que c'était bien le tarif en pareil cas. Ils sont partis voici quinze jours, après un an et demi. Tu devines notre inquiétude en rentrant...
    - J'imagine...
     
    Maude pouffa de rire en cassant d'autres cailloux :
    - Z'EDAIT IM-BE-GA-BLEU !
    - Ach so !
    - L'ennui, reprit-elle un peu plus sérieuse, c'est que les Américains arrivaient dans la foulée. Ils sont passés perquisitionner et faire peur à Papa pour avoir logé les... les enfants de Kant et de Schubert, quoi, et ils ont fait la même constation que leurs petits camarades d'en face sur la qualité des lieux. Ils ont logé ici tout un état-major. On nous a éjectés à nouveau, mais pour huit jours à peine. Ils sont partis hier, et nous revoilà. Et pour l'argent, ceux-là ne se sont pas moqués de nous.

      Maude se tut un instant avant de produire son effet :
    - Tu tombes à pic, parce que nous avons besoin de bras.
    - Pourquoi ?
     
    Elle éclata de sourire en passant un coude autour de mon cou :
    - Parce que là-dedans, c'est dégueulasse !

    *

    (1)  C'est-à-dire que l'auteur, victime outre-Manche de cette fracture, "soigné" de la sorte pour toute ostéosynthèse ; l'auteur donc devait découvrir le nom toujours en usage de ce système préhistorique de contention en se brisant une cuisse près de Londres en 1982. Motocyclette, bien entendu. Pour une fois qu'il roulait à droite. Résultat présumé de ce type de plâtras : pseudo-arthrose ou bien position figée du pied en premier temps de quart de tour militaire ?

      Qu'on se rassure : de retour sur un brancard deux semaines après vers la France libérée (en Trident IIIB, pas en Lysander), l'auteur bénéficiait le lendemain d'un enclouage médullaire décent ; il voyait avant d'entrer en salle d'opération les infirmiers stupéfaits d'abord d'avoir à scier pareil dinosaure médical, puis se bidonnant ensuite à la découverte des pages du quotidien londonien servant de noyau au système. 

      L'auteur reprenait le pilotage avion trois mois plus tard sans repasser par la case médicale et sans verser vingt mille francs (anciens). C'était le deuxième fois qu'il s'autorisait pareille désinvolture sur fracture d'un membre inférieur ! C'est très mal, naturellement.

    (2)  L'auteur vous a épargné le cliché que vous aviez craint : " Elle jeta, etc. ...   Bon Dieu ! Dire que j'avais laissé une enfant ! " 

     

     

    AVIONNETTE TYPE PANDER G 

     

      Ceci n'est pas une nouvelle, mais le texte de la pancarte placée devant l'appareil personnel de l'auteur lors des journées portes ouvertes de l'aéro-club. Son engin attire plus de monde que les Cessna. On s'est inspiré de l'article du Fana n°316 sur les avionnettes hollandaises Pander de 1920. Il s'agit d'un monoplace dessiné par son pilote, classé ULM, construit en bois et mû par un moteur Volkswagen de 40 chevaux.

      Construit à trois exemplaires seulement en 1924 aux Pays-Bas par Vliegtuig Industrie Holland, le Pander G Foutmelding (1) était destiné aux raids entrepris à cette époque par de riches sportsmen de diverses nations européennes entre leurs métropoles et les points les plus éloignés de leurs empires coloniaux.

      Le sort des deux autres Pander G reste inconnu. On sait seulement qu'ils furent en 1940 confisqués à leurs propriétaires par les Nazis et embarqués démontés dans le train de sinistre mémoire avec lequel le reichsmarschall Hermann Göring parcourait l'Europe entière en raflant les oeuvres d'art. Si le maréchal était lui-même pilote, il est cependant exclu qu'il ait pu faire voler personnellement les Pander G, très sensibles au centrage arrière.

      L'exemplaire présenté est seul rescapé ; il fut employé en juin 1924 par le capitaine Harm Gebruiksaanwijzing pour sa tentative de raid entre Amsterdam et Batavia (Djakarta) aux Indes Néerlandaises. Financé par le quotidien de Phonograaf, le capitaine décollait le 11 juin au matin de Schipol (Amsterdam) à destination du lointain Orient. Hélas ! Après deux escales de ravitaillement en essence à Athènes et Damas, l'officier était pris dans une tempête de sable. Son hélice rongée en quelques instants, le pilote dut se poser en urgence en plein désert.

      Les Anglais occupaient alors le pays après la chute en 1918 de l'empire ottoman ; secouru par les soldats britanniques du régiment de fifres highlanders du général lord Marmalade of Dundee, le pilote dut leur abandonner son appareil pour paiement de l'assistance reçue. Tandis que le capitaine de retour cinglait pour Rotterdam, les Anglais remettaient le Pander G en état de vol et s'en servaient deux ans durant de scout à la recherche des bandes de rebelles du célèbre émir Ifik, qui ne devait faire que bien plus tard sa soumission aux autorités mandataires.

      C'est à l'occasion d'une telle mission sur le désert de Syrie que touché en plein réservoir d'une décharge de mousqueterie, le Flight Lieutenant John P. Threewet, DSO, MTO, QDM, dut en panne sèche faire effectuer à son appareil un second " chameau " dans un décor particulièrement inhospitalier (voir Oeil pour oeil, avec Curd Jurgens). On n'entendit plus parler de lui jusqu'en 1977. A cette époque une équipe de cinéastes recherchait dans cette région un cadre naturel pour le tournage d'un documentaire de guerre authentique sur les camps japonais de prisonniers alliés à Bornéo ; ils tombèrent par hasard sur le corps momifié du Flight Lieutenant à quelques pas du Pander G parfaitement conservé par le climat sec et chaud (voir les Ailes du 22 janvier 1978).

      Il était en si bon état qu'il suffit de reboucher le trou du réservoir et de recharger la batterie pour permettre au Pander G de redécoller sur place ! Tandis qu'on rendait les honneurs militaires à la dépouille de son dernier pilote, le Pander G rejoignait Bagdad par ses propres moyens après avoir lâché une couronne sur la cérémonie. ll se posait en vol plané parce que la salve tirée à son passage par la garde d'honneur du cercueil avait, chose que le lecteur acceptera de croire d'autant mieux qu'elle est précisément invraisemblable, une fois de plus atteint le réservoir ! On devait à nouveau perdre sa trace jusqu'en 1997, époque où son épave très endommagée fut retrouvée dans un parc à ferraille proche de Bassorah par un spotter creusois.

      Cédé par les autorités locales en échange de quelques brevets en virologie et chimie des organophosphorés (accusation sans preuve formulée par l'administration Bush), le Pander G " rapatrié " devait subir une restauration dont il faut avouer qu'elle a quelque peu sacrifié l'authenticité à la possibilité de revoler. Ainsi par exemple le moteur tricylindre Anzani d'origine, peu fiable et donnant rarement ses quelques chevaux théoriques, a-t-il été remplacé par un groupe moderne Volkswagen provenant d'un Kubelwagen pris à l'ennemi et retrouvé dans la grange d'anciens maquisards limousins aujourd'hui retraités. Le premier vol en janvier 2002 de l'appareil remis en état manqua mal finir, les restaurateurs n'ayant pas aperçu le trou demeuré dans le réservoir.

      Comme bien des appareils des temps héroïques de l'aviation, le Pander G en dépit des apparence n'est nullement d'un pilotage aisé. Parfaitement dépourvu d'homogénéité entre ses diverses commandes, affligé d'un décrochage... particulier, le Pander G depuis n'est confié qu'à un seul pilote spécialiste, d'ailleurs coutumier de ce genre d'appareils. C'est ainsi que depuis 2002 les enfants des lotissements proches de l'aérodrome ont presque chaque jour la joie de sortir dans leurs jardinets battre des mains au passage de la machine très tôt le matin et très tard le soir, heures de calme plat propices à ses évolutions. Il est d'ailleurs impossible lors de ces survols de continuer à écouter la télévision.

      A noter que cette machine curieusement dépourvue d'immatriculation (2) se voit pour cause de terrorisme interdire par l'Administration d'approcher à moins de 5 kilomètres d'une centrale nucléaire ! Courteline n'est pas mort...

    *

     (1)  Le Foutmelding est un lutin bienveillant des contes et légendes hollandais. Il a la réputation de protéger depuis plus de six siècles la digue du Zuiderzee des assauts de la mer, et de polliniser à ses heures perdues les champs de tulipes.

    (2)  Les propriétaires d'ULM d'aspect "avion" entendent parfois ce commentaire en atterrissant sur un aérodrome extérieur.

     

     

    VOL DE NUIT

     

      20 heures ce 31 juillet 1943, le Mosquito est aligné en bout de la piste 24 de Coltishall. Le ciel est parfaitement clair ; le soleil vient de couler sous l'horizon vaguement violacé. Nous sommes ici dans le poste côte à côte, moi-même à gauche, Flight Lieutenant Swindon-Lansborough, DSO, QBE, et mon navigateur le sergent-chef Keith Masterton, TBO, QFE. Vous avez compris que nous ne sommes pas du même monde ; nous ne fréquentons d'ailleurs pas le même mess, encore que Keith ait fait ses débuts dans le mien avec une serviette et un plateau sur le bras. A part cela c'est un très courageux garçon qui n'a pas craint de quitter sa Nouvelle-Zélande natale pour venir marcher à l'endroit et surtout affronter les Huns. N'oubliez jamais "chef" après "sergent", car Masterton sans cela vous fera faire la connaissance d'une droite célèbre dans toute la RAF. Son père dans les ANZAC est venu se faire tuer en 1915 en tentant vainement de prendre les hauteurs de Chonuk-Baïr, et dort à présent dans l'un des colossaux cimetières de marbre blanc édifiés par l'Empire tout au bout de la péninsule turque. Pendant ce temps mon propre père l'honorable Herbert Swindon-Lansborough du banc du Roi s'apprêtait dans un monde différent mais glorieux d'une autre manière, à donner le jour en 1917 à Bury St Edmunds à un futur fellow de Cambridge, où le programme des études ne m'a jamais causé le moindre trouble pour suivre des cours d'apprentissage au vol au sein du club de l'université. On dit que j'excelle autant dans les chasses à courre et les réunions mondaines que dans notre squadron, et si notre cockpit ce soir n'est mondain qu'à moitié, c'est bien une sorte de chasse à courre à quoi nous allons nous livrer. Le renard s'en pourlèche déjà de plaisir, car le renard prend plaisir à la chasse, tout le monde sait cela. 

      Si tout se passe bien, notre Mark IV à nez vitré sera de retour un peu avant minuit sur le terrain de Deal, plus au sud, même longitude. Usant de notre vitesse et de notre plafond comme seules armes défensives, nous aurons dans un peu moins de deux heures lâché nos quatre bombes de 500 livres sur l'énorme coupole surplombant un fort quadrilatère de maçonnerie en pleine capitale ennemie. Si tout se passe très bien, l'objectif sera atteint et le fils du douanier envoyé en enfer plus tôt qu'il ne prévoyait. 

      Coltishall 52°46 nord et 1°22 est ; l'objectif gît par 52°31 nord et 13°23 est. Cap 091. Le premier Merlin à gauche s'ébroue sans histoire, suivi de son collègue droit ; un tiers de volets ; freins desserrés. 442 gallons à bord, Imperial, of course, près d'une longue tonne et demie. La piste court, la queue ne se lève pas avant 70 mph. L'admission est à 17 livres, tout est correct. C'est d'ailleurs aussi le montant de l'admission à l'association des anciens de mon collège. 120 milles, décollage de précaution au bout de 23 secondes. Train, volets ; 1000 ft/mn au plus pour laisser l'avion prendre progressivement de la vitesse tandis que nous effectuons immédiatement un long virage à droite sous trente degrés d'inclinaison. Redressé au 091, objectif droit devant à 505 milles. Nous n'aurions pas assez d'essence pour faire l'aller-retour près du sol à pleine admission, et surtout le vol serait bien moins intéressant à raconter au plan technique. Pour le moment nous nous fixons une montée constante à 2000 ft/mn qui laisse grimper tout doucement notre vitesse vraie au-delà de 200 mph. La côte proche est franchie à 20 h 04 et 6300 pieds. Décollé juste après la disparition du soleil, nous l'avons rejoint : une lumière rouge teintée de violet darde faiblement sur l'horizon à nos sept heures et demie. Les Rolls-Royce nous tirent dans leur mélodie sans égal, à l'opinion du navigateur ; la mienne est que leur son est beaucoup plus envoûtant à mi-puissance, tandis qu'ils font en plein effort un peu casserole. Nous effectuons cette nuit un raid absolument solitaire, mais j'ai le souvenir d'ascensions identiques en heure et en lieu, où faisant quelques esses pour goûter toutes les vues, j'ai contemplé, de loin et de haut déjà, la côte de notre cher vieux " porte-avions insubmersible " s'estomper dans un rien de brume sous les derniers flamboiements du soleil, cependant qu'au-dessus, décalé, un autre Mosquito en montée étalait sous mes yeux son gros ventre allongé, dont le blanc scintillait variablement d'un bord à l'autre, selon les angles de ses flancs ronds, de toutes les nuances reflétant la maigre lueur du crépuscule. Certains prétendent que les développements futurs de choses comme la télévision permettront au moindre de nos petits-enfants, dans sa chambre une fois la nuit tombée, de recréer à la demande sur un écran blafard une copie de ce que je vois, et de se faire une vague idée de ce que nous connaissons. Rêvons. le but de cette nuit, pour nous, c'est Schicky sous sa coupole. A 20 h 10 nous atteignons l'altitude de rétablissement  des Merlin, 17000 ft. TAS 270 mph, IAS 205. Comme il est normal, le maintien du vario à 2000 ft/mn entraîne presque immédiatement un commencement de baisse de vitesse ; nous abaissons le nez pour ne plus grimper qu'à 1000 ft/mn, et le badin remonte très, très doucement. 20 h 15. Plus rien en vue derrière nous, et l'obscurité brumeuse devant. 22000 ft, la TAS frôle les 300, l'IAS à 210. L'admission est tombée à 9 livres. Nous continuons d'amortir la montée en ne grimpant plus qu'aux alentours de 500 ft/mn, attentifs seulement à maintenir un badin d'un peu plus de 200 mph. Il semble vers 27000 ft que la machine à pleine charge s'essouffle ; nous passons en palier à 2 livres à l'admission, les manettes à fond depuis l'envol. La vitesse réelle vient dépasser sensiblement les 500 km/h, comme disent les grenouilles qui pensent aller plus vite avec leurs damnées unités inventées par leurs coupeurs de têtes. J'ai décidé d'employer cette vitesse pour donner un dernier coup de collier et sauter en une minute à 28000 ft où nous croiserons, l'âme sereine et le sentiment du travail bien fait, en contemplant les deux aiguilles des manomètres bien droites sur " midi ", zéro de boost tout rond. Nous pourrions monter encore, sans doute, car à 28000 ft la vitesse daigne quoique avec beaucoup de lenteur atteindre 328/212 TAS/IAS. Or le plafond n'est pas atteint tant qu'on peut accélérer en palier, mais le plafond n'est pas placé sur la polaire là où il faut pour garantir la plus longue distance franchissable, et nous avons précisément besoin de toute notre autonomie. Ajoutons qu'on se traîne au plafond à la merci d'un chasseur qui n'est pas encore au sien. Nous montons depuis une demi-heure et la côte des Pays-Bas est devant nous, nord-sud, perpendiculaire à notre route ; il reste 455 gallons ; consommation horaire 97 gallons. Nous aurions à ce régime devant nous plus de quatre heures de vol.

      La côte est franchie à 20 h 33. Nous passerons dans un instant un peu au nord d'Alkmaar, une charmante petite ville hollandaise qu'on croit sortie d'un livre illustré pour les enfants de chez nous à qui l'on veut montrer comment les charmantes petites villes hollandaises sont du matin au soir briquées par leurs ménagères en sabots parmi des torrents d'eau claire. En cinq minutes nous atteignons le Zuiderzee, puis la terre à nouveau. Il n'y a désormais que le sol noir et sombre jusqu'à l'objectif. Les étoiles ne manquent pas, trois mille théoriquement visibles à la fois, disent les astronomes sans doute pessimistes pour nous, qui laissons les deux tiers de l'atmosphère et la totalité de ses miasmes au-dessous de nos ailes. Après m'être répété les noms des constellations que j'identifie tour à tour entre les montants de la verrière, je me plonge dans la morne tenue de cap et d'altitude. A 20 h 53, passage du 7e méridien et entrée sur l'Allemagne ; à 20 h 56 est franchie exactement la moitié du trajet, soit le quart du vol entier ; et nous avons encore exactement les trois quarts de notre essence : le retour est en principe assuré largement puisque nous le ferons très allégés. 21 h 18, passons 10° E entre Hanovre et Hambourg, plus près de Hanovre. Objectif à 143 milles. A 21 h 27 nous franchissons le 11ème méridien est entre Wolfsburg -où l'on manipulait dès l'avant-guerre des millions de moteurs dont nous ignorons encore en 1943 la fabuleuse carrière aérienne à venir- et Salzwedel, dans la future People's Republic of Germany.

      A 21 h 35 au sud de Stendal au droit du 12e méridien, un peu d'animation va revenir au terme de près d'une heure de croisière monotone au cours de laquelle, à force de fignoler la trajectoire et de brûler du combustible, nous avons gagné 7 mph et atteint 335 réels. Sans réduire nous plongeons, le nez 10 degrés sous l'horizon. En deux clins d'oeil nous voilà à 435 mph, ou bien, pour l'ensemble du tiers-monde, pour les mangeurs d'escargots, de borchtch ou de nids d'hirondelles, toutes ces minorités qui n'ont pas le bonheur de vivre à l'ombre de la Couronne, 700 kilomètres à l'heure. J'ai décidé de conserver cette vitesse propre qui rend notre approche malaisée à intercepter. Il faut d'abord sur une dizaine de mille pieds d'altitude réduire à fond, mais la vitesse parvient encore à passer malgré cela les 440 mph. Bientôt l'air plus dense nous freine et m'oblige à rendre des gaz progressivement. Voici le sol proche. 21 h 41, mise en palier bas sur la plaine du Brandebourg. La pleine puissance est rétablie depuis quelques milliers de pieds, mais bien entendu la vitesse acquise encore considérable se freine au ras du sol jusqu'aux environs de 320 mph. Objectif à 23 milles. Déjà nous frôlons par leur travers agglomérations et étendues lacustres nombreuses. Nous serons sur l'objectif en quatre minutes de vol rasant ; l'objectif d'ailleurs se distingue de très loin dans la nuit claire. Je passe la vue au navigateur qui a rampé de sa place jusque dans le nez pour encadrer la coupole. Soute ouverte. A un demi-mille je cabre pour franchir l'obstacle à mille pieds en espérant ne pas recevoir d'éclat, je reprends la vue et replonge au ras des toits immédiatement après. Virage incliné à gauche en tâchant de voir le résultat. Je pourrais raconter qu'il n'y a plus qu'un amas de décombres derrière notre passage, mais apparemment nous aurons fait nos quatre entonnoirs à côté du but. C'est que je suis comme Kirk Douglas à la barre du Nimitz : je ne refais pas l'histoire. Demain, le petit caporal de Bohème triomphera en se réclamant une fois de plus de la sollicitude toute spéciale de la Providence, tandis que son volumineux Paladin maudira le ciel des Mosquito en ballottant dans un uniforme de théâtre plus fantastique encore que les précédents. Il est 21 h 45 ; il reste 56 pour cent de l'essence.

      Nous avons donc entamé un virage de retour que nous pourrions sans allonger notre route de beaucoup, élargir jusqu'à Tegel, que nous assaisonnerions d'obus si nous avions choisi l'une des deux autres versions du Mosquito qu'on nous proposait ; mais un Mossie pour moi est un B.Mk.IV, et les autres ne sont pas plus à mes yeux Mosquitoes qu'un machin à Griffon n'est un Spit. Cap au niveau des toits au 260 pour gagner Deal, même longitude que Coltishall mais cent milles plus au sud, à peu de distance de la mer, sous la Tamise entre Margate et Douvres. Nous collons au sol deux ou trois douzaines de milles à pleins gaz au milieu des lacs, puis reprenons rapidement de l'altitude : l'avion allégé cette fois grimpe à plus de 200 mph et largement à 3000 ft/mn. Ayant constaté l'absence complète de réaction ennemie jusqu'à présent (il faut dire que j'ai arrangé cela avant le décollage), je laisse l'avion s'exprimer en gagnant son plafond sans souci de la vitesse qu'on y atteindra. La machine se stabilisera d'elle-même commandes lâchées, un peu sous son plafond vraiment absolu, et nous croiserons sur tout le retour à 34500 pieds, - 6 de boost, 283 mph TAS et 160 IAS, 38 gallons par heure et par moteur.

      A 23 h 30 nous repassons sur la mer sensiblement à la frontière entre Belgique et Pays-Bas. Six minutes plus tard, mise en descente accélérée sous 10 degrés à piquer de la même façon qu'avant Berlin. Nous redressons juste avant la côte un peu au sud de Deal, toujours au 260, de manière à prendre sa piste 03 par une sorte de semi-directe avec un dernier virage de 130 degrés sur la droite. Réduction des gaz dès après la côte, en vue d'arriver en finale à vitesse acceptable pour toutes ces sortes de choses qu'il est recommandé d'abaisser avant de toucher la piste, sous peine de ruiner sa journée en la passant à remplir d'une foule de renseignements incongrus et indiscrets un énorme amoncellement de papiers. J'aurais mieux fait d'arriver un peu au nord du terrain plutôt qu'un peu au sud, et d'aborder cette fois la 21 par un dernier virage sur ma gauche de seulement 50°, bien plus aisé dans le noir. En bref, nous avons perdu toute orientation pour nous retrouver sur Deal à un cap totalement étranger à l'orientation des pistes. Nous n'avons plus assez d'essence pour attendre qu'on en aplanisse une qui nous convienne, en sorte qu'un modique tournant à notre gauche nous amène pratiquement dans l'axe de la piste 23 de Douvres (très à l'intérieur des terres) à cinq milles à peine au sud-ouest. Posés à 23 h 46 après 3 heures trois quarts de vol. Il reste 88 gallons d'essence, ce que nous n'attendions pas. Freinés au croisement des pistes, nous bifurquons à travers l'herbe en direction des bâtiments. Il fait sombre, mais derrière les alvéoles de sacs de terre, au lieu d'aéroplanes de sa Gracieuse Majesté nous croyons bien apercevoir des Ju 88. Autant ne pas lambiner ici dans ces conditions. Merci à monsieur Gates pour CFS3 : F10, huit frappes rapides sur " 2 " du pavé numérique, Entrée, Oui et au lit !

     

     

     

    ESSAI D'ART HERALDIQUE AERONAUTIQUE

     

    L'art du blason se perd, alors que l'aéronautique peut lui offrir un champ nouveau.

    Rappelons qu'en dépit d'une opinion trop volontiers répandue par des républicains haineux, les manants, roturiers et autres coquins avaient parfaitement le droit de blasonner sous l'ancien régime.

    Ne leur était défendu à peine d'être ébouillantés dans du mercure en fusion, que les ornements extérieurs comme casques, heaumes et couronnes.

    C'est l'Usurpateur qui restreignit l'écu à la noblesse, qu'il gâtait d'ailleurs en même temps par la nomination de nouvelles fournées d'aristocrates créées pour des motifs dérisoires (grands capitaines du temps, anoblis pour leurs propres exploits face à l'Etranger) venant polluer la noblesse ancienne mieux établie (lointains descendants de potentats locaux et d'écumeurs de chemins). Par bonheur notre bon roi Louis XVIII avant de s'effacer dans la gangrène de ses ulcères variqueux, rétablissait le droit des faquins à dessiner leurs armes.

    Essai d'art héraldique aéronautique :

    (En italiques noires, les termes héraldiques existants. En bleu, les néologismes introduits par cet essai).

    Les règles habituelles s'appliquent, mais il est créé trois nouvelles figures artificielles (revoyez vos grimoires) : l'avionla tourla manche. Tour de contrôle et manche à air bien sûr.

    L'avion reposant sur une terrasse est rampant s'il est à train classique, posé s'il est tricycle. Il est passant s'il semble taxier. Volant bas sur une terrasse, il est radadant.

    Un sans-queue est diffamé. Il est armé et lampassé si le train et les volets sont abaissés.

    Le manche selon le vent est pendante ou gonflée ; elle est dite flaccide ou érecte. Son orientation est indiquée.

    Si la manche est érecte, l'avion va à l'encontre s'il passe face au vent, porté vent de dos. A défaut de manche érecte, on indique le sens selon dextre et senestre.

    Exemple :

    Un écu de ciel bleu sur un terrain en herbe. Un avion jaune passant bas de gauche à droite, tout sorti, devant une tour verte à joints noirs et vitrages violets, ainsi que devant une manche bien entendu rouge et blanche, gonflée et pointant vers la gauche.

    D'azur à la tour sinople maçonnée de sable aux vitrages pourpres sur une terrasse du même, à la manche érecte d'argent et de gueules pointant de senestre à dextre (1), à l'avion d'or armé et lampassé radadant à l'encontre sur le tout.

    (1)  Attention, c'est à l'envers (le bouclier est vu de face).

    Il peut y avoir dans cet essai des erreurs de composition ; c'est oeuvre de débutant ; mais je pense qu'à l'Aéro-Club de France de nombreuses personnalités seraient tout à fait qualifiées pour en juger. 

     

     

     

    UN POINT D'HISTOIRE UN PEU ROMANCEE

     

    Appris dans une revue hebdomadaire datée du 12 septembre 1928 comment les Zborzjènes vaincus en 1918 s'y prirent pour reconstituer leur aviation commerciale sérieusement entravée par le traité de Saint-Cyr-l'Ecole, parce que peu de choses alors distinguaient un transport d'un bombardier. Ce chef d'oeuvre politique est à méditer.

      Acte premier : le traité n'autorise aux Zborzjènes que des avions d'un maximum de deux places, pilote compris, propulsés par un moteur d'au plus 60 chevaux et ne pouvant dépasser 150 km/h. L'ULM était inventé.

      Acte second : le plus sérieusement du monde, les Zborzjènes montent des lignes aériennes avec les avions précités.

      Acte troisième : alors que la population zborzjène sans aucun transport aérien se serait bornée à n'y pas songer, la vue des avions de ses compagnies la met en rage. Le premier but est atteint.

      Acte quatrième : les lignes aériennes françaises qui veulent doubler l'Orient-Express ne peuvent rentablement parlant contourner la Zborzjénie. Le gouvernement zborzjène exprime ses regrets : "Il est impossible d'autoriser le survol du pays à des avions qui ne respectent pas les critères du traité de Saint-Cyr-l'Ecole".

      Acte cinquième : les responsables des compagnies françaises disent à leurs pilotes : "Les B... (Bolchéviques, bien sûr) n'ont plus d'avions de chasse ; vous passez !"

      Acte sixième : ils passent.

      Acte septième : le mauvais temps ou les ennuis mécaniques valent aux terrains d'aviation zborzjènes la visite forcée d'avions commerciaux français.

      Acte huitième, scène première : les autorités zborzjènes gémissent beaucoup devant les passagers : "Akh ! Fous afez gommis un télit krafe ! Aper vous êtes tes zivils zinnocents, fous ne safiez bas ! Razurez-fous, fous serez lochés tans le meilleur hôtel te la fill chusqu'au tépart temain te l'egzbress te Chtrasspourgue !"

      Scène seconde : les autorités zborzjènes tancent les pilotes : "Vous ne pouviez pas ignorer ce que vous faisiez ! Tant pis pour vous ! Dix ans de prison, cent mille krams d'amende... Entre pilotes on va arranger ça, mais impossible de faire moins d'un jour de consigne nocturne dans l'hôtel de vos passagers, et environs huit cents krams d'amende puisqu'on a trouvé environ cette somme sur vous" (1)

      Scène troisième : les autorités zborzjènes avisent les autorités françaises que l'avion saisi comportant plus de deux places et étant motorisé par plus de 60 chevaux (ce n'est pas pour autant qu'il dépassait 150 km/h), elles n'ont qu'à venir le rechercher par le chemin de fer en pièces détachées, puisque selon les termes du traité de Saint-Cyr-l'Ecole il n'est pas possible de le laisser repartir par la voie des airs.

      Acte neuvième : en conséquence de tout ce qui précède, les Alliés victorieux rendent généreusement à la Zborzjénie à peu près toute liberté en aviation commerciale.

      La suite est postérieure à 1928 :

      Acte dixième : les Zborzjènes construisent des avions de transport étonnamment puissants pour les quatre passagers qui peuvent se faufiler pliés en six dans la soute à b... dans la cabine. En compensation, ils peuvent ramper dans le nez, véritable balcon entièrement vitré, pour jouir du panorama. Ils peuvent passer la tête pour se détendre en plein air dans une ouverture sur le dos de la carlingue, protégée par un coupe-vent, et offrant une vue sur tout le secteur arrière au-dessus de l'avion. Devant eux, un affût mobile n'attend que le montage d'une longue-vue à pièce de monnaie pour mieux voir si n'approche pas quelque autre appareil.

      Acte onzième : celui-là est suffisamment connu.

    *

    (1) Plaisanterie empruntée à le juge de la série Lucky Luke et adaptée au présent texte.

         

     

     

    POUR TROIS LITRES !

     

      (Extrait du Courrier de Bestagenke-Stadt, une sorte de de Hara-Kiri très lu dans la capitale de la Zborzjénie subcarpathique)

      "Notre armée de l'air veillait depuis ses bases lorsqu'un Pou-du-Ciel survolant une centrale nucléaire fut signalé par le contrôle radar. Sous-officier pilote plein d'allant, l'adjudant Kaskuj se précipita sur son chasseur. Tally ho ! Sabre au clair, le valeureux aviateur quitta le sol dans le tonnerre de la post-combustion, pour le rejoindre aussitôt avec une certaine dureté - fatale à tout dire. L'avion au parking attendait en effet non pas un pilote, mais un plein.

     "Il est arrivé déjà qu'un appareil militaire en panne piquât droit sur une école dont les enfants en récréation attirent l'attention de l'institutrice sur le bel avion qui glisse tout en silence vers eux comme s'il voulait... comme s'il voulait... mais que fait-il ? Aah ! Aaaaaaaah !...

     "Mais l'héroïsme n'est pas l'apanage des combats. Des Français diraient qu'il n'a pas plus dit son dernier mot à Dien Bien Phu qu'avec les accords d'Evian ; nous avons en Zborzjénie d'autres références non moins certaines. Arqué sur ses commandes figées dans le béton par la panne hydraulique, ce pilote-là n'avait pas oublié son engagement pour défendre et protéger tous les enfants zborzjènes ; au lieu de s'éjecter le pilote avait tout tenté pour dévier, dévier le monstre d'aluminium (nous savons bien qu'un monstre d'acier ferait plus sérieux) de l'école élémentaire sur laquelle un sort implacable voulait le précipiter. Il avait même déployé ses aérofreins à seule fin que leur sifflement alertât les habitants, comme sur un Stuka (Note du traducteur : ne pas oublier de prononcer "Chtouka" puisque le "st" zbrozjène se prononce comme le "st" allemand dans "Stiefel", "Stosstruppe", "Strafarbeit"...)

     "Non ! La volonté bandée du pilote avait vaincu les lois inexorables de la physique et du destin. Il avait évité de peu le dernier poulailler du village. La nation n'oublie pas ses serviteurs. Funérailles en présence du ministre, discours, croix de chevalier du Sceptre d'Ottobus Ier sur un coussin à glands dorés, cercueil porté par six adjudants-chefs (le grade de la victime ne justifiant pas la prolonge d'artillerie)...

     "Hélas !
     
    "Hélas, rien de tel pour cette fois-ci : les réservoirs ne contenaient même plus de quoi parvenir au village ; trois litres de plus auraient suffi pour atteindre, de manière à l'éviter héroïquement, le bourg et son école, dans la cour de laquelle la maîtresse... Au lieu de cela, notre pilote s'écrasa bêtement en rase campagne sous les yeux irrités des chasseurs qui pétitionnent déjà régulièrement contre les avions en rase-mottes qui effraient les sangliers. 
     
    "Qu'eussent été trois litres ? Discours, croix d'Ottobus, adjudants-chefs... Pour trois litres, tout est perdu !
     
    "Pour trois litres ! Trois litres !...

    *

       Note : le calembour "Bestagenke-Stadt" n'est pas de l'auteur. Origine inconnue.

     

     

     

    HISTOIRE ROMANCEE QUOIQUE VECUE

     

    .

      Il arrive - rarement - que des pilotes privés entendent de la part de professionnels des discours assez désagréables sur leur loisir et ce qu'il conviendrait d'en faire. Nous avons ici mis sous forme humoristique un tel incident, à partir d'une opinion de professionnel réellement entendue.

     

    Note : en certaines langues telles le sborzjène le "ö" et le "ä" surmontés d'un tréma se prononcent respectivement "eu" et approximativement "é".

      Décor : un restaurant sborzjène de standing banal. J'y déjeune avec mon père, octogénaire de santé générale meilleure que la mienne. Grand myope depuis toujours, le voilà depuis son opération bilatérale de la cataracte, apte à piloter un ULM sans lunettes. Il se rend à la messe le samedi soir de manière à disposer de tout son dimanche pour galoper dans les bois où il est difficile à suivre. Valétudinaire, égrotant, je suis écoeuré. En outre, mon français relève du petit-nègre en comparaison du sien.

      Nous faisions du tourisme bien hors de France, dans les vallées orientales de la Zborzjénie transcarpathique (Monastère de Saint Olesvlav-Kelbomek : *** vaut le voyage ; accès aux cryptes aux fresques obscènes sacrilèges du XIème siècle strictement interdit, sauf versement au guide de cinquante millions de drachnars (0,50 euro) en faveur de ses oeuvres bachiques. Chaîne des monts Smetana-Lamoldo (1) : ** mérite le détour ; il est fortement déconseillé de s'y aventurer sans une AK 47 ; à l'inverse des Pyrénées, les autorités versent cinquante milliards de drachnars par queue d'ours et dix par paire d'oreilles de loup qui leur sont rapportées. Il était récemment encore possible de visiter dans les endroits reculés des monts les élevages clandestins de loups. Malheureusement on y très mal reçu depuis qu'on risque d'être pris pour un agent de la firme Mont-Sancto qui travaille à breveter la pousse hors-sol d'oreilles seules, ce qui détruira encore tout un pan de l'agriculture traditionnelle).

      A la table voisine distante d'un mètre (en unités de mesure locale, un peu moins de deux pieds de la princesse Nadhiagreh, qui passe encore pour la plus belle femme ayant vécu dans le pays), trois hommes de la région savourent leur kèlorör (yeux de brebis macérés dans l'alcool national - un filtrat d'airelles et de framboises broyées dans le glycol - et servis tièdes avec leurs cils dans la cancoillotte de huit ans d'âge. La brebis énuclée est traditionnellement abattue l'année suivante à la veille des célébrations du martyre de saint Nclas Srkzy, dénoncé en 642 à l'occupant luxembourgeois Khlyrsthrym par l'abominable Dniq Vllpn, et qui mourut en bénissant son délateur). Nous entendons leur conversation, n'étant séparés d'eux que par l'amoncellement du gibier en cours de faisandage accéléré sous une batterie de lampes halogènes, pratique rigoureusement interdite par les services sanitaires du pays en raison du coût pour l'économie sborzjène de l'importation des lampes. Les trois hommes conversent suffisamment haut pour qu'on sache à qui l'on a affaire (Wyrr zhinde polyghlott, maï phater y moï... le sborzjène ne nous fait pas peur). Il y a là deux officiers pilotes de la Zborzj Vozdy Sil, l'armée de l'air, en compagnie d'un quidam couleur muraille au regard fuyant, probablement un ancien politkhomiszähr de la ZVS.  

      Je rédige sur un bout de papier arraché à la nappe un court message que je passe à l'auteur raisonnablement présumé de mes jours : "Attends un instant de silence à la table voisine pour me demander combien j'ai désormais d'heures de vol comme simple pilote du dimanche".

      Le silence de la salle, interrompu simplement aux hors-d'oeuvres (Nous avons prétexté l'appartenance à une église abstinente pour réfuser l'apéritif national) par les menaces de mort du violoneux à qui mon père a refusé une pièce de vingt millions en disant avoir déjà assez mal aux dents comme ça ; le silence donc est interrompu de nouveau par les appels stridents de la patronne à tous les élus du paradis sborzjène lorsqu'elle découvre le sort fait à sa nappe que j'ignorais définitive. Pauvre femme qui l'avait mise toute neuve en l'honneur de ses hôtes étrangers. On s'étonnera après ça de voir la médiation de la France écartée au profit de celle des Etats-Unis dans la résolution du quarantième contentieux en six siècles avec la Strylvonie voisine au sujet de la navigation danubienne entre les deux pays. Et il y a pire : voilà perdue par ma bêtise une vente probable à la ZVS de trois Rafale SO (stripped off) à deux Verdon et avionique Radiola.  

      Cependant mon père finit par trouver un créneau sonore, juste avant le retour à travers la salle du gardien de cochons qui regagne l'arrière-cour avec ses protégés qu'il encourage à coups de bâton. Je rattrape un peu mes sottises en livrant le porcelet tremblant qui s'était réfugié dans nos jambes en devinant des compatriotes de Brigitte Bardot.
     
    Bref, mon père parvient à placer : "Et au fait, combien d'heures de vol as-tu maintenant ?..."
    - Mille cinq cents, dont six cents sur mes trois prototypes de tourisme... Le tout à mes frais, évidemment ! Et pour la retraite ? Ah, non, ça ne compte pas !

      La conversation à la table voisine change instantanément de sujet. Il n'est plus question d'éradiquer du ciel tout ce qui n'est pas militaire ou commercial.

    *

      Bien au contraire, nous apprenons alors foule d'anecdotes plutôt préoccupantes sur les qualités de vol du MiG-21KK, une reconstruction locale bi-Marboré / Walter HWK 509A à base de cellules réimportées du Mozambique. Les Walter ont été retrouvées neuves en caisses d'origine en 1996 dans une grotte des Lamoldo - dissimulées probablement lors de l'avance de Tolboukhine - par un berger qui cherchait un endroit discret avec sa chèvre.

      La biographie de saint Nklas Srkzy est en cours de rédaction par mes soins pour Wikipedia. Son retrait est programmé pour le lendemain.

     

    *

      (1)  Calembour emprunté à un numéro de Jalons.  

     

     

    CRITIQUES  DE  LIVRES

     

      Je livre aujourd'hui une part des critiques de livres d'aviation parues au fil des ans sous ma signature dans le bimestriel Le goujon du Loiret :

    Generalderjagdfliegerritterdeseisernenkreutzesmitdemeichenlaubmit-schwerternmitbrillanten Adolf Galland : Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt.

      Cet as de la Luftwaffe aux 104 victoires (chiffre prémonitoire du plus sûr avion de chasse d'une arme restaurée dans la démocratie quelques années plus tard) devenu général-en-chef-des-chasseurs-chevalier-de-la-croix-de-fer-avec-feuilles-de-chêne-glaives-et-diamants, déçoit beaucoup dans son livre de mémoires : soucieux surtout de tirer à soi la couverture au travers d'un constant étalage d'humour incertain (qui fait l'humour dans les pages que vous tenez ? Le général n'avait peut-être pas compris...), ce serviteur empressé du devoir prend de manière déplaisante ses distances envers ses bienfaiteurs. Il rit avec ingratitude de l'inculture d'Adolf Hitler, dont il se paie la tête parce qu'il a découvert par hasard que son Führer confond les eaux de diamants divers et n'entend visiblement rien à la gemmologie ! Et puis ? Guider - führen - un grand peuple réclame-t-il la science du joaillier ? Non content de ce persiflage, Galland se moque également avec un à-propos cruel des costumes polychromes chatoyants qu'affectionnait son supérieur Göring.

      Ainsi Galland montre-t-il au fil des pages comment on peut se congratuler avec l'héritier de Barberousse et du grand Frédéric ; se taper sur les cuisses avec le brave gros Hermann ; avoir tué fort loyalement plusieurs dizaines d'Anglais ; estamper son père ; tourner un fanfaron italien en ridicule ; rester fidèle à ses convictions jusqu'en 1996, date à laquelle il fallut après le dernier infarctus s'expliquer devant plus gradé que lui...

    ... et cependant laisser son lecteur pilote sur l'embarrassante impression d'un aviateur doté de moins de grandeur que nous rêvons d'en voir à tous les hommes du ciel. 

      Aurait certainement accepté de se battre même pour une démocratie, pourvu qu'elle lui fournît un avion à piloter.

     

      Nagatsouka   J'étais un kamikaze

      Un pur. Il y en eut partout.

      "être un kamikazé" : verbe habituellement défectif qui ne possède pas en principe de passé, sauf quand le mauvais temps fournit la bonne excuse pour ne pas trouver la flotte américaine et rentrer dans ses confortables quartiers. A noter que le... héros de cette histoire ne s'en est pas tiré à si bon compte : son adjudant lui a passé un bon savon au retour.       

      Ce livre n'a pas été traduit du japonais mais écrit en français dans le texte du premier au dernier mot par un... un pilote, certes... pas bien résolu... (étant pilote nous-même, nous avons tendance à approuver l'adjudant) étudiant en lettres (ah ! on comprend déjà mieux !) françaises (voilà qu'à nouveau on ne comprend plus) à l'époque où déjà le Japon épuisé manquait de tout : c'est pourquoi sans doute le texte pour être historiquement intéressant ne présente aucune valeur littéraire. Mais comment résister à ce gamin amoureux de George Sand qui s'envole pour ce qu'il croit être son dernier vol, en emportant les maîtres sonneurs dans sa combinaison ?

      A moins qu'il n'emporte don Quichotte dans la traduction espagnole, et ainsi de suite.

    *

      Note à l'intention des kamikazés perdus dans la brume : le pilote qui ne trouve pas son objectif conserve la faculté de l'appeler pour lui demander un QDM. Ne riez pas, un bombardier anglais dans la campagne de Suez a ainsi demandé - et obtenu - un cap de l'aérodrome égyptien qu'il devait assaisonner.

      (Remarque : Mon persiflage à propos de "don Quichotte et ainsi de suite" est parfaitement infondé ; Nagatsouka devait après la guerre devenir professeur de français et son nom se trouve sur des sites parlant de George Sand et Nohant).

     

       Scott : Dieu est mon copilote

      Que reste-t-il à dire à un pauvre critique littéraire "civil" devant ce que sait écrire un soldat ? Mieux vaut se borner à citer :

      "... à douze ans... grimpant sur le clocher de l'église baptiste, j'y capturai douze pigeons blancs que j'allai lâcher à une réunion... au plus pathétique de la prière. Je faillis mourir de rire - j'en ris encore - à voir les (allez voir vous-mêmes le texte original ; des lois sont passées depuis) se roulant dans la sciure, roulant aussi des yeux blancs en criant : "Gédéon, Gédéon - allélouia - gloire, gloire à toi !"

      "Au total je tirai 1890 coups de mitrailleuse sur ces trois ou quatre cents hommes et je ne pense pas en avoir laissé debout plus d'une poignée [ils étaient dans un chemin creux profond dont les bords détrempés étaient impossibles à escalader]. Très fatigué, je suis rentré très joyeux."

      "... nous sommes tous tombés d'accord sur un point : nous combattions pour la femme américaine."

     

      Mouchotte :  Carnets

      Le pur entre les purs. Les purs sont candides et ne savent pas toujours se relire. Chapitre XII, page 130 de l'édition Flammarion, 1949 :

      "Le C.O. (commanding officer ; NdlR) a eu la moitié de sa queue arrachée par un obus, mais a pu rejoindre la base en tenant son manche à deux mains. Je suis comme tous très excité..."

     

      Peter Windso... Townsend :  Duel dans la nuit

      Souvenirs d'un aviateur anglais sous le Blitz. Encore un aviateur qui ne sait pas écrire. Notons rien qu'en première page :

      "La nuit venait de tomber sur Singapour avec cette soudaineté qui sous les tropiques caractérise la disparition du soleil" ; cliché !

      "... un garçon Tamoul au teint plus sombre que la nuit" ; poésie pour académie de chef-lieu d'arrondissement !

      "... un Vickers Vildebeest, un biplan aussi laid que le bovin africain dont il portait le nom" ; incorrection de langage et considérations colonialisantes qui ne sont plus de mise à notre époque !

      "Montant de plus en plus haut dans le ciel étoilé et pourpre..."  Comparer avec l'équivalent chez Clostermann : "Soudain, sans transition, comme un plongeur je m'enfonce en pleine lumière dorée. Les ailes de mon Spitfire s'empourprent [...] le soleil émerge comme un lingot brûlant du bloc de plomb solide et inerte de la mer du Nord"... C'est un peu différent... 

      Le texte s'améliore en page 126 : "... l'extrémité de mon pied me faisait mal, comme c'est le cas aujourd'hui encore, quand elle heurte quelque chose.

      Son pied avait reçu un éclat d'obus ; le mien, non. Cependant, lorsque je me lève la nuit dans le noir sans prendre garde à mes mouvements, je suis facilement pris de hurlements terribles pour le même motif. Ce doit être une particularité commune à tous les aviateurs.

     

     

     

    COURRIER A LA REDACTION DU FANA DE L'AVIATION

     

      Bavardant avec un de tes collaborateurs, Fana, je me suis laissé dire qu'il existait des collectionneurs n'ayant pas surmonté voici une vingtaine d'années le choc moral du remplacement de tes reliures d'antan par de simples boîtes ; ce n'est pas tant le nouveau mode de rangement qui les embarrasse, que la rupture de présentation entre classeurs, puis boîtes ; la continuité esthétique est brisée ; ils ne le supportent pas. Ils ont réagi en s'enfermant dans leur chambre avec leurs Fana d'avant le changement, ignorant volontairement qu'une suite existe et continue, ne voulant plus vivre que tournant éternellement en rond dans le temps figé de leurs numéros en classeurs, qu'ils relisent éternellement dans un instant à jamais arrêté.

      Je ne suis pas loin de sympathiser avec eux. Personnellement je regarde comme des Fana vraiment authentiques les seuls numéros orange. Je ne considère même comme de véritables Fana que les 125 premiers numéros, avant que le format de la revue ne change et rompe l'ordonnancement général. Au-delà de la 100 e parution le numéro est devenu plus épais, sa couverture moins raide ; le Fana est déjà moins digne selon moi de collection. En fait, l'Album du Fanatique de l'Aviation a vu son titre amputé à partir du numéro 65 (avec une brève résurrection pour le 71), d'où il ressort que les seuls Fana dignes de ce titre sont les 64 premiers.

      Hum ! La rareté faisait tout le prix des premières années du Fana ; non que le Fana fût difficile à trouver en kiosque ; mais je pense à la rareté des publications aéronautiques à cette époque, et au petit nombre de sujets amoureusement choisis dont il fallait se contenter dans les 36 pages du mince fascicule mensuel. La science aérophile était denrée précieuse parce que parcimonieuse. Chaque nouvel et maigre numéro du Fana s'attendait comme un trésor de l'esprit. Dès le numéro 51 la revue s'épaississait, entreprenant sa dérive vers la vulgarité de l'abondance facile. Les Fana authentiques sont les 1 à 50.

      Les puristes, seuls vrais lecteurs, ont pensé bien sûr à réclamer un Fana sans photographie, de manière à perpétuer l'esprit de l'Aeroplane Spotter des années de guerre ; mais on avait abandonné cette prétention ; on s'était résigné à cette concession au modernisme inéluctable. Hélas ! A qui consent le doigt, on prend le bras ; voici qu'apparaît au numéro 29 une innovation dangereuse comme toutes les innovations dont on n'a que faire dans les traditions établies : la photographie en couleurs, aussi incongrue dans le Fana première manière que la photo tout court l'était autrefois dans le Monde, bien déprécié dans l'esprit des connaisseurs depuis qu'il est illustré. Le Fana véritable ne va pas au-delà du numéro 28.

      Le Fana est né in extremis dans les années soixante... Un changement de décennie n'est pas un mince détail ; il bouleverse tout dans l'esprit des vieilles choses... Les millésimes en "7" sont-ils encore des Fana comme les premiers ? Je ne le pense pas. Le Fana historique, le seul incontestable, ne se prolonge pas après le numéro 6 de décembre 1969.

      Mais est-on vraiment en droit d'appeler "Fana" un numéro dépourvu d'un article maquettiste d'Ezdanitoff ?... A cette question souvent âprement débattue voici un quart de siècle dans les cercles fanamanes, je réponds personnellement que cela ne semble pas possible. Or la participation d'Ezdanitoff ne débute qu'avec le numéro 13, bien après donc le numéro 6. La conclusion en découle d'elle-même : le Fana n'a jamais existé ; il n'est qu'un songe inaccessible ; ou pour paraphraser l'antique réclame de la maison Dassault pour ses Mirage, le Fana est "aussi insaisissable pour ses adeptes que le mirage est insaisissable pour le voyageur du désert."

      Il fallut pourtant vivre comme si le Fana existait, tout comme le croyant le plus spiritualiste oblige son corps à vivre alors que seul compte pour lui l'esprit. J'ai donc acheté chaque mois, en dépit de l'absurde, le spectre matériel illusoire de ce Fana qui n'a jamais été. Ma plus grande aventure fut celle de ton numéro 43, celui du premier avril 1973, celui de ton premier canular, l'intercepteur imaginaire Klagenfurt. A cette époque je découpais encore tes pages pour faire des fiches d'enfant sur de grandes feuilles de classeur ; j'ai fait le jour même de mon achat la fiche de l'avion-fusée, mais des bavures de colle salissaient les photographies plaquées sur le papier blanc. J'ai couru acheter un second numéro, pour recommencer. Juge de ma tête en découvrant la tromperie dans le numéro du mois suivant : le Klagenfurt était pure invention ! Trois ans plus tard je rencontrais par hasard le seul de tes prêtres que j'ai jamais connu, le grand-maître es-Luftwaffe X..., en compagnie duquel je suis avec deux amis communs allé voir dans un cinéma de Strasbourg la bataille de Midway où Charlton Heston décolle dans un Dauntless pour apponter (très mal) dans un Helldiver. En faisant mine piteuse (contrepet) à l'évocation de ces pénibles souvenirs, j'ai raconté à X... la mésaventure de mes deux numéros 43. J'attendais des paroles de compassion, peut-être même le remboursement du second numéro... et je n'eus droit qu'à un rire mal étouffé !

      Je n'ai vécu depuis que pour laver la honte de cette affaire ; je n'ai plus eu que cette seule pensée : traquer tous tes numéros 43, les 30 084 que je n'avais pas achetés (le chiffre est imprimé en bas de la page 32) pour les faire à jamais disparaître, pour effacer de la mémoire aéronautique jusqu'au souvenir du traquenard inhumain où j'étais tombé. J'y ai mis trente ans, mais j'en ai interceptés huit, patiemment guettés dans les petites annonces, achetés par des prête-nom laissés dans l'ignorance de leur commanditaire. Ainsi ne reste-t-il dans la nature que 30 076 témoins de mon infâmie. Mais voici qu'un autre encore va tomber : je flaire l'existence d'un numéro 43 dans cette collection complète à vendre. J'appelle l'annonceur avec des accents enflammés pour le dissuader de cette folie : brader la série d'un coup. Il en aura bien meilleur profit à vendre au numéro. Mes arguments portent ; il va revenir sur sa position...
    - Et pour vous prouver la véracité de mes dires, je lance le mouvement en retenant le numéro 43.
    - Euh... c'est tout ?
    - C'est un commencement solide pour vous, et les demandes vous parviendront plus vite que vous ne pourrez répondre au téléphone, vous verrez !
     
    Il hésite ; je le sens fléchir ; il va céder ; sans lui laisser le temps de se ressaisir, je reprends :
    - Je ne présume pas que vous désiriez particulièrement photocopier l'article du Klagenfurt avant de m'envoyer mon numéro ?
    - Ma foi, je n'en avais pas l'idée. Mais à présent que vous m'y faites penser, je conserverais volontiers une trace de cette anecdote...
     
    Ici, je tranche hâtivement d'un cri d'angoisse et de menace implicite :
    - Gardez-vous en bien ! Je vous demande comme un service personnel de n'en rien faire. Ne me demandez pas mes raisons. Nous sommes d'accord ? Vous ne photocopierez rien ? En contrepartie, votre prix sera le mien.

      Il a juré, encore que sa voix dénotât de sourdes interrogations. Je remportais une victoire de plus sur le scandale et la honte ! Je sais que je ne reculerai devant rien. Si tu entends une nuit, Fana, des craquements dans tes réserves, ce sera moi, en train de fracturer tes classeurs pour me saisir de l'exemplaire du numéro 43 de la collection de la rédaction. Depuis 1973, bien sûr, pas une femme n'a compris le sens de ma quête ni su m'épauler ; pas une pour s'être durablement montrée capable de donner les sommes toujours croissantes exigées par les détenteurs de numéro 43 qui s'échangent mon adresse. C'est donc sans plus m'embarrasser de la présence de l'une d'elles qu'il m'a fallu poursuivre mon but. Et puis il y a eu ce déménagement. Pour fêter mes quatre-vingt dix-sept ans, j'ai montré au docteur qui me visite à domicile toutes les semaines mes trois cent vingt-neuf numéros 43. Dans la chambre capitonnée où l'on m'a logé depuis avec tous mes Fana orange, j'attends chaque jour le passage des infirmiers à qui j'ai offert de se partager ma succession s'ils m'apportent les 29 755 exemplaires qui me manquent encore, avec bien sûr l'engagement de n'y rien photocopier. Ils ont promis, et depuis que j'ai cette assurance je ne les menace plus, et ils ont défait mes bras dans le dos. J'en profite pour recompter fébrilement mes numéros 43...

     

     

    ENTRE GENS DE BONNE COMPAGNIE  

                  

      J'ai voulu profiter de mes vacances sur Mars pour gonfler mon carnet de quelques heures de vol au-dessus de ses déserts de rouille. La densité atmosphérique valant le centième de la nôtre, la vitesse minimale y est de plusieurs centaines de kilomètres à l'heure ; en sorte que l'ULM n'existe pas ici. J'ai dû passer une visite médicale.

      La morphologie des Marsiens est étonnamment proche de la nôtre, si l'on excepte l'oeil supplémentaire et diverses différences internes invisibles. Cette similitude nous permet de partager avec les Marsiens le plus clair de nos loisirs. Sur certains, j'étendrai un voile pudique. Sur d'autres comme les sports aériens, il me restait à découvrir.

      Le son ne se propageant guère dans l'air marsien trop rare, j'ai pris rendez-vous chez le médecin par émail. Son secrétariat m'a prié de passer à dix heures le géodi suivant. Le géodi sur Mars s'intercale entre le lundi et le mercredi. Le médecin et moi nous sommes bien entendu parlé par gestes, comme ici chacun. Le médecin a commencé par tiquer sur l'absence de redondance de mon coeur unique, et tout d'abord envisagé une restriction de privilèges au seul pilotage accompagné. Mon défaut d'oeil arrière ne lui convint également qu'à moitié, car, bon siècle mal siècle, deux ou trois abordages en finale sont évités sur Mars grâce à cet organe.

      Mon absence de longeronesthésie lui plut moins. La longeronesthésie est un sens propre aux Marsien, qui leur permet de "sentir" les criques et autres malcollages dans les longerons. L'alongeronesthésie sur Mars entraîne évidemment l'inaptitude. Vérité en-deçà d'Olympus Mons... Qui a raison ? O Bijave, O DR-400...

      Mais là où il s'étonna tout à fait, ce fut au sujet de mon défaut de sens de l'équilibre absolu. Si les Marsiens n'entendent pas, ils conservent des osselets vestigiaux gyroscopiques auxquels ils doivent même en l'absence de visibilité de conserver toujours la référence horizontale. Ces organes me manquaient ! alors que des milliers de pilotes se tuent chaque année sur la Terre à la suite d'un passage involontaire en IMC !

    - Ainsi, me dit-il par gestes, vous jugez sur la Terre les individus aptes au pilotage lorsque les perceptions de leurs sens sont simplement intactes, alors qu'à l'évidence elles n'en sont pas moins insuffisantes ? 

      Je dus avouer que tout semblait bien chez nous prétexte à voler. Je tentai d'ergoter en précisant qu'on nous disait simplement d'éviter les nuages, en sorte qu'il pourrait déroger peut-être en faveur de mon expérience acquise et de la nébulosité tout à fait nulle sur Mars. Peuh ! Il dressa pour mon édification une courte liste de quelques affections terriennes inconnues sur Mars, et qui ont en commun de survenir sous la forme d'une première crise inattendue chez le sujet apparemment sain. Si toutes n'ont pas la gravité de l'épilepsie, elles ne sont pas moins incapacitantes. Il faut avouer que c'est à s'interroger sur ce qu'est un sujet apte. Je regrette de ne pouvoir ici reproduire pour le comique cette petite liste, mais, venant d'un non-médecin, on me soupçonnerait aussitôt de ne connaître ces amusettes que pour les avoir éprouvées. Mais enfin, j'ai désormais la preuve que l'aptitude n'existe pas.

      Pour atténuer ma déception, il me consentit le certificat de classe  4 exigé sur Mars pour tout passager. On ne conçoit pas là-bas que le porteur d'affections susceptibles d'être réveillées par l'altitude puisse monter même en passager. Rien n'est plus raisonnable. Depuis le dépôt de candidature de Mars à l'Union Européenne, Bruxelles et Cologne se penchent d'ailleurs sur la question. L'attribution de la classe 4 pourrait naturellement être exclue après soixante-dix ans (1).

      - Ne m'en veuillez pas, ajouta-t-il en glissant mes 75 marsios dans son tiroir ; je compte aller pour la première fois sur votre planète l'année prochaine, et y voler un peu. Je ne manquerai pas de vous y convier à monter avec moi.

      J'émis alors, toujours par signes, des doutes relatifs à son aptitude otologique ici-bas. Eh bien ! Il est devenu tout de la couleur de sa planète !

     

    (1)  Rappelons qu'il s'agit d'une fiction (en tout cas au 06/06/2010, date de rédaction).

     

      

    PLACE ! PLACE AU MARQUIS DE CARABAS !

     

      Le marquis de Carabas a daigné se poser à Saint-Cléziat sur Gartempe dans son carrosse Robin attelé de cent-soixante pégases du Nouveau Monde. La marquise et le petit marquiseau lui faisaient compagnie. Robin est un usinier aristocratique puisque le robin est un magistrat, membre de la noblesse de robe. Les manières énergiques et dépourvues d'onctuosité du marquis le rangeraient plutôt, nous l'allons montrer tout à l'heure, parmi la noblesse d'épée.

      Le marquis atterrit (passé simple). Nous vîmes le carrosse progresser lentement vers le parking en dur de dix toises en large qui s'étend au long des écuries du club. Les portes en étaient largement ouvertes. En dedans les écuries, l'aéronef d'un pouilleux, un Mignet, quoi, construit par votre serviteur, se trouvait devant les autres et disposé sensiblement en travers. Le marquis à l'instant de parvenir sur le dur fit faire volte-face à son équipage. Un vent d'une certaine importance suppléa alors le balayage quelquefois oublié des écuries.

      Cela n'était rien encore. Une roue du carrosse chut dans un trou ; la chose en vérité serait douteuse car il n'y a point de trou en principe sur notre herbe, mais nous avons la parole du marquis. Il est vrai que depuis que la France entend se gouverner par elle-même, on ne peut plus envoyer les manants à la corvée. Personne ne bouche ainsi plus les trous. A preuve, le marquis lui-même a-t-il perdu son droit de premier intervenant après les noces des ses payses.

      La marquise et le marquiseau n'étant point personnes d'une qualité à pousser les carrosses, demeurèrent assis en icelui. Le marquis cingla d'un coup vif les reins des cent-soixante pégases. Le carrosse parut quitter le trou prétendu, mais la conservation de la quantité de mouvement totale fut cause du rejet en sens opposé d'un souffle hélicoïdal digne du rang du personnage. Dans les écuries, le gouvernail de direction du pouilleux saisi par son travers s'en alla claquer avec violence contre ses butées, ce pendant que le manant propriétaire se couvrait les yeux pour  les défendre d'une tornade de poussière.

      Le marquis, démocrate au fond, vint aussitôt se confondre en regrets et s'assurer que le gouvernail ne portait point de dommage.

      Ici, nous rêvons. C'est le pouilleux qui vint porter au marquis ses respects, encore qu'assez bien dans sa manière de rustaud, sans rien des délicatesses de la politesse de cour. Le marquis s'emporta bien, mais point du tout contre lui-même. Il cloua le bec au rustre limosin (relire : "Monsieur de Pourceaugnac") en lui signifiant avec irritation à la vue de son bidet Mignet, qu'une machine d'un tonnage digne du nom d'aéronef n'aurait pas même frémi sous l'orage.

      "Ognez vilain, il vous poindra ; pognez vilain, il vous oindra."

     

     

      

    MISCELLANEES :  INTERVENTIONS DIVERSES PUBLIEES SUR UN FORUM AERONAUTIQUE

     

    *

     

      On ne le dira jamais assez : la fin du communisme international fut un désastre pour les humoristes politiques. On peut attaquer sans fin le libéralisme anglo-saxon ou les morales théologiques ; pas moyen d'en rire ! On ne rit que des contradictions internes d'un système, ou de son langage fleuri, pas de sa froide logique. Ce langage si particulier de l'internationalisme prolétarien, déjà presque oublié, qui ne regrette de voir la génération nouvelle grandir sans jamais plus l'entendre ? Faisons du moins un effort pour elle, pour tous ces jeunes gens du troisième millénaire, qui n'ont plus dans leurs lycées et facultés ces camarades marxistes d'antan au discours si riche des fleurs d'une rhétorique bien savoureuse, toujours si vivante au coeur des survivants de la guerre froide.

      Premier octobre 1983. Les Soviétiques envoient par le fond un Boeing civil de la Corée du Sud, garni de ses trois cents passagers. Adressons au victimes du raz-de-marée de protestations un court message de bien nécessaire soutien :

      Monsieur l'Ambassadeur,

      Gloire soit rendue aux vaillantes forces de la défense aérienne de l'Union Soviétique, qui n'ont pas craint de démasquer et punir l'impérialisme yankee lâchement dissimulé sous les traits de son laquais sud-coréen.

      Non content de voler au peuple coréen la moitié de son territoire, de faire planer depuis trente ans à sa frontière la menace de la guerre, le capitalisme monopolistique ne songe qu'à prendre la revanche de sa cuisante défaite de 1953.

      C'était sans compter sur l'inébranlable détermination du parti et du peuple de l'Union Soviétique à étouffer partout où ils se manifestent les sursauts scélérats de l'impérialisme aux abois.

      Je vous assure, Monsieur l'Ambassadeur...

      Trente ans plus tard, toujours pas de réponse.

     

    *

     

      On se rappelle David Vincent qui voici trente ans se débattait pour sauver la planète non pas du gaz carbonique, mais des diaboliques Envahisseurs prenant l'apparence humaine. Il était jeune, il était beau, et nous conservions à bon droit l'espoir qu'il sauverait au moins l'Amérique. La tâche serait rude, puisque personne en son pays ne le prenait au sérieux.

      Ici non plus, d'ailleurs.

      Il était si beau qu'il parvint même un jour à embrasser à la française une belle Envahisseuse qui se trouvait être, par exception, rebelle à l'impérialisme assassin de ses congénères. Il avait tout de même fait preuve de discrimination envers l'orientation sexuelle des personnes, en commençant avant de rouler sa pelle par demander à l'Envahisseuse si elle était bien sur sa planète l'équivalent d'une femme. Je n'invente rien.

      Hier, ce fut un  choc. J'ai revu sur un téléviseur David Vincent plus de trente ans après, tel qu'il est de nos jours. Eh bien... Il n'est plus certain du tout qu'il ferait encore un tabac auprès des belles Envahisseuses.

      C'est de sa faute. Voilà ce qui arrive quand on cherche toujours la bagarre. Supposons qu'au lieu de se disputer avec les Envahisseurs, il ait noué des relations amicales. Les Envahisseurs l'eussent invité à une balade en soucoupe volante. Quittant la terre un jour de 1975, David Vincent aurait en une heure sillonné la galaxie à 99,9999999999% de la vitesse de la lumière, et, hier, eût après un vol spatial d'une heure dans son propre référentiel, débarqué avec ses traits d'il y a trente et des années.

      A quoi tiennent les choses, si ce n'est à un peu de bonne volonté réciproque ?

      N.B.   L'auteur précise qu'il n'est pas du tout dans ses intentions de tourner en dérision des vérités aussi solidement établies que les visites d'extra-terrestres, mais seulement de blaguer les théories abracadabrantes sur le temps de la physique contemporaine.

      Quarante ans après avoir assisté à la télévision à la scène difficilement acceptable de nos jours qu'il a mentionnée, l'auteur l'a retrouvée sur la toile ! Il s'agit de l'épisode 41 des Envahisseurs, sur Youtube, à exactement 38 minutes. 

     

     *

     

     Un contributeur du forum demande l'origine et la signification du cri "train bleu !" lancé, paraît-il, sur un porte-avions au pilote manquant son appontage pour lui signifier de remettre les gaz.

    Cette expression qui remonte à la guerre provient indirectement de l'argot aéronautique allemand. "train bleu" se dit dans cette langue "blauer Zug" (prononcer : bla-o-eur tsoug). Les instructeurs de la Luftwaffe en Strylvonie yougoslave répétaient en riant : "Blauer Zug ! Blauer Zug !" lorsqu'ils entendaient à l'occasion d'atterrissages manqués leurs homologues strylvones hurler à leurs pupilles à travers le cornet d'interphone de leur Avro 504 : "plaoörrhdzoogh !", ce qui veut dire dans la langue du pays : "Même une p... de c...nasse de vieille chèvre molvanienne m'aurait fait une approche meilleure que celle-là ! Alors, ces gaz ? C'est pour aujourd'hui ou pour la saint Wzladiszlaw ???"

     

    *

     

     Un contributeur vivant dans un pays fait selon Voltaire de quelques arpents de neige, donne la liste des 89 articles qu'il juge d'emport indispensable en ULM pour le cas d'une vache hivernale sur un désert gelé. Cela va de la lotion anti-moustiques à la tente en passant par le poêle multi-carburant, la scie et la hachette, quinze jours de nourriture, les verres en mélanine et les poêlons, la capote anglaise pour transporter l'eau, le téléphone par satellite, les ensemble couteau-fourchette... en plus d'une carabine. Qui plus est, il souhaite l'extension de 450 à 600 kilogrammes de la masse des ULM (forcément !) et l'obligation pour toute machine de cette catégorie d'emporter n'importe où au monde l'impensable cargaison ! Je propose un complément, parce que cette énumération laisse encore un peu à désirer :

    - Ordinateur de gestion du conteneur de matériel de secours ;
    - Combiné au format 20 mm  x  20 mm : manuel des Castors Juniors / ancien et nouveau Testament ;
    - Couteau à glace pour monter l'igloo ;
    - Traîneau à voile destiné de là à rejoindre la civilisation ;
    - Pour le cas de "buffle" en pays tropical : casque et short coloniaux, tente anti-moustique, anti-paludéens, distillateur solaire pour l'eau saumâtre ;
    - Coffret de prestidigitateur destiné à se faire passer auprès des naturels pour le dieu blanc dont la venue est annoncée par leurs légendes ancestrales :
    - Verroterie à offrir au chef pour éviter d'être convié au banquet de bienvenue dans un rôle désagréable ;
    - Portrait par Cabu de la fille du proviseur, destiné à meubler les longues soirées sous la tente ;
    - Sopalin ;
    - Bâton à caler verticalement dans la gueule du crocodile pour la coincer ouverte ;
    - Pirogue destinée à rejoindre la civilisation ;
    - Bouteille de dioxygène pour le cas de "yack" en haute montagne ;
    - De là, deltaplane pliant en tubes télescopiques destiné à rejoindre la civilisation ;
    - Ephémérides des éclipses de soleil pour éviter le bûcher en cas de "lama" dans les Andes, suivi de violation involontaire d'un temple précolombien ;
    - Paramoteur destiné à rejoindre de là la civilisation ;
    - Accessoire textile céphalique destiné à épargner à la passagère d'être mal vue en cas de "chameau" dans une contrée pétrolifère ;
    - Carte de réduction chez MacDonald's ;
    - Manuel de conversation anglais / aborigène pour le cas de "kangourou". Vos interlocuteurs connaissent l'anglais, naturellement ; ils ne le connaissent même que trop ; mais il est respectueux de leur parler leur langue ;
    - Douze mouchoirs de flanelle ;
    - Six paires de chaussettes en fil d'Ecosse, avec fixe-chaussette ;
    - Pinces à vélo ;
    - Pantalon de golf ;
    - Recueil de nouvelles aéronautiques ;
    - Tabac.

    Faisons une réserve en ce qui concerne la carabine préconisée par le contributeur, et qui est évidemment là pour se défendre des ours. Or il faut savoir que tuer un ours est en nos Pyrénées plus grave qu'assassiner le président. J'ai dit : "tuer un ours" ; j'ai voulu dire : "tuer l'ours". A prévoir : trois semaines de colère médiatique du ministre de l'environnement, du développement durable et des photopiles en porte-clefs ; émotion populaire intense : la classe ouvrière en oublie ses controverses philosophiques et religieuses ; rage des politiques dont la campagne des Régionales passe au second plan de l'actualité ; excommunication majeure fulminée par les Verts ; dégradation civile et militaire ; procès de l'assassin devant un public vociférant en exigeant quinze ans de galères ; perte de l'allocation logement ; publication du jugement aux frais du condamné, paiement du papier timbré, remboursement du traitement des deux cents fonctionnaires en charge de l'ours, frais de remise en état de la descente de lit trouée.

    Plaignons nos amis contributeurs belges et luxembourgeois dont les plats pays ne seront jamais vraiment écologiques, la modestie de leurs étendues sylvestres et orographiques n'étant pas propice à la réintroduction du plantigrade slovène.

    Michel Colomban étudie l'emport du pack-survie dans le Luciole. Il envisagerait de charger le matériel dans un Twin Otter et d'y monter le Luciole en Mistel.

     

    *

     

    Un contributeur soucieux de profiter d'un voyage en avion léger vers la côte de Vendée, envisage d'en rapporter des bourriches d'huîtres et s'inquiète de la réglementation touchant leur transport par air.

    Le transport d'huîtres par aéronef est soumis au dépôt d'un formulaire APC-237ter/comm.eur.000Z imprimable sur[URL=http://eurodébil.gouv]www.eurodébil.gouv/url] cinq jours ouvrables à l'avance. Toutefois, si les lamellibranches sont destinés à la seule consommation du pilote et de ses connaissances anciennes de plus d'un an, le transport est exonéré du dépôt du formulaire susdit sous réserve que la quantité délivrée à chaque destinataire n'excède pas une lamelle et une branche, d'une part, et que d'autre part l'aéronef soit équipé d'un casier réfrigérant homologué.

    Les écailles, bien loin désormais d'être libéralement partagées par la cour entre les parties, doivent être recyclées dans les circuits prévus à cet effet. L'eau de mer retenue dans les mollusques ne doit jamais être jetée sur le sol, et moins encore en mer (1). Moyennant ces quelques efforts de chacun en faveur du développement durable, la planète vous dit merci. Mouche ton nez et dis bonjour à la dame planète.

     

    (1)  Tout comme il est interdit de remettre dans les mines d'uranium françaises les minerais appauvris qu'on en avait extraits plus riches.

     

    *

     

      Une contributrice posée en avion léger en Angleterre aux limites de l'Ecosse, déplore s'être beaucoup ennuyée dans la cité grise de Carlisle où il n'y a rien à faire, bloquée qu'elle était par une météo trop typically British. Elle pense à son associé qui assume en France le travail pour deux.

    ...tandis que tu laissais errer ton spleen dans les ruelles noires du vieux Carlisle à la recherche de l'atmosphère des nouvelles de Margaret Forster et de George Fraser... On n'a décidément rien fait de plus beau que l'Angleterre de l'ouest et du nord sous un ciel de linceul et une pluie noire d'on ne sait même pas quelle suie... Flic, flac ! Un pied jusqu'à la chaussette dans une flaque de pluie entre les pavés disjoints... Par chance un pub de huit pieds de large, à deux pas... "No French nor dogs", mais tant pis ! Avec un niveau 6 en anglais (1), le patron ne voit que du feu... Chauffage en panne, odeurs froides, pas seulement de bière... Autour, des ombres... des chômeurs momifiés depuis Thatcher... O, Lord !
      
    Ca, c'est des souvenirs !

    (1) Meilleure note possible à l'examen d'anglais aéronautique pour la radio.

     

    *

     

      J'ai posé aux contributeurs une colle de mécanique du vol assez tordue. Le contributeur B. se passionne pour elle et s'exaspère de ne pas trouver. Le soir de ce jour d'hiver glacé, il se rappelle des documents techniques appropriés qui dorment au fond du garage.

    B. dans le noir et la nuit va fouiller à la lampe de poche dans les cartons au fond de son garage sibérien à une heure indue, après avoir empêché madame de s'endormir à force de remuer le matelas en s'énervant à réfléchir. Il sort dans le froid en grommelant : "fait ch..., Ruthénium...", suivi du chien intrigué. A peine a-t-il exhumé la réponse et brandi le document en poussant un cri de triomphe, que le chien croyant à un jeu s'empare des papiers - gnap ! - et cavale avec à l'autre bout du jardin. B. en savates les pieds nus dans trente centimètres de poudreuse menace la sale bête qui n'en croit que davantage à un jeu, et fuit en sautant de tout côté. Finalement, un plaquage dans les rosiers vient à bout du chien qui glapit d'effroi en abandonnant une liasse de feuilles dilacérées que B. doit rechercher dans le noir en s'arrachant la peau aux épines. Mais la lumière se fait. C'est madame en robe de chambre qui se montre, se tenant les deux bras sous les épaules en frissonnant et interrogeant la nuit : "C'est quoi, tout ce b... ?". Sur quelques explications confuses, elle réplique : "Quand tu le lâcheras un peu, ton forum à la... noix !" (madame B. est bien élevée). Un cri rauque passe par-dessus le mur du jardin : "Tenez bon, j'appelle la police !". C'est le voisin s...k...zyste qui sort déjà son Kärcher pour nettoyer la vermine qu'il croit en train d'attaquer le quartier. Pas facile toutes les nuits, l'aéronautique.

     

    *

     

      Francis Bergèse a cessé de dessiner Buck Danny. On peut lire sur la toile que la reprise de la série n'attend qu'un nouvel et talentueux dessinateur. Concoctons un scénario :

    Mai 2012. La France élit au second tour un président communiste et ostalgique, parce que 53% d'électeurs moralisateurs ont préféré un marxiste à une candidature fasciste. Le nouveau président quitte aussitôt le commandement intégré de l'OTAN pour entamer des négociations en vue de rétablir l'alliance russe de Nicolas II. Panique au Pentagone : le bouleversement stratégique entraîné par la défection française réduira dramatiquement la puissance des corps expéditionnaires interalliés ; la démocratie restaurée en Irak et Afghanistan est en danger ; prêts à l'exécution dans les anciennes républiques musulmanes soviétiques, en Corée du Nord et au Viet-nam, les plans MAD (Militarily Assisted Democratization) sont remis en question. Des dizaines de milliers d'emplois américains sont menacés puisque la reconstruction de ce qui n'aura pas été démoli sera sans objet. Il faut persuader amicalement les Frenchies de revoir leur position. Le président US charge personnellement Buck Danny d'une opération aéronavale de diversion sur les plages normandes, tandis que le gros des forces anglo-américaines débarque dans le Pas-de-Calais. Sur la base aérienne de Dijon, les Rafale enfin définitivement mis au tas, le lieutenant Laverdure sur Mirage IIIC ne parvient pas en dépit de prodiges de valeur à repousser seul l'invasion. Il met certes hors de cause le McDonalds de Laroche-Migennes déjà rempli de GIs bâfreurs, en anéantissant au bout de la rue le transformateur qui l'alimente. Plus de courant, plus de frites ; fin des espérances de la serveuse abondamment lutinée par ses nouveaux clients, et qui se voyait déjà fermière dans le Minnesota. De son côté Michel Tanguy est secrètement acheminé par sous-marin à Tel-Aviv pour y solliciter l'entremise d'un général en retraite qu'il avait jadis lâché sur Mirage III, et ainsi convaincu de faire choisir par son gouvernement l'avion français. Placé à dessein dans une histoire destinée à la jeunesse, cet épisode sous les flots nous vaut quelques images sur la fraternité entre les armes, avec un pilote chaleureux envers ses camarades sous-mariniers qu'il ne toise pas du tout du haut de sa stratosphère quotidienne. Mais Lady X servie par une gaffe de Sonny Tuckson évente l'affaire, qui va capoter comme un vulgaire train classique...

     

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