•  

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  • L'OURS EST MORT

    actualité commentée 

     

      Premier novembre 2004. L'ours est mort.

      Ayant eu plus tard à juger l'homme qui a dépêché l'ours, la présidente du tribunal stupéfaite par la violence avec laquelle on accablait de toute part son prévenu, déclarait : "En plus de vingt ans de magistrature, je n'ai jamais vu un tel déchaînement, même pour les crimes commis sur les enfants."

      S'il reste interdit de liquider les espèces protégées et fort dangereux de se placer en situation d'être obligé peut-être de le faire, il est plus dangereux encore d'affronter tant la politique que la passion populaire la plus insolite.

      L'ours est mort.    

      Si l'ours était facteur, le poète chanterait : " l'amour n'a plus de messager. "

      Si l'ours était Louis XIV, on crierait : " Vive l'ours ! "

      Antoine ne l'appellera plus Cannelle.

      Dans les Pyrénées, l'ours est mort. Un chasseur ivre de nature, de pêche et de traditions l'a tué " en état de légitime défense " affirment ses pareils. Ouais. Nous n'avons pas la preuve, évidemment, que la peau en fût vendue à l'avance.   

      Ah ! Si encore le chasseur avait tué l'ours au corps à corps virilement d'un coup de poignard comme Michel Strogoff (Michel Strogoff), Conrad de Reichendorf(Axelle), Louis Viardot (Souvenirs de chasse), Sonny Tuckson (le mystère des avions fantômes)...

      Le ministre de l'écologie monsieur Lepeltier s'est précipité sur les lieux non pas pour récupérer la fourrure, en dépit de son patronyme, mais pour éviter de répéter les gaffes énormes de son prédécesseur Voynet lors de l'échouage du dernier pétrolier en Bretagne. Elle avait traîné à rentrer de son lieu de vacances, au prétexte peu écologique que ça n'aurait pas remis le pétrole dans les cuves du bateau. Ensuite, priée par un journaliste remarquable de confirmer qu'il s'agissait bien de la pire catastrophe écologique jamais survenue, elle avait presque haussé les épaules, comme si l'absence de pertes humaines suffisait à consoler les hôteliers bretons du Tchernobyl, du Bhopal, du tsunami, du Pompéi, de la montagne Pelée armoricaine !

      Le ministre a confirmé la catastrophe écologique devant la descente de lit. Une catastrophe écologique est selon les besoins politiques du jour : 1) un événement causant un profond déséquilibre biologique ou climatique, ou bien encore un empoisonnement massif d'une région étendue ; 2) le désespoir de millions d'adultes qui ont perdu leur peluche animée. Les politiques alors se partagent les rôles : Raffarin tire le portefeuille du retraité pendant que Lepeltier lui tape sur le bras pour le faire regarder vers les Pyrénées : " Là ! Un ours ! "

    " La montagne a perdu son âme " n'ont pas hésité à clamer plusieurs. La " légitime défense " du tireur, notion radicalement inappropriée, est invoquée pendant ce temps, répétée avec naturel et sans le moindre esprit critique ni sens juridique à propos d'un animal ! Aucune justification de cet ordre n'est à donner pour avoir tué une bête. Mais le meilleur des arguments à plaquer à la face des contradicteurs de l'ours est la chance qu'ils ont de vivre en France. Que diraient-ils s'il étaient Indiens ?

      En cette nation grandissante où l'on a su reconnaître et protéger le patrimoine naturel, on a sauvé le tigre du Bengale sans cela quasiment anéanti sous les coups des ploucs bengalis n'entendant rien à l'écologie. Tout a son prix, mais celui du tigre demeure très raisonnable pour la seconde population du monde : le tigre en ce début de XXIème siècle se contente au Cachemire d'un humain par jour en moyenne, pourcentage inappréciable. Un Occidental ayant ramené de là-bas la matière d'un ouvrage à la gloire de Panthera Tigris, argumente opportunément sur une radio : 
    " Il faut savoir quel prix l'humanité veut bien mettre dans la préservation de ses ressources naturelles. "
      Et si vous restez encore dubitatif :
    " Combien de morts acceptons-nous ici de voir sur la route ? Hein ? Je vous le demande ?

      Cette fois j'ai devant pareil argument trouvé mon maître, et me tais. Qui ne voit comment un tigre est commode pour assurer vos déplacements personnels, professionnels, culturels ? Un tigre menant les enfants à l'école, et voilà les parents rassurés : leurs petits ne seront pas rackettés en chemin. Je vous assure pour en avoir personnellement souvent fait l'expérience, que les cyclistes en groupe éparpillé sur la chaussée se rangent nettement plus vite au feulement d'un tigre qu'aux coups d'avertisseur d'une automobile à laquelle ils font des bras d'honneur. Lorsque vous circulez en tigre, peu d'ennuis avec les gendarmes (sauf si vous avez mis l'animal dans votre moteur), et peu de contestation au moment de remplir les constats amiables. Nous vivons moins frustement que nos aïeux, grâce entre autres à quelques outils générateurs d'une productivité spectaculairement accrue ; le tigre est du nombre. Il n'en va guère de même de l'automobile, qui n'a jamais rien fait de plus profitable que tuer du monde. Il serait donc bien nécessaire de l'éradiquer sans fausse compassion. Parce qu'elle n'est toutefois pas laide à regarder, ni sans intérêt pour l'histoire des techniques, on en conserverait cependant quelques unes derrière de solides barreaux, et l'on ferait bien de s'en tenir là.

      D'ailleurs, conclut notre Occidental : " Les seuls humains qu'ait dévorés le tigre sont ceux qui ont pénétré dans son domaine."
      L'indiscrétion de certains humains passe vraiment les bornes. Ici, au Bengale, sachez-le, vous êtes chez le tigre. Les autres, raus !

      Qu'on me permette de rassurer le lecteur : passer sous la dent du tigre est bien moins pénible qu'on se l'imagine communément. C'est Claude Lévy-Strauss, je crois (et si ce n'est pas lui, c'est un autre) qui raconte comment il s'est un jour trouvé en situation de jouer au chat et à la souris avec un lion. Situation embarrassante, sans doute, car l'anthopologue ne tenait pas, noblesse de son partenaire oblige, le rôle du chat. Eh bien ! Tiré d'affaire par miracle, il déclare s'être trouvé face au fauve d'un coup comme absolument sidéré, anesthésié à tout sentiment, à toute peur, et avoir cru dans un état second assister à un spectacle qui ne le concernait pas. La nature ne fait-elle pas bien les choses ?

      N'est-ce pas Montaigne qui nous enseignait à ne pas nous mettre en peine de la difficulté de mourir ? La mort disait-il nous apprendra elle-même à mourir sans en faire toute une histoire. Il urge d'enseigner Montaigne et Lévy-Strauss aux Bengalis effarouchés. Nous manquons en France de décideurs vraiment modernes, vraiment capables de savoir ce que l'humanité doit être prête à payer pour son patrimoine ; parions que nos responsables liquideraient le dernier ours des Pyrénées au second homme mis en pièces. Ils sont vraiment nuls. 

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *   

     


  •  

     

    Scénario parodique écrit en 1974 sur la base de l'actualité aéronautique d'alors. 

    Le principe est certes de rassembler en un seul épisode court le maximum de poncifs de la bande dessinée Buck Danny, mais aussi d'y réunir le plus possible des erreurs aéronautiques diverses qu'on y trouvait... quelquefois. 

    Là  où ces erreurs sont délibérément placées, elles ne sont jamais indiquées. Inutile donc de m'envoyer un message pour me signaler ce que je sais !

     

     

    Les aventures de Duck Papy

     

     Duck Papy contre Fraulein Y

     

     

     

     

    Planche 1

     

     

    Image 1-1

    Duck lisant « Aviation Week » dans un fauteuil de hall d’hôtel.

     

    Image 1-2

    Bandeau jaune en haut de la case : « Soudain… »

    voix provenant d’un haut-parleur : « On demande le colonel Papy à la réception de l’hôtel… Je répète… »

     

    Image 1-3

    Voix du haut-parleur : « … On demande le colonel Papy… On demande… »

    Duck : « Il n’y donc pas moyen de passer des vacances tranquilles ?? »

     

    Image 1-4

    Le réceptionniste de l’hôtel : « Un télégramme vient d’arriver pour vous, Sir ! »

    Duck dépliant le télégramme, bulle type « pensée », avec corps en contour festonné et queue en petites bulles séparées les unes des autres : « ?? »

     

    Image 1-5

    Duck baissant les yeux sur le télégramme, bulle type « pensée » : "Voyons un peu qui a pu découvrir ma villégiature… »

     

    Image 1-6

    Duck s’exclame : « Oh, non… Ce n’est pas vrai ! »

     

    Image 1-7

    Vue sur le télégramme ouvert. En-tête : « United States Navy Secretary », ces mots encadrant un aigle ; texte : « Colonel Papy convoqué urgence base navale Pensacola. Stop. Admiral Gartner ».

    Duck, en retrait : « Goodby, holidays ! »

     

    Image 1-8

    Duck pensif… Bulle de type « pensée » : « A dix milles de la base, il y a un petit terrain sympathique à Chittapoonah City… C’est l’affaire de trois heures de vol pour faire 300 milles… »

     

    Image 1-9

    Buck se décidant ; bulle de type « pensée » : « … en louant un avion léger à l’aérodrome voisin… Bonne idée ! »

     

     

    Planche 2

     

     

    Image 2-1

    Duck en conversation avec un homme en bretelles et chapeau texien, au gros sourire commercial, cigare entre les doigts. La scène est devant un hangar d’aviation arborant une longue pancarte de fronton : « RENT A PLANE »

    Bandeau jaune en haut de la case : « Deux heures plus tard… »

    L’homme en bretelles : « Un avion léger pour aller à Pensacola ? Certainement, Sir ! »

     

    Image 2-2

    Les deux hommes devant les avions de location un peu fatigués.

    Le loueur en bretelles, d’un air avantageux : « Voyez notre parc de location, Sir… De vrais bijoux ! »

    Duck silencieux ; bulle de type « pensée » : « Plutôt délabrés, ses bijoux ! »

     

    Image 2-3

    Le loueur désignant un 172 : « Celui-là, Sir ? Très bien ! »

     

    Image 2-4

    Le 172 au décollage, vu de l’extérieur.

    Bandeau jaune en haut de la case : « Peu après… »

    Duck : « Ah, tout de même ! Ça me change du jet ! »

     

    Image 2-5

    Bandeau jaune en haut de la case : « Au soleil des premiers kilomètres a succédé un temps de plus en plus maussade… Duck longe à présent les formations nuageuses en plein développement… »

     

    Image 2-6

    Bandeau jaune en haut de case : « Quand bientôt… »

    Duck : « Sans instruments pour le PSV *… plus moyen de passer ! »

    Bandeau jaune en bas de case : « * pilotage sans visibilité »

     

    Image 2-7

    Duck : « Cette barrière nuageuse m’oblige à me détourner vers le nord… La contourner va me prendre du temps ! »

     

    Image 2-8

    Bandeau jaune en haut de case : « Une demi-heure après »

    Duck concentré ; bulle de type « pensée » : « Le premier réservoir sera bientôt vide… Autant passer sur l’autre ! »

     

    Image 2-9

    Duck effaré, tenant le robinet à la main : « Saleté de rossignol ! Le robinet de sélection des réservoirs m’est resté entre les mains ! Plus moyen de passer sur le deux ! »

     

    Image 2-10

    Duck concentré, bulle du type « pensée » : « Plus qu’un quart d’heure d’essence sur le premier… Aucun terrain avant Chittapoonah… Je ne suis même pas assuré d’arriver en plané… »

    Bandeau jaune de bas de case, pour le suspense en fin de planche 2 : « Duck parviendra-t-il jusqu’à la piste de Chittapoonah ? »

     

     

    Planche 3

     

     

    Image 3-1

    Vue extérieure du Cessna.

    Duck : « Il faut prévenir Chittapoonah immédiatement ! »

    Duck ; bulle du type « émission de message radio lorsque vue de l’extérieur », en forme de coussinet : « A toutes stations… De Cessna 172 Novembre Alpha Bravo Charlie Delta… Pan ! Pan ! * Pan ! Pan ! Pan ! Pan ! Ici Cessna Novembre Alfa Bravo Charlie Delta… Ici Cessna Alfa Bravo Charlie Delta… Appelle Chittapoonah Airport… Répondez…

    Tour de Chittapoonah ; bulle du type « émission radio lointaine » avec bordure dentelée et queue en éclair à deux brisures : « Ici Chittapoonah Airport ! répondez, Charlie Delta ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « * Signal international d’urgence. Prononcez « panne »

     

    (note hors texte : l’immatriculation impossible est choisie pour ne pouvoir être celle d’aucun avion délabré existant !)

     

    Image 3-2

    Vue intérieure du Cessna.

    Duck : « Chitta Airport, de Charlie Delta… Impossibilité de changer de réservoir… Autonomie restante estimée, dix à quinze minutes… Position quinze minutes votre terrain… Demande priorité absolue pour approche directe sur la 02… »

    Tour de Chittapoonah ; bulle de type « émission radio lointaine » :« Charlie Delta de Chitta Airport… Autorisation accordée dès que vous serez en vue du terrain… Rappelez longue finale… Répondez ! »

     

    Image 3-3

    L’avion vu de l’extérieur.

    Bandeau jaune en haut de case : « Les minutes passent… »

    Duck, bulle de type « pensée » : « Deux mille pieds *… Chitta devrait apparaître d’un instant à l’autre à une heure… Oh ! Là-bas ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « * 666 mètres »

     

    Image 3-4

    Vue de la tour de Chittapoonah.

    Duck ; bulle de type « émission radio lointaine » : « Chitta Airport, de Charlie Delta… Dans l’axe de la 02, en vue à 5 milles, altitude 2 000… Vent et Fox Echo *? Répondez ! »

    Tour de Chittapoonah : « Reçu, Charlie Delta… Vent du 010, dix nœuds… Fox Echo 29,60 pouces… Deux, neuf, six, zéro… »

    Bandeau jaune de bas de case : « *Code radio pour : « pression atmosphérique au sol de l’aérodrome de destination. »

     

    Image 3-5

    Vue intérieure de l’avion.

    Duck : « Dix nœuds de vent dans le dos sont autant de gagné, et… Oh ! Tonnerre ! Le moteur commence à hoqueter ! »

    Sons : « Vrooap… Paff… Pafff »

     

    Image 3-6

    Vue de la piste à travers le pare-brise ; vue du tableau de bord et des mains de Duck sur le volant.

    Bandeau jaune en haut de case : « A trois milles du terrain le moteur se tait définitivement ! Négociant sa hauteur mètre par mètre, rendant la main dans les passages ascendants pour grignoter sur la distance, Duck voit la piste s’élargir peu à peu devant son pare-brise… »

     

    Image 3-7

    L’avion vu de l’extérieur approchant de la haute clôture du terrain.

    Bandeau jaune en haut de case : « … lorsque se dresse soudain l’obstacle redoutable ! »

    Duck : « Plus que 200 pieds de hauteur *… 2 000 pieds ** de distance ou un peu plus… 80 pieds ***… Je vais me poser 100 yards **** avant la piste !... (cri en caractères forts) : HELL ! JE VAIS ENCADRER LA CLOTURE !

    Bandeau jaune de bas de page : « * 66 mètres. ** 666 mètres. *** 27 mètres. **** 91 mètres. »

     

    Image 3-8

    Vue extérieure de l’avion passant la clôture en la rasant.

    Bandeau jaune en haut de case : « Devant cet ultime et effroyable obstacle, Duck rassemblant toute sa science du pilotage tire imperceptiblement sur le manche pour amener le Cessna à son meilleur angle de plané… et c’est le miracle ! Les roues passent au-dessus des fils à les frôler ! »

    Duck : « Gosh ! Vivent les trains rentrants ! »

     

     

    Planche 4

     

     

    Image 4-1

    L’atterrissage.

    Bandeau jaune en haut de case : « Posant ses roues à la limite de l’herbe et du ciment, sans un rebond, Duck stoppe rapidement le petit avion… »

    Duck : « Pfuuuh… Il était temps que je me pose ! Il ne doit pas rester assez d’essence pour remplir un briquet ! »

     

    Image 4-2

    Bandeau jaune en haut de case : « Peu après, dans le bureau de l’amiral… »

    L’amiral : « ’llo, Duck ! Navré pour vos vacances ! Hi hi hi ! Je vois à votre air que vous avez fait un agréable voyage ! »

    Duck : « Excellent, Sir ! »

     

    Image 4-3

    L’amiral : « Bon ! Passons aux choses sérieuses ! Vous n’allez rien regretter. Vous avez entendu parler de notre nouveau chasseur « Grumman F-14A Tomcat » ? Eh bien ! Il va commencer prochainement sa campagne d’essais opérationnels sur porte-avions… Vous êtes désigné pour en prendre le commandement ! »

     

    Image 4-4

    Duck : « Gosh ! Le F-14 ? Le tout nouveau chasseur biréacteur embarqué à géométrie variable qui doit remplacer les Phantom sur nos porte-avions avec des performances encore plus sensationnelles et redonner aux States la maîtrise absolue des mers pour les quinze ans à venir ? »

    L’amiral : « Exactement, Duck ! »

    Duck : « A ce prix, Sir, disposez de mes vacances jusqu’à ma retraite ! »

     

    Image 4-5

    L’amiral : « Je vous demanderai aussi de choisir deux adjoints parmi nos meilleurs officiers pilotes ! Avez-vous une idée ? »

    Duck : « Hem… »

     

    Image 4-6

    Duck : « … si vous acceptez, Sir, je choisirai pour ce rôle les capitaines Suckton et Smoker ! Nous… » 

     

    Image 4-7

    L’amiral : « Toujours aussi inséparables, hein ? Hi hi hi ! Et d’ailleurs, je… »

    Bruits : « Toc toc »

    L’amiral : « Entrez ! »

     

    Image 4-8

    Un policier militaire paraît à l’entrée du bureau.

    Le policier : « Sir ! Nous avons bouclé un fou dangereux qui dit être connu de vous ! C’est une sorte de nain aux cheveux rouges qui affirme être officier… Il a semé la panique dans une réunion de vieilles dames en essayant d’en faire égorger une par son chien furieux, puis de faire subir le même sort au policier qui venait l’arrêter… Il a aussi… »

    Bandeau jaune de bas de case, pour un suspense en fin de page 4 : « Qui peut donc être ce mystérieux prisonnier ? »

     

     

    Planche 5

     

     

    Image 5-1

    Duck : « … et qui prétend être le capitaine Suckton, n’est-ce pas, sergent ? »

    Le MP : « C’est exactement ça, Sir ! »

     

    Image 5-2

    L’amiral et Duck prononcent chacun deux bulles superposées, qui se répondent en quinconce :

    L’amiral : « Hi hi hi ! Sacré Suckton ! Toujours le même ! Hi hi hi ! Remarquez que moi, à son âge… »

    Duck, coupant l’amiral : « Sir ! Me permettez-vous d’aller tirer le capitaine Suckton de sa geôle ? »

    L’amiral : « Certainement, Papy ! Hi hi hi ! Je vis même avec vous ! Moi, quand on me fait rire, je ne sais plus être sévère ! Hi hi hi ! D’ailleurs, je… »

    Duck, coupant l’amiral : « Merci, Sir ! »

     

    Image 5-3

    Scène extérieure au pied du bâtiment : l’amiral s’adresse à un MP au volant de sa jeep :

    L’amiral : « Jack ! Nous prenons ta jeep ! Descends nous attendre ! »

    Le MP : « Aïe aïe, Sir ! »

     

    Image 5-4

    Dans la prison militaire ; Bunny Suckton les deux mains cramponnées aux barreaux de sa cellule.

    Bunny criant : « Duck ! »

    Duck parlant au gardien : « C’est bien l’oiseau ! Ouvrez la cage, caporal ! »

    Le gardien : « Si c’est sous votre responsabilité ! »

     

    Image 5-5

    L’amiral : « Hi hi hi ! Sacré Suckton ! Moi, je… »

    Duck : « Enfin, que s’est-il passé ? »

    Bunny : « Ecoute, Duck, c’est une horrible méprise ! »

     

    Toutes les cases qui suivent sont du type « flash back » : les quatre angles arrondis, un bandeau jaune de narration en haut de chaque case.

     

    Image 5-6

    Bandeau jaune en haut de case : « Il y a trois semaines j’ai fait sur une plage du Texas la connaissance de miss Philomène Baddington-Plunkett, une jeune fille tendre et sensible… »

    Dessin muet : un monstre en maillot de bain.

     

    Image 5-7

    Bandeau jaune en haut de case : « … avec laquelle je me suis fiancé sur-le-champ. Malheureusement, sa mère ne voulait pas la voir épouser un marin perpétuellement absent… »

    Bunny : « Séchez vos larmes, Darling ! Je prépare une offensive de charme qui vaincra votre mère, ou je ne m’appelle plus Suckton ! »

     

    Image 5-8

    Bandeau jaune en haut de case : « Tenant en laisse Brutus, un danois de 110 livres, cadeau de Philomène qui connaît mon amour des animaux, je suis allé voici deux heures affronter Mrs Baddington-Plunkett… »  

    Bunny tenant difficilement le chien : « Hé ! Ho ! Doucement, Brutus ! C’est moi, qui te tiens en laisse ! »

     

    Image 5-9

    Un salon tarabiscoté. Une soubrette. Trois vieilles dames dans le style des vieilles dames « Lucky Luke », assises. Celle du milieu, roide, tient un lorgnon à manche et considère avec hauteur la soubrette.

    Bandeau jaune en haut de case : « Après m’être fait annoncer… »

    La soubrette : « Miste’ Suckton demande à vous voi’, ma’ame ! »

    La vieille dame à lorgnon : « A l’heure du thé ? Enfin ! Faites-le entrer, Martha ! »

     

    Image 5-10

    Bandeau jaune en haut de case : « … je pénétrai chez la mère de Philomène. »

    Mrs Baddington-Plunkett : « Capitaine Suckton ? Je vous présente mes amies misses Taperedsheet et Faireygannet… »

    Bunny discrètement au chien : « Brutus ! Tiens-toi tranquille ! »

     

    Image 5-11

    Brutus posant les pattes avant sur la poitrine d’une des vieilles pies s’intéresse au petit gâteau qu’elle tient en main.

    Bandeau jaune en haut de case : « … et c’est alors que le désastre survint ! »

    La vieille pie, hurlant : « Hé ! »

    Bunny, de même : « Brutus ! »

    Mrs Baddington-Plunkett interloquée derrière son lorgnon à manche : « Qu’est-ce que… »

     

     

    Planche 6

     

     

    Image 6-1

    La vieille pie écrasée sous Brutus : « Capitaine ! Votre chien m’étouffe ! On dirait qu’il veut dévorer mes gâteaux ! »

     

    Image 6-2

    Bunny : « Oh, non, miss ! Seulement un ou deux !... D’ailleurs il les demande gentiment, mais je dois vous avertir… »

    Mrs Baddington-Plunkett, piquant l’arrière-train de Brutus avec son lorgnon : « Veux-tu laisser mes amies, sale bête ! »

    Brutus toujours appuyé sur la vieille pie, retourne la tête, l’air surpris, vers Mrs Baddington-Plunkett ; bulle type « pensée » : « ? »

     

    Image 6-3

    Bunny : « … il n’aime pas qu’on les lui refuse ! »

    Pendant ce temps Brutus saute sur Mrs Baddington-Plunkett.

    Mrs Baddington-Plunkett, criant : « Mais !!!... »

     

    Image 6-4

    Bandeau jaune de haut de case : « Alors Brutus s’est retourné vers madame Baddington-Plunkett en appuyant ses pattes de devant sur sa poitrine… et je ne sais pas pourquoi, cette vieille perruche s’est renversée sur son fauteuil en poussant des cris d’orfraie… »

    Mrs Baddington-Plunkett hurlant : « Au secours ! »

     

    Image 6-5

    Un policier vu de face dans l’embrasure de la porte du salon, matraque à la main, arrêté une seconde face au spectacle, l’air ahuri.

    Bandeau jaune en haut de case : « Terrorisée par ces hurlements, la femme de chambre a alerté un agent… Quand celui-ci est entré… »

    L’agent : « ! »

     

    Image 6-6

    Brutus saute presque debout sur le cop.

    Bandeau jaune en haut de case : « … Brutus a encore eu envie de changer de compagnon de jeu ! »

    Le policier, hurlant : « A la garde ! »

     

    Fin des cases de type « flash back ». Retour à la prison militaire, Bunny, Duck, l’amiral.

     

     

    Image 6-7

    Bunny : « Toute une escouade est bientôt arrivée… C’est alors que j’ai été remis à la police militaire ! »

    Duck : « Et Brutus ? »

    Le policier militaire : « A la fourrière, Sir, section animaux dangereux ! »

     

    Image 6-8

    L’amiral : « Hi hi hi ! Toujours le même ! Remarquez, Suckton, vous avez bien raison de vous amuser ! Ainsi, moi, à votre âge… »

    Le policier militaire le coupant : « Nous ne supposions pas qu’il pouvait être connu de vous, Sir ! Rien qu’à voir ses cheveux rouges… »

     

    Image 6-9

    Bunny, hurlant : « Quoi ? »

     

    Image 6-10

    Bunny envoie un crochet au policier, qui esquive. L’amiral reçoit le coup.

    Bunny : « Cheveux rouges ! Cette fois c’en est trop ! »

    L’amiral, criant, caractères forts : « OW ! »

     

    Image 6-11

    L’amiral sonné, Bunny effaré.

    Duck : « Bunny ! Tu es fou ! »

    Bunny : « L’a… l’amiral ! Ca, alors… Je veux dire… Euh… Je ne… »

     

    Image 6-12

    Le MP pousse Bunny dans la cellule qu’il venait de quitter ; il le tient fermement au collet.

    Bandeau jaune de haut de case : « Un instant après… »

    Le policier : « Allez hop, le Texan ! Réintégrez votre cellule ! Ordre de l’amiral ! »

    Bunny maugréant, avec une bulle du type « pensée » entièrement encrée de noir.

    Bandeau de bas de case, pour le suspense en fin de page 6 : « Bunny pilotera-t-il jamais le F-14 ? Duck devra-t-il se choisir un autre ailier ? »

     

     

    Planche 7

     

     

    Image 7-1

    Dans la prison militaire.

    Bandeau jaune en haut de case : « Le lendemain matin… »

    Duck : « Debout, Bunny ! Je suis chargé de commander les essais du nouveau chasseur F-14, et sur autorisation de l’amiral tu es désigné mon adjoint, ainsi que Smok ! »

     

    Image 7-2

    Bunny : « Hein ? Piloter le nouveau F-14 ? C’est sérieux ? »

    Duck : « Oui, mais… par ordre de l’amiral tu reviens ici déjeuner et coucher ! »

    Bunny, criant : « Woopie !! »

     

    Image 7-3

    Vue d’une salle de conférence avec de nombreux pilotes assistant.

    Bandeau jaune de haut de case : « Les conférences et les cours théoriques au sol débutent… »

    Le conférencier : « Messieurs, je suis le colonel Thornes, responsable des premiers essais terrestres du F-14, aujourd’hui terminés. Et voici le colonel Papy, qui dirigera à partir de maintenant votre équipe… »

     

    Image 7-4

    Suite de la conférence.

    Thornes : « … laquelle est chargée des essais opérationnels sur l’Enterprise ! C’est donc moi qui suis chargé de votre transformation sur le F-14, ici même… Ce n’est qu’après ce stade de prise en main que vous serez capables de passer sur porte-avions… »

     

    Image 7-5

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Le plus frappant dans ce nouveau chasseur est évidemment son aile repliable, dite à « géométrie variable ». La Navy a déjà essayé il y a presque dix ans d’adapter cette formule sur ses porte-avions grâce au fameux « F-111 »… »

     

    Image 7-6

    Suite de la conférence.

    Thornes : « … qui n’a connu que des ennuis ! Tant et si bien qu’il a fallu l’abandonner, en sorte que notre chasseur le plus moderne reste le Phantom… qui date de 1958 ! »

     

    Image 7-7

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Pour remplacer ces escadrilles bientôt périmées, il était grand temps que le F-14 de 12 ans plus jeune vînt enfin tenir la dragée haute aux plus récents matériels soviétiques ! »

     

    Image 7-8

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Pour bien apprécier la supériorité de la GV *, regardez le plan de ce chasseur classique à aile fixe… Sa faible envergure et son aile en très forte flèche lui confèrent un excellent comportement à mach 2… mais un rayon d’action déplorable ! »

    Bandeau de bas de case : « * géométrie variable »

     

    Image 7-9

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Au contraire, cet avion de transport commercial doit pour être rentable avoir la meilleure distance franchissable. Son aile très allongée est de flèche faible ou nulle. Mais s’il cherche à atteindre la vitesse du son… il se désintègre en vol ! La GV est donc pour le F-14 la solution idéale puisque elle combine les avantages des deux types de voilure… »

     

    Image 7-10

    Suite de la conférence.

    Thornes : « … ailes repliées, le F-14 est l’égal au moins des meilleurs chasseurs ; ailes déployées, il offre un rayon d’action incomparablement supérieur ! Il peut aussi se poser à vitesse plus basse, ce que vous apprécierez sur un porte-avions ! »

     

     

    Planche 8

     

     

    Image 8-1

    Suite de la conférence.

    Thornes : « En ce qui concerne l’armement, les progrès sont là encore étonnants par rapport à ce que vous connaissez… Le F-14, outre ses bombes, est armé d’un canon fixe de calibre 20 mm capable de tirer 100 obus… par seconde ! »

     

    Image 8-2

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Quant à ses nouveaux engins air-air « Phoenix » qui détruisent un avion ennemi jusqu’à 100 milles*, il en emporte six ! Coût de cette effroyable bordée : 1 350 000 dollars ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « * 160 km »

     

    Image 8-3

    Suite de la conférence.

    Thornes : « … et enfin une maniabilité telle qu’un blanc-bec à ses commandes descendrait un Phantom piloté par un as ! »

     

    Image 8-4

    Suite de la conférence.

    Thornes : « Pour finir, un conseil… Prenez soin de vos avions : ils coûtent dix-sept millions de dollars chacun ! »

     

    Image 8-5

    Bunny arpentant nerveusement les allées d’une cité militaire.

    Bandeau de haut de case : « Ce soir-là… »

    Bunny :  « Il faut absolument que je trouve l’amiral en privé pour le persuader de lever mes arrêts ! Un vieux Texan comme lui ne peut laisser un compatriote sur la paille humide ! »

     

    Image 8-6

    Bunny demandant son chemin à un MP.

    Le policier : « La maison de l’amiral, Sir ? Au bout de cette allée ! »

     

    Image 8-7

    Bunny : « Ah ! C’est ici ! »

     

    Image 8-8

    Bunny sonne à la porte de la maison de l’amiral.

    Sons : « Dring… Drriiing… »

     

    Image 8-9

    Bunny : « J’ai déjà sonné six fois ! J’entends pourtant de la musique… »

     

    Image 8-10

    Bunny : « Bah ! J’entre ! En dehors du service, le vieux oublie complètement ses galons ! »

     

    Image 8-11

    Bunny dans l’entrée de la maison. Une portée musicale chargée de notes flotte dans la case.

    Bunny :  « Personne ! Tiens, la musique vient de cette porte entrouverte ! »

     

    Image 8-12

    Bunny vu de face se glissant dans la porte entrouverte ; on ne voit pas l’intérieur de la pièce où il veut entrer. Des notes éparses flottent dans la case.

    Bunny : « Qu’est… Qu’est-ce que… »

    En très gros caractères, un hurlement dont on ne voit pas la provenance : « Hiiiiiiiiiiiiii »

     

     

    Planche 9

     

     

    Image 9-1

    L’amiral d’un pas allègre rentre chez lui à pied.

    Bandeau jaune de haut de case : « Au même moment… »

    L’amiral : « Quel plaisir de rentrer chez soi le soir ! Hi hi hi ! Je pense encore à ce clown de Suckton… Hi hi hi ! Sur le moment j’ai été un peu sec, mais je penserai demain à le faire relâcher… Hi hi hi ! »

     

    Image 9-2

    L’amiral :  « D’ailleurs, moi, à son âge, je… Mais d’où vient tout ce tapage ? »

     

    Image 9-3

    L’amiral :  « Ma parole… c’est chez moi ! »

    Cris en caractères forts, provenant de l’intérieur de la maison : « Gangster ! Criminel ! Assassin ! Mal élevé ! »

     

    Image 9-4

    L’amiral est entré ; il se trouve en présence de sa femme et de Bunny.

    La femme de l’amiral, bien en chair, hurlant :  « Voyeur ! Monstre ! Oser s’attaquer à une faible femme ! »

    Bunny, tentant de parer les coups : « Mais madame… Voyons… »

    L’amiral : « » (point d’exclamation de grande taille).

     

    Image 9-5

    Bunny de retour en cellule, assis la tête entre les poings. Une bulle de type « pensée » dans laquelle ne figurent que des dessins : spirale, éclatement, point d’exclamation, couteau de cuisine, potence, tête de mort, éclair.

     

    Image 9-6

    Bandeau jaune de haut de case : « Le lendemain »

    Un policier militaire : « De la visite pour vous, capitaine ! »

     

    Image 9-7

    Bunny : « Duck ! Il faut que tu me sortes de là ! »

    Duck :  « Encore ! Cette fois-ci, ce ne sera plus si facile… Tu penses ! Attentat aux mœurs !... Si seulement tu avais visé moins haut… On pourrait peut-être… Mais là ! »

     

    Image 9-8

    Duck : « Enfin, je vais essayer ! Je reviendrai lorsque j’aurai pu calmer la colère de l’amiral… Ca risque d’être long ! »

    Bunny : « Duck !... Je te borderai au lit… Je t’appellerai Excellence… Je te présenterai à Brutus… »

    Duck : « Diable ! En ce cas j’aime autant que tu restes là ! Mais rassure-toi pour lui ; miss Philomène l’a récupéré ! »

     

    Image 9-10

    Duck de retour à la prison.

    Bandeau jaune de haut de case : « Quelques heures plus tard… »

    Duck :  « Une chance inouïe ! Miss Philomène a téléphoné à l’amiral pour lui jurer que vous étiez fiancés ! Il a fini par admettre que tu n’en voulais pas à l’honneur de sa femme… »

     

    Image 9-11

    Duck :  « Tu restes même mon ailier ! Mais en dehors du service tu demeures bouclé ici, puis sur le porte-avions jusqu’à la fin de la campagne ! »

    Bunny, pris de malaise :  « Ooooh !... »

     

    Image 9-12

    Le policier militaire : « Il s’est évanoui, Sir ! »

    Duck : « Bah ! La prochaine visite de miss Baddingett-Plunkton le retapera ! »

     

     

    Planche 10

     

     

    Image 10-1

    Le salon d’une villa moderne cossue. Un homme d’âge moyen en noeud papillon, une femme de formes sculpturales. Celle-ci est représentée en ombre chinoise, tenant un fume-cigarette de longueur absurde, crevant la case voisine.

    Bandeau jaune de haut de case : « Pendant ce temps, dans une luxueuse résidence de la côte de Floride… »

    L’homme : « Mauvaise nouvelle ! Le colonel Papy a été nommé chef des essais opérationnels du F-14 ! »

    La femme : « C’est au contraire parfait, mon cher Kraslov ! »

     

    Image 10-2

    L’homme : « Pourtant, j’aurais pensé que la présence d’un as comme lui compliquerait sérieusement votre mission ! »

    La femme, en ombre chinoise jusque au bout de la scène : « C’est possible… »

     

    Image 10-3

    La femme : «… mais vous n’ignorez pas que j’ai un vieux compte à régler avec le colonel Papy… C’est l’occasion ou jamais ! »

     

    Image 10-4

    La femme : « Des clients très généreux m’ont offert des sommes considérables pour m’emparer de la documentation technique relative au F-14… Comme Papy en est le responsable, je ferai coup double car j’en tirerai une vengeance éclatante en le discréditant définitivement ! J’opérerai sitôt sur l’Enterprise ! »

    L’homme : « A bord ? Mais vous ne pourrez pas fuir ! C’est de la folie ! »

     

    Image 10-5

    La femme : « Au contraire ! Sur un navire isolé en mer, sans secours rapide possible, la fuite sera d’autant plus aisée… D’autant plus que Papy me laissera filer sous ses yeux sans une seconde d’inquiétude ! Qu’en dites-vous, Kraslov ? »

    L’homme : « Vous… Vous êtes diabolique, chère amie ! »

     

    Image 10-6

    La femme : « Hé hé ! j’avoue que Papy est fort habile s’il me roule une fois encore… mais je sais par expérience qu’avec lui, la partie ne peut être considérée comme gagnée avant le dernier instant ! »

    L’homme :  « C’est pourquoi j’ai pensé que si Papy devait être remplacé par un officier quelconque, votre tâche serait grandement simplifiée… »

     

    Image 10-7

    La femme : « Que voulez-vous dire, Kraslov ? »

    L’homme : « … que j’ai mis sur la piste de Papy deux gentlemen parfaitement sûrs qui n’attendent qu’un signal pour lui ôter le souci de ses prototypes ! »

     

    Image 10-8

    La femme : « Pas mal… Je ne regretterai qu’une chose, c’est que face à la mort Papy ne saura pas d’où elle vient… Aussi ne regrettez rien s’ils échouent ! A tout hasard, mettez-les donc aussi sur la piste des capitaines Smoker et Suckton ! »

    Bandeau de bas de case, pour suspense en fin de page 10 : « Qui peut être cette machiavélique espionne ? Ses tueurs parviendront-ils à leurs fins ? »

     

     

    Planche 11

     

     

    Image 11-1

    Le colonel Thornes sur un parking d’avions, devant un parterre de pilotes équipés.

    Bandeau jaune de haut de case : « A la base, après quelques jours d’instruction au sol… »

    Thornes : « Cette fois, messieurs, en voiture pour votre galop d’essai ! Papy, je suis chargé de votre propre instruction ! »

     

    Image 11-2

    Vue d’un F-14 loin du sol, escaladant le ciel.

    Bandeau jaune de haut de case :

    Duck : « Tonnerre ! Ce zinc grimpe comme une fusée ! »

    Thornes : « Continuez à grimper, Papy ! Rétablissez à 40 000 pieds * pour un essai à vitesse maximum ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « * 13 300 mètres »

     

    Image 11-3

    Vue de l’intérieur de l’avion.

    Duck : « Gosh ! Mach 2,35 * et il en veut encore ! »

    Thornes : « N’insistez pas ! Il ne s’agit pas de griller une turbine ! »

    Bandeau jaune de bas de case :  « * plus de 2 800 km/h »

     

    Image 11-4

    Duck vu à travers son pare-brise, comme si un appareil photo était juste devant.

    Bandeau jaune de haut de case : « Essais de manoeuvrabilité… »

    Duck :  « Ahurissant ! Le zinc encaisse plus de 6 g à 50 000 pieds, et je suis encore loin du décrochage ! Aucun avion ne pourrait le suivre dans ses évolutions ! »

     

    Image 11-5

    Le F-14 tout déployé en courte finale, vu de trois quarts avant et d’un peu en dessous.

    Bandeau jaune de haut de case : « Et enfin atterrissage, voilure déployée… »

    Thornes : « OK, Duck ! Aucun problème avec vous ! Vous serez lâché avant trois jours ! »

     

    Image 11-6

    Vue extérieure d’un F-14 ailes déployées, et cela pour toute la suite.

    Bandeau jaune de haut de case : « Une semaine plus tard, au cours d’un vol en solo… »

    Duck : « Pensacola ! Mission terminée, je rentre… Position cent milles à l’ouest de la base, altitude 35 000 pieds *… Je… (il s’exclame tout à coup) Bloody hell !

    Bandeau jaune de bas de case : « * 11 700 mètres »

     

    Image 11-7

    Vue du poste de pilotage.

    Duck : « Oh ! L’avertisseur d’incendie du moteur gauche ! »

     

    Image 11-8

    Vue du contrôleur dans sa tour.

    Le contrôleur : « Ne prenez pas de risque, Sir ! Ejectez-vous ! »

    Duck, avec bulle du type « émission radio lointaine » : « Pas question d’abandonner un prototype qui tient encore l’air ! Alertez les équipes d’incendie de la base ! »

     

    Image 11-9

    Vue extérieure du F-14 volant en piquant modérément.

    Duck : « Extincteur actionné… Incendie éteint… Malheureusement le réacteur droit chauffe tellement que j’ai dû le réduire presque à fond ! Il ne pousse plus ! Le taxi chute comme un pavé ! »

     

     

    Planche 12

     

     

    Image 12-1

    Vue du poste de pilotage.

    Le contrôleur, avec bulle du type « émission radio lointaine » : « Colonel ! Sautez ! Vous risquez l’explosion ! »

     

    Image 12-2

    Vue rapprochée du visage de Duck, grave et concentré.

    Duck : « Navré ! Avec l’aide de Dieu je ramènerai ce damné piège que cela vous convienne ou pas ! Je vous rappelle que je suis seul maître à bord ! »

     

    Image 12-3

    Vue de l’avion.

    Bandeau jaune de haut de page : « Mais presque aussitôt… »

    Duck : « Feu à droite ! Cette fois… »

     

    Image 12-4

    Duck : « Enfer ! L’extincteur ne donne pas ! Je vais devoir m’éjecter ! »

    Voix du contrôleur, bulle du type « émission radio lointaine » : « Abandonnez l’avion immédiatement, Sir ! »

     

    Image 12-5

    Duck a tiré la commande du siège éjectable, la verrière est partie ; son visage est caché sous le rideau de protection, mais rien ne se passe.

    Bandeau jaune de haut de page : « Mais… »

    Duck : « ? » (point d’interrogation de grande taille).

     

    Image 12-6

    Duck : La… la verrière est partie mais la cartouche d’éjection ne veut rien savoir ! Je suis obligé de ramener ce damné piège coûte que coûte ! »

     

    Image 12-7

    Vue de l’avion.

    Le contrôleur, avec bulle du type « émission radio lointaine » : « Non, Sir ! Sortez vos aérofreins ! »

     

    Image 12-8

    Vue de l’avion.

    Le contrôleur, avec bulle du type « émission radio lointaine » :  « … pour faire tomber votre vitesse ! Le F-14 tient encore l’air à moins de 150 noeuds *! Vous pourrez sauter sans le secours du siège ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « * Moins de 275 km/h »

     

    Image 12-9

    Vue de l’avion.

    Duck : « Pas question de sortir les soupapes * ! Le zinc vibre déjà terriblement… Je ne tiens pas à le voir s’éparpiller ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « * Aérofreins, en argot d’aviation »

     

    Image 12-10

    Vue de l’avion.

    Duck :  « Le seul moyen est d’amorcer une chandelle pour casser la vitesse ! Il y en a peut-être pour une vingtaine de secondes… C’est terriblement risqué, mais je n’ai pas le choix ! »

    Le contrôleur, avec bulle du type « émission radio lointaine » : « C’est de la folie, Sir ! L’avion peut sauter d’un instant à l’autre ! »

     

    Image 12-11

    Vue extérieure de l’avion en semi-chandelle, grimpant aux environ de 60 degrés.

    Bandeau jaune de haut de case : « Faisant preuve d’un exceptionnel sang-froid, Duck progressivement cabre le F-14 qui commence à ralentir, et qui semble par miracle encore tenir… »

    Duck : « Plus que 300 nœuds… 250… »

    Bandeau jaune de bas de case, pour un suspense en fin de page 12 : « Le chasseur au bord de la désagrégation résistera-t-il encore le temps de permettre à Duck de sauter ? »

     

     

    Planche 13

     

     

    Image 13-1

    Duck dans l’avion dont la verrière a déjà disparu.

    Duck : « 180 nœuds (1) … 160 (2) … » ; en plus grands caractères dans la même bulle : « Maintenant ! »

    Bandeau jaune en bas de case : « (1) 330 km/h. (2) 295 km/h.

     

    Image 13-2

    Duck saute hors de l’avion.

     

    Image 13-3

    Duck en chute libre, l’avion tout petit au-dessus.

     

    Image 13-4

    Duck faisant action poignée.

     

    Image 13-5

    Ouverture de la voile.

    En grosses lettres formant un mot incurvé autour de la coupole déployée : « c l a c »

     

    Image 13-6

    Duck sous sa voile ; vue plongeante du sol montrant la base aérienne au loin, minuscule.

    Duck : « Encore 10 000 pieds (1) … La base est dans cette direction, à au moins 15 milles (2) … Pas la moindre chance d’y arriver ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « (1) 3 330 mètres (2) 24 km.

     

    Image 13-7

    Atterrissage en pleine nature. Début de roulé-boulé. Détente des suspentes et début de dégonflement de la voile.

    Bandeau de haut de case : « et en effet… »

     

    Image 13-8

    Bandeau jaune de haut de case : « Deux heures plus tard dans le bureau de l’amiral »

    L’ amiral : « Et encore bravo, Duck ! Tout autre que vous y aurait laissé sa peau ! »

    Duck : « Merci, Sir… mais à quel prix ! »

     

    Image 13-9

    L’amiral : « Bah ! Le tout premier F-14 s’est bien écrasé aussi après quelques vols ! Mais… je vous ai aussi convoqué pour une raison beaucoup plus grave ! »

    Duck, dans une bulle du type « pensée » :  « ? »

     

    Image 13-10

    L’amiral : « Duck… L’examen des débris ne permettra peut-être pas de le tirer au clair… mais il n’est pas impossible que votre avion ait été saboté ! »

    Duck :  « !?! Voilà qui expliquerait le non-fonctionnement de l’extincteur et du siège éjectable ! »

     

    Image 13-11

    L’amiral : « Ce n’est qu’une hypothèse… mais nous savons de source sûre qu’un réseau d’espionnage étranger cherche à voler de la documentation sur le F-14 par tous les moyens ! »

    Duck : « Les Russes ? »

     

    Image 13-12

    L’amiral : « En pleine politique de détente ? Douteux ! Et certainement pas en tuant un de nos meilleurs officiers !

    Duck, pensif : « Evidemment… »

     

     

    Planche 14

     

     

    Image 14-1

    L’amiral : « Par contre la disparition de notre meilleur officier pourrait simplifier le travail à un groupe parallèle indépendant d’un gouvernement et que les complications diplomatiques ne concernent pas ! »

     

    Image 14-2

    L’amiral : « Quoi qu’il en soit la CIA* vous adjoint d’office un pilote qui est aussi de ses agents ! Il doit veiller à la sécurité de vos hommes… et des avions ! C’est un certain Gene Hamilton… Il arrivera demain ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « * espionnage et contre-espionnage US »

     

    Image 14-3

    Bandeau de haut de case : « Ce soir-là… »

    Duck : « …et voilà toute l’histoire, Smok ! Qu’en penses-tu ? »

    Smoker : « Bah ! puisque nous pouvons nous reposer sur ce fameux Hamilton ! »

     

    Image 14-4

    Duck parle devant une fenêtre vers laquelle il se retourne brusquement sous l’effet de la surprise.

    Duck : « N’empêche qu’ « ils » pourraient bien continuer à nous… Hé ! » (le « Hé » en caractères plus gros)

    Smoker : « Qu’y a-t-il ? »

     

    Image 14-5

    Duck en train de se lever se précipite vers la fenêtre.

    Duck : « Là ! Dehors ! Vite ! »

    Smoker : « Eh bien !? »

     

    Image 14-6

     

    Vu du dehors, Duck appuyé à la fenêtre regarde à l’extérieur ; Smoker en retrait.

    Duck : « Curieux ! J’aurais juré qu’il y avait quelqu’un derrière cette fenêtre ! »

    Smoker : « Non ! Rien ! Tu as dû rêver ! »

     

    Image 14-7

    Duck : « Le pire serait de nous mettre à voir des tueurs partout ! »

    Smoker : « Tu as raison, Duck, n’y pensons plus ! Tiens ! Je t’offre à dîner dans le meilleur restaurant de Pensacola ! »

     

    Image 14-8

    Duck et Smoker attablés dans le meilleur restaurant de Pensacola.

    Bandeau de haut de case : « Une heure après »

    Duck : « Franchement, Smok, je n’arrive pas à apprécier ce dîner en pensant au brouet que Bunny doit être en train d’ingurgiter ! »

    Smoker : « Ah, ça ! De quoi te plains-tu ? Si Bunny était là, on nous aurait déjà flanqués dehors ! »

     

    Image 14-9

    Smoker : « Il aurait voulu absolument montrer au chef comment il fallait assaisonner le plat qu’il servait à la table voisine, et aussi… »

     

    Image 14-10

    Smoker : « Remarque, il est certain qu’avec Bunny cette soirée aurait été plus… euh… plus… »

     

    Image 14-11

    Entre deux ventelles d’un store vénitien, on voit en gros plan un canon de pistolet et une flamme de départ.

    Son, en caractères fort : « PAW »

     

    Image 14-12

    Smoker frappé dans le dos se cambre ; Duck effrayé.

    Smoker, en caractères forts : « AH ! »

    Duck, en caractères forts : « SMOK ! »

    Bandeau jaune de bas de case pour un suspense en fin de planche 14 : « Le tueur à gages envoyé par l’espionne inconnue a-t-il blessé Smoker mortellement ? »

     

     

    Planche 15

     

     

    Image 15-1

    Smoker s’effondre sur sa table. Duck se lève précipitamment en désignant la fenêtre.

    Smoker : « Aah ! Les rascals ! Ils m’ont eu ! »

    Duck : « Ce sont eux !! »

     

    Image 15-2

    Vue du restaurant de l’extérieur. Des badauds attirés par l’attentat. La police arrivant ; Duck renseignant les policiers.

    Bandeau de haut de case : « Bientôt… »

    Un policier : « D’où venait le coup de feu ? »

    Duck : « Par là, mais… le tireur a filé ! Il faut s’occuper du blessé ! »

     

    Image 15-3

    Bandeau de haut de case : « Une heure après, à l’hôpital de la base… »

    Duck : « Alors, doc ? »

    Le chirurgien s’essuyant encore les bras : « Un vrai miracle ! Le capitaine avait plié sa veste derrière lui sur son dossier ! Une pièce de monnaie a dévié la balle ! Il s’en tire avec un peu de chair déchirée… et 25 cents inutilisables ! »

     

    Image 15-4

    Duck : « Dieu soit loué ! Quand pourra-t-il revoler ? »

    Le chirurgien : « Dans une dizaine de jours… s’il n’a pas le dos trop douillet ! Mais pas de visite avant demain ! »

     

    Image 15-5

    Dans le bureau de l’amiral. L’amiral, Duck, Bunny, le capitaine Hamilton. Celui-ci présente un visage comme asexué.

    Bandeau de haut de case : « Le jour suivant… »

    L’amiral : « Heureux de vous voir sauf, Papy ! Quant à vous, Suckton, la nuit vous ne courez aucun risque ! Hi Hi Hi ! Ah ! Je vous présente le capitaine Hamilton chargé de votre sécurité ! »

    Bunny, bulle de type « pensée » : « Crétin ! »

    Duck : « Enchanté, Hamilton ! Vous aurez du pain sur la planche ! »

     

    Image 15-6

    Hamilton : « J’ai été mis au courant de toute l’affaire, colonel… Plus question de quitter la base fût-ce pour une heure jusqu’à l’embarquement dans quinze jours… Quant aux mécaniciens, je le déplore, mais ils feront l’objet d’une surveillance particulière ! »

    Duck : « Voilà qui sèmera la bonne humeur ! »

     

    Image 15-7

    Têtes de Duck et de Bunny en gros plan, se concertant comme des conspirateurs.

    Duck : « C’est étrange ! Le timbre rauque de cette voix me rappelle quelqu’un ! »

    Bunny : « A moi aussi, mais qui ? »

     

    Image 15-8

    L’amiral : « Bah ! Consolez-vous, Papy ! Sur le Big E (*) vous retrouverez votre vieux copain le capitaine Slum Bolden affecté lui aussi à votre équipe ! »

    Bunny : « Slum ! Chic »

     

    Bandeau jaune de bas de case : « (*) Surnom du porte-avions « Enterprise »

     

    Image 15-9

    Duck briefant ses équipiers.

    Bandeau de haut de case : « En effet, deux semaines plus tard… »

    Duck : « Messieurs, le « Big E » croise en ce moment à 500 nautiques (*) de la côte… La situation météorologique risque de se détériorer en fin de journée ; aussi décollerons-nous dès midi ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « (*) abréviation courante pour « milles nautiques ». 500 milles nautiques = 926 kilomètres »

     

    Images 15-10 et 15-11

    Formant ensemble toute la dernière ligne, ces deux cases sont pour la 15-10 une case dessinée, et pour la 15-11 une case de pur texte.

     

    Image 15-10

    Scène de briefing par Duck.

    Bandeau de haut de case : « …dans le dispersal (1) Papy briefe (2) ses pilotes…

    Duck : « Nous avons achevé notre training (3) à terre avec les derniers droppings (4) de bombes et straffings (5) au canon et aux rockets (6). Tous les pilotes seront prêts à midi juste sur le tarmac (7) dans leur cockpit (8) pour refermer le canopy (9) sitôt obtenue la « clearance » (10) pour gagner le runway (11) par les taxiways (12) … Décollage immédiat avec les flaps (13) par une pression sur le stick (14)… Notre indicatif sera « bean ». Je leade (15) le groupe « yellow », les groupes « red » et « blue » l’étant respectivement par les capitaines Suckton et Smoker… Rendez-vous du team (16) au complet sur l’Enterprise pour le debriefing (17)…

     

    Image 15-11

    (1)

    (2) donne les instructions utiles au vol

    (3) entraînement

    (4) largages

    (5) attaque au sol

    (6) fusées d’attaque air-sol

    (7)

    (8) habitacle d’un avion

    (9) verrière de plexiglas fermant l’habitacle

    (10) autorisation donnée par la tour de contrôle

    (11) piste d’envol

    (12) voies de circulation des avions au sol

    (13) volets hypersustentateurs déployés sur l’arrière des ailes pour aider au décollage

    (14) manche à balai

    (15) commande

    (16) équipe

    (17) intraduisible ; séance de critique générale du vol qu’on vient de faire

     

     

    Planche 16

     

     

    Image 16-1

    Bandeau de haut de case : « à midi… »

    Un mécanicien : « Capitaine… L’avarie survenue hier à votre pompe d’alimentation n’a pu encore être arrangée… Votre avion sera prêt demain ! »

    Bunny : « Quoi ! Triple abruti ! Demain le porte-avions sera hors d’atteinte ! »

     

    Image 16-2

    Le mécanicien : « Je sais, sir… Nous pouvons mettre à votre disposition un « Crusader »… Il sera prêt dans une heure ! »

    Bunny : « Un Crusader ?! Pourquoi pas un char à boeufs ? »

     

    Image 16-3

    Duck : « Allons, Bunny ! du calme ! Quelqu’un d’autre convoiera ton F-14 sur le Big E demain ! »

    Smok : « Et puis quoi ! En 14 aussi, il y avait des as ! »

     

    Image 16-4

    Duck en vol en F-14; vue du poste

    Bandeau de haut de case : « Quelques instants après »

    Duck : « Leader à tous ! Regroupement à 30 000 pieds* et mise de cap sur le 070 !)

    Bandeau jaune de bas de page : « * 10 000 mètres »

     

    Image 16-5

    Bunny décollant en Crusader ; vue extérieure latérale de l’avion

    Bandeau de haut de case : « Une heure après »

    Bunny, bulle de type « pensée » dans laquelle ne figurent que des dessins : éclatement, point d’exclamation, revolver, éclair.

     

    Image 16-6

    Avion de Duck vu survolant l’Enterprise tout petit loin dessous

    Bandeau de haut de case : « Pendant ce temps… »

    Duck : « Voilà notre bercail, chaps ! Blue leader ! Posez votre section en premier ! »

     

    Image 16-7

    Bandeau de haut de case : « Parmi les derniers, Duck se pose… »

    Duck : « Diable ! Le temps se gâte plus vite que prévu ! Pourvu que Bunny puisse passer sans problème ! »

     

    Image 16-8

    Bandeau de haut de case : « Après l’appontage… »

    Duck : « Slum ! »

    Slum : « Duck ! Vieille branche ! Smok et Bunny t’accompagnent ? »

     

    Image 16-9

    Duck : « Smok est avec nous ! En ce qui concerne Bunny… »

    Smoker, accourant, en caractères forts : « Duck ! »

     

    Image 16-10

    Smoker : « Le temps s’est détérioré à une vitesse imprévisible entre nous et la côte ! la tornade sera sur nous dans moins de dix minutes et Bunny est encore à 100 milles* d’ici ! »

    Duck, en caractères forts : « Bunny ! Hell ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « * 160 km »

     

    Image 16-11

    Smoker : « Il est sur le point d’entamer sa percée ! Et pour comble, le moteur droit de son « Phantom » est en rideau ! »

    Duck : « Je fais évacuer le pont immédiatement ! »

     

    Image 16-12

    Un Phantom II vu de l’extérieur, évoluant dans un temps d’orage

    Bandeau de haut de case : « En effet à cent cinquante kilomètres de là… »

    Bunny : « Big E ! Big E ! Altitude 25 000 pieds* ! Je plonge dans la crasse pour percer ! Mon… mon second moteur bafouille terriblement ! »

    Bandeau jaune de bas de case pour suspense de fin de page : « Bunny pourra-t-il sortir de cette dramatique situation ? »

    Petit bandeau inclus dans le précédent : « * 8 300 mètres »

     

     

    Planche 17

     

     

    Image 17-1

    Duck, Slum et Smoker sur le pont, contemplant le mauvais temps

    Duck : « Tonnerre ! La mer est de plus en plus grosse ! Le bateau n’est pas visible à deux milles et le pont danse la gigue ! »

     

    Image 17-2

    Poste de pilotage ; Bunny regardant à travers son pare-brise

    Bandeau de haut de case : « Au même moment… »

    Bunny : « 300 pieds* et je ne vois toujours pas la mer ! Oh ! Là ! Une trouée ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « * 100 m »

     

    Image 17-3

    Duck, Smoker et Slum sur le pont

    Bandeau de haut de case : « Par miracle, Bunny a pu trouver la déchirure dans les nuages à portée de vue de l’ « Enterprise », et…

    Smoker : « Duck ! Le voilà ! »

     

    Image 17-4

    Bandeau de haut de case : « Se traînant au ras des flots sur son unique moteur, le « Phantom » vient d’émerger de la grisaille à moins d’un mille »

     

    Image 17-5

    Poste du Phantom

    Bandeau de haut de case : « Mais à bord… »

    Bunny : « Encore un peu, et… DAMNED ! Ce fichu moulin me lâche à son tour ! »

     

    Image 17-6

    Poste du Phantom, vue à travers le pare-brise. Le porte-avions énorme et l’avion trop bas.

    Bandeau de haut de case : « En un clin d’œil, Bunny a jugé les possibilités d’appontage en catastrophe, car la porte-avions est à présent tout proche…

    Bunny : « Rien à faire ! Je ne suis peut-être pas à plus de dix pieds au-dessous du plan de descente, mais le zinc va quand même percuter le poupe ! »

     

    Image 17-7

    Vue du pont

    Duck : « Smok ! Il s’est éjecté ! »

     

    Image 17-8

    Bunny pendu à son parachute regarde sous lui la mer démontée

    Bandeau de haut de case : « Et quelques secondes plus tard… »

    Bunny : « Diable ! Ce bouillon n’a pas l’air appétissant ! »

     

    Image 17-9

    Arrivée dans l’eau

     

    Image 17-10

    Vue du pont

    Slum : « Il faut envoyer l’hélicoptère de secours ! »

    Duck : « Moment, Slum ! »

     

    Image 17-11

    Duck : « Il n’en est pas question ! La moindre de ces rafales le retournerait ! Le navire va cercler pour rester dans le secteur jusqu’à la fin de la tempête… »

     

    Image 17-12

    Duck : « …c’est tout ce que nous pouvons faire ! Je n’ai pas le droit d’envoyer trois hommes à la mort pour tenter d’en sauver un ! Même s’il s’agit de mon meilleur ami ! »

     

     

    Planche 18

     

     

    Image 18-1

    Smoker : « Duck ! Réfléchis ! Jamais sa mae west* ne résistera à la tempête ! »

    Duck : « Je sais, Smok, c’est dur… mais c’est notre devoir de soldat ! »

    Slum : « Ah oui ? »

    Bandeau jaune de bas de case : « * gilet de sauvetage à gonflage automatique

     

    Image 18-2

    Slum : « Eh bien moi aussi, je connais mon devoir ! C’est de ne jamais laisser tomber les copains ! Et je me porte volontaire pour le secourir ! »

     

    Image 18-3

    Slum : « Et je n’ai pas encore assez de galons pour avoir peur de les perdre, moi ! »

    Smoker : « Slum ! Tu es fou ! »

    Duck : « Suffit, Slum ! »

     

    Image 18-4

    Duck : « J’agis ainsi parce qu’aucune intervention humaine n’est actuellement capable de sauver Bunny ! Nous ne pouvons plus qu’espérer en un miracle ! »

     

    Image 18-5

    Duck : « Et si je n’ai jamais hésité à risquer ma peau et celle de mes hommes pour un objectif possible à atteindre, ce n’est pas pour le faire maintenant stupidement et sans profit ! Tenez-le vous pour dit, capitaine ! »

    Slum : « Très bien, sir ! Excusez-moi ! »

     

    Image 18-6

    Smoker : « Duck, ne lui en tiens pas rigueur ! Nous sommes tous terriblement bouleversés ! Tu connais Slum ! »

    Duck : « Ca va, Smok, n’en parlons plus !... Mais où est-il passé ? »

     

    Image 18-7

    Smoker : « Tiens, c’est vrai ! Où donc… »

    Duck, caractères forts : « Hé ! »

     

    Image 18-9

    L’hélicoptère de secours a décollé du pont

    Smoker : « Voilà pourquoi il s’était incliné si rapidement ! Ce n’était pas dans ses habitudes ! »

    Duck : « L’hélicoptère ! Il s’en est emparé ! Il faut le rappeler immédiatement !

    Bandeau jaune de bas de case pour suspense de fin de page : « Slum Bolden parviendra-t-il à repêcher Bunny dans cette mer démontée ? »

     

    Image 18-10

    Un officier anonyme : « Inutile, Sir ! Il a coupé sa radio ! »

    Duck : « Par tous les diables de l’enfer ! Je vous jure qu’à présent il a intérêt à ramener Bunny et les autres s’il ne veut pas être à jamais chassé de l’armée ! »

     

     

    Planche 19

     

     

    Image 19-1

    Bandeau de haut de case : « Slum aux commandes, l’hélicoptère file vers le point présumé de chute de Bunny… »

     

    Image 19-2

    Bandeau de haut de case : « Ballotté comme un fétu par les effroyables bourrasques, l’appareil se fraie un chemin de plus en plus difficile entre le plafond tombé à moins de cent pieds * et la crête des vagues de plusieurs mètres »

    Bandeau jaune de bas de case : « * 33 mètres »

     

    Image 19-3

    Bandeau de haut de case : « Quand soudain… »

    Un équipier dans l’hélicoptère : « Là bas ! J’aperçois le pilote ! »

    Slum : « Vu ! Je n’espérais pas le retrouver si rapidement ! »

     

    Image 19-4

    Bandeau de haut de case : « Un périlleux vol stationnaire commence alors ! Durant plusieurs interminables minutes, tandis que Bunny s’efforce désespérément de saisir le filin, l’appareil ne doit qu’à l’étonnante virtuosité de son pilote de ne pas être précipité à plusieurs reprises dans les flots écumants… »

     

    Image 19-5

    Vue du pont

    Smoker : « Duck ! Il revient ! »

    Duck : « Le ciel le protège ! »

     

    Image 19-6

    Vue de l’hélicoptère s’affaissant en travers sur le pont, un train plié, tandis que Bunny au bout de son filin heurte le sol de son côté.

    Bandeau de haut de case : « Mais à l’instant même où Slum va déposer Bunny sur le pont, une brusque rafale plaque l’appareil qui s’affaisse en évitant de peu d’écraser le rescapé »

     

    Image 19-7

    Duck et Smoker s’élancent

    Duck : « Vite, Smok ! »

    Smoker : « Il s’est écrasé ! C’était inévitable ! »

     

     

    Planche 20

     

     

    Image 20-1

    Duck : « Bunny !... Dites-moi, doc, est-il ?...

    Le médecin : « Non, sir ! Un vrai miracle ! A part quelques contusions il sera vite sur pied ! »

     

    Image 20-2

    Bandeau de haut de case : « Un instant après… »

    Duck : « Indemne, Bolden ? Heureux pour vous ! Vous êtes interdit de vol et mis aux arrêts de rigueur jusqu’au retour où on avisera de ce qu’il convient de faire de vous ! »

    Slum, saluant, très raide : « Aïe aïe, sir ! »

     

    Image 20-3

    Smoker : « Duck ! Tu ne peux pas faire ça ! Slum est un héros ! »

    Duck : « C’est bien mon avis ! »

     

    Image 20-4

    Duck : « Il l’aurait fait pour n’importe qui ! Mais il n’avait aucun droit à risquer la vie du reste de l’équipage, même si celui-ci était d’accord ! »

     

    Image 20-5

    Duck : « Tu ne peux nier qu’il ait réussi par pur hasard ! Il pourrait recommencer mille fois, qu’il n’y parviendrait plus ! »

     

    Image 20-6

    Duck : « Cela dit, je vais m’efforcer d’étouffer l’affaire et de faire attribuer à notre retour une décoration à Slum ! »

     

    Image 20-7

    Smoker : « Duck ! Vieux frère ! Je te reconnais mieux comme cela ! J’étais certain que… »

    Duck : « Ça va comme ça ! Et pas un mot à personne, encore moins à Slum ! »

     

    Image 20-8

    Duck dans sa cabine

    Bandeau de haut de case : « Quelques jours plus tard, comme Duck préparait les vols du lendemain…. »

    Duck : « Rien à faire ! Je ne peux pas aller plus loin sans les abaques de consommation ! »

     

    Image 20-9

    Duck : « Et interdiction d’ouvrir le coffre aux documents sans la présence de Hamilton ! Tant pis pour l’heure ! Je dois le réveiller ! »

     

    Image 20-10

    Duck et Hamilton accroupis devant un petit coffre

    Bandeau de haut de case : « Dix minutes plus tard… »

    Duck : « Désolé, Gene ! La préparation des prochaines missions pose des problèmes qu’il faut régler avant demain ! Mais…

    Hamilton : « Bah ! C’est mon job ! Et puis… »

     

    Image 20-11

    Duck, caractères forts : « OOOH ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « Qu’a donc découvert Duck ? »

     

     

    Planche 21

     

     

    Image 21-1

    Hamilton : « Qu’y a-t-il ? »

    Duck : « Gene ! Les documents ont été touchés ! »

     

    Image 21-2

    Hamilton : « Quoi ? Vous en êtes sûr ? »

    Duck : « Certain ! Les feuilles sont rangées dans un ordre bien précis, et ces deux-là ont été interverties ! »

     

    Image 21-3

    Hamilton : « C’est peut-être vous même, la dernière fois ? »

    Duck : « Je suis persuadé qu’il n’en est rien ! Les documents ont très bien pu être photographiés ! Il faut alerter sur-le-champ le skipper ! »

     

    Image 21-4

    Bandeau de haut de case : « Quelques minutes après… »

    L’amiral : « … si vous en êtes certain, Papy, nous voilà avec une sale affaire sur les bras ! »

     

    Image 21-5

    L’amiral : « Je fais renforcer la police dès maintenant pour surveiller les allées et venues… et perquisition générale dès demain matin ! Je vous convoquerai dès qu’il y aura du nouveau… Le capitaine Hamilton prend la direction des opérations ! »

    Hamilton : « A vous ordres, sir ! »

     

    Image 21-6

    Bandeau de haut de case : « Le lendemain… »

    L’amiral : « Le travail est fait, Duck ! On a retourné jusqu’à ma propre cabine… et on a trouvé ceci ! »

    Duck : « Ciel ! mais c’est… »

     

    Image 21-7

    L’amiral : « Un appareil photographique microscopique et un puissant émetteur miniaturisé capable de porter sur mer à plusieurs centaines de milles ! d’origine indéterminée mais découverts dans la cabine du capitaine Bolden ! »

    Duck : « Hein ! Slum ! Ce… ce n’est pas possible ! C’est faux ! »

     

    Image 21-8

    Duck : « Sir ! L’ouverture du coffre remonte au plus à deux jours, et la capitaine Bolden est aux arr^tes depuis plus longtemps ! D’ailleurs il a sauvé la vie… »

    L’amiral : « Je sais ! J’ai du mal à y croire… mais il y a plus accablant encore ! »

     

    Image 21-9

    Duck : « Quoi ? Que voulez-vous dire ? 

    L’amiral : « la sentinelle de faction hier matin à la porte de Bolden a avoué que celui-ci était sorti un bon quart d’heure alors qu’elle-même s’était absenté irrégulièrement ! »

     

    Image 21-10

    L’amiral : « Bolden prétend être allé acheter de l’alcool à la cantine du personnel rampant… On a bien retrouvé des bouteilles dans sa cabine… mais rien ne prouve qu’elles y soient d’hier ! »

    Duck : « Ca en effet… Je connais Slum ! »

     

     

    Planche 22

     

     

    Image 22-1

     

    L’amiral : « Il n’y a pas de preuve formelle ni d’empreintes, mais il est fort possible que Bolden ait pu prendre ces photographies ! »

     

    Image 22-2

    L’amiral : « Le laboratoire vient de développer le film contenu dans l’appareil… Il s’agit bien des documents que vous avez retrouvés déplacés ! Le doute n’est plus guère permis ! »

    Duck : « Il n’y a que les Russes qu’un tel avion est capable d’intéresser… Slum ! leur complice ! »

     

    Image 22-3

    L’amiral : « Hum ! Personne n’a parlé d’eux ! Dans le contexte politique actuel le Pentagone * doutent qu’ils se mouilleraient aussi grossièrement ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « * ministère américain de la Défense »

     

    Image 22-4

    L’amiral : « C’est pénible à avaler, Duck, je sais… mais la culpabilité de Bolden semble évidente ! »

    Duck, dans une bulle de type « pensée » : « Un peu trop évidente, justement ! Comment a-t-il pu ouvrir ce coffre ? Et s’il a pu sortir de sa cabine, un autre a bien pu y entrer pour y semer toutes ces « preuves » ! »

     

    Image 22-5

    Duck, dans une bulle de type « pensée » : « On peut encore tenter quelque chose ! » ; puis en parlant : « Sir ! »

     

    Image 22-6

    Duck : « Il faut déterminer la longueur d’onde de cet émetteur et organiser une écoute permanente ! »

    L’amiral : « Sans grand intérêt, Duck ! »

     

    Image 22-7

    L’amiral : « Le poste est d’un type ultra-moderne qui envoie ses messages précodés sous forme d’une unique impulsion très brève * ! S’il y en a encore à bord, la goniométrie ne pourra pas les repérer !

    Duck : « Sans doute, mais… »

    Bandeau jaune de bas de case : « * authentique »

     

    Image 22-8

    Duck : « … on saura qu’ils existent ! Les soupçons qui pèsent sur Slum s’allégeront, et on pourra reprendre les recherches avec une certitude ! »

    L’amiral : « Soit ! »

     

    Image 22-9

    Bandeau de haut de case : « Le lendemain de bonne heure… »

    Bunny : « Slum ! un espion ! Quelle absurdité ! »

    Duck : « Tu as deux fois plus de motifs que nous de ne pas l’admettre ! Moi-même… Enfin ! Les autorités semblent le croire ! »

     

    Image 22-10

    Duck : « Quoi qu’il en soit, je vous rappelle que nous décollons dans une heure ! »

    Un haut-parleur mural : « Allo ! Allo ! Le colonel Papy est demandé chez le skipper ! »

    Smoker : « Hé ! Duck ! C’est pour toi ! »

    Duck, dans une bulle sous la première, intercalée avec celle de Smoker, les deux bulles de Duck «étant reliées par un filet : « Hell ! Le « vieux » doit avoir découvert quelque chose ! »

    Bandeau jaune de bas de case pour suspense de fin de planche : « La suite de l’enquête établira-t-elle définitivement la culpabilité d’un des plus vieux amis de Duck Papy ? »

     

     

    Planche 23

     

     

    Image 23-1

    L’amiral, Slum, Duck

    Bandeau de haut de case : « Un instant plus tard »

    L’amiral : « Duck ! De bonnes nouvelles pour vous ! Bolden est libéré depuis un instant. J’ai aussi levé les arrêts que vous lui aviez infligés… Les dernières vingt-quatre heures lui ont flanqué un choc suffisant ! »

    Duck : « Ca, alors ! Slum ! Vous avez bien fait, sir ! La preuve est faite de son innocence ? »

     

    Image 23-2

    L’amiral : « Hem ! Presque… La CIA vient de me faire savoir que d’après leurs informations la culpabilité du capitaine Bolden devient douteuse… Et surtout, nous avons capté dans la nuit une émission clandestine provenant du navire même ! »

    Duck : « Un autre émetteur ? Mais dans ce cas… »

     

    Image 23-3

    L’amiral : « C’est presque une preuve d’innocence pour Bolden ! Mais la teneur du message est inconnue. Le Pentagone tient à ce que l’espion soit identifié le plus rapidement possible ! »

    Slum : « Et moi donc ! »

     

    Image 23-4

    L’amiral : « Toujours pour ces messieurs de la CIA, aucune puissance étrangère n’intervient directement dans cette affaire… L’hypothèse d’une organisation internationale privée semble la plus plausible… »

     

    Image 23-5

    L’amiral : « Nous avons déjà vu des cas semblables… Fraulein Y, par exemple ! »

    Duck : « Fraulein Y est morte, sir ! »

    Slum : « Non, Duck ! Souviens-toi ! Elle a pu s’enfuir après son attentat à Karachi ! »

     

    Image 23-6

    Duck, la lumière se faisant dans son esprit, entouré par deux grandes bulles de type « pensée » :

    - Première bulle « pensée » : reprise en taille réduite de l’image 15-7, où Duck et Bunny se concertent à voix basse ; reproduction dans la bulle « pensée » des deux bulles de l’image 15-7. Duck : « C’est étrange ! Le timbre rauque de cette voix me rappelle quelqu’un » ; Bunny : « A moi aussi, mais qui ? »

    - Deuxième bulle « pensée » : reprise en taille réduite de l’image de l’amiral en case 14-2, avec dans la bull « pensée » celle de l’amiral disant : « Il doit veiller à la sécurité de vos hommes… et des avions ! C’est un certain Gene Hamilton… »

    Puis après ces deux bulles « pensée », Duck dans une troisième bulle, normale, s’écriant : « Et depuis, elle… OH ! TONNERRE ! »

     

    Image 23-7

     

    Duck : « Sir ! C’est bien Fraulein Y ! J’en suis certain ! Je peux même vous dire sous quel nom d’emprunt elle se cache à bord ! »

    Slum : « Hein ? »

    L’amiral : « Duck ! Vous plaisantez ? »

     

    Image 23-8

    Duck : « Je n’ai pas de preuve ! Mais devant cette affaire qui ne peut être signée que d’elle, trop de présomptions se recoupent ! Fraulein Y est le capitaine Hamilton ! »

    Slum : « Duck ! Tu es fou ! »

    L’amiral : « Vous déraisonnez ! Il nous est adjoint par la CIA même ! »

     

    Image 23-9

    Duck : « Je connais cette misérable mieux que n’importe quel ponte de la CIA ! Elle aura assassiné le vrai Hamilton pour prendre sa place ! Elle était si sûre de réussir qu’elle s’est offert le luxe de ne pas dissimuler son identité véritable ! »

    L’amiral, en caractère fort : « ? »

     

     

    Planche 24

     

     

    Image 24-1

    Duck : « Lorsqu’elle était championne du monde de vitesse sur jet, tout le monde connaissait son nom : Jane Hamilton ! Elle s’est bornée à un jeu de mots sur son prénom ! »

    L’amiral : « C’est… c’est hallucinant ! »

    Slum : « Hell ! Tu as raison ! Je réalise à présent ! Cette voix brisée était la sienne ! »

     

    Image 24-2

    L’amiral : « Si cette histoire m’était racontée par tout autre que vous, Papy… Enfin !... Je vais convoquer Hamilton immédiatement ! »

    Duck : « Inutile, Sir ! »

     

    Image 24-3

    Duck : « Nous devons décoller dans quelques minutes ! Hamilton doit être sur le pont avec les autres pilotes. Je vous l’enverrai… Ce sera ainsi fait avec le maximum de discrétion ! »

    L’amiral : « OK ! J’appelle aussi deux marines… On ne sait jamais ! »

     

    Image 24-4

    Sur le pont

    Bandeau de haut de case : « Un instant plus tard… »

    Duck : « Bunny ! Hamilton est sur le pont ? »

    Bunny : « Gene ? Il vient de décoller ! »

     

    Image 24-5

    Duck, s’écriant, en caractères modérément forts : « QUOI ? »

    Bunny : « Mais… sur ton ordre ! Il est parti avec des bidons supplémentaires, et nous devons décoller une demi-heure après lui ! »

     

    Image 24-6

    Duck : « Je n’ai jamais donné un tel ordre ! Hamilton est un imposteur ! C’est Fraulein Y en personne ! Slum est innocenté ! »

    Bunny : « Gene ? Fraulein Y ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? »

     

    Image 24-7

    Duck : « Nous en avions la conviction ! Cet ordre imaginaire et cette fuite en font une certitude ! Décollage immédiat pour lui donner la chasse ! Qu’on lui ordonne de rentrer ! Si c’est bien Fraulein Y, elle désobéira et nous serons fixés ! »

    Bunny : « Ca… ça alors ! »

     

    Image 24-8

    Duck : « Il faut donner l’alerte immédiatement ! »

    Smoker : « Je cours à mon zinc ! »

     

    Image 24-9

    Smoker montant à l’échelle de son F-14, visière de casque abaissée ; il est surpris par une explosion surgissant de la cabine de l’avion

    Bandeau de haut de case : « Quelques secondes plus tard »

    Dans une bulle « explosion » : « WHAM »

     

     

    Planche 25

     

     

    Image 25-1

    Duck : « Mon Dieu ! Smok ! Tu es blessé ? »

     

    Image 25-2

    Smoker : « Non ! Une égratignure ! »

    Duck : « Que s’est-il passé ?! »

     

    Image 25-3

    Smoker : « Une violente déflagration s’est produite au moment où j’entrais dans mon cockpit ! Par miracle ma verrière était abaissée ! Je… je n’ai rien ! »

    Duck, en caractère fort : « ! »

     

    Image 25-4

    Deux autres détonations dans deux autres avions, dans deux bulles « explosion »

    « WHAM ! »

    « WHAM ! »

    Bunny : « Duck ! D’autres explosions ! »

     

    Image 25-5

    Bunny : « Tonnerre ! Ce sont nos zincs ! »

    Bulle « explosion » sur un autre F-14 : « WHAM ! »

    Smoker : « Encore une ! C’est dans l’avion de Jack ! »

     

    Image 25-6

    Bunny monté devant un F-14 examine l’intérieur de sa cabine

    Bunny : « Ca alors ! Le cockpit est ravagé ! L’appareil est inutilisable ! »

     

    Image 25-7

     

    Duck : « Plus de doute ! C’est Fraulein Y ! Elle a laissé dans chaque avion une minuscule bombe à retardement ! »

    Bunny : « Bah ! Il reste des « Phantom » ! »

     

    Image 25-8

    Duck : « Contre un F-14 ? Inutile d’y songer ! Ils n’ont pas la moindre chance ! »

    Smoker : « Alors, le secret de notre appareil est perdu ! »

     

    Image 25-9

    Duck : « Je le crains ! A moins que… »

    Un mécanicien : « Sir ! »

     

    Image 25-10

    Le mécanicien : « Sir ! Un des F-14 n’a subi que des dégâts insignifiants ! Il pourrait être disponible d’ici un quart d’heure ! »

    Duck : « Hein ? C’est un miracle inespéré ! »

     

    Image 25-11

    Bunny : « Tu plaisantes ! Fraulein Y aura plus de vingt minutes d’avance ! »

    Duck : « Justement ! Si elle est partie avec des réservoirs supplémentaires, c’est qu’elle compte aller loin ! »

     

    Image 25-12

    Slum : « Aller où ? Nous sommes en plein océan ! »

    Duck : Un navire complice doit l’attendre très loin ! Elle est donc obligée de voler en croisière économique lente ! »

     

     

    Planche 26

     

     

    Image 26-1

    Bunny : « Bravo ! A pleins tubes, on pourra la rejoindre et la descendre ! »

    Duck : « Oui… mais à au moins 400 milles d’ici ! Celui qui le fera mangera tout son pétrole et sera à sec après l’interception ! Il ne pourra pas rentrer ! »

     

    Image 26-2

    Smoker : « C’est affreux ! L’un de nous est obligé de se sacrifier ! »

    Duck : « Exact ! Car pour foncer à la poursuite de Fraulein Y, il ne pourra s’encombrer d’aucun réservoir supplémentaire !

     

    Image 26-3

    Slum : « J’irai ! J’ai un fameux compte à régler avec cette créature du diable ! »

    Duck : « Navré ! Ce sera moi ! La réussite seule importe ! Et moi seul la connais assez pour espérer déjouer ses traîtrises ! »

     

    Image 26-4

    Slum : « Pas de boniments ! J’ai juré d’avoir ma revanche ! Tu peux avoir confiance ! »

    Bunny : « Bon Dieu ! Slum est intraitable ! Il va encore refaire une scène et tout gâcher ! »

     

    Image 26-5

    Duck d’un crochet envoie Slum au tapis

    Duck : « Nous n’avons plus de temps pour discuter !... Désolé ! c’est pour ton bien ! »

    Slum, en caractères forts : « OW ! »

     

    Image 26-6

    Duck : « S’il avait patienté un peu, il serait en état de venir avec moi ! Les F-14 sont des biplaces, et si dangereuse que soit cette mission, nous ne devons rien laisser au hasard ! J’ai absolument besoin d’un opérateur radar pour me seconder ! »

     

    Image 26-7

     

    Duck : "Il me faut donc un volontaire ! »

    Un pilote : « Moi ! »

    Huit autres pilotes : « Moi aussi ! » (huit phylactères indépendants)

     

    Image 26-8

     

    Duck : « Okay pour le capitaine Suckton… Décollage dans dix minutes ! »

    Smoker : « Hé, Duck ! Les radars du bord détectent Fraulein Y en fuite sur le cap 263 ! Un avion ravitailleur peut décoller immédiatement pour la suivre ! »

     

    Image 26-9

     

    Smoker : « Il était prévu pour le vol de ce matin ! Il n’aura que dix minutes de retard sur Fraulein Y ! Vous pourrez ainsi ravitailler pour rentrer juste après l’avoir descendue ! »

    Duck : « Mmouais… Cela nous donne une chance de plus… Qu’il prenne l’air tout de suite !

    Bandeau jaune en bas de case pour suspense de fin de page : « La manœuvre désespérée de Duck va-t-elle réussir ? Laissera-t-il sa vie et celle de Bunny au service de son devoir ? »

     

      

    Planche 27

     

     

    Image 27-1

    Bandeau de haut de case : " Une minute plus tard, le ravitailleur "KA-3D" était catapulté..."

     

    Image 27-2

    Bandeau de haut de case : "Et encore dix minutes après..."

    Duck, dans la place avant du F-14 : "Ce ne sera pas facile ! La bombe a détruit une partie des instruments ! Par chance le poste arrière est indemne avec son radar !"

     

    Image 27-3

     

    Bandeau de haut de case : « Après une rapide montée à 60 000 pieds (*), le F-14 file sur les traces de l’espionne en soutenant une allure de près de mach 2 »

    Bandeau jaune de bas de page : « (1) 20 000 mètres »

     

    Image 27-4

     

    Bandeau de haut de case : « Mais au même instant, 300 milles plus à l’ouest… »

    Fraulein Y, dans son F-14 : « Fichus Yankees ! Deux avions sont déjà à mes trousses ! Le plus éloigné est un « jet » supersonique ! Toutes mes bombes n’ont pas dû fonctionner ! »

     

    Image 27-5

     

    Fraulein Y, bulle de type « pensée » : « c’est ce maudit Banny, j’en suis sûre ! Il ne laisserait à personne le soin de me régler mon compte ! »

     

    Image 27-6

     

    Bandeau de haut de case : « Simultanément… »

    Bunny, en place arrière du F-14 : « Radar à pilote ! Duck ! J’ai accroché l’objectif ! Nous serons sur elle dans neuf minutes… Hé ! On dirait qu’elle force l’allure ! Elle va nous échapper ! »

     

    Image 27-7

     

    Bandeau de haut de case : « A ce moment en effet… »

    Fraulein Y, bulle de type « pensée » : « tant pis pour ma marge de sécurité ! Le navire qui m’attend est assez proche… Je dois amerrir avant d’être descendue !

     

    Image 27-8

     

    Fraulein Y : « Pleins gaz ! Banny ne pourra pas me rejoindre, et du train où il va depuis le départ, il n’atteindra pas le bateau !

     

    Image 27-9

     

    Bunny, dans son poste arrière du F-14 : « c’est fichu ! Cette diablesse vole aussi vite que nous à présent !... Elle nous échappe totalement !

    Duck dans les écouteurs de Bunny, bulle de type « radio » : « Compris, Bunny ! Contacte le ravitailleur ; nous allons faire du pétrole ! »

     

    Image 27-10

     

    Bunny : « Il vole à 20 milles de nous… Altitude 30 000 pieds (*), même cap… »

    Bandeau jaune de bas de page : « (*) 10 000 mètres »

     

    Image 27-11

     

    Bandeau de haut de case : « Après une rapide descente, le « KA-3D » est rejoint »

     

    Image 27-12

     

    Les deux avions sont en position de ravitaillement.

    Duck : « …ici Danny ! Perche de ravitaillement verrouillée. Vous pouvez envoyer le coco (*)… Heu… Je ne prends que du super ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « (*) Carburant, en argot d’aviation »

     

     

    Planche 28

     

     

    Image 28-1

     

    Bandeau de haut de case : « Et bientôt… »

    Duck : « Mes réservoirs sont pleins ! je dégage ! »

     

    Image 28-2

     

    Bunny, à son poste arrière : « Hé ! Duck ! Il faut virer de 180 degrés sur la cap retour ! »

    Duck dans les écouteurs de Bunny, bulle de type « radio » : « Pas question ! »

     

    Image 28-3

     

    Duck : « Si Fraulein Y peut accélérer et gaspiller son pétrole de la sorte, son nid n’est plus loin ! Nous sommes à présent sûrs de l’avoir ! »

     

    Image 28-4

     

    Bunny, à son poste arrière : « C’est de la folie ! Nous tomberons en panne à près de 1000 milles (*) du porte-avions ! A cette distance l’ « Air Rescue » ne pourra rien pour nous ! »

    Duck, dans les écouteurs de Bunny, bulle de type « radio » : « Shut up, sacré bavard ! »

    Bandeau jaune de bas de page : « (*) 1600 km (*) Service de sauvetage »

     

    Image 28-5

     

    Duck, à son poste avant : « Espérons qu’un miracle sauvera nos vies ! L’US Navy perdra toute sa supériorité si le F-14 lui échappe ! »

    Bunny, dans les écouteurs de Duck, bulle de type « radio » : « Heu… Tu as raison ! »

     

    Image 28-6

     

    Bandeau de haut de case : « Mais à la radio, l’espionne ne perd rien des événements… »

    Fraulein Y à son poste de pilotage : « Banny aurait pu rentrer… Il se sacrifie pour l’avion ! Il me descendra aisément quand j’amerrirai… Seule la ruse peut encore me sauver… Il faut jouer serré ! »

     

    Image 28-7

     

    Duck dans son F-14. Fraulein Y parlant dans ses écouteurs.

    Fraulein Y dans les écouteurs de Duck, bulle de type « radio » : « Allo, colonel Banny ! Ici Fraulein Y ! Toutes mes félicitations pour votre perspicacité ! Ecoutez maintenant le marché que je vous propose ! »

    Duck : « !?! »

     

    Image 28-8

     

    Duck dans son F-14 : « Et moi je n’en ai qu’un à vous offrir, belle dame ! Amerrissez immédiatement et j’alerte les secours ! Vous aurez la vie sauve ! »

    Fraulein Y dans les écouteurs de Duck, bulle de type « radio » : « Tu aimes plaisanter, Banny ! »

     

    Image 28-9

     

    Fraulein Y dans son F-14 : « Je t’invite sur le même cap à 200 milles de ta position actuelle pour vider loyalement notre différend une fois pour toutes ! Ou bien redoutes-tu le combat ? »

     

    Image 28-10

     

    Vue intérieure plongeante montrant les deux pilotes du F-14 de Banny.

    Bunny : « C’est un piège grossier ! Elle ne se risquerait pas à provoquer un as tel que toi sans avoir toutes les cartes de son côté ! »

     

    Image 28-11

     

    Vue ne montrant plus que Duck.

    Duck, pensif : « C’est possible, mais… »

    Bunny dans les écouteurs de Duck, bulle de type « radio » : « Oh ! Elle a disparu de mon écran ! Elle a dû plonger sous la couverture radar ! »

     

    Image 28-12

     

    Vue montrant Duck et Bunny.

    Duck : « Alors notre dernière chance est d’accepter malgré le risque ! Sinon, autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! »

    Bunny : « En tout cas s’il y a un navire il ne peut plus être loin ! »

     

     

    Planche 29

     

     

    Image 29-1

     

    Bandeau de haut de case : « Et au bout de quinze minutes »

    Bunny : « Là ! Un bateau ! Tu avais deviné juste, Duck ! »

    Duck : « Et Fraulein Y ? »

     

    Image 29-2

     

    Bunny : « Contact radar retrouvé ! Elle doit être visible à dix heures à moins de deux milles ! »

     

    Image 29-3

     

    Duck : « Pilote à radar ! Je l’aperçois à basse altitude… Elle file vers le navire ! Nous n’avons qu’à accélérer pour nous trouver en position de tir dans sa queue ! »

     

    Image 29-4

     

    Bandeau de haut de case : « Plongeant post-combustion allumée à quelques pieds de la mer, Duck transforme son avantage de hauteur en survitesse. L’avion de l’espionne grandit dans son collimateur… »

    Duck : « Ma parole… Elle veut nous faire jouer à saute-mouton avec son rafiot ! »

     

    Image 29-5

     

    Bandeau de haut de case : « Mais au même moment »

    Fraulein Y dans son F-14, esquissant un sourire diabolique, bulle de type « pensée » : « C’est le démon qui me donne ma chance ! Ce naïf de Banny va être abattu dans une seconde ! »

     

    Image 29-6

     

    Bandeau de haut de case : « Et en effet »

    Vue du navire d’où partent des coups de canon ; son des canons en surimpression sur l’image : « BLAM BLAM BLAM, BLAM BLAM BLAM »

    Bunny : « Hell ! On nous tire dessus du navire ! »

     

    Image 29-7

     

    Bunny : « Dégage ! Dégage ! »

     

    Image 29-8

     

    Bandeau de haut de case : « passant en trombe dans l’ouragan de fer, Duck épargné par miracle amorce une rapide chandelle ascendante »

     

    Image 29-9

     

    Fraulein Y jubilant dans son F-14 : « Ils se sont jetés dans la gueule du loup ! Les abattre est maintenant un jeu d’enfant ! »

     

    Image 29-10

     

    Duck et Bunny visibles ensemble.

    Bunny : « Tonnerre ! Fraulein Y est passée dans notre queue ! »

    Duck : « Je sais ! Elle a profité de notre fausse manœuvre… mais il reste une chance ! »

     

    Image 29-11

     

    Bandeau de haut de page : « Ses moteurs rugissant, Duck grimpe à vitesse maximale, et, toujours suivi par l’espionne, s’engouffre dans la couverture de stratus »

     

    Image 29-12

     

    Bunny : « la crasse ne l’empêchera pas de nous tirer au radar ! »

    Duck : « Elle ne nous tient pas encore ! Accroche-toi ! »

     

     

    Planche 30

     

     

    Image 30-1

    Vue intérieure à l’avion montrant Duck et Bunny, grâce à un décalé.

    Bandeau de haut de case : « Duck entame alors sans visibilité un hallucinant looping serré à la limite des possibilités de l’appareil

    Bunny, en grand caractère fort : « ? »

     

    Image 30-2

    Bandeau de haut de case : « Soumis quelques secondes à une force centrifuge effroyable, Duck achève sa boucle.

    Duck, bulle de type « pensée » : « Aaah… Plus de 8 « g » ! Je… je n’y vois plus ! Mes… mes épaules sont écrasées… J’ai l’impression que mes joues vont s’arracher… Je risque le voile noir… l’inconscience… »

     

    Image 30-3

    Bandeau de haut de case : « Mais la manœuvre réussit ! Avant même que Fraulein Y ait réalisé, c’est Duck qui est maintenant passé dans sa queue, prêt à faire feu ! »

    Bunny : « Ca alors ! Duck ! Vieille branche ! Tu es toujours le même depuis le Pacifique ! »

     

    Image 30-4

    Elle occupe toute la largeur de la planche, 3/5 à gauche pour description avec schéma fléché de la manœuvre de Duck, et 2/5 à droite pour explication du voile noir.

     

    Partie gauche, bandeau en haut : « La manœuvre de Duck et le « voile noir »

    En bas, schéma fléché du trajet des deux chasseurs ; la trajectoire de Duck est ABCD, celle de Fraulein Y : A’,B’,C’,D’.

    Au-dessus, le commentaire : « en A l’avion de Duck (DP) est poursuivi par celui de Fraulein Y (FY) prête à tirer, en position, dans sa queue. En B Duck entame un looping serré qui le mène en C tandis que Fraulein Y, qui n’a pas instantanément compris, continue tout droit (de A’ vers B’ puis C’, simultanés à ABC). En D, le looping achevé, Duck se retrouve en position de tir dans la queue de Fraulein Y en D’.

     

    Partie droite : un petit schéma représentant un pilote sur son siège, le centre du looping « O », la force centrifuge « F » et la trajectoire circulaire en pointillés.

    Emprisonnant le schéma, un texte : « Dans un looping serré, c’est-à-dire une trajectoire circulaire centrée sur le point imaginaire O, l’énorme force centrifuge F appliquée au pilote (ici égale à 8 « g », soit 8 fois plus intense que le poids du pilote), a tendance à chasser le sang vers l’extérieur, donc vers le bas du corps et les pieds. La tête et le cerveau n’étant plus irrigués, il peut s’ensuivre une perte de conscience appelée « voile noir » et justement redoutée des aviateurs en évolutions brutales… »

     

    Image 30-5

    Fraulein Y : « Papy m’a roulée comme une débutante ! Il ne me reste plus qu’à filer à nouveau sous la protection de mon navire ! »

     

    Image 30-6

    Bandeau de haut de case : « Aussi, Duck à ses trousses, l’espionne débouche soudainement sous les nuages… »

     

    Image 30-6

    Le F-14 de Fraulein Y explose dans le pare-brise de Duck

    Bandeau de haut de case : « Et c’est l’incroyable miracle ! Ignorant que hors de leur vue Duck a repris la place de chasseur, les canonniers visent l’avion poursuivi… et font mouche ! »

    Duck, en caractères forts : « OH ! »

     

    Image 30-7

    Bunny : « Des… descendue par ses propres hommes ! »

    Duck : « Bah ! C’est le sort qu’elle nous destinait ! »

     

    Image 30-8

    Vue extérieure du F-14 examinant rapidement le bateau et le rond d’écume fait par le chute de Fraulein Bunny : « Aucun doute ! Cette fois Fraulein Y à dû y rester… Dieu ait son âme ! »

    Duck : « Ouais ! Ne nous attardons pas ici ! Ces rascals comprendront vite leur erreur ! »

     

    Image 30-9

    Bunny : « Par malheur le « Big E » est à plus de 700 milles* et nous n’avons plus que vingt minutes de pétrole… le quart du chemin ! »

    Duck : « J’appelle l’ « Enterprise » pour indiquer notre position…

     

    Bandeau jaune de bas de case, pour suspense de fin de planche : « Nos deux héros s’abîmeront-ils en mer, victimes de leur devoir ?

    Sous-bandeau dans le bandeau : « * 1 100 km »

     

     

    Planche 31

     

     

    Image 31-1

    Vue de la cabine du F-14

    Duck : « Big E ! Big E ! Ici Yellow Bean One ! A 700 milles au QDR 270 (*)! Fraulein Y abattue, sommes à court de carburant ! Allons devoir nous éjecter en mer… Envoyez les secours ! Je répète… »

    Voix de Smoker dans le casque de Duck, bulle du type « émission radio lointaine » : « Yellow Bean One ! Message reçu ! »

    Bandeau jaune de bas de case : « Relèvement du F-14 par rapport au porte-avions. Ici : l’avion est plein à l’ouest du navire »

     

    Image 31-2

    Vue de la cabine du F-14, poste arrière

    Bunny : « C’est la voix de Smok ! Et de Slum ! Ils arrivent à la rescousse ! »

     

    Image 31-3

    Vue de la cabine du ravitailleur

    Slum : « Buck ! Ici Slum ! Ne t’énerve pas, Cassius Clay ! Nous avons décollé à peine quelques minutes après toi… Nous arrivons… mais nous ne sommes pas supersoniques ! »

     

    Image 31-4

    Vue de la cabine du ravitailleur

    Slum : « Nous avons pu suivre le combat au radar… mais sans savoir quel avion avait disparu de notre écran ! Le message de Bunny nous a rudement soulagés ! »

     

    Image 31-5

    Vue de la cabine du F-14

    Duck : « Ils sont encore à 300 milles ! Mais en combinant nos vitesses, nous rejoindrons in extremis le

    « KA-3D » ! C’est un véritable miracle ! »

     

    Image 31-6

    Vue extérieure montrant le F-14 à quelques mètres du panier du ravitailleur

    Bandeau de haut de case : « Et peu après »

    Duck : « Pfuuu !... Nous n’avions plus trois gallons dans les réservoirs ! Si ces fichus pompistes n’ont rien d’autre, je leur prendrai même de la 95 E-100 ! »

     

    Image 31-7

    Vue du F-14 en virage à bonne hauteur au-dessus du pont du porte-avions en contrebas

    Bandeau de haut de case : « Une heure plus tard »

    Bunny : « Ce vieux bac, enfin ! Vise la foule sur le pont ! Le skipper s’est dérangé en personne ; je reconnais sa casquette ! »

     

    Image 31-8

    Sur le pont. Vue de ¾ avant du F-14 à quelques pieds du pont.

    Bandeau de haut de case : « Au milieu de l’ovation générale, Duck pose impeccablement son chasseur »

     

    Image 31-9

    Bandeau de haut de case : « Et à bord de l’« Enterprise »…

    L’amiral : « Encore bravo, Duck ! Un télégramme de félicitations vient d’arriver de la Maison Blanche ! Hem ! Je ne serais pas surpris que votre promotion de général soit dans l’air ! »

    Duck : « Merci, sir ! Mais une bonne partie du mérite revient à nos zincs ! Cette démonstration de leur efficacité fera réfléchir à l’avenir les ennemis de l’Amérique ! »

    Dans le coin en bas à droite en caractères blancs forts : « FIN »

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


  • FLORILEGE RADIOPHONIQUE

    vocabulaire boursouflé 

     .

      On sourit devant un imparfait du subjonctif, tandis qu'on montre un grand respect pour l'enflure verbale des cornichons. Voici un florilège de formules tarabiscotées relevées à la radio ; il s'agit uniquement de France Inter et de France Culture. Toutefois, alors même que nous écoutons à peu près autant de l'une que de l'autre, seule une faible minorité de ces citations vient de FC. Pourquoi cela ? Nous risquons une explication :

      Sur FC il va de soi pour l'auditeur qu'animateurs d'émissions et invités sont cultivés ; ils n'éprouvent ainsi pas trop le besoin de le prouver avec ostentation. Sur FI au contraire, il faut se montrer intellectuellement à la hauteur de la soeur FC ; on y multiplie donc les démonstrations ridicules de sa valeur culturelle.  

     

      *  *  *  *  *  *  *

     

    " décrypter les messages initiatiques "

    " mettre en adéquation une problématique " 

    " un point d'achoppement qui cristallise " 

    " un écrivain sulfureux et iconoclaste "

    " la stigmatisation mélanique " (le racisme envers les Noirs)

    " aborder l'immigration par un prisme assez discutable "

    " une musique qui interroge les technologies "

    " un discours diffracté et polymorphe "

    " le quartier est emblématique de cette problématique "

    " un vin aux sucrosités finement charpentées en bouche "

    " voir la réalisation d'une virtualité fantasque "

    " objecter une autre schématique aux chaînes de la filiation " (obscur ; peut-être le contraire de  " réaffirmer les continuités ")

    " les clefs de lecture dominante de la planète "

    " aller contre l'architecture pour lui enlever son potentiel " (préférer les vieilles pierres aux élucubrations futuristes)

    " le contexte de massification " (l'accroissement considérable de...)

    " la pédagogie discursive frontale " (le cours magistral ; formule peut-être tirée de ces circulaires de l'Education nationale que les journaux aiment publier dans leurs pages comiques)

    " un marqueur identitaire valorisant " (un voile islamique porté volontairement)

    " lire dans un rapport de sacralité au texte "

    " des objets (décoratifs) qui feront l'événement chez soi "

    " la naissance est une rencontre totale de l'altérité "

    " ... qui construit un rapport au savoir " (dans bien des familles modestes, le manuel scolaire est le seul ouvrage qui...)

    " C'est la boîte à outils qui donne du sens à.... "

    " être dans la performance de l'avoir "

    " la plasticité de l'activité parodique "

    " introduire le régime ludique dans la littérature "

    " des travellings qui spatialisent des ellipses " (pas compris )

    " le chevalier d'Eon voulut écrire lui-même sa propre autobiographie " (trois pléonasmes encastrés)

    " un concept qui synergise les différentes fragmentations " (une idée capable de faire surmonter les divisions)

    "la question synthétise les problématiques "

    " l'intérêt de se référer à une approche en termes de trajectoire "

    " l'oralité m'est combat " (j'ai du mal à contenir mon bégaiement)

    " la plupart de leurs flux sont trop capillaires pour être massifiés " (réponse à la question : pourquoi les entreprises transportent-elles autant par camion et si peu par le chemin de fer ?)

    " mettre en cohérence des savoirs éclatés "

    " s'inscrire dans une logique de réalisabilité " (limiter ses projets à ce qui est possible)

    " développer une sémantique de contournement "  (répondre à côté)

    "les chevaux ont un langage essentiellement basé sur la gestuelle "

    " les chiens ont tendance à s'exprimer par la morsure "

    " la loutre est dans une dynamique positive " (sa population remonte)

    " Le regard de la femme est le regard structurant qui donne sens aux entreprises de l'homme" (1)

      Finissons par le sublime : " si la sage-femme reste souvent dans l'ombre, c'est peut-être pour placer en avant celle qu'il faut mettre dans la lumière : la femme.  " 

     

    (1) Dit par un homme. Cette belle déclaration d'allégeance d'un sexe à l'autre valut à son auteur la question immédiate de son interviewveuse : " Est-ce à dire que la femme est plus grande que l'homme ? ", à quoi naturellement il se fit un devoir de répondre que oui.

      Pauvre type.

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *

     

     


  • NOTRE ENSEIGNEMENT SE PORTE MAL

    courrier d'un parent d'élève mécontent 

    .

       Extrait authentique du brevet blanc proposé dans un collège : 

    " 6510 fourmis noires et 4650 fourmis rouges décident de s'allier pour combattre les termites.

    " 1. Pour cela, la reine des foumis souhaite constituer, en utilisant toutes les fourmis, des équipes qui seront toutes composées de la même façon : un nombre de fourmis rouges et un autre nombre de fourmis noires. Quel est le nombre maximal d'équipes que la reine peut ainsi former ?

    " 2. Si toutes les fourmis, rouges et noires, se placent en file indienne, elles forment une colonne de 42,78 mètres de long. Sachant qu'une fourmi rouge mesure 2 mm de plus qu'une fourmi noire, déterminer la taille d'une fourmi rouge et celle d'une fourmi noire.

    *  *  *  *  *

       Ce problème valut rapidement au collège la blitzreplik d'un parent d'élève irrité :

     

    Oberst Helmut von Bratwurst

    Pour le Mérite

     

      Herr Direktor !

      Je suis consterné par ce sujet de mathématiques donné à vos élèves. Il ne faut pas chercher beaucoup plus loin la cause des effondrements successifs des armées françaises devant nos formations allemandes : ceux qui ont pour mission de former votre jeunesse ne détiennent pas les premiers rudiments de l'art militaire ! Votre établissement ne pourra, je le crains, s'ennorgueillir d'avoir vu de bien nombreux futurs stäbler être passés dans ses classes. Je dis " dans ses classes " parce que je suppose que l'expression " dans ses rangs " n'y signifie plus rien depuis longtemps. Mais c'est là votre affaire. Cette guerre des fourmis contre les termites est une véritable allégorie de vos défaites de Forbach à Sedan, en passant par Sedan.

      Voilà bien ce qui arrive dans les monarchies dont le souverain se prend pour un chef de guerre au lieu de déléguer le commandement des troupes à des subordonnés compétents choisis parmi la vieille noblesse terrienne des provinces de l'Est. La reine des fourmis semble manifestement moins soucieuse d'emporter la décision que de constituer ses unités de façon multi-ethnique " politiquement correcte " par un " métissage " très à la mode mais en soi dépourvu de tout avantage opérationnel.

      On note l'absence complète de constitution de réserves. Avec quoi la reine des fourmis exploitera-t-elle la percée ? avec ses stosstruppen harassées par le choc initial ? Où est l'artillerie d'accompagnement ? et les mitrailleuses ? en dernière ligne, comme d'habitude chez vous, de peur de les voir détruites par les pièces de campagne adverses ?

      Rien n'est précisé sur la tenue camouflée des fourmis rouges. Si elles se hasardent les jambes nues, il est à prévoir des pertes  désastreuses de même ampleur que celles de vos troupes à l'été 14, et ce pour la même raison. A moins que la reine, pleine d'illusions sur la valeur des troupes levées dans vos colonies, ne spécule sur son mélange des rouges avec les fourmis noires, amalgame déloyal bien de chez vous dont chacun sait que notre gracieux kaiser n'a jamais voulu faire usage.

      Quant à l'idée d'attaquer en file indienne de 42,78 mètres de long sans aucune largeur de front, c'est vraiment la plus crétine des tactiques. La pauvre reine doit se prendre pour l'amiral russe à qui Togo a barré le T avec les résultats qu'on sait ; à moins encore qu'elle ne confonde un assaut d'infanterie avec un défilement de vos braves, fuyant les détachements allemands à travers les pistes forestières du Cameroun.

      La levée en masse pratiquée par la reine est un procédé donnant rarement de bons résultats. Il aboutit à envoyer au front des vagues mal organisées indistinctement composées de soldats aguerris et d'individus louches inscrits au carnet B, ou de paresseux trop heureux d'échapper à leurs obligations civiles. Ceux-là se débandent évidemment au premier contact, refluant en semant la confusion dans les derrières. Vous n'aurez pas toujours un Joffre pour vous tirer d'affaire.

      Qui dans le plan de la reine assure la logistique ? Personne, apparemment, puisque tout le monde est en première ligne. Il en résultera que de nombreuses soldates parviendront au contact avec un fourniment incomplet ou même pas d'équipement du tout. Il adviendra dès lors que dans la débâcle à prévoir, les traînardes capturées seront mal discernables de simples francs-tireurs. Elles encourront ipso facto d'être fusillées sur place comme de vulgaires Edith Cawell. 

      La mise hors de cause du parti fourmi est malheureusement inévitable, et tout cela, Herr Direktor, par votre faute. Croyez-vous que cela nous amuse de n'avoir que des adversaires de cette " trempe ", ni que nous tirions la moindre satisfaction de les vaincre ? 

     

    Oberst :  colonel 

     

       Note à l'intention des personnes toujours inquiètes du respect d'autrui : les propos ci-dessus sont en conformité avec le ton de la propagande allemande de 14-18. Le commandement allemand, dépité de ne pas disposer lui aussi de l'avantage numérique de contingents issus de son empire colonial, décriait avec dédain leur valeur des troupes noires françaises, alors qu'en fait il la redoutait. On a pu s'en rendre compte dans la littérature ou le cinéma allemands, mais aussi après la débâcle de 1940 au vu de traitements infligés à des soldats africains faits prisonniers.   

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *

        



  •  

    CRITIQUES DE LIVRES ET FILMS

    .

      Voir dans la catégorie "Fictions sur l'aviation et l'espace" la critique des ouvrages :

    Galland, Adolf :   Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt

    Nagatsuka, Riujiu :   J'étais un kamikaze

    Mouchotte, René :   Carnets

    Townsend, Peter :   Duel dans la nuit

    Scott, Robert Lee :   Dieu est mon copilote 

    .

    *  *  *  *  *  *

    .

    (Comme pour les pastiches, la "critique" de ce qu'on n'a pas lu est évidemment d'intérêt limité...)

    .

     

    Milan Kundera :   L'insoutenable légèreté de de l'être

      On apprend que la mère de l'auteur trouvait drôle de l'affliger en sortant son dentier de sa bouche, et que sa maîtresse est singulièrement excitante nue en chapeau melon. Voilà de la littérature. De bonnes pages pourtant sur le kitsch. Qu'est-ce que le kitsch ? L'auteur cite le cas d'enfants étasuniens jouant sur une pelouse à deux pas du Capitole. Là n'est pas le kitsch. Un vieux crocodile de sénateur arrête sa limousine pour pleurer à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse. Le kitsch tient à ce que le sénateur pleure moins à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse, qu'à la pensée qu'il communie avec tous les hommes qui pleurent à la vue d'enfants jouant sur des pelouses.

      Ce jour, France-Inter m'apprend qu'un sportif ayant gagné une course revient sur la pelouse du stade entouré de sa femme et de son jeune enfant. Ce n'est rien de plus, mais la foule en étouffe d'émotion. Les journalistes présents ont le coeur étreint de la stupeur de la foule. Le sportif reconnaît avoir connu un grand moment. Et on raconte que l'insoutenable, etc., aurait de nombreux lecteurs ! Ils n'étaient pas dans ce stade.

    Georges Bernanos :   l'imposture

      279 pages. Les brillantissimes pages 1 à 21, confession d'un puceau âgé qui voudrait bien pour ses pauvres fantasmes être regardé par son directeur comme un pécheur considérable, font un morceau d'anthologie à découper et conserver à part. On peut jeter  l'imposture constituée par les pages 22 à 279.

    Yukio Mishima :   le marin rejeté par la mer 

      Mishima s'est fait hara-kiri. Il a eu bien raison.

    Jürgen Thorwald :   la débâcle allemande 

      Intéressant pour ses soixante pages accablantes sur le sujet peu abordé ailleurs, des trois semaines du gouvernement du Grand-amiral Dönitz après la mort de Hitler.  

      Trois semaines !  Comment le Grand-amiral pouvait-il en effet espérer conserver plus longtemps la confiance du peuple allemand ? Car ses réalisations sont nulles : rien pour l'emploi sinon de belles paroles, car il fait faire antichambre vainement à Himmler qui cherchait un portefeuille ; il ne fait rien pour l'aviation, résultat ordinaire de l'universelle jalousie inter-armes ; il fait de toute façon très peu pour la marine ; rien du tout pour le bâtiment ; et enfin, comme si l'Allemagne pouvait accueillir toute la misère du monde, il n'a rien fait pour chasser les millions d'étrangers.

    Georges Bernanos :   Monsieur Ouine 

      Exceptionnellement chiant, même pour un ouvrage reconnu de la plus grande littérature ; mais chiant, ce monsieur Ouine, au point de battre sur ce plan jusqu'àMonsieur Godeau de Jouhandeau. Jouhandeau serait justement ignoré sans la vénération qu'il est rendu moralement obligatoire par les belles âmes de lui marquer, simplement parce qu'il est le rejeton d'un département sinistré ; c'est à peu près comme il faut aussi d'obligation prendre au sérieux les Evangiles dont personne ne lirait une ligne si leurs auteurs n'étaient des israélites persécutés. Monsieur Godeau raconte vaguement la même chose que Monsieur Ouine, encore qu'à l'envers et de façon complètement différente sur un sujet parfaitement distinct. "Pouah ! C'est mauvais !" proteste le malade en recrachant la drogue ; "ça prouve que le médicament est bon" lui répond le charlatan (Morris, l'élixir du Dr Doxey). C'est la même chose en art : un livre chiantissime révèle un auteur "immense", comme on dit. Ai lu à raison de cinq pages quotidiennes pendant deux mois, la destinée de ce monsieur qui ouinn's à ne pas être connu. Et pas gai, avec ça ! Ce n'est pas comme dansMonsieur Godeau où l'on rit au moins quelques pages avec l'exhumation et la réduction des corps de dix religieuses, dont neuf décemment décomposées, et une simplement "moisie". In pulvere reverteris... Cela ne lui donc rien ?... Qu'importe : on la jette comme elle est dans le caveau final de neuf mètres carrés capable d'héberger en vrac dix mille âmes, mille ans de la population du couvent. Ai relu ensuite le dialogue des Carmélites pour changer un peu d'air. La fin d'ailleurs est la même.

    Georges Bernanos :   Sous le soleil de Satan    

      A la quatorzième ligne : "une dynastie de meuniers et de minotiers, tous gens de même farine."

      Franchement... Vous continueriez ?

    Chevallier :   Clochemerle

      D'abord, Clochemerle n'est pas un village mais une petite ville : à cesser donc de toujours citer à l'occasion d'une querelle de bouseux. Ensuite, on se demande pourquoi il n'est pas au programme des écoles tant on a peu fait aussi bien dans un antimilitarisme aussi brillant et sans la moindre lourdeur moralisante. Bourré aussi d'excellents aphorismes que dans notre modernité d'aucuns diraient bien un peu misogynes ; ainsi : "Les femmes, quand on y songe, elles n'ont que ça à penser." 

    Chevalier :   Manuel du dessinateur industriel

      Tiré à plus de millions encore que le précédent. Le "Bled" du dessin industriel. Aucun intérêt. Ce n'est même pas le même Chevalier.

    François Mauriac :   Thérèse Desqueyroux

       "Dèqueyroux" ou "Dessqueyroux" ? 

    John Knittel :   Thérèse Etienne

      Autre Thérèse assassinant son mari.

    Emile Zola :   Thérèse Raquin

      Encore !...  Laissez les Thérèse rester vieilles filles ; c'est plus sûr.

    André Maurois :   Climats 

      Tout ce que l'amour a de subtil, raffiné, charmant. Si mon exemplaire vous tente, n'hésitez surtout pas à l'emporter. "Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux" (Voltaire) 

    Michel de Saint-Pierre :   Les aristocrates 

      Tout ce qui peut advenir à une famille titrée tombe en deux cents pages sur la tête de celle du livre. Haletant. On a vraiment le sentiment de faire partie de la famille, surtout moi qui vois au chapitre 17 le marquis de Maubrun, personnage central, lire le Journal Officiel du 3 juillet 1953, jour de ma naissance ! Laissez-moi mon exemplaire.

      Adapté à l'écran avec brio, Pierre Fresnay faisant un noble plus noble encore qu'en capitaine de Boieldieu de la Grande Illusion. Il semble dangereux de montrer ainsi au peuple qu'un roturier peut passer magistralement pour plus noble que nature. Et lorsque selon le film, tantôt le metteur en scène, tantôt le partenaire sont d'authentiques nobles eux-mêmes, quelle inconséquence de la part de leur classe !

      A noter qu'à l'exception d'un faux noble et d'une future marquise, tous les personnages "roturiers" du livre parlent ou écrivent un français défectueux. Funny !

    Philippe Hériat :   Famille Boussardel 

      Toujours inégalé pour occuper les dimanches après-midi pluvieux.

    Stefan Zweig :   Marie-Antoinette

      Pourtant réputé pour la gaîté de ses ouvrages, l'auteur manque ici comme par un fait exprès plusieurs occasions de plaisanter à travers des parallèles qui sautent aux yeux du lecteur. Qu'on en juge :

      Stefan Dreig nous conte en détail les tribulations intimes des sept premières années du ménage Capet. Que n'en profite-t-il pour blaguer : "Ce pauvre Louis XVI aura tout vu : il ne doit pas être amusant de se faire trancher le prépuce sans anesthésie."

      Autre chose : Maïté d'Autriche, impératrice mère de "Toinette" comme on surnommait irrévérencieusement la dauphine, au départ de cette dernière de Vienne pour les félicités de la chambre à coucher, lui remet pour viatique un mémorandum politique à relire tous les mois de sa vie ; et quel jour du mois ? le 21 ! Et Stefan Vierg de manquer encore une occasion de s'esclaffer.

      L'auteur passe au récit de la fuite à Varennes. Le ménage royal, nous dit-il en page 322, traverse "la grande ville de Châlons". Qu'avait donc fumé ce jour-là Stefan Fünfg ? car Ruthénium qui vécut vingt-huit années dans cette maigre cité ne s'est jamais avisé qu'elle fût grande. Mais voilà que Stefan Sechg onze lignes plus bas écrase le mégot de son pétard puisqu'il requalifie le lieu-dit de "petite ville sans distraction".

      A noter que la fin du roman, pour être digne sans doute, n'est pas heureuse.

      (et par association d'idées, on peut voir une belle tête de Stefan Siebeng dans le jardin du Luxembourg.)

    Fédor Dostoïevsky :   Crime et châtiment

      Moi qui jusque dans l'adolescence n'ai jamais une seconde cru au marxisme (simple affaire de conformation logique de la cervelle), il m'a fallu après la débandade communiste internationale de 1989 entendre comme vous aussi l'invraisemblable étalage de morgue imbécile de tous ces "intellectuels" forcés de reconnaître avoir fait fausse route, mais proclamant avoir eu raison d'avoir eu tort, accusant de surcroît ceux qui avaient eu raison de n'avoir eu raison que pour avoir été des salauds incapables de laisser le coeur égaré l'emporter sur les évidences flagrantes.

      Je tenais donc depuis lors ces pouffiats de l'intelligence pour des modèles de stupre intellectuel coupables d'un hallucinant péché d'orgueil. Pas de chance : c'est moi qui ai tort. Fiodor Mikhaïlovitch me l'apprend dans son roman : celui qui a péché et s'est repenti est meilleur que celui qui n'a jamais péché

    Aragon :  les beaux quartiers

      Le prénom de cet auteur est mal déterminé. Certains l'apostrophaient d'un "Louis" et d'autres tels Cohn-Bendit, d'un "Vieux con".

      On sait le rôle d'Aragon dans le mouvement surréaliste ; c'est une application des principes de cette école qui nous vaut la signature toute fière de l'ouvrage :"terminé le 10 juin 1936 à bord du Félix Dzerjinski."

      Alors là, chapeau, hein !

    Brigitte Bardot :   Initiales B.B.  (mémoires)

      Commentaire en cours de relecture par mon avocat.

    Jean-Pierre Luminet :   les trous noirs ;   Eugene Cernan :   J'ai marché sur la lune ; condensé paru dans Sélection

      Pour savoir en un instant avec assez de sûreté ce que vaut un auteur inconnu, il faut dans son livre lire en premier la dernière phrase. Le commencement ne signifie rien. Longtemps je me suis couché de bonne heure... Quelle affaire ! Sans compter que c'est la porte ouverte à tous les canulars littéraires : sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent... 

      Si la chute est neutre ou absente, on a affaire à un simple rédacteur suffisamment modeste pour mesurer ses limites. Est-elle plutôt du genre : "Elle lui sourit, et tous deux partirent d'un grand éclat de rire" ; ou bien encore : "les grilles du château se refermèrent sur le jeune couple à l'orée de l'allée d'ormes séculaires" ; alors, je suppose que vous venez d'acquérir sur place de quoi patienter en attendant le train.

      La chute est-elle astucieuse, inédite, drôle, originale, on tient peut-être un écrivain. Est-elle boursouflée d'une prétentieuse philosophie naïve, ou d'un sentimentalisme niais à pleurer, et l'ouvrage ne vaut que par son éventuel contenu d'information pure. Commençons ainsi par la chute du livre de Luminet (Luminet, les trous noirs !) :

      Il ne faudrait pas que l'expression trou noir soit comme le mot Dieu : qu'elle masque et déguise somptueusement ce que nous ignorons. Fin du livre.

      Hé bé !

      Poursuivons avec la chute du livre de Cernan (Apollo X et XVII) :

    - C'est vrai, mon papy, que tu es allé là-haut ? m'a demandé ma petite fille en montrant la lune.

    - Oui, ma petite puce. Ton papy est allé là-haut. Il y est vraiment allé.  Fin du livre.

       Prends un  nègre !

    .

    *  *  *  *  *  *

     CINEMA

    .

    La grande illusion

      De ce que nos rois furent mal entourés, mal conseillés, résulta que la famille Laudenbach ne fut jamais anoblie. Il n'importe : aucun noble ne parut jamais plus noble que Pierre Fresnay son rejeton. Spécialisé dans les rôles aristocratiques comme Noël Roquevert dans ceux de de colonel en retraite, il devait nous donner le comte de Boieldieu de cette Grande Illusion avant le marquis de Maubrun des Aristocrates de l'assurément noble Denis de la Patellière ; outre le rôle de Vincent de Paul (dont la particule ne doit pas égarer) pour la noblesse du coeur, "la seule vraie" disent les roturiers qu'on s'abstient par charité de corriger, aux deux sens du terme.

      Hélas ! Si certains nobles comme l'auteur des SAS ont mis leur titre en étrange position vis-à-vis du devoir d'exemplarité de leur classe, par leurs descriptions souvent franchement ridicules de fellations, onanismes partagés et sadismes consternants, d'autres n'on jamais été nobles du tout. Parmi les habituels roturiers qu'on croit toujours nobles figurent trois grands soldats allemands du XXème siècle : Stroheim, Paulus et Ludendoff. Les deux derniers ont perdu : on n'est jamais si grand que dans le malheur. Le premier n'a jamais vu une caserne sauf en studio, qui s'est fait sa vie durant passer pour expert militaire ; sa particule est imaginaire comme on pouvait s'en douter : "Monsieur de la Chaumière" ! Je sais un paysan que l'on nommait Gros Pierre...

      La Grande Illusion ferait date dans l'histoire de notre cinéma sans une erreur absolument grossière qui n'ayant échappé à personne, l'a définitivement perdu dans l'estime des connaisseurs - la "beauté" de Dita Parlo sinon suffisait au désastre. Jugez plutôt : nous voyons sur un mur à la minute 33 du film, censé se passer en 1916, une carte de l'Allemagne après le traité de Versailles ! Hou, hou !

      A la minute 76 Pierre Fresnay marchant en Allemagne en jouant de la flûte entraîne derrière lui tout une troupe d'Allemands. Il est ici permis aux germanistes de soupçonner la malice délibérée du scénario.

     

    Les Hauts de Hurlevent

      J'ai réussi à tenir jusqu'au bout, à l'inverse de mes vains essais avec le roman. Une magistrale exécution au claveçin de la version courte de la marche turque de Mozart. A part cela...

      Le roman, lui, est un chef d'oeuvre : l'ennui profond qu'il exprime tout du long est la marque infaillible des oeuvres élevées. C'est un Creusois qui rédige ces lignes : il sait grâce à son mortel compatriote Jouhandeau ce dont il parle ; on préfère de loin se poiler à Guéret avec les oeuvres du Creusois autrement plus amusant Jean Guitton, sorte de Marcel Aymé du Limousin. Pour en revenir aux soeurs Brontë, on toussait en famille plus qu'on ne rigolait dans le presbytère de Haworth ; le bacille de Koch devait par bonheur y faire bientôt cesser la production littéraire.

     

    Les sentiers de la gloire

      On a rendu à ce film un signalé service en l'interdisant si longtemps en France : tout le monde à présent se jette dessus, alors qu'il n'est pas si extraordinaire. Le film s'interrompt sur une très bonne scène de cabaret, pourtant, juste avant la tournante géante qui semble inéluctable ; mais bon ! C'est la guerre.

      C'était pourtant de la part de Kubrick qu'on n'attendait guère sur ce chapitre, un intéressant effort de réhabilitation de l'autorité dans l'armée, trop souvent en butte à l'indiscipline atavique de notre peuple. Il est malvenu de pleurer sur les fusillés pour l'exemple et d'invoquer de grands principes lorsque le PIB est en danger. Le généralissime allemand Ludendorff ne s'y trompait pas, lui qui écrivait après-guerre : "On a poussé jusqu'en Allemagne des cris d'indignation devant l'implacabilité de l'état-major français face aux rébellions de soldats et refus d'obéissance. Mais quoi ! Il ne faisait que son devoir, à l'inverse du nôtre sans cesse entravé dans l'exécution du sien par toute sorte de protestations soi-disant humanitaires venues souvent des autorités elles-mêmes !"

     

      (La procédure à l'américaine du conseil de guerre dans le film est totalement ridicule. Pourquoi cette absurdité du scénario chez un metteur en scène connu pour son exigence dans le détail des reconstitutions ?)

     

    Citius, altius, fortius

      Un film peu connu de Renoir, une critique railleuse du sport-spectacle et de l'ampleur démesurée de l'investissement individuel exigé dans le sport professionnel.

      Gabin très bon dans le rôle du sprinter qui s'étale à chaque tentative de départ. Le meilleur du film est toutefois donné par Jouvet, irrésistible dans le rôle de l'entraîneur assistant avec la plus parfaite impassibilité aux chutes répétées de son poulain.

      En bien hélas, ce film dont vous vous régaliez par avance, que vous demandiez déjà à votre fournisseur de disques, n'existe pas. Nous allons poursuivre une fois encore dans cette voie en rapportant ci-dessous un résumé fait naguère sur un forum de cinéma où nous passions sous le pseudonyme "Grandson" pour y taper délibérément sur les nerfs des participants au moyen d'une foule de remarques inopportunes, en particulier dans la démolition des impossibilités physiques de diverses scènes d'oeuvres connues. Après avoir bien exaspéré quelques semaines les cinéphiles...

     

    Björ oglup jnig taddordhür

      A tous mes amis, et je les sais nombreux, j'annonce qu'ils auront le regret de ne pouvoir me lire d'une quinzaine : je pars en Suède. Un vrai cinéphile bien entendu ne perd jamais son temps, et je profiterai de mon voyage pour aller voir au cinéma Björ oglup jnig taddordhür qui cartonne là-bas plus fort qu'ici les Chtis. C'est comme son nom l'indique un film assez gore qui doit son succès à ce qu'il prend le contrepied des asphyxiantes valeurs morales et civiques dont est gavé tout Suédois depuis le berceau. Aux Scandinaves étouffés par le carcan du puritanisme moral, du féminisme en délire, de l'égalitarisme forcené, du tutoiement de rigueur, du politiquement correct érigé en réflexe de Pavlov... les miasmes du scénario apparaissent comme un véritable ballon d'oxygène (de dioxygène, rectifierait immédiatement mon fils dans le secondaire).

      Argument du film : une Suédoise archétypale de magazine français, s'égare dans la nuit polaire au volant de sa SAAB (Svenska Aeroplan Aktiebolaget) tricylindre à deux temps de 1960. Elle finit par entendre ses roues patiner définitivement. Elle a beau manier nerveusement le levier de vitesses et l'embrayage en faisant devant l'objectif secouer de manière intéressante sa crinière léonine, et frémir de colère ses formes sculpturales, elle n'en est pas moins bloquée sans remède. La critique y a vu les prémisses d'un retour des "valeurs" machistes à travers la symbolique impuissance de la Femme elle-même à imposer sa volonté à la matière. L'héroïne ouvre alors sa portière et descend dans la nuit. Ses escarpins s'enfoncent jusqu'au mollet dans les détritus entassés sur la décharge de Tushpamaköping : foetus, rats, gnomes... Progressant malaisément vers une croisée lugubrement éclairée qu'on aperçoit au loin, elle tombe au détour d'une montagne de sacs poubelle sur un homme occupé à la perpétration du pire crime sexuel concevable dans les pays du Nord : il urine debout...

      Cote de la Centrale Catholique du Cinéma : pour toutes.


  •  

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  •  

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  •  

     

    Le récit technique de mes quatre constructions et sept tentatives de construction de prototypes divers entre 1970 et 2002 se trouve à la fin de ce long récit. Pour être mieux repérable, il est tapé en couleur bleue. 

     

     

     

     SOUVENIRS DE PILOTAGE

     

      

    EN PREAMBULE

     

    Je n'ai pas un jour dans l'enfance décidé d'être pilote. Cependant les choses de l'air n'ont cessé de me revenir sans cesse à l'esprit dans ces années, si bien qu'il me semble que je devais en fin de compte nécessairement voler plus tard. Mon père dans sa trentaine parlait occasionnellement d'apprendre, mais n'en faisait rien. Il savait cependant m'expliquer par exemple le principe du fonctionnement des gou­vernes, et comment l'avion peut tourner, ce qui m'intriguait puisqu'il n'a pas d'appui sur le sol et que la ténuité de l'air ne me faisait pas spontanément établir un paral­lèle avec le gouvernail d'un navire plongé dans une eau dense. A dix ou onze ans je multipliais de maladroites fiches d'avions faites en collant sur des feuilles de clas­seur de petit format des photos découpées dans des livres et des revues saccagés. La conquête spatiale débutante me passionnait aussi, ou plutôt m'avait passionné un peu avant vers huit ou neuf ans. Spirou m'endoctrina considérable­ment : cet hebdo­madaire non seulement publiait beaucoup d'articles et de bandes dessinées sur l'aviation, mais encore des épisodes aériens apparaissaient-ils souvent dans les his­toires non aéronautiques : l'aviation de la sorte était banalisée, passait aux yeux du jeune lecteur pour la chose la plus naturelle du monde. En ce temps les avions de chasse moins chers qu'au siècle suivant étaient nombreux et dans le cadre de l'OTAN volaient beaucoup, se montrant presque sans cesse ; j'ai constaté com­ment en Allemagne de l'Ouest il y en avait bien davantage encore ; les Starfighter sillon­naient littéralement le ciel. Parfois à bicyclette j'allais en bordure de l'aéro­drome d'Ecury-sur-Coole stationner longuement à regarder machines et mouve­ment. Il y avait un Stampe, et j'ignorais qu'on eût construit des biplans jusque après 1945 ; je crus rêver à voir encore en service une machine qui me semblait venir de 14-18. J'espérais vaguement qu'un pilote finirait par inviter un gamin si intéressé. Ce fut en vain.

     

    A treize ans j'achetai un Spitfire de vol circulaire en plastique, mu par un moteur de 0,8 centimètre cube. Je ne réussirai jamais à le lancer. Un camarade s'est offert le Messerschmitt 109 sorti avec le Spit ; il ne démarrera pas plus son moteur que moi le mien. De guerre lasse nous allons ensemble sur un parking vide pour y faire « vo­ler » nos engins comme des frondes. J'entends dire qu'existe à Châlons un club de modélisme où l'on pourra m'apprendre à piloter mon appareil. Je me rends donc un après-midi au local de la section d'aéromodélisme des Ailes Châlonnaises, un sous-sol sous la salle des fêtes. Il fait un peu intérieur de blockhaus. Le moniteur me pré­cise que le vol circulaire n'est qu'une activité secondaire qu'on ne débute pas avant plusieurs mois chez lui. L'activité principale est le planeur de balsa et papier japon qu'on s'en va sur l'aérodrome d'Ecury lancer à la course en le remorquant avec un fil de cinquante mètres. Le moniteur extrêmement exigeant sur l'assiduité place son activité sur le même plan que l'école, et me signifie bien qu'en aucun cas je ne sau­rais être privé de club de modélisme en punition par exemple de mauvais ré­sultats scolaires. « Dis bien à ton père qu'il ne te prive pas de cours de français parce que tu as eu de mauvaises notes en mathématiques, n'est-ce pas ? »

     

    Le soir même je suis inscrit. Il y a par semaine deux séances de construction en soi­rée ; le dimanche après-midi est accaparé par l'entraînement aux lancers à Ecury. Les planeurs la plupart du temps redescendent en quelques dizaines de secondes ; parfois ils accrochent une bulle d'air chaud et montent avec elle. Il ne reste alors qu'à courir derrière son planeur et ne pas le perdre de vue jusqu'à son atterrissage dans une végétation qui peut le cacher longtemps, plus rarement le perdre. Plusieurs dimanches à la belle saison sont pris depuis le matin lorsqu'il y a compétition sur des aérodromes à plusieurs dizaines de kilomètres. Les jeunes élèves sont transportés par le moniteur sur les banc latéraux d'un camion à ridelles bâché du genre militaire, en plus petit. L'élève le plus âgé a la charge de se tenir pour la sécurité contre l'abattant arrière fermant l'accès et ne tenant que par deux loquets. Ce mode de transport des enfants d'une association serait au XXIè siècle évidemment jugé criminel. Les impôts locaux désormais paieraient un véhicule six fois plus cher, à moins qu'on ne renonce tout bonnement à l'activité.

     

    La construction de planeurs à raison de deux séances hebdomadaires obligatoires va son train, encore qu'en huit ou dix mois de présence je n'achèverai pas le premier, le type « 01 » d'un mètre d'envergure dont la finesse est plutôt médiocre. Pour construire et surtout réparer plus vite les casses fréquentes de fuselages (le lancé au fil en cause un certain nombre), ces fuselages ne présentent aucun caractère de ma­quettes volantes ; ils sont tristes à souhait, simples caissons absolument plans faits de deux feuilles de balsa entretoisées de baguettes d'un centimètre de large. On construisait déjà ce genre de planeurs avant la guerre. Au « 01 » succèdent, pour qui reste assez longtemps au club, le « 61 » sensiblement meilleur, puis le « Boog » de plus d'un mètre cinquante d'envergure et qui plane enfin sérieusement. Les di­manches de concours le planeur de secours en cas de casse est un 61, ce qui me vau­dra le plaisir de l'utiliser parfois puisque je casserai beaucoup au lancement.

     

    Un samedi après-midi j'apporterai mon Spitfire à la séance de vol circulaire qui se tient sur un espace en ville suffisamment écarté des habitations pour leur épargner un raffut qui s'entend à des hectomètres. Il s'agit de l'aire au pied de la passerelle sur le bras de Marne entre Grand Jard et jardin anglais. Le moteur entre des mains expertes démarre enfin. Des doigts forts et exercés, habiles à éviter les coupures au démarrage, remplacent avec bien plus d'efficacité le lancement par ressort de sécu­rité monté sur l'avion. Une batterie d'automobile chauffe le filament de la bougie in­candescente bien mieux que la grosse pile probablement déjà épuisée fournie avec l'avion par le marchand de jouets. Le Spitfire vole devant moi, mais en d'autres mains. Je suis impressionné par la rage sonore que déclenchent au point fixe les mi­nimes rotations données par les doigts au pointeau de carburant.

     

    Au bout de quelques mois je pourrais rejoindre le samedi après-midi cette section de vol circulaire, mais je m'en abstiens, peu soucieux de laisser tout le temps de la fin de semaine au club qui m'intéresse de moins en moins. Outre cela la discipline est solide. Les cent-lignes ne sont pas rares ; telle était parfois encore au milieu des années soixante la conception des loisirs. L'exclusion est une façon de quitter le club suffisamment courante pour ne pas être déshonorante. Le moniteur n'a jamais re­pris aucun renvoyé, sauf un qui selon son père pleurait chaque jour en voyant le mo­niteur passer sous ses fenêtres. Encore regrette-t-il de l'avoir repris puisque ce pas­sionné devait plus tard apprendre à piloter pour de bon et se tuer. Pour moi le « drame » se produira un dimanche de compétition sur l'aérodrome de Plivot. Un cent-lignes collectif ayant été décrété pour chahut, je suggère au groupe que tout simplement personne ne le fasse. J'énonce une erreur en ajoutant que le moniteur ne pourra pas renvoyer tout le monde. Il m'a entendu, alors que je le croyais ailleurs ; il a aussitôt rectifié mon erreur en rappelant comment il avait un jour viré tout le monde en ne gardant que deux ou trois éléments pour tout rebâtir. Ma tenta­tive de sédition me vaut signification immédiate de renvoi. Sont remerciés en même temps deux autres garçons pour divers crimes graves.

     

    L'aéromodélisme peut cependant rapprocher l'esprit du vol réel si l'appareil construit ressemble vraiment à une machine pilotée. Une fois chassé des Ailes Châ­lonnaises je m'offrirai la boîte de construction d'un planeur de balsa comportant un vrai poste de pilotage et un vrai volume de fuselage. C'est un « Cumulus » ; je pa­tienterai quarante-cinq ans pour disposer de l'internet et trouver la monographie de l'original, machine allemande de performance des années trente.

     

    Je dois mon baptême de l'air au moniteur de modélisme. Il pilotait à Ecury et profi­tait de ses vols pour emmener avec lui deux ou trois de ses petits élèves. C'est ainsi qu'à douze ans je survolai une demi-heure Châlons à moyenne hauteur, assis en place arrière dans un Rallye de cent chevaux. Nous sommes trois jeunes passagers ; un des intérêts du vol est de nous faire voir nos maisons depuis le ciel. Ce vol ne dé­terminera en soi aucun destin d'aviateur en moi.

     

    Les trois années suivantes j'oublierai complètement l'aviation, et porterai mon inté­rêt le plus vif à la préparation de la conquête lunaire. Mes parents torpilleront ma volonté de construction d'une fusée au chlorate de soude. La nuit exaltante du 21 juillet 1969 je suis dans une colonie de vacances d'Ajaccio où jamais le directeur n'aurait l'idée de permettre à ses pensionnaires de veiller pour assister au débarque­ment devant l'unique téléviseur des lieux, qui d'ailleurs est enfermé dans un local administratif et ne sert jamais. Les colons de surcroît se fichent de l'événement ; je suis seul à écouter sur un transistor emprunté Albert Ducrocq brailler pendant l'at­terrissage du LEM. La sortie des astronautes a lieu quand tout le monde dort ; je suis seul encore à la suivre en sourdine grâce à la complicité du moniteur-sur­veillant de nuit qui lui non plus ne veut pas la manquer.

     

    Au printemps de 1970 sont créées au lycée plusieurs activités de loisir destinées sans doute à moderniser et libéraliser l'enseignement après 68. Je m'inscris à l'aéro­modélisme qui s'exerce sous les toits ou presque. Il n'y a pratiquement personne, et l'atelier ne durera guère. Au cours d'allemand l'année d'avant le professeur avait si­gnalé la possibilité de faire un stage de vol à voile d'été outre-Rhin. Je n'y avais por­té aucun intérêt, mais en 1970 je m'en souviens et m'y intéresse. Un stage en Alle­magne n'est plus disponible, mais j'apprends alors l'existence en France des Camps Aéronautiques.

     

    Sur vingt ou trente terrains de vol à voile en juillet ou en août, une douzaine de jeunes gens exclusivement sont sélectionnés pour un stage de cinq semaines com­portant soixante vols remorqués aboutissant au brevet élémentaire de pilote de pla­neur, ou BEPP. Ils font aussi cinq heures de vol en double commande en avion. Les bons sujets peuvent l'année suivante accéder à un second stage couronné par le bre­vet complet de pilote de planeur et le brevet élémentaire de pilote d'avion. Un sys­tème de bourses substantielles réduit à très peu le coût de tous ces vols. Il suffit pour avoir droit aux bourses et au stage de réussir au préalable le BIA, ou brevet d'initiation aéronautique. Je passerai hors de mes cours au lycée le plus clair de mon temps au début de 1970 à étudier la demi-douzaine d'ouvrages portant sur la mécanique du vol, la météorologie, la réglementation, l'histoire de l'aviation. L'exa­men prend quatre heures un dimanche matin de mai au lycée d'Epernay. Confiant dans le résultat, sur la route du retour vers Châlons je contemple dans un beau ciel les cumulus développés que je sais devoir me servir bientôt de moteurs aériens.

     

    Je suppose quelques semaines plus tard les copies corrigées, puisque sans avoir les résultats je reçois néanmoins mon avis d'admission aux camps aéronautiques pour juillet ; j'ai demandé la région Centre et suis envoyé à Périgueux-Bassillac. On n'est accepté que sur appréciation favorable du lycée qu'on fréquente. Je reçois successi­vement deux dépliants de bristol présentant les généralités du stage, et maniant une prose emphatique prêtant à rire. J'apprends en particulier faire partie de « l'élite de notre jeunesse ». Je finirai à l'automne par recevoir les résultats officiels du BIA. J'ai la mention très bien, chose rare au temps de l'examen sur copies ; elle devenait moins exceptionnelle lorsque le BIA se passant en QCM, il suffisait d'obtenir un nombre de points déterminé. Je vais chercher le diplôme à l'aéro-club de Plivot où, trois mois après le stage de Périgueux on me demande quelle suite j'entends donner à ce succès.

     

    Avant de partir à Périgueux il reste à passer la visite médicale annuelle de pilotage, chez un unique médecin agréé dans toute la ville. Elle est expéditive, avec en parti­culier une façon confondante de prendre la tension : le brassard est dégonflé en en trois secondes environ, en sorte que le chiffre haut peut correspondre à ce qu'on voudra. Le chiffre bas en est apparemment déduit par la règle de la moitié augmen­tée d'un point. Je devrais en principe être refusé pour cause de myopie trop forte puisque le texte exige pour la visite d'admission deux dixièmes au moins sans cor­rection ; mon œil gauche n'a qu'un vingtième. Par bonheur 1970 n'est pas au troi­sième millénaire, et la norme alors est de hausser les épaules devant les normes. Il est à remarquer que quarante ans plus tard une myopie plus forte encore est deve­nue compatible avec le métier de pilote de ligne. Ainsi ai-je eu le bonheur d'être em­pêché pour rien de faire le seul métier qui ne m'eût pas empoisonné.

     

    Quelques jours avant de partir me reprend la frénésie de mettre l'aviation en fiches. Un épais numéro spécial d'Aviation Magazine sur le salon de Cannes de l'aviation générale vient de paraître et se voit bientôt découpé en règle. Je remets ainsi à jour mes connaissances en partie périmées sur les petites machines que je serai amené à côtoyer. Cette fois j'emploie des feuilles de classeur de grand format. Au bout de plusieurs années un gros millier de fiches parfois fort complètes remplira quatre ou cinq classeurs, avant qu'un jour dix ans plus tard je sois pris d'exaspération devant tant de temps perdu et benne le tout. Je conserve toutefois une vingtaine des meilleures feuilles.

     

    PERIGUEUX

    Le 28 juin le train me débarque en gare de Périgueux, en même temps qu'un autre stagiaire. L'aérodrome à l'est de la ville est d'une certaine importance, possédant une piste en dur et l'une de ces vieilles aérogares typées des années trente ; j'en ren­contrerai une autre plus tard à Montluçon-Domérat. Parfaitement inutiles et bâties sur des espérances de transport aérien chimériques, elles donnent aux lieux un ca­chet particulier. La piste un jour sera prise pour une route par un touriste allemand qui parvenu à son extrémité se répandra en vitupérations sur l'absurdité du réseau français. Les stagiaires de première année sont logés sous une grande tente collec­tive de style militaire, sur des lits empruntés au lycée technique. Une tente iden­tique reçoit les seconde année. En fin de journée j'ai droit à un vol d'initiation en place arrière d'un DR-340.

     

    Le lendemain matin les stagiaires se pénètrent de l'ambiance aérienne qui sera leur plus d'un mois ; un sentiment certain les imprègne de vivre autre chose que la bana­lité. Les richesses du hangar les captivent. Il y a là deux avions remorqueurs qui re­lient le vol à voile à son passé glorieux... Le terrain dispose d'un Morane 230 para­sol à moteur en étoile Salmson de 230 chevaux, et d'un énorme Storch gréé d'un Ja­cobs de 300 chevaux. Le prototype du premier appareil remonte à 1929 et celui du se­cond à 1936. Une guerre intercalée entre deux époques les sépare psychologique­ment beaucoup plus que le simple décompte de années écoulées. On ne regarde pas en 1970 un avion de 1930 comme on voit en 2015 une machine de 1975. Outre cela, la morphologie des aéronefs a bien plus changé au cours de la première de ces pé­riodes qu'au cours de la seconde.

     

    Ces antiquités sont en fait à moitié fausses. Le Morane 230 a été construit en masse jusqu'après guerre, et la reconversion en remorqueur d'une poignée d'exemplaires est récente. L'avion allemand de reconnaissance que tout le monde appelle Storch n'est qu'une construction française d'après-guerre, elle aussi mise au remorquage il y a moins de dix ans à travers un contrat d'état, en un temps où le calibre de ce qu'il subventionnait confortablement en faveur de l'aviation légère ne soulevait aucune question philosophique. Notre Storch n'est ainsi qu'un Morane 505 « Criquet », un nom tellement dépréciatif en comparaison de « Storch », que personne ne l'a jamais employé en dehors des formulaires administratifs.

     

    Le hangar abrite un bimoteur Aztec aussi imposant qu'il est massif et modestement performant. Je contemple enfin de près un banalissime Cessna 172 dont j'ai vu les frères évoluer dans Spirou à divers propos. A s'accroupir à demi devant lui afin de placer les yeux à hauteur de sa casserole d'hélice, on le voit dégager une imposante impression de massivité qui n'est sans doute pas sans rapport avec le rendement li­mité qu'il tire de ses chevaux. Outre les avions Robin, le monoplace Fournier à grand allongement suscite beaucoup d'intérêt. Tout cela au matin s'anime et prend vie tandis que les machines sont sorties du hangar ; j'ai le sentiment d'avoir vérita­blement abouti à quelque chose en me retrouvant ici.

     

    Sur tout aérodrome passent des avions variés. Un Pilatus viendra un jour nous éblouir de son envol à vide, qui se fait à peu près sur place ; la montée qui lui suc­cède est im­pressionnante de lenteur et de raideur, dans la nappe de vacarme dont l'avion recouvre les environs. Manœuvrant au sol, il nous enseigne l'odeur puissante du kérosène brûlé. J'ignore que cinq ans plus tard je monterai à son bord pour m'en précipiter dans le vide.

     

    L'école sur planeur débute sans tarder. Le vent dominant conduit les machines à établir leur camp et décoller depuis l'extrémité orientale du terrain, à un kilomètre de l'aéro-club, sur la piste en herbe qui longe la dur. La fourgonnette 2CV déclassée qui sert à y tirer les planeurs à la vitesse du pas permet au retour, s'il a plu, de faire de la luge sur le dos sur l'herbe mouillée en se cramponnant à l'arrière du véhicule lancé à quarante à l'heure. J'aurai dans ces exercices la chance de ne pas tomber sur une pierre qui m'aurait labouré le dos.

     

    En fin de matinée du 30 juin je fais mon premier vol sur un Bijave, sac de sable en place avant. Le Bijave est le plus répandu des planeurs d'école depuis le début des années soixante. Je suis impressionné par l'énergie du remorquage, par ses alter­nances de relâchement du câble et de reprise puissante de sa tension, sur fond de bruits aérodynamiques variables et intenses. Sitôt le câble largué l'instructeur saisit une as­cendance et me fait observer fièrement qu'on vient de prendre cent mètres en une minute. Périgueux et les ondulations de l'Isle s'étendent devant le pare-brise enve­loppant panoramique ; je me sens porté vers le haut par l'air en mouvement ; je suis partagé entre l'étonnement d'être là et le sentiment confus que c'était de tou­jours chose fatale. L'après-midi je suis appelé depuis le D.112 par l'instructeur avion pour la première leçon de vol moteur. Une certaine philosophie veut qu'un dégross­issage sur avion bénéficie sensiblement au vélivole. Je ne suis pas à mon aise. Tan­dis que le planeur à la grande envergure vole paisiblement en donnant une impress­ion de grande stabilité latérale, le petit avion bruyant et bourdonnant me fait l'effet d'être tout le temps prêt à s'échapper en tous sens. Dès que l'instructeur lâche les commandes pour me les laisser, j'ai franchement peur. Je n'aurais pas été de ces passagers sans expérience qui parviennent à sauver l'appareil lorsque le pilote meurt à côté d'eux.

     

    Nous avons sur planeur quarante vols en double commande à effectuer. Une mau­vaise nouvelle nous arrive au sujet des heures d'avion. Le club vend son D.112 et nous fait passer sur son DR-221 presque deux fois plus puissant ; l'ennui est qu'on nous rabote pour cause de coût supérieur une des cinq heures auxquelles nous avons droit. Je fais avec cet avion connaissance avec la production Robin des années soixante, pro­bablement la gamme de machines industrielles qui tirent le meilleur parti d'une puissance donnée. Le 221 grimpe sec et file étonnamment vite. J'aime sa cabine claire et bien agencée, ainsi que l'odeur de ses garnitures en plastique rappe­lant un peu celle des protège-cahiers de l'école primaire. J'aime ce gros capot rageur qui plonge sous le pare-brise en me tirant avec force. Mon plaisir est de faire des séances de décrochage.

     

    La vie de stagiaire de vol à voile débute, avec sa platitude. Elle consiste avant tout à rester en petit groupe assis dans l'herbe à s'ennuyer le plus clair de la journée. Les distractions consistent à tenir à tour de rôle « la planche ». La planche est le rec­tangle de contre-pla­qué posé sur les genoux et portant la feuille qui reçoit mention de chaque vol avec ses heures de début et de fin, ainsi que tous éléments permettant l'établissement des carnets de vol et la facturation pour les pilotes qui ne sont pas du stage. Il faut à part cela courir derrière le câble de remorquage largué par l'avion qui ne peut se poser avec, l'accrocher au planeur suivant, tenir quelques pas l'aile de ce planeur tandis qu'au roulage il commence à prendre sa vitesse. Malgré Frédéric Dard et Gérard de Villiers, on s'ennuie ferme. Il y a bien tout à côté la baignade mu­nicipale de Rognac, mais nous sommes mineurs et il faut patienter plusieurs jours le temps d'écrire à nos parents pour pouvoir donner au responsable du stage leur per­mission écrite.

     

    Au fil des semaines les vols s'accumulent en Bijave sans que je brille en rien. Je ne supporte pas la pédagogie à l'ancienne consistant à hurler à chaque erreur. Pour li­miter les décibels issus de la place arrière, je finis par ne plus rien faire qui ne me soit expressément ordonné. Je fais un beau jour mauvais effet en ne comprenant rien à une consigne étrange :

    - Regarde les racignaux.

    Qu'est-ce que c'est que ça ? Derrière, on s'énerve en me demandant si je me moque du monde à ne pas connaître l'emplacement de ces racignaux. Ce n'est qu'au bout d'un bon moment que je finis par comprendre qu'il s'agit de l'aire à signaux, une ex­pression que je ne connaissais pas. Mauvaise journée ! Une autre fois le silence s'établit derrière, avant qu'une voix lasse se fasse entendre :

    - Je ne voudrais pas te faire de la peine, mais je crois que tu n'es qu'une grosse pa­tate.

    Puis viennent peu avant le lâcher en solo les séances de tours de piste rapides qui se succèdent avec largage à deux cents mètres ; on en fait trois ou quatre sans des­cendre du planeur. L'instructeur m'y emmène à mon tour avec une réflexion désa­busée relative à leur inutilité probable. En tour de piste mes repères sont habituelle­ment mal pris et la vent arrière n'est pas dans le bon plan : j'obéissais passivement à je ne sais plus quelle indication mal comprise. Aujourd'hui et pour éviter de tout perdre, je prends une détermination virile : je ne veux certainement pas repartir en fin de stage sans être lâché ; je vais faire ces tours de piste comme si j'étais seul à bord. Puisque l'instructeur ne me mangera pas, je me moque qu'il braille. Le pre­mier tour de piste réussit parfaitement et un « pas mal ! » un peu incrédule salue l'immobilisation du planeur. Les deux tours suivants sont tout aussi corrects.

     

    Les lâchers viennent le lendemain soir ; il était donc temps que je me reprisse. Une certaine logique voudrait que l'élève effectuât son premier vol seul sur le biplace qu'il connaît bien, mais une autre logique préfère qu'il prenne le risque de casser un vieux tas de bois plutôt que l'unique planeur d'école disponible. Le planeur des lâ­chers est donc le Castel 311 qui à cette époque n'est pas encore une pièce de musée, et qui dans l'absolu n'est d'ailleurs pas très vieux, mais qui fait tout de même véné­rable en un temps où l'apparence des planeurs évolue plus vite qu'au siècle suivant. L'impression première est déconcertante : on est plongé dans les entrailles de la bête avec la tête seule entourée de près d'un plexiglas qui ne descend pas plus bas puisque les épaules son enveloppées d'une tôle opaque. Qui a bien lu son manuel d'histoire de l'aviation songe au vol à voile d'avant-guerre, car la machine ressemble à ses planeurs de performance.

     

    Je vois lâcher tous mes camarades avant moi pour un vol de dix minutes, c'est-à-dire un remorqué à cinq cents mètres qui dure trois minutes, suivi d'un plané en air calme et inerte au taux de chute d'un mètre par seconde. J'assiste au spectacle en me persuadant que lorsque viendra mon tour (Mais viendra-t-il ? Je doute encore vaguement...) je serai presque décontracté. Lorsque je suis enfin désigné, tout change. Le trac est fort et soudain. Dès que l'attelage s'ébranle, c'est une mauvaise surprise : on aurait pu avertir le débutant que les commandes fermes du Bijave sont ici remplacées par un manche mou à l'extrême. Il faut croire que cela n'avait heurté aucun de mes camarades, puisque leurs commentaires n'en faisaient pas état. L'en­gin à la faible charge alaire est très vite en l'air, et les minutes de remorquage sont angoissantes. Je couve l'avion des yeux : puisse-t-il ne jamais me larguer ! Je suis saisi d'un sentiment très net et très puissant de « Que suis-je venu faire en cette ga­lère ? » Le Storch bat enfin des ailes et disparaît à ma droite en plongeant, tandis qu'ayant tiré la poignée de largage je dégage en virant à l'inverse. Une fois rétabli en ligne droite je considère l'horizon peu net du soir et le vert de la campagne qui com­mence à s'assombrir loin sous mes ailes. L'air est parfai­tement immobile. Quelque chose me serre le cœur :

    - Et maintenant démerde-toi, parce que pour la première fois de ta vie personne ne viendra te dépatouiller !

    Le lâcher en un mot est un événement dans l'existence ; le moment est poignant ; pour la première fois on est oiseau, et contre la vision de la chute on ne dé­pend ab­solument que de soi.

     

    Quelques moments après tout en fin de journée un Baladou se pose à Bassillac. Il est piloté par le grand chef national des camps aéronautiques. Il n'y a donc que de bonnes nouvelles à lui annoncer.

     

    Les vols en solo vont s'enchaîner dans ces derniers jours du stage puisque le brevet élémentaire exige vingt atterrissages seul à bord. Parce que nous avons été lâchés un peu avant la fin des quarante vols prévus en double, l'instructeur nous reprend en outre pour des vols de perfectionnement. Nous constatons tous la même chose : il nous parle comme à des égaux ; il n'y a plus la moindre brusquerie. La majorité de nos vols en solo sur l'unique planeur laissé à notre disposition sont plutôt brefs, mais il faut se débrouiller pour accrocher l'ascendance qui assurera l'obtention du brevet élémentaire.

     

    De façon impropre tout le monde l'appelle « brevet C » et nomme « brevet D » le brevet complet. Avant la guerre les brevets en vol à voile furent définis et nommés par les lettres allant de A à F. Les brevets A et B disparurent devant l'évolution tech­nique du vol à voile, qui rendait dérisoires leurs humbles exigences. Puis les lettres cessèrent de désigner les brevets eux-mêmes, qui devinrent brevet élémentaire de pilote de planeur et brevet de pilote de planeur. Ces nouveaux brevets reprenaient à peu près les exigences respectivement des anciens C et D, si bien que dans toute ma carrière de vélivole qui reste limitée au début des années soixante-dix je n'ai à peu près qu'entendu parler de brevet C et de brevet D. Les brevets E et F exigeant des performances supérieures à celle du brevet nouveau, demeurèrent, à titre honori­fique, mais n'étant plus que de simples « insignes ».

     

    Pour obtenir le brevet élémentaire faussement brevet C, il faut quelque part au cours d'un vol trouver une ascendance que l'on saura exploiter de manière à demeu­rer au moins cinq minutes au-dessus du point le plus bas du vol, atterrissage évi­demment excepté. La parole du pilote ne suffisant pas, il s'encombre d'un baro­graphe enregistreur. Ces vénérables mécaniques de précision à base de capsules anéroïdes, de stylets encreurs et de tambours mus par horlogerie, sont d'un manie­ment déprimant. Elles ont une belle allure d'instruments anciens avec leur boîtier vitré de bois vernis et de cuivres, mais on sait seulement qu'à les régler on se macule les doigts d'encre épaisse sans être assuré qu'on lira à l'atterrissage quelque chose d'utilisable sur le papier quadrillé.

     

    Je sais avoir au cours de ce stage effectué 18 heures 36 minutes de planeur dont 4 heures 40 en monoplace, ainsi que 4 heures 03 d'avion. Il est à déplorer que les car­nets de vol d'élève disparaissent ensuite dans le gouffre administratif sans qu'on in­forme les gens d'avoir à noter à part le détail de leurs vols, faute de quoi ils ne le connaîtront plus jamais !

     

    Il n'y a guère encore de planeurs modernes et aucun à Bassillac. La machine locale la plus évoluée est un Bréguet « Fauvette » immatriculé CCGT. Il stationne en hau­teur, démonté dans les fermes du hangar. C'est que le type est interdit de vol depuis un accident fatal causé par une défaillance de la timonerie de profondeur. Le pla­neur le plus fin de l'époque est avec ses 50 points de finesse l'unique biplace SB-10 de l'akaflieg de Brunswick ; cet appareil fabuleux nourrit des conversations entre pi­lotes. Je lis au fil du stage une considérable collection d'Air et Cosmos appartenant à l'aéro-club, une lecture fort ennuyeuse, une sorte alors de bulletin de l'industrie aé­rospatiale française. Un Phoebus extérieur un jour se pose sur notre piste en herbe : c'est le seul planeur en plastique que nous verrons ; c'est également le premier mo­dèle industriel de planeur construit en stratifié. Nous sommes fort impressionnés.

     

    J'aurai à deux reprises l'occasion de monter en passager derrière le pilote du Storch en cours de remorquage. Cet aéro-frein volant avec ses trois cents chevaux croise à cent vingt kilomètres à l'heure en buvant soixante-dix litres d'essence. Il serait dom­mage de ne pas avoir volé dans cette pièce de musée. Le Storch doit son surnom aux jambes interminables de son train d'atterrissage. Il y a une forêt de tubes et haubans divers à franchir pour monter à bord, très haut. Cet avion d'observation (une des dernières scènes de La grande Vadrouille) a sa cabine spacieuse tapissée de plexi partout, et c'est le seul aéronef dans lequel j'aurai l'occasion de m'accouder des deux bras à la fenêtre après en avoir fait coulisser la « vitre » ! La sécurité de fonctionne­ment n'est pas extraordinaire puisque l'appareil durant le stage connaîtra deux at­terrissages d'urgence après rupture d'une canalisation d'huile, mais c'est un avion inoubliable à la personnalité hors du lot. A l'occasion seulement de ces pannes le Morane parasol viendra remorquer temporairement.

     

    Ce récit ne serait pas honnête sans mention des mésaventures dues à mon habituel caractère asocial. Un autre stagiaire a subi de la part de ceux de seconde année un déshabillage intégral avant d'être entraîné hors de la tente dans la nuit. Il me consternera en rentrant avec les mains cachant son sexe. Pourquoi fait-il ce plaisir à ceux qui le briment ? Il ne lui coûtait pas grand-chose d'assumer son corps et de rentrer comme si de rien n'était. Sentant venir pour le lendemain soir le même trai­tement, je dissimule un pyjama dehors à quelque distance de la tente. Les « deuxième année » un peu déçus de me voir rentrer ainsi vêtu imaginent de m'en­traîner en voiture les yeux ban­dés pour me lâcher de nuit en pleine campagne à deux ou trois kilomètres, mais après de nombreux détours. Je ne connais rien des environs, mais le hasard après quelques franchissements de clôtures me conduit dans un pré immense qui s'étend sur des hectares. Il ne doit pas y avoir tant de par­celles de cette dimension ; c'est peut-être celui où trois semaines plus tôt nous avons fait une battue afin de retrou­ver un câble de remorquage perdu en l'air. Un taureau avait hâté notre sortie, mais le câble était récupéré. Il s'avère que c'est bien le pré en question, en sorte que mal­gré la nuit je suis de retour à l'aérodrome en guère plus d'une heure au lieu de la nuit entière sur laquelle comptaient les instigateurs de l'opération.

     

    Cela ne m'empêche pas de me venger en enfumant leur tente la nuit suivante. Dans un bidon métallique vide de cinq litres je perce de nombreux trous pour le passage de l'air, et y dispose des chiffons imbibés d'huile de vidange. Le fumigène mis à feu et glissé dans la tente des seconde année (en criant pour les éveiller) fonctionnera parfaitement ; la tente nécessitera une aération prolongée. Un ultime incident le dernier jour me vaudra du président de l'aéro-club la signification publique de son refus de me revoir l'été prochain.

     

    Le train me conduit ensuite non pas chez moi mais dans une demeure campagnarde proche d'Avranches, louée pour août par ma famille. Ce point serait sans intérêt si par hasards dans les placards je ne découvrais un exemplaire du Grand Cirque, vraiment tombé à point. Comment peut-on se prétendre aviateur si l'on n'a lu Le Grand Cirque ?

     

    Quatre ans plus tard l'instructeur planeur, qui est aussi instructeur avion, vole avec deux élèves au-dessus du Périgord lorsqu'un Mirage III lui passe dessous. La dérive du chasseur arrache une jambe du train principal et cisaille l'intrados du petit avion. A quelques centimètres près il tranchait le longeron et tout était terminé. L'instruc­teur parvient à se poser sans autre dommage sur un terrain proche. L'avion de tou­risme n'était pas dans son tort. Un tel accident est suffisamment exceptionnel pour que près de trente ans s'écoulent avant qu'il se reproduise en France, avec cette fois des morts. Trois ans encore et en 1977 je me pose à Bassillac avec le Turbulent que j'ai acheté quinze jours plus tôt, et vais saluer, assis au sol dans son Bijave, celui qui tout de même m'a enseigné le pilotage.

     

    Environ vingt ans plus tard je passe avec ma fille de cinq ans dans la région. Il fait nuit ; je fais avec elle une incursion sur l'aérodrome désert. Le noir est intense, et dans un petit hangar désert et ouvert on devine à trois pas à peine la grande sil­houette d'un biturbine de transport public. Je suis incapable à tâtons d'en détermi­ner le type, mais la porte latérale du fuselage est ouverte. Hop ! Nous faisons une promenade à l'intérieur. C'était une autre époque.

     

    Finissons par l'indication des prix d'alors. Le remorqué est à 15 francs et l'heure de planeur à 3 francs ; elle passera cependant à 6 tandis que nous sommes en stage. Ces prix ne concernent naturellement pas les stagiaires. Du côté des avions le D.112 est à 51 francs, le RF-4 à 39, le DR-221 à 75 et le DR-340 à 90.

     

     

    REIMS, BOURGES, LILLE, SISTERON

     

    Dès le retour à mon domicile de Châlons au début de septembre je me rends à l'aé­rodrome de Reims-Prunay m'informer des prix et autres conditions du vol à voile. Il y a trente-trois kilomètres que je parcours en Solex. Je n'ai pas encore reçu de Paris ma licence élémentaire et je n'ai plus la carte de stagiaire qui précède la licence. Faute de tout titre aéronautique je ne volerai donc pas dans les semaines qui viennent. De surcroît l'accueil n'est pas agréable et les prix sont élevés. Le remor­quage est là aussi à 15 francs mais un planeur médiocre comme le Castel 311 est à 12 francs de l'heure et le Fauconnet à 20. La rue Galilée ne m'envoie toujours pas ma licence, et avec octobre qui vient les ascendances s'estompent. 

     

    Au retour du printemps je m'inscrirais volontiers malgré l'ambiance que je trouve médiocre, mais hélas le vol à voile français dans son ensemble est sinistré par l'af­faire des Bijave. Ce biplace qui représente l'essentiel du parc d'écolage est suspendu de vol à la suite de plusieurs accidents mortels. Dans un premier temps des plans extérieurs de l'aile en trois morceaux s'en allaient en vol : c'était un vice de leur sys­tème de verrouillage ; il fut aisé à modifier. Ensuite en 1970 le longeron du plan cen­tral de quelques exemplaires rompit en l'air. Il était beaucoup plus difficile et coû­teux d'y remédier. On ressortit des fonds de hangar des biplaces vénérables comme les Caudron C.800 et quelques Castel 25S, mais la majorité des clubs n'en avait plus. On sauva la saison 1971 en permettant après examen aux Bijave de reprendre l'air avec de fortes limitations de leur enveloppe de vol. Le Bijave passait pour presque moderne et pour être d'une grande robustesse, autorisé en vol de nuage et en piqué vertical à 250 km/h avec ses aéro-freins déployés. Il n'eut plus le droit de dépasser 153 km/h, ce qui n'est en rien gênant en dehors de la compétition qui n'est pas leur vocation. 

     

    L'occupation ne me manque pas puisqu'il faut préparer l'examen théorique du bre­vet de pilote de planeur, faussement brevet D. Le travail est notable, et la plupart des candidats doit se débrouiller sans cours véritable. J'ai la chance d'hériter un cours écrit par le centre national de vol à voile de la montagne Noire ; il est peu ré­pandu et peu disponible. Il me manque malheureusement le tome sur la réglemen­tation ; je ne m'en apercevrai que devant le QCM de l'examen ! Je passe celui-ci un dimanche matin de juin dans une salle de l'aérogare de Reims-Champagne ; pen­dant que nous grattons, un DC-8 en école fait derrière les baies des tours de piste. Il faut 36 bonnes réponses sur 50, et j'en obtiens 30 puisque je suis déficient en régle­mentation. Il se trouve que le seuil a été abaissé je ne sais pourquoi à 30 points cette fois-ci. Nous ne sommes que deux reçus sur une petite dizaine.

     

    Il n'y a pas de vol à voile à Châlons mais il s'y trouve un vélivole qui m'aiguille sur l'aérodrome de Bourges qu'il connaît. Par courrier avec son président je suis accepté pour le mois d'août ; gîte et couvert sont prévus. Je suis conduit en voiture par mon père qui poursuit plus loin le lendemain vers une villégiature plus méridionale avec le reste de ses enfants. Je passe la nuit dans par hasard un modeste hôtel de la Ligue Sainte Marthe, la « ligue des hôteliers catholiques ». Je présume qu'un établisse­ment relevant de la Ligue Sainte Marthe s'assure du statut conjugal des couples qu'il reçoit. Je découvre le lendemain matin l'aérodrome et l'aéro-club. Bourges est un terrain d'une certaine importance avec une piste en dur et une usine de l'Aérospa­tiale, anciennement SNCAC, anciennement Hanriot. On y construit princi­palement des engins tactiques. Deux ou trois fois dans le mois j'entendrai un rugis­sement d'une seconde paraissant venir de l'autre bout de l'aérodrome : essais de propul­seurs à poudre ?

     

    A Bourges je serai tout un mois parfaitement heureux en dehors de quelques soucis en piste. C'est la première fois que je vis seul et hors d'un groupe, car je dispose presque tout le temps d'une chambre pour moi seul, dans une bâtisse de plain pied agréablement blottie derrière des arbres entre hangar et tour de contrôle. Ce sera pour un mois mon premier domicile et ma première existence autonome. Une autre pièce est occupée de façon irrégulière par plusieurs jeunes vélivoles de Bourges qui ne font pas de stage et ont leurs raisons de reste parfois ici. A cinq cents mètres le centre de formation professionnelle des adultes assure les repas. En réalité je ne suis pas un stagiaire au sens d'un stage organisé, mais un pilote profitant de l'ouver­ture quotidienne pendant l'été du vol à voile. Bourges me plaît beaucoup, en parti­culier le quartier de sa cathédrale et son édifice lui-même. Août finissant je décide de rester quelques jours supplémentaires, puisque je suis heureux. Cette douceur sera abrégée par la réception d'une convocation militaire.

     

    Août ne sera pas très beau et comptera dix jours sans vols, dont cinq à la suite. J'en profite pour consommer de la littérature aéronautique dans ma chambre de plain pied derrière les arbres tandis que la pluie tombe. Après trois heures et demie de Bi­jave je demande à tâter du biplace C.800, cette machine anté­diluvienne dessinée sous l'Occupation et construite juste après. J'y ferai avec ins­tructeur trois vols dont un d'une heure dix minutes, un des vols les plus beaux dont je me souvienne. La ca­bine côte-à-côte avec décalage vers l'arrière du siège droit est une caverne, une pièce habitée qu'on transporte en l'air. Les vitrages comportent tant de facettes qu'on se croirait dans un B-36. Le manche très lourd et l'inertie considérable réussissent à ajouter au charme inégalable de l'appareil. Sans doute n'atteint-il pas les vingt de fi­nesse et s'enfonce-t-il d'un gros mètre par seconde. Ce­pendant nous avons sous un ciel gris et pluvotant trouvé les ascendances qui nous maintiennent longuement sous les nuages sombres dont l'eau nous coule sur les in­nombrables vitres. Il n'y a pas d'orage ; ce n'est pas wagnérien ; mais c'est mer­veilleux !

     

    Malheureusement les sourds démons qui m'avaient valu à Périgueux de perdre en double beaucoup de temps, me reprennent. Je montre une sorte d'inhibition chro­nique à faire ce qui ne m'est pas expressément demandé, ce qui me vaut des com­mentaires encore peu flatteurs. Un des deux instructeurs pourtant n'est pas sec et déplaisant comme l'autre, et finit par me lâcher après un total ridicule de neuf heures de double étalées sur autant de journées. On est presque à la moitié du mois. Je découvre une particularité du Bijave, qui m'avait échappé l'année d'avant. La ma­nette du compensateur de profondeur est trop proche de celle des aérofreins. Par­fois l'élève en approche conserve la main sur la manette du compensateur tandis que l'instructeur impatient ouvre lui-même les aérofreins. Il en résulte que leur ma­nette du poste avant vient broyer le dos de la main de l'élève.

     

    Le re-lâcher s'effectue sur monoplace Javelot, précurseur du biplace Bijave dont il possède la disposition générale de la voilure en trois morceaux, et presque la fi­nesse. Je suis repris par le sentiment éprouvé à mon premier lâcher à Périgueux, ce sentiment d'être là où je n'ai rien à faire, d'être dans une galère absurde. Cela passe­ra pourtant très vite. Je n'aime pas beaucoup le Javelot, cette machine dont le roulis induit puissant fait que dès qu'on penche un peu il faut cercler en tenant le manche à peu près à l'opposé. J'entre un jour en un virage engagé dont seul le pied opposé à fond me dépêtre lentement et laborieusement. Je referai deux vols sur un 311 et pas­serai sur Super-Javelot, un pur Bijave monoplace doté d'un poste de pilotage très si­milaire. Il est aussi fin ou même un tout petit peu plus. Enfin j'accède au Fauconnet, considéré en ce temps comme une machine à ne confier qu'aux pilotes déjà bien dé­grossis. Dès le début du « roulage » les malheurs commencent. J'ai placé « rou­lage » entre guillemets parce que la roue est si peu dégagée du fuselage que le patin devant elle frotte assez pour qu'on glisse bien autant qu'on roule. Il en résulte des à-coups parfois vifs lorsque tantôt le roulage, tantôt le frottement prend le dessus, et que le câble se détend et se retend sèchement. Cela n'est rien encore. Sitôt en l'air le Fauconnet bondit en tous sens, me faisant peur tant que l'avion est encore au sol et donc ce sol tout proche. Le planeur tout au long du remorqué reste odieux à mainte­nir à peu près derrière son tracteur. On s'est naturellement abstenu d'avertir le nou­veau lâché de cette franche indocilité. En vol après largage la turbulence des ascen­dances de l'été secouent fréquemment l'appareil d'une façon qu'il est inutile de vou­loir contrer ; il ne faut qu'attendre. Le Fauconnet n'a pas son égal pour s'accrocher aux menues ascendances qui ne peuvent rien pour les autres planeurs. Avec son très faible poids et sa modeste charge alaire, son taux de chute est le plus faible parmi les machines classiques, non plastiques. Depuis un planeur d'un autre type qui tourne sans plus monter au sommet d'une ascendance, il n'est ainsi pas rare de voir un Fauconnet spiralant à son propre plafond trente mètres plus haut. La polaire des vi­tesses n'est pourtant pas si mauvaise. Il ne faut pas trop en demander en roulis lorsque le badin est important. L'approche peu rapide est aisée et l'atterrissage un peu différent de celui des autres planeurs : cette roue qui émerge si peu du fuselage et laisse le patin faire la moitié du travail fournit une impression un peu curieuse de se poser assis dans l'herbe sans la moindre garde au sol, dans un grand bruit d'herbes froissées d'autant plus bref que le patin freine considérablement.

     

    L'aérodrome est inséré en bordure de la ville ; la cathédrale est en vol continuelle­ment en vue. Le Berry s'étend en tous sens, plat et générateur de nombreuses ascen­dances artificielles : régulièrement un feu de chaume fait avancer son front de flammes d'un bout à l'autre d'un champ, produisant un thermique pur montant à mille cinq cents mètres ; c'est à peine moins que les ascendances naturelles. Je ferai jusqu'à mon départ un total de quinze vols en solo dont quatre de plus d'une heure, parmi lesquels deux de deux heures vingt-six chacun. Je redescends de l'un d'eux avec un enregistrement barographique valant pour l'épreuve de durée du bre­vet complet. Restent à faire le gain d'altitude de mille mètres et le trajet de cin­quante kilomètres sur la campagne. Ce sera pour l'année prochaine.

     

    Un soir arrive par la route un planeur inconnu sur sa remorque. Il semble très bas sous sa bâche et n'évoque rien. Une équipe de militaires de la section de vol à voile de la base d'Avord peu éloignée l'assemble le lendemain matin. Prend forme un mo­noplace en plastique d'envergure immense. C'est un Nimbus. C'est plus exactement le Nimbus I puisqu'il n'en existe qu'un exemplaire, vainqueur en classe libre du championnat du monde à Marfa au Texas. Il n'est pas que champion du monde ; il est également avec sa finesse de 51 l'unique exemplaire du planeur le plus fin du monde. Les jeunes vélivoles présents se forcent pour croire à l'événement ! L'Armée de l'Air l'a racheté pour l'attribuer à ses propres sections de vol à voile. Il est essayé devant nous quelques heures plus tard ; la voilure prend une flèche verticale impo­sante.

     

    Un compagnon bruyant accompagne ce mois. Les bimoteurs Dassault 315 de l'Ar­mée de l'Air servent à l'écolage des pilotes de transport ; ils viennent de l'extérieur et font de fréquentes séances de tours de piste. Leurs moteurs à pistons SNECMA de 580 chevaux joignent à un bruit effarant un niveau de trépidations au décollage qui ébranle les environs. Certaines nuits un Nord 262 militaire effectue lui aussi des tours de piste. Il est particulièrement amusant d'aller à pied dans le noir se planter dans l'herbe juste au seuil de la piste et de faire debout face à la finale. Le 262 avec ses feux dans le noir semble plonger lentement droit sur soi, pour paraître dévier au dernier moment en passant bas au-dessus de la tête. Un Transall passe parfois et fait des points fixes. On peut alors se tenir debout derrière es hélices dans une trombe qui permet, en écartant les bras pour accroître son maître-couple, de se lais­ser pencher vers l'avant d'une trentaine de degrés. Un jour de 1978 j'effectue depuis Châlons une grande balade sur ma récente 125 Twin Honda, et vers vingt-deux heures passe par Bourges. Il me vient à l'idée d'aller voir l'aérodrome désert dans la nuit, puis d'y entrer. C'est une époque sans paranoïa : tout est ouvert à tous les vents. Je coupe le phare et fonce à pleins gaz plusieurs fois tout au long de la piste.

     

    Je passe un jour à pied devant le hangar devant deux personnes inconnues, un homme jeune à l'air fatigué accompagnant une femme d'allure plus ferme. J'ap­prends par la suite qu'il s'agissait de Nicoletta et de Hervé Villard en transit dans l'attente d'un avion privé devant les mener sur le Côte d'Azur. Aux dires de qui a ba­vardé avec eux, la chanteuse aurait expliqué sans embarras quelle hâte elle avait d'aller retrouver le soir-même sur la Côte son ami dont elle se languit intensément depuis huit jours.

     

    Cette année en septembre je ne veux pas rater la fin de la saison à Reims-Prunay. J'ai cette fois des papiers en ordre, et dès le retour de ma convocation mili­taire à Commercy je monte dans un Bijave de Prunay le 4 septembre. Je suis ici lâ­ché en vingt-neuf minutes et non plus neuf heures. La saison ne sera certes plus très longue et se finira le 10 octobre après une majorité de vols de dix à quinze minutes. Je fais encore et toujours du 311, et surtout j'expérimente l'aile volante.

     

    Alors qu'en piste on manque toujours de planeurs, nul ne souhaite employer le Fau­vel AV-36 qui dort sous la poussière. J'en demande la cause ; les vieux moustachus répondent que c'est un engin sans finesse et qui descend comme un fer à repasser. Or j'en ai lu la fiche technique et sais sa polaire meilleure que celle du 311 toujours en piste. Il semble à peu près certain que les braves pilotes craignent tout simple­ment la formule inhabituelle. Le type a été construit à quelques dizaines d'exem­plaires qui ont tous volé ; où est le problème ? Il faut dire qu'un club tout en AV-36 serait d'une gestion pénible. L'appareil n'a pas de roue, rien qu'un patin. On ne peut le déplacer qu'en glissant dessous un B.O. Spécial. Un B.O. est une courte planchette à roulettes adaptée au déplacement d'un planeur sur le dur ; on n'a que des hypo­thèses sur l'origine de son appellation. On ne peut tire pas même sur l'herbe l'AV-36 en piste avec une voiture comme tous les planeurs, peut-être – j'ai oublié les détails - parce que le défaut de contrepoids d'une queue le ferait constamment donner du nez par terre ; en outre il requiert un câble spécial à deux embouts, puisqu'on le re­morque par deux points de traction placés aux ailes. Dès que le B.O. sort du gou­dron les équipiers n'ont plus qu'à pousser l'aile volante sur toute la longueur d'herbe nécessaire, sans roue, sur son patin. En un mot, c'est un boulet.

     

    Je ferai quatre vols en deux séances, dont le premier seul trouvera des pompes et durera trois quarts d'heure. Assis à bord dans un habitacle particulièrement étroit, on a la tête prise dans une verrière si resserrée qu'il faut avec des lunettes prendre garde à n'en pas heurter les coins dans le plexiglas en regardant de côté. Le coude du bras qui ne travaille pas jouit en revanche d'une large place dans les emplantures creuses de la voilure. S'aperçoit-on en vol qu'on n'a pas de queue ? Pas en roulis, bien entendu. L'inertie minime en tangage est plus ou moins com­pensée par le mince bras de levier de la profondeur ; l'aile volante est cependant chatouilleuse. Comme on s'y attend, le lacet est paresseux malgré la présence de deux dérives. L'atterrissage sur patin seul est difficile sinon épouvantable ; la profondeur au sol n'a plus d'effet. Je ne réussirai qu'un posé sur quatre, et ce n'était pas le quatrième. Le planeur touche, re­bondit, touche, rebondit plus fort. Je ferai malgré moi jusqu'à trois rebonds de plus en plus violents et m'immobiliserai en me demandant com­ment le fond du fuselage peut être encore indemne. L'aile volante est propriété d'un instructeur qui pos­sède aussi un Minimoa démonté, que je n'ai jamais vu voler. C'est un planeur alle­mand de 1935 aux ailes en M, que j'aiderai un jour à monter sur un camion vers une destinée inconnue. Je tiens l'emplanture d'une demi-aile ; un autre tient l'extrémi­té ; il remue l'aileron ; sa transmission rigide me pince cruelle­ment un doigt.

     

    Il y a très peu de monde en piste et l'on se demande comment une ville de la taille de Reims peut être si peu pourvue. La saison de 1972 débute le 30 avril ; je serai cette fois lâché en une heure quinze. Le vol à voile rémois moribond repart sur des bases nouvelles avec du monde qui n'était plus sur place parce qu'il préférait Soissons. En attendant de repartir en août à Bourges je volète jusque fin juillet sans croiser plus de deux fois des ascendances.

     

    On dirait que je n'ai pas envie d'en trouver. Au fond je n'aime pas Reims ; le monde en piste ne m'y est pas sympathique. Sans doute parce qu'on me voit peu, on me cantonne sur l'inintéressant 311 dont un exemplaire déci­dément guette sur tous les terrains ! J'ai trente-trois kilomètres aller à faire en Solex. Mon quatrième vol en solo sur cette barcasse de 311 se conclut à l'atterrissage par une cascade narrée ailleurs et qui me vaut une reprise en double. Je ne trouve pas dans le pilotage ce que j'en attends ; je fais décidément trop d'efforts pour des résultats presque nuls ; je me décourage et connais des mo­ments de désespoir en me demandant si le sort va me chasser d'un activité que j'adore dans son principe au moins, une activité qui me semble me hausser au-dessus de la condition moyenne d'un garçon de mon âge ; en réalité je fais du planeur faute des moyens de voler autrement. Les sports collec­tifs m'ont toujours ennuyé, et l'inactivité en piste sur l'herbe n'est pas pour amélio­rer les choses. De mai à juillet je ferai moins de six heures, ne venant que dix fois sur une trentaine de jours de fin de semaine ; ces six heures représentent vingt-cinq heures de Solex et plus du double à m'ennuyer sur l'herbe. Il me faudra un jour vo­ler autrement.

     

    J'observe un ultime sursaut de la discipline de jadis. Elle ne se montre pas du tout dans les pratiques, mais dans le symbole. Dans la salle étroite abandonnée au vol à voile, on a mis au mur sous cadre un beau texte antique exhumé de je ne sais où. On y lit une morale dont j'ai gardé quelques souvenirs : « Si étonnant que cela paraisse, on fait des progrès en pilotage pur en posant une bande à clous », ou encore : « Re­gardez ces jeunes messieurs qui viennent au vol à voile comme ils iraient faire du golf ou de l'équitation... Il médisent du petit gars qui arrive le samedi soir de son atelier, leur humble camarade toujours volontaire pour les corvées que les autres ne font qu'à regret... Voyez la surprise de ces élèves élégants lorsqu'ils voient un beau jour le moniteur faire avancer l'Emouchet des lâchers pour le modeste camarade qu'ils regardaient de si haut ! »

     

    Nouveau mois d'août à Bourges, ou je me rends depuis Châlons en Solex. C'est moins bien pour l'hébergement ; je reste seul dans une pièce mais elle sert de salle à manger. Le temps est encore aléatoire, avec des interruptions de vol de quatre et cinq jours ; je ne volerai en tout que treize journées. Je conserve pourtant le souve­nir de quatre beaux vols de plusieurs heures, dont mon épreuve de cinq heures qui en fera six plus cinq mi­nutes. J'obtiendrai aussi mon baro de gain de mille mètres d'altitude ; il ne manque plus que le trajet de cinquante kilomètres sur la campagne pour boucler le brevet complet. Le vol de cinq heures n'est pas exigé pour le brevet, qui n'en réclame que deux. Cependant de nombreux clubs aiment ne transmettre à l'administration le dossier de demande de brevet qu'une fois effectué le vol de cinq heures et faire ainsi d'office du nouveau pilote un « brevet D ». A vrai dire je ne vois aucune mention sur ma licence d'un quelconque insigne D. J'ignore si c'est parce que cela ne se faisait déjà plus, ou si c'est parce que mon dossier de brevet ne devant être complété que l'année suivante sur un autre terrain, mon baro de cinq heures aura été perdu. Le vol de cinquante kilomètres est effectué en triangle pour écono­miser les ennuis d'un dépannage lointain. Il faut donc un appareil photographique, un article que je n'ai jamais tenu. Je parviens à m'en faire prêter un, mais je suis sans carte. Il faut dire que je n'en vois pas l'intérêt pour m'éloigner si peu, puisque sur un pareil triangle on ne perd pour ainsi dire pas Bourges des yeux. Je juge mal, car sans carte je serai fort embarrassé pour identifier les points de virage à photo­graphier. Quoi qu'il en soit un instructeur s'aperçoit de l'ab­sence de carte alors que je suis assis déjà dans le Fauconnet ; il m'interdit le départ. C'est regrettable puisque mon stage est à son dernier ou avant-dernier jour.

     

    J'apprécierai sans les apprécier les quelques combats tournoyants que je regrette­rais pourtant de n'avoir pas faits, lorsque quatre ou cinq planeurs spiralent dans une mince tranche de hauteur. Il faut constamment se tordre le cou à la recherche des autres et ne pas rester plus de deux secondes sans revoir chacun. Ce serait gran­diose si ce n'était usant. Usant, cela s'entend ; grandiose, parce que la participation à de tels ballets, haut dans le soleil et loin au-dessus de la fourmilière, voilà qui n'est pas rien pour un tout jeune homme.

     

    Cette année je retrouve un camp aéronautique, encore que je n'en sois pas. Un lot d'élèves débutants s'installe à Bourges en chambrée commune dans la maison de l'aéro-club. Si je réside à part, je partage en pratique leur collectivité puisque je suis seul à demeure toutes les nuits sur l'aérodrome et que tout le monde mange dehors au centre de FPA. Un jour le stage, auquel je me joins, est invité à visiter la base aé­rienne d'Avord. Un petit car militaire est envoyé. Deux choses sont particulièrement intéressantes. Il y a d'une part la salle des link trainers, cette forme ancienne de si­mulateur monoplace encore complètement dépourvue de vue extérieure ; la pare-brise est noir. Un système électromécanique promène le « crabe » sur une grande table extérieure que surveille l'instructeur ; cette petite maquette d'avion reproduit sur la table la navigation que le pilote imprime à son avion virtuel. Nous sommes pi­lotes ; on nous installe dans les link. Il y a malheureusement malentendu : les ins­tructeurs prétendent nous faire exécuter des procédures réelles, qui nous ennuient, alors que nous voulons seulement voir comment réagissent ces choses-là. Les per­formances semblent celles d'un avion à hélice moyen, qui pourrait être le Dassault 315 venant régulièrement d'ici ébranler le terrain de Bourges. Je mets les pleins gaz en pa­lier ; le badin n'atteint pas deux cents nœuds. Peuh ! Je pique à mort. La vi­tesse at­teint trois cent-cinquante nœuds, près de sept cents kilomètres à l'heure : voilà qui est mieux ! C'est alors que l'instructeur, intrigué par la vélocité inhabituelle du crabe sur sa table de suivi, jette un œil dans ma cabine. Il aperçoit le badin et s'exclame « pas si vite ! » sur un ton d'épouvante identique à celui qu'on eût entendu en situa­tion réelle.

     

    Seconde chose intéressante : l'enclos des FAS. Cela peut sembler étonnant, mais le militaire qui nous sert de mentor tente et réussit à nous faire pénétrer sur la base au sein de la base, l'enclos des Forces Aériennes Stratégiques où sont les bombardiers nucléaires Mirage IV. Un équipage en alerte est là, présentant son appareil. Celui-ci n'a présentement rien sous le ventre. Nous pouvons monter aux échelles de coupée des deux postes et en examiner l'intérieur. Le pilote précise la capacité interne de carburant, qui est 10,6 tonnes ; je suis étonné de voir divulguer cette donnée, nette­ment plus intéressante que la longueur ou la hauteur de l'avion. Elle est exacte, mais je ne la trouverai dans le presse que beaucoup plus tard. Je ne parviens ni à faire dire à l'équipage s'il connaît sa cible soviétique éventuelle ni s'il l'a visitée en tou­riste. Trois ans plus tard au service militaire sur une base aérienne, un vieil adju­dant du service de protection confère en nous expliquant que sur une base des FAS, l'enclos des Mirage IV est gardé par ses collègues qui ne connaissent ni père ni mère et ouvrent le feu sans autre émotion sur un intrus. Admettons ; mais après avoir dit que même lui n'a jamais pu entrer dans un enclos des FAS quand il y était de fac­tion, le voilà malheureusement qui ajoute d'un œil narquois que nous n'étions donc pas près d'y mettre les pieds. Le contredire me semble impossible. Je ne me suis d'ailleurs pas tu par discipline (was ist das?) mais sachant que je ne serais pas cru.

     

    Un des stagiaires a refusé l'invitation. Il faut dire qu'il sortait d'en prendre, et à plus de cent heures de Fouga avait échoué dans sa progression d'élève pilote dans l'Ar­mée de l'Air. Il s'avérait par ailleurs une personnalité forte et inhabituelle, à la limite du fantasque, n'ayant aucun mal à centrer sur lui le groupe. Ce pilote expérimenté de Fouga apprend donc modestement ici le planeur. Il deviendra plus tard un de ces pilotes de métier bourlingueurs faisant une carrière alternée de chômages prolongés et de missions temporaires variées partout dans le monde. Je retrouverai sa trace trente ans plus tard sur la couverture d'un livre de souvenirs, avant de le revoir sur les forums de l'internet, cette machine à retrouver les gens perdus de vue en un temps où on n'imaginait pas que des connaissances anciennes referaient ainsi sur­face une génération plus tard. De retour à Châlons en septembre je retourne planer à Prunay, pour sept malheureux vols dont un seul rencontre une ascendance. Au moins cette fois suis-je relâché en un tour de cinq minutes. Mes études me condui­sent à l'automne de 1972 à Lille ; c'est au terrain de Bondues que je volerai au prin­temps à l'UALRT, l'union aéronautique de Lille-Roubaix-Tourcoing. Le chef-pilote en planeur est Yves Pollet qui deviendra plus tard président de la FFVV ; il est cor­dial et effi­cace. La visite médicale est pittoresque. Je suis le premier client d'un mé­decin agréé qui vient à peine de recevoir son agrément sans l'avoir jamais demandé ni rien étu­dié de spécifique. Ainsi en allait-il en ce temps. Il ignore tout de l'aviation. Il est ophtalmologiste et consacre à mes yeux vingt des vingt-cinq minutes de la vi­site. Je le quitte avec le cadeau qu'il me fait d'un numéro d'Aviasport joint à sa lettre d'agré­ment.

     

    Débute l'année 1973. Je me plairai beaucoup à Bondues où enfin je ne m'ennuierai pas sur l'herbe : j'aurai enfin l'occasion de voler presque à tire-lari­got parce que mon emploi du temps me permet de venir très souvent à midi en se­maine profiter des services d'un pilote remorqueur ; lui-même vient ainsi vo­ler pendant les trous de son propre travail. A chaque fois il n'y a pas plus de deux ou trois pilotes et pla­neurs mis en l'air ; le vol à voile m'est enfin rentable. Le remorqué coûte toujours quinze francs comme un peu partout en France depuis plusieurs an­nées, et c'est une somme qu'un étudiant ne peut dépenser tous les jours ; ce sera le seul frein à mon activité. Les heures se paient au forfait qui ne dépasse pas deux cents francs pour les moins de vingt-cinq ans ; il sera vite amorti et je volerai pour ainsi dire gratuitement ; je cumulerai quarante-trois heures en moins de quatre mois.

     

    Pour une fois, c'est un aérodrome sans Castel 311. Je suis lâché sur le Bijave sur le­quel on vient de me faire faire quelques tours ; je découvre le plaisir de ce planeur employé en monoplace. Ce sera en fait de ma carrière de vélivole mon monoplace préféré, que j'emploierai ici le plus souvent possible ; en semaine il n'est pas retenu par l'école. Peu chargé il vole lentement sans bruit aérodynamique ; c'est un très bon accrocheur. Je volerai beaucoup aussi sur Mésange, un appareil exigeant d'ori­gine italienne construit en France par la CARMAM de Moulins. A l'inverse du Bi­jave ou du Fauconnet le Mésange est nettement chargé et semble en spirale ne demander qu'à vouloir décrocher dangereusement. Ce n'est peut-être qu'une impression. Le Mé­sange est rapide en transition et sa finesse donnée pour trente-deux place cette ma­chine en bois quelque part entre les autre planeurs de ce matériau et les plas­tiques de classe standard du temps.

     

    Le 12 mai est un grand jour où le chef-pilote m'accueille en début d'après-midi pour m'enjoindre de sauter dans le premier planeur qui se posera, et de profiter des bonnes conditions météorologique pour effectuer cette épreuve de cinquante kilo­mètres qui manque seule pour mon brevet. Ce sera de ma vie mon seul vol en pla­neur d'aérodrome à aérodrome. La destination est Gand, ou Gent puisqu'en Bel­gique néerlandophone. Je demande s'il faut un plan de vol pour ce vol transfronta­lier ; on hausse les épaules. J'avais en vue de ce vol dû demander à mes parents leur autorisation de quitter le territoire français puisqu'à dix-neuf ans j'étais mineur ; avec cette permission écrite il fallait aller demander une pièce officielle au commis­sariat de police. Un Fauconnet se pose, piloté par un vieux monsieur qui déclare s'être posé faute de plus trouver d'ascendance. Il est charmant ; je connais ce Lillois depuis Bourges où il volait en logeant dans sa caravane avec une épouse détestant le vol à voile au point que d'un mois nul ne l'a vue hors de sa roulotte ; il est charmant mais très peu combatif dans les pompes. Je ne dois donc pas en principe m'inquié­ter... Je décolle avec quelques francs belges qu'un autre pilote me prête en urgence. Le fait est que les pompes sont molles et que je passe un moment sans m'éloigner faute de hauteur suffisante. La frontière est visible aux élargissements des voies de l'autoroute. J'atteins les parages de l'aérodrome belge de Wevelghem près de Cour­trai. Deux DC-3 y stationnent. Je suis redescendu à l'altitude de largage, et bataille dans du zéro pour ne pas chuter plus bas. Je stagne longtemps à cercler à cinq cents mètres, tandis que lentement le vent me déporte quand même sur la bonne route. Après plus de dix kilomètres franchis de cette façon une ascen­dance me porte enfin à mille cinq cents mètres tandis que le ciel grisâtre s'éclaircit. Sortant de la pompe au ras du cumulus, victoire, je vois le terrain de Gand droit de­vant. Arrivé au-dessus je continue à spiraler trois quarts d'heure, puis songe enfin aux gens de Bondues qui attendent mon appel. J'atterris après 2 heures 51 de vol et me hâte enfin de télépho­ner qu'on vienne me chercher. Faute de nouvelles on me pen­sait aux vaches depuis longtemps. En attendant la remorque , je déambule sur ce terrain de vol à voile – aujourd'hui disparu – en examinant les planeurs locaux. Ce sont uniquement des planeurs allemands. Il y a un Spatz, ancêtre de mon Faucon­net. Il y a divers engins sur lesquels je ne puis mettre un nom mais dont l'image m'est connue par le bandes dessinées de Spirou lues huit ou neuf ans plus tôt : je suis enchanté de me sentir en plein Michel et Thierry.

     

    Trois jours plus tard je fais sur un Mésange un vol de 6 heures 25, mon record per­sonnel ; une semaine après je boucle mes cent heures de vol. Le 22 juin à quelques jours de mon départ de Lille en fin d'année universitaire, des ascendances d'une qualité rare me portent mon Bijave à 2040 mètres. C'est mon record en plaine, et la seule fois où des thermiques m'y porteront à plus de deux mille mètres.

     

    Je reçois ma licence complète, ou second degré, et porte avec fierté dans la poche de ma chemise, visible, ce carnet rose de carton dur toilé symbolisant mon accession au statut de pilote pour de bon. J'aurai vingt ans d'ici un mois ; il était temps.

     

    Dernier vol à Lille le 24 juin sur Wassmer Squale. Ce sera de ma vie mon seul vol sur un planeur vaguement moderne, imitant les plastiques par son recouvrement de blanc stratifié sur une structure en bois. Il affiche 36 de finesse soit deux points de moins que les planeurs de classe standard en plastique qui sortent en Allemagne. Largué vers six cents mètres je ne trouve aucune ascendance en cette fin de journée. Je pousse le manche pour constater que l'engin atteint 140 km/h sous une pente de descente très minime, ce qui dans cette machine de semi-performance me change un peu de tout ce que je connais. Je tire sur le manche pour effectuer une res­source. C'est un Wassmer : je tire comme j'aurais tiré en Bijave pour supporter deux g. J'en prends quatre ou cinq. Une fois de plus, je songe que personne décidément ne s'in­téresse jamais à mettre en garde l'utilisateur d'un nouveau matériel contre ses parti­cularités.

     

    L'UALRT s'en va la première quinzaine d'août sur l'aérodrome de Sisteron avec quelques uns de ses planeurs et pilotes ; je m'inscris pour ma première expérience du vol en montagne, réputé fabuleux. En attendant je suis un mois de retour à Châ­lons, et à Prunay je continue sans amour ni conviction à voleter, assez peu. Le 30 juillet depuis Châlons je prends la route des Basses-Alpes, ayant remplacé un Solex constamment en panne par une véloce Mo­bylette bleue. Après une escale en Bour­gogne le premier soir j'aborde les Alpes en fin de seconde journée. Tout va bien jus­qu'à Grenoble, puis Vizille. Direction Laf­frey. Je ne connais pas encore la côte abo­minable entre les deux, et vis un martyre qui ne s'achèvera que de nuit sur la route de Gap. L'aérodrome de Sisteron-Thèze, ou Vaumeilh, est en venant du nord avant la ville. Lorsque dans l'obscurité je pense y être à peu près parvenu j'explore les che­mins sur la droite de la route ; au second je devine ce qui s'avère une forêt de plumes de stratifié pointant depuis des planeurs garés. Je plante là ma tente pour me réveiller dans un cadre de moyenne montagne ensoleillée. Le terrain est à 540 mètres ; la Durance caillouteuse passe en contrebas. Je suis prié de déménager ma tente du parking des planeurs et trouve à l'écart entre aérodrome et Durance un re­coin sauvage sous les pins torves, où parfois je m'éveillerai parmi les clochettes d'un troupeau de mouton qui noie la tente de tous côtés. La Durance est une baignade bienvenue sous le soleil local ; les diverses pe­tites routes des collines de garrigue peu boisées feront l'objet de nombreuses explo­rations à cyclomoteur ; elles sont souvent autant d'impasses.

     

    Thèze est un aérodrome caillouteux et poussiéreux au soleil, qui ne dispose encore d'aucune infrastructure ; les planeurs sont tous garés à l'air libre, le plus grand nombre amené par des vélivoles allemands. En ce premier matin de présence et alors que peu de monde encore est levé, je tombe nez à nez avec l'ancien élève-pilote de chasse de Bourges mentionné plus haut. Il nous gratifiera quelques jours plus tard d'une inté­ressante démonstration de voltige publique à basse altitude en mono­place Fournier. Il l'achève sur une boucle sur le fin de laquelle je vois l'avion bien de face comme sur un plan trois-vues. La ressource se termine à quatre-vingt mètres estimés sur nos têtes. Par ailleurs notre ami venu de Paris à vélo est en pleine et dif­ficile recherche des moyens de financer son brevet de pilote professionnel, auquel évidemment il sa­crifierait tout. Son romantisme aéronautique n'est pas sans m'inci­ter à songer de plus en plus sérieusement à passer à l'avion. Je ne fais du planeur que par défaut de moyens encore en dépit du plaisir que j'y ai pris ; car décidément ce moyen de voler requiert une véritable entrée en religion pour devenir vraiment intéressant. Je ne partage pas le sentiment de supériorité morale sur le vol au mo­teur dont plus d'un vélivole ne se cache pas, et lorsque parfois je me veux profondé­ment vélivole, je sais au fond que je me fais du théâtre. Qui plus est, je veux non seulement voler mais encore cheminer sur de longs trajets ; le planeur n'est pas fait pour cela. Le planeur ne sera ainsi pour moi qu'une solide initiation à l'aviation plus générale.

     

    Dès le premier après-midi je fais en ASK-13 un premier long vol en double com­mande pour initiation au vol de pente sur les kilomètres de la très longue falaise de la montagne de Gache, l'ascendance orographique de service à Sisteron. La pre­mière arrivée en d'un pilote de plaine face à la montagne même peu élevée lui offre un spectacle magique. Ensuite, les cinq vols en Mésange que je ferai ne seront guère plus que de longues séries d'allers et retours au-dessus du sommet de la pente, avec pour seule activité l'évitement des autres planeurs. La monotonie ne me gêne pas trop ; j'aime accumuler des heures pour des heures. J'atteindrai mon record d'alti­tude en planeur avec un modeste 2280 mètres. U jour se lèveront des rotors en très haute altitude. Ils ne sont évidemment pas pour mes humbles capacités. A partir du 10 la chaleur passe en mode accablant ; l'activité tombe et je ne revole plus, sauf trois tours en Bijave pour un total de vingt-sept minutes avec un instructeur en vue de la qualification biplace. Celle-ci est obtenue dans des circonstances inhabituelles.

     

    Après un exercice de retour au sol derrière le remorqueur, simulant un incident ayant empêché le largage ; après un exercice de demi-tour pour atterrissage d'ur­gence sur largage supposé accidentel à cinquante mètres, se produit un quiproquo peu ordinaire. L'instructeur à la fin d'un court vol me prie de retourner atterrir. Je commence par me tromper de QFU et j'effectue la vent arrière à contre-sens. L'ins­tructeur ne s'aperçoit de rien, parce que de façon aberrante je pratique cette vent ar­rière cent mètres trop haut. Il pense donc que je m'en vais tout simplement chercher mon début de bonne vent arrière dans le bon sens. Je ne suis plus qu'à deux se­condes de virer de quatre-vingt-dix degrés pour entamer mon étape de base au mauvais QFU, toujours cent mètres trop haut. A cet instant précis l'instructeur me signifie qu'il est pressé, s'empare des commandes et pratique lui-même le demi-tour nécessaire à prendre le début de la vent arrière au bon QFU. Je comprends mon er­reur en voyant le planeur faire un demi-tour au lieu d'un quart, reprends le manche et me pose comme il convient, sans autre incident. Au sol l'instructeur sur son car­net à souche signe ma qualification biplace et ma qualification train rentrant, tandis que j'affecte un air bien innocent.

     

    Du début de septembre à la fin d'octobre, reprise de la routine : neuf vols à Prunay étirés sur deux mois avec le plus souvent absence d'ascendances. Je me lasse du tra­jet à Mobylette. J'inaugurerai ma qualification biplace en baptisant ma mère le 15 septembre en vingt-deux minutes de Bijave, tout en fin de journée lorsque le pla­neur école est enfin libre et que la passagère a poireauté des heures par pur amour de son fils. En vol je prendrai un peu de vitesse, effectuerai une ressource bien tas­sée, et au sommet de celle-ci pousserai le manche pour passer en apesanteur. Ce n'est qu'à ce moment que se produisent les cris d'effroi. Maman aura quelque chose à raconter.

     

    BREVET  AVION

     

    L'idée qui m'avait pris à Sisteron de faire mes comptes en vue de passer le brevet avion me reprend lorsque j'apprends en septembre au vol à voile que les tarifs de l'école de base à l'aéro-club de la ville des sacres ne confinent pas aux sommets que j'imaginais. Il y a deux D.112 à 78 francs de l'heure et pas de supplément pour l'ins­truction. Je m'inscris avec le sentiment de prendre un sensible risque financier, car en définitive je ne sais à présent si l'avion sera bien mon domaine ou si je vais en ju­ger le vacarme et les vibrations pénibles au sortir des planeurs.

     

    J'obtiendrai ma licence élémentaire de pilote d'avion dès décembre, ce qui me per­mettra de laisser traînailler négligemment en famille le petit carnet de skaï brun frappé de lettres d'or. J'ai quatre heures de D.112 faites il y a trois ans à Périgueux ; j'en referai pour le brevet élémentaire sur le même type d'avion douze en double commande et un peu plus de cinq en solo ; le brevet élémentaire demande trente at­terrissages seul à bord. J'aime le D.112 et ne l'aime pas. Je n'aime pas sa position as­sise trop droite et surtout son manche trop court déplaisant à tenir, ainsi que sa ri­dicule manette des gaz à monter/descendre. J'aime des commandes plaisantes qui donnent une sensation de corps avec l'appareil. Le moteur de 65 chevaux est bien faible et l'angle de montée bien discret. J'aime le D.112 parce que la simplicité dé­pouillée de ses équipements souvent d'ailleurs carrément absents entretient l'idée que rien n'est simple comme voler. Je l'aime aussi parce qu'il est d'une autre géné­ration et rat­tache quelque peu son utilisateur à l'histoire de l'aviation, et cela alors qu'il n'a pas vingt-cinq ans, mais cet âge modeste paraît grand lorsqu'on ne l'a pas soi-même.

     

    Un jour les deux instructeurs habituels sont indisponibles et je dois m'adresser à un instructeur planeur accessoirement instructeur avion. Il est en planeur à la limite de la sécheresse et de la brusquerie, et en tout cas jamais cordial. A la demande d'une séance d'instruction en avion il devient d'un coup presque obséquieux. Même à son insu peut-être, il souligne comment le vol à voile est encore perçu quelquefois comme un dressage de jeunes gens désargentés, tandis que mérite la considération qui paie des heures au moteur.

     

    Le lâcher en avion ne me fera cette fois aucun effet, sans que je sache si c'est par ac­coutumance aux lâchers ou bien au vacarme du moteur qui efface le sentiment qu'on ressent en planeur d'être seul et abandonné dans un ciel hostile.

     

    L'année 1973 se termine sur le beau chiffre de 78 heures de vol. Pendant ce temps ont lieu la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier. L'essence qui ne dépassait pas beaucoup le franc du litre augmente de plusieurs dizaines de centimes. Les re­morqueurs Storch disparaîtront des terrains de vol à voile au profit des Rallye de 180 chevaux. Une note paraît, conseillant aux aéro-clubs de supprimer les vols in­utiles ! C'est trop drôle : quel vol d'aéroclub n'est pas inutile, pour tous ceux qui n'en font pas un prélude à la ligne ?

     

    Brevet élémentaire obtenu, on passe sur un avion plus évolué, un DR-220. C'est la version légèrement moins raffinée du DR-221 de Périgueux ; elle n'a que cent che­vaux. Le premier vol en décembre a lieu sur un admirable paysage enneigé ; les vols au-dessus d'un décor blanc ont un relief particulier. La vi­tesse ascensionnelle de quatre mètres par seconde stimulée par le froid, ainsi que la vitesse de croisière de 195 km/h sont un vif plaisir. Il s'en suivra trois mois d'exercices de pilotage pur as­sez ennuyeux avant d'entamer à la mi-mars les navigations. Mon car­net de vol rem­pli par l'instructeur ne porte malheureusement pas les destinations, et les tam­pons d'aérodromes y sont rares. Je me rappelle Compiègne, en herbe ; Troyes, en dur, terrain actif ; Charleville en dur, mais désert ; Nangis en herbe, at­teint sous la pluie où l'instructeur tente en vain de charger un plexi de verrière pour un autre ap­pareil. Mes finances commencent à réclamer que je fasse feu de tout bois. Quelques cama­rades qui ne peuvent s'offrir une moto déplorent que j'en mette le prix pour n'avoir plus ensuite qu'un bout de papier dans les mains. Mon DR-220 habituel à 120 francs de l'heure est longuement indisponible ; je ferai quelques navigations sur un ruineux DR-250 de 160 chevaux à 170 francs. Ainsi aurai-je du moins connu le plus prestigieux des Robin en bois et toile, qui croise brillamment à 240 et sur le­quel une navigation de Reims à Dijon-Val Suzon, la plus distante de toute ma for­mation, m'emmènera sur le terrain de sa naissance aux usines Robin.

     

    Les navigations sont coûteuses et je peste qu'elles ne soient pas toutes menées par le même instructeur. Il m'importe peu qu'ils se prétendent interchangeables et iden­tiques dans leur pédagogie ; aucun élève n'y croit ; il suffit de constater comment di­verses actions secondaires sont exigées différemment par l'un et l'autre. Changer d'ins­tructeur d'un vol à l'autre apparaît comme un gaspillage et un sur-place dans la pro­gression. Quelle progression d'ailleurs ? Qui a compris le principe de la naviga­tion au cap et à la montre n'éprouve pas le besoin d'en faire dix. C'est un véritable progrès d'avoir plus tard restreint l'école en ULM à l'apprentissage du pilotage ; pour voya­ger il suffit de se débrouiller. Certes, la brièveté de l'école ULM désacralise l'avia­tion !

     

    Je ne reviens pas au vol à voile avant le début de juin pour six vols en tout et pour tout. Je m'y emmerde. Un planeur un peu plus évolué a été acquis, un Topaze, ma­chine en bois mais de 34 de finesse. On ne m'y laisse pas monter au motif que le cri­tère est d'avoir fait une vingtaine d'heures de Mésange. J'en ai fait trente, mais au­cune à Reims. Allez, au revoir !

     

    Les 21 et 22 juin arrive un événement que j'attends de longue date, et auquel je son­geais avant même de faire de l'avion. Je veux parler des cinq heures obligatoires de navigation en solo. On n'est pas encore pilote, mais on s'en voit déjà reconnu les prérogatives. Elles me font l'effet d'être au brevet ce que les fiançailles sont au ma­riage. Le 21 juin sur DR-220 je fais dans l'après-midi un aller-retour vers Troyes, puis le soir un autre sur Vitry-le-François. Vitry étant peu fréquenté, Prunay y télé­phone pour que j'y sois attendu afin de recevoir sur mon carnet le coup de tampon nécessaire : je suis attendu en effet ; je me sens important ! Les aéro­dromes d'escale doivent être distants d'au moins cinquante kilomètres du point de départ si bien que je ne puis y compter Ecury, où j'aurais aimé poser mes roues ; j'ai cependant au re­tour de Troyes le plaisir de survoler la ville de Châlons. Je poursuis le lendemain par un triangle Reims, Compiègne, Laon et retour, puis boucle les cinq heures quelques jours plus tard par un vol vers Charleville.

     

    Je passe ce brevet à Reims parce que j'y effectue aussi une année d'études. A mon travail normal dans ma chambre d'étudiant s'ajoute le potassage du petit tas d'ou­vrages techniques officiels. Je bûche en dernier le plus épais qui traite de la naviga­tion et ressens une sorte d'allégresse en arrivant à ses dernières dizaines de pages : si mes études « utiles » ne sont pas très convaincantes, celles-ci marchent parfaite­ment. A l'examen théorique passé à Reims-Champagne j'aurai 53 points sur 60.

     

    Le 6 juillet je sollicite un vol de révision du test de maniabilité, de pilotage pur, l'une des deux épreuves du brevet. Je demande expressément un vol de révision, l'une des deux épreuves du brevet. « Un vol de révision ! » répète l'ins­tructeur d'un air médi­tatif. Il juge en l'air mon travail très moyen et au roulage après atterrissage me grati­fie d'un : « Je ne devrais pas te le donner, ton test ma­nia ? Hein ? Reconnais que je ne devrais pas te le donner ? » Je prends l'air soumis de qui s'en remet entièrement à l'autorité. Le test de navigation est prévu quelques jours plus tard sur l'onéreux DR-250, mais en contrepartie le voyage sera considé­rable puisqu'il s'agira d'un aller à Nantes ; un autre élève fera le retour.

     

    Ce vol n'aura pas lieu. Rentrant de Prunay l'avant-veille à Mobylette dans la nuit, je suis projeté avec ma monture par un automobiliste qui ne songe pas à s'arrêter. Je suis ramassé dix minutes après sur le bas-côté et termine la nuit à l'hôpital avec une cheville fracturée. Le test de navigation n'aura lieu que le 31 octobre. Tout est en panne ce jour-là sauf un Cessna Aérobat, un 150 gonflé à cent trente chevaux. En bon Cessna qu'il est il croise à la vitesse d'un Robin de cent chevaux. Je n'ai jamais volé en tricycle ; l'instructeur fera tous les décollages et atterrissages. Il fera même la radio ! Ce sera un long périple de trois heures trente-cinq avec une première étape à Beauvais, où l'on déjeune, suivie d'une seconde à Abbeville. Le retour est long, et arrivant à la verticale de Prunay l'instructeur simule par surprise une panne. La fatigue me fait faire un encadrement défectueux, qui me vaut une déclaration d'échec au test. L'ins­tructeur s'apaise tout de même et un second exercice est meilleur. Je recevrai mon brevet complet le 14 novembre 1974 tandis que je n'aurai le permis de conduire que le 5 décembre. Je me suis plus ou moins arrangé pour qu'il en aille ainsi, et suis très satisfait d'avoir été pilote avant que d'être banal auto­mobiliste.

     

    Aussitôt je vais m'inscrire à Ecury. Je volerai à quelques kilomètres de chez moi sur l'aérodrome qui se confond avec mes souvenirs d'enfance. L'aéro-club n'y est pas au mieux de sa forme ; on dit sur les autres terrains qu'il est près de fermer. Il a déjà été renfloué par de gros versements volontaires des plus aisés de ses membres. Il n'a pas trente membres, chiffre dérisoire pour une ville de la taille de Châlons ; il fait si peu d'heures que son chiffre d'affaire est de l'ordre du coût de l'instructeur salarié. La présence d'un salarié suggère que l'activité fut auparavant beaucoup plus consi­dérable. Je frappe un jour au petit bureau des Ailes Châlonnaises à Ecury. Le chef-pilote est à son bureau ; deux ou trois membres sur des chaises bavardent. Je dé­cline ma qualité de breveté tout frais désireux de m'inscrire. On ne me fait pas as­seoir ; il n'y a pas un sourire ; un geste du pouce par-dessus une épaule me désigne une affichette portant les prix. Tout est dit ; je n'ai plus qu'à décamper pour revenir un jour où il fera volable. Jamais vu ça. Pour me donner une contenance je pose deux ou trois questions utilitaires banales telles que : « Qu'avez-vous comme avions ? Y a-t-il dans la semaine un jour de fermeture ? », à quoi les réponses sont respectivement : « Ils sont là, dans le hangar » et « Ah oui, je me repose moi aus­si ! ».

     

    Je ne puis voler raisonnablement ailleurs. Eussé-je été cependant un simple deman­deur de renseignements, que l'on ne m'aurait jamais revu. Je verrai un jour un can­didat élève-pilote de grande taille échouer à trouver sa place dans les Emeraude qui à 80 francs l'heure servent à l'école du brevet élémentaire. Le candidat s'entend dire qu'évidemment, il pourrait s'asseoir dans le Petit-Prince aux sièges réglables, mais qu'à 130 francs cet appareil n'est évidemment pas destiné à l'école de base. Notre candidat sur ces fortes paroles renonce à l'aviation, nul ne lui faisant observer que moyennant un sacrifice de 50 francs par heure portant sur tout au plus une ving­taine d'heures, il pourrait parfaitement rester.

     

    Quelques jours après je reviens faire de la double sur Emeraude. L'intructeur et moi sortons cet appareil, mais avant d'y monter je me fais fermement sermonner pour avoir, parait-il, été d'une inconcevable impertinence en me présentant l'autre fois avec une désinvolture étonnante dans une « maison » où je n'avais pas l'honneur d'être connu. Passons. Ecury possède deux pistes en herbe en croix ; la plus courte a disparu depuis. La principale atteint 1480 mètres, ce qui à ma connaissance en fait la seconde de France après celle des Mu­reaux où je volerai quelques années plus tard. Je fais de novembre à mars une di­zaine d'heures sur les deux Emeraude du club, en vols locaux qui n'ont plus guère pour fonction que de me permettre de dire que je vole. J'ai le plus souvent l'aérodrome pour moi seul. Je réussirai au cours d'un vol à confondre la tirette du démarreur avec celle du réchauffage du carbura­teur ; la noix d'engrènement du démarreur sera bonne à changer. Le 31 mars je paie cinquante-cinq francs un billet de chemin de fer de Châlons à Haguenau puisque j'ai perdu celui que l'armée m'a adressé pour me rendre à la base aérienne 901 de Dra­chenbronn dans le nord de l'Alsace effectuer son service militaire dérisoire. Je tâ­cherai du moins de m'inscrire à la section militaire de vol à voile de la base, s'il en existe une, et de voler aux frais de la princesse.

     

    Je ne ferai pas bonne impression. Les bacheliers alors ne sont guère que le quart d'une classe d'âge, et bien moins encore dans une classe du mois d'avril ; il n'y en a à Drachenbronn que quatre sur soixante appelés. Or la base met son point d'honneur à en­voyer quand même en formation d'officiers de réserve les deux candidats aux­quels elle a droit. Un des quatre bacheliers est malingre et un autre d'une myopie vrai­ment forte. On m'endoctrine donc pour me faire poser ma candidature. Après dix jours d'observation du commandement, j'adresse une lettre de démission expli­quant que de cette observation ressort pour moi l'évidence que me font défaut les qualités nécessaires à l'exercice de l'autorité. Je serai ainsi au terme du mois de classes affecté pour deux mois au service d'élite qui un jour sur deux tient une garde de vingt-quatre heures, et l'autre jour fait les poubelles de la base et de la cité mili­taire conti­guë.

     

    Ces gardes pourtant ne sont pas du tout insupportables. Elles consistent à rester tout seul avec un pistolet-mitrailleur dans un shelter au pied des grands radars de Drachenbronn perdus dans les collines boisées de l'Alsace du nord. Drachenbronn en effet n'a aucun aérodrome, aucun avion, et n'est qu'un cantonnement adminis­tratif en contrebas de radars de la défense aérienne qui portent au-delà du rideau de fer. J'ai parfois durant ces gardes l'occasion de bavarder technique avec les sous-of­ficiers électroniciens qui gèrent les radars, voire d'admirer le trafic sur leurs écrans. Puisque les jours sans garde je peux aussi servir de courrier entre les divers sites de la base, il m'arrive de traîner un peu dans la salle principale de contrôle de toute la région nord-est et Allemagne, dans les profondeurs de l'ancien ouvrage de la ligne Maginot reconverti à cet effet. Là comme parfois au PC de la base, je lirai en douce avec intérêt quelques documents, parfois affichés, parfois pas, relatifs aux caracté­ristiques et performances attribuées par les analystes militaires aux avions sovié­tiques ; c'est intéressant : ce ne sont pas toujours les chiffres de la presse grand-pu­blic. Pour meubler les journées de garde au pied des radars je m'exerce à autre chose. Le plus étonnant avion de l'époque est le tout récent chasseur F-15, déjà dé­tenteur d'impressionnants records de vitesse ascensionnelle. Je ne connais que les chiffres des temps mis à gagner les différentes altitudes. Muni d'un cahier, d'un sty­lo et d'une règle à calcul j'imagine quel pourrait être le profil de montée et le calcule seconde par seconde. Je fais pour cela l'hypothèse qu'à la masse minimum néces­saire le rapport poussée/poids vaut 2, ce qui est exact. Je tiens possible de monter verticalement en subsonique jusqu'aux approches de la tropopause, et là de devoir faute de poussée suffisante en altitude passer en palier d'accélération supersonique. Or c'est bien ainsi que grimpe réellement le F-15 de record. Afin de passer de la montée ver­ticale au palier, je suppose que le pilote tire a lieu de pousser, effectuant un quart de cercle qu'il termine par un demi-tonneau. Pourquoi ainsi ? Parce que l'avion de la sorte reste constamment en positif et que sa finesse y est certainement meilleure qu'en négatif où il se retrouverait en manœuvrant à pousser. Je découvre plus tard que l'avion de record a bien fait ainsi : il est très satisfaisant pour l'esprit de consta­ter avoir raisonné juste sur des éléments ténus. J'ai aussi retrouvé à peu de secondes près les différents temps de montée avec mes hypothèses simples. Ce n'est que pour l'ascension supersonique vers trente mille mètres que mes estimations divergeront sensiblement de la réalité, faute que je connaisse grand-chose à l'aérodynamique et au comportement des moteurs en supersonique. Voilà comment s'amuse un bidasse.

     

     

    MUSEE DE L'AIR ET SALON DU BOURGET

     

    A la première permission je réussirai sur un Emeraude d'Ecury à casser le moteur et à vacher proprement l'avion le premier mai. Le récit en est fait plus loin. La seconde permission n'a lieu qu'un grand mois encore après, car le service d'élite de ramas­sage d'ordures ne libère aucunement ses proies chaque vendredi à onze heures comme dans le reste de la base. Je me rendrai au salon du Bourget. J'y suis allé déjà en 1971 et 1973 ; je m'y rendrai une fois encore en 1991. Il me semblerait inconce­vable qu'un jeune homme gavé d'aviation n'y courre pas dès qu'il le peut. Au pre­mier voyage en 1971 je suis dans le métro tombé nez à nez avec des camarades du ly­cée de Châlons menés par un professeur. Je l'informe me rendre au salon du Bour­get, et lui me dit qu'il escorte mes amis au théâtre voir la comédie musicale Hair. Hair révolutionne la France de l'intellect post-soixanthuitard par la mise à poil col­lective des comédiens, dont le caprin Julien Clerc. Je crois que l'échange de ces in­formations laisse le professeur comme moi-même sur un fort sentiment de commi­sération pour le but du voyage de l'autre.

     

    Au salon on meurt de chaleur, de soif et d'envie d'uriner difficile à satisfaire. Les commentaires diffusés par les haut-parleurs sont affligeants. L'adolescent qui tient encore les beaux chasseurs pour ses amis a le plaisir de les voir tous réunis. On ob­serve quelques comportements de foule singuliers. Je conçois à la rigueur que la foule fasse une queue très longue pour traverser dans le sens de sa largeur le fuse­lage d'un vrai Concorde, machine récente et révolutionnaire, fierté nationale brimée par les Américains. Je ne conçois plus du tout que le public fasse la même chose pour pénétrer dans le fuselage d'une simple maquette à l'échelle 1 d'un banal avion de ligne subsonique. Le plaisir principal de la journée est de prendre vraiment conscience du niveau de bruit et de la force brute d'un chasseur passant à vingt mètres de soi en rase-mottes, puis de contempler la chandelle qu'il tire ensuite. Un chasseur semble posséder en maître absolu les quelques kilomètres cubes de basse altitude où il cercle dans tous les plans, ubiquitaire. Un Tomcat au point fixe, un Harrier en stationnaire n'émettent pas de bruit : ils sont le bruit, ils enveloppent la foule d'une nappe de bruit tangible et comme solide, isotrope, sans origine particu­lière. Un samedi de 1973, passe le Concorde au ras du sol, avant de remonter lui aussi comme une fusée. Le Tupolev 144 fait la même chose cinq mi­nutes après. Je n'ai jamais de chance : ne pouvais-je venir le lendemain et assister à la catastrophe ? Je n'ai jamais eu de chance, jamais vu un accident d'avion plus grave que l'atterris­sage d'un Fournier sur le ventre. Quant à l'explication du drame, elle est toute simple. Le pauvre Tupolev passant après le Concorde a voulu faire la même chose, s'est pris pour le Concorde et naturellement s'est cassé la figure.

    Le Musée de l'Air ! Je ne parle pas de l'exposition incolore et sans saveur du Bour­get, mais du vieux hangar magique de Meudon. J'en ai vu durant mon stage de Péri­gueux la réclame au dos d'un des premiers numéros de l'Album du Fanatique de l'Aviation ; je profite dès les premiers jours de septembre de quelques jours en fa­mille à Paris pour m'y rendre. Le métro me débarque non loin du Point-du-Jour, un nom aéronautique pour ses anciennes usines Voisin ; l'autobus me laisse dans Meu­don en plein dans un de ces quartiers charmants de la banlieue étroite et ensom­meillée. Le Musée est dans la rue des Vertugadins, au nom plus doux qu'une avenue Lénine ou autre voie de banlieue à consonance progressiste. C'est presque une sente, qui monte et descend en allant de gauche et de droite entre les murs des jar­dins à l'ombre de leurs arbres. J'ignore qu'à mille mètres à vol d'oiseau se trouve la coupole de la grande lunette de 84 centimètres, que je visiterai des années plus tard. Arrivé, on n'entre pas dans un bâtiment mais dans le parc de l'ONERA par une mo­deste porte qui semble se cacher des foules et ne se dévoiler qu'aux initiés. Un gui­chetier réclame la carte d'identité qu'il conserve, et que j'ai sur moi par miracle. Plus chic encore, certains y déposent leur licence de pilote. On s'enfonce alors dans un parc de grands arbres pour passer en premier devant le mur des hélices de la grande soufflerie. Le visiteur qui a lu l'Héritage de M. Pump tressaille !

    Le hangar du musée est juste à côté, ancien hangar à dirigeable dont les hauts sont copieusement vitrés. Il y a une petite porte métallique basse dans un coin, et celle-ci franchie, sans passage intermédiaire on est plongé dans l'enchevêtrement inouï des ma­chines volantes disposées sans ordre dans les trois dimensions. Non loin de la porte, un Rata biplan au poste si reculé que le pilote semble adossé à la dérive ; un minus­cule Pou-du-Ciel camouflé destiné aux réseaux de résistance, présenté comme appa­reil permettant des approches « sans grand angle de descente », où manifeste­ment « sans » a remplacé maladroitement « sous », inversant le sens de la phrase ; le mo­dèle réduit d'aéroplane monomoteur bihélice à air comprimé de Victor Tatin, qui décollait sur ses roues en vol circulaire dès 1879. Chasseurs de 14-18, Point d'In­terrogation, chasseurs de 39-45, Volksjäger, nacelle du dirigeable à manivelle de Du­puy de Lôme... Le Dewoitine 520, trop lisse, me fait moins d'impression que le Mo­rane 406 semblant un peu construit de bric et de broc avec son mélange d'élé­ments modernes et vieillots. Cet avion me plaira tant qu'il me servira souvent de troupeau de moutons. Lorsque le sommeil se fait attendre, je monte en esprit à bord pour ef­fectuer toutes les vérifications d'avant l'envol, que je ne prends jamais puisque je dors déjà. C'est pourtant le Caudron 714 de record de vitesse absolue qui me séduit et m'intrigue le plus ; n'en ayant jamais entendu parler, je trouve cet ap­pareil bien empreint de mystère. On se dit à la vue de cet amoncellement géant qu'il lui faudrait un cadre plus digne et plus ordonné ; on se garde pourtant de l'espérer pour bien­tôt, car à l'évidence c'en sera fini du caractère intimiste d'un endroit d'au­tant plus précieux qu'il se cache pour ses rares visiteurs ; j'y viendrai plusieurs fois pour n'y trouver qu'un monde des plus dispersé.



    PARACHUTISME



    A la base aérienne de Drachenbronn j'ai demandé mon inscription à la section mili­taire de vol à voile. La visite médicale civile ne suffit pas, bien qu'il s'agisse exacte­ment des mêmes planeurs. Le profil médical militaire SIGYCOP établi lors de la « sélection » des trois jours sert de référence : ma myopie me vaut le critère Y3 lors­qu'on n'admet ici au pilotage que les Y1 et Y2. Le médecin militaire désolé me pro­pose de me rendre au Centre d'Expertise Médicale du Personnel Navigant de Stras­bourg solliciter une dérogation. J'accepte d'abord, avant de me laisser influencer par d'autres avis : visiter le CEMPN pour y demander quelque chose serait un bon moyen d'en ressortir sans plus aucune licence du tout. Je préfère renoncer.

    Digressons. On pourrait voir dans ce renoncement quelque angoisse exagérée. Un événement similaire se produira sept ou huit ans plus tard, qui laisse imaginer que je n'avais pas eu tort d'abandonner. Je me suis inscrit à l'aérodrome des Mureaux à l'aé­ro-club de Mantes insuffisamment pourvu en instructeurs. L'un d'eux découvre que j'ai sept cents heures de vol, et veut me pousser à devenir instructeur moi-même. Hélas, il faut à cette époque aux instructeurs une visite médicale plus exi­geante que pour les simples pilotes. Je téléphone de manière informelle au CEMPN et m'entre­tiens avec l'un de ses médecins. Une dérogation pour la myopie ? Peut-être ; c'est à voir. Je précise être atteint d'une hypoacousie modérée. La réponse est nette : « Deux problèmes ne passeront pas. Restez comme vous êtes et n'imitez pas ceux qui sont venus demander une dérogation et sont repartis en n'ayant plus au­cune li­cence ». Depuis lors les tolérances pour la vue ont été si bien assouplies que je pour­rais du seul point de vue des yeux obtenir un certificat médical de classe 1, celle des pilotes de métier.

    Digressons encore. Voici plus tard une autre bonne plaisanterie ophtalmologique. En 1994 j'envisage de me faire raboter la cornée au laser pour éliminer le myopie. Téléphonant de manière informelle encore au CMPN, je demande quelles éven­tuelles restrictions en subira ma licence. Il m'est répondu qu'elle sera suspendue pour un temps que j'ai oublié, mais qui était dissuasif pour qui du moins aurait eu l'idée honnête mais saugrenue d'en faire part au médecin aéronautique. Je crois que c'était deux ans. Il m'est dit ceci : l'opération classique par kératotomie radiaire en­tamant la cornée aux neuf dixièmes de son épaisseur, la fragilise pour un certain temps, ce qui peut causer l'éclatement de l'œil en cas de choc brutal. On défend donc le vol pour une longue durée. Sans doute le simple rabotage de quelques mi­crons de cornée est-il beaucoup moins dangereux vis-à-vis du choc, mais ce type d'intervention est à peine sorti du stade expérimental ; aussi n'a-t-on pas encore de recul suffisant. Dès lors, on applique la même suspension de licence que pour la ké­ratotomie.

    Fin des digressions et retour à Drachenbronn. Le médecin militaire qui est membre de la section de parachutisme de la base me suggère son propre sport à la place du vol à voile, car Y3 n'empêche pas le saut. Examinant à nouveau mon SIGYCOP il s'avise que je suis classé I2, non pas hideux mais possédant des membres inférieurs de catégorie 2 ; or des jambes parfaites de niveau 1 sont évidemment exigées pour sauter. Pourquoi suis-je I2 ? C'est parce que dans l'illusion d'une réforme j'ai lour­dement souligné la fracture à la cheville faite deux jours avant la date prévue un an plus tôt pour mon test de naviga­tion. Le médecin qui ne dispose pas du pouvoir de modifier un classement des yeux peut le faire pour l'état des membres ; me voici donc apte au saut après constatation que la consolidation est bonne, que la vis d'os­téosynthèse a été retirée, que la récu­pération de la flexion est convenable. J'ai de la chance : la vis a été retirée beaucoup plus vite que de coutume simplement parce qu'elle gênait plus qu'à l'ordinaire la ré­cupération. Voilà à quoi tiennent les choses. 

    Pouvoir sauter n'est pas tout ; il faut avant le premier saut passer l'examen prépara­toire dit Certificat d'Aptitude à la Pratique du Parachutisme, ou CAPP. Il est difficile d'aller le préparer sous la conduite des instructeurs du centre de parachutisme qui est à Strasbourg distant de cinquante kilomètres. Cela n'est pas grave en principe puisque les sous-officiers de la base qui sont déjà parachutistes peuvent donner cette instruction. C'est un échec : je n'obtiens rien. Après qu'on m'a fait lanterner quelques semaines je prends le parti – ne suis-je pas officiellement accepté par le commandement de la base dans la section de parachutisme – de débarquer un beau samedi matin le plus tôt possible au centre de parachutisme de Strasbourg. L'auto-stop marche très bien en Alsace dès qu'on porte un uniforme.

    Il y a là deux élèves précisément en train de préparer le CAPP en apprenant à plier un parachute de débutant sous la direction d'un instructeur. Je suis incorporé ; l'un des deux autres est un jeune pilote de l'aéro-club d'Alsace dont les locaux sont à cent mètres d'ici, sur cet aérodrome de Strasbourg-Neuhof dit encore le Polygone, inséré dans l'agglomération. Le parachutisme a offert aux pilotes une initiation à prix inté­ressant ; un seul est venu voir. Il semble extrêmement difficile à un aviateur d'avoir envie de se jeter par-dessus bord. Le lendemain le CAPP est considéré obtenu, et je sauterai dès le prochain jour de météo favorable. Le parachutisme donne à l'armée des droits, dont celui de prendre son jeudi après-midi pour aller sauter en plus de la fin de semaine. En vue de chaque séance de saut est établi en bonne et due forme un ordre de mission ainsi libellé : « Il est ordonné aux militaires dont les noms suivent de se rendre à l'aérodrome de Strasbourg-Neuhof pour y effectuer des descentes en parachute ». Ce formulaire pittoresque ne m'a jamais été remis, mais ne manque pas d'être archivé dans toutes les formes.

    Encore sauterai-je sans autre profit que de ne pas payer. Un engagé engrange un supplément de droits à la retraite de trois jours par saut en ouverture automatique et de huit en ouverture commandée. En d'autres termes il peut accumuler les jours jusqu'au maximum permis de deux annuités supplémentaires par an ; en d'autres termes encore il est possible à un sous-officier de s'en aller après quinze ans de ser­vice avec une retraite complète. Il ne faut pas en déduire que les candidats se bous­culent. Sauter est ici à cent pour cent volontaire, sans aucune impulsion de l'envi­ronnement comme dans un régiment parachutiste - la quasi-totalité des appelés af­fectés aux troupes aéroportées ne saute plus jamais après son service militaire. Il faut aussi un certain in­vestissement personnel que toutes les familles ne goûtent pas.

    Je relève en 2015 dans des écrits récents une analyse selon quoi jusque vers 1980 l'esprit mi­litaire imprégnait le parachutisme sportif. J'entendais autour de 1975 rap­peler que dix ans plus tôt régnait dans ce sport une rigueur démodée. Si en 1975 un nombre important de militaires ou d'anciens militaires étaient présents dans les cadres et les participants, je n'en ai vu aucune répercussion militarisante ; j'aurais décampé. J'avais quelquefois pourtant à dissiper des préventions de cet ordre chez des gens extérieurs au parachutisme. Il faut dire qu'existait une certaine « Ligue des Para­chutistes » destinée non pas à les faire sauter mais à les faire manifester en des cir­constances où le gauchisme n'était pas leur principale caractéristique. Cette ligue portait simplement un nom trop court, quelles que fussent ses statuts, et qui ne dé­finissait que très imparfaitement son adhérent moyen.

    Les jours qui précèdent le premier saut sont particuliers. Le saut est constamment présent à l'esprit, source d'un trac sourd auquel on réagit en se répétant qu'on s'en fiche. Après avoir sauté j'ai passé quelques semaines dans un état de satisfaction profonde où le saut n'était pas sans se couvrir d'une certaine valeur presque mys­tique. L'incidence psychologique est très supérieure à celle du lâcher en aéroplane.

    Avant même de songer au parachutisme je m'étais plusieurs fois en regardant à sept cents mètres le sol depuis un avion de­mandé si l'idée de sauter de là serait tellement effrayante, et j'avais conclu que non. Je n'y croyais pas trop pourtant, en songeant que ma conclusion était peut-être fausse, tenant simplement au fait que je restais assis bien au chaud dans l'appareil. Mes trois premiers sauts on lieu le 30 octobre 1975. Nous sommes quatre « premier saut » dans le même avion, un Pilatus. Lorsque cet appareil à train classique roule au sol nez haut dans le mugissement épouvantable de sa turbine, de ses notes et de ses harmo­niques, il évoque un monstre approchant pour dévorer sa cargaison de chair fraîche. La somme de l'angle de montée et de l'incidence est voisine de trente degrés, don­nant l'impres­sion d'un puissant ascenseur. Je pense que la violence de l'ambiance n'est pas faite pour apaiser ceux qui non seulement sautent, mais encore montent en avion pour la première fois. Lorsque vole le Pilatus tout Strasbourg en est infor­mé, comme toute la banlieue nord de Lille était informée des ascensions des lar­gueurs Broussard que j'y ai vu voler deux ans plus tôt. Durant toute l'ascension je re­garde les épaules du pilote et le visage souriant de l'instructeur. Comme la plupart des pilotes le nôtre se garde bien de sauter, mais il va me larguer ; il me fait l'effet d'un hypocrite, et l'ins­tructeur à l'allure si confiante, celle d'un inconscient bourreau d'enfants. On est donc fort mal à l'aise, et de plus en plus avec le gain d'altitude. A 700 mètres l'appa­reil se stabilise et la porte est ouverte. L'instructeur après s'y être penché se rassoit et me désigne, en premier. Le trac terrible s'efface dès qu'on quitte son siège. Ram­pant vers la porte je regarde une seconde le sol pour en éprouver un sentiment de déception : n'est-ce que cela ? Non, ce n'est rien d'affolant. J'espérais un instant d'une peur atroce ne rappelant rien de connu, mais il n'y a rien de tel. Je ne m'étais donc pas trompé lorsque d'avion sans sauter je pensais que cela ne devrait pas être trop angoissant. Je me jette ; la voilure claque au bout des trois secondes de l'ouver­ture automatique, pendant lesquelles on perd environ quarante-cinq mètres. Une fois les secousses arrêtées je considère la voile : je suis étonné par la petitesse de l'angle solide qu'elle occupe. Je crie de joie. Il faut sans attendre pratiquer la ma­nœuvre dite d'affichage, qui en tirant sur les sustentes de l'avant communiquent à la voile la petite déformation propice à aider la fente à lui donner sa vitesse horizon­tale de 2,5 mètres par seconde ; c'est la moitié de la vitesse de chute. Je vois alors avec inquiétude le phénomène normal d'instabilité du bord d'attaque : entre les sus­pentes de l'avant, le bas de plusieurs panneaux de la voile recule en brisant la roton­dité de la circonférence, et comme un ensemble de drapeaux claque avec un fort bruit permanent.

    Après l'atterrissage deux minutes plus tard, je reste un instant couché sur le dos à contempler le ciel avec des élans de bonheur surexcité ; je voudrais rester ainsi plu­sieurs minutes, mais c'est impossible. Il faut immédiatement se relever pour mon­trer que tout va bien. Au passage, j'ai raté le beau roulé-boulé qu'on m'a enseigné. En réalité je n'en ai même pas eu l'esquisse, et de toute ma carrière parachutiste n'en ferai pas un seul. Je ne comprends même pas exactement comment il s'y faut prendre lorsqu'on possède une vitesse verticale qu'on n'a pas aux exercices à terre.

    Je ferai trois sauts ce jeudi après-midi ; le troisième s'effectuera avec un bonus puis­qu'il aura lieu de mille mètres. Le samedi et le dimanche suivant je ferai six sauts de plus. Le trac est toujours là avant même d'endosser le parachute ; il est diffus, mais constant. Durant les jours qui ont suivi les premiers sauts j'ai nagé dans la vie quoti­dienne dans une euphorie légère, un sentiment d'accomplissement que le pilotage ne m'avait pas donné à ce degré. Mais voici que dès la seconde séance apparaissent les problèmes dont le premier jour on ne s'était pas encore soucié : ma position de chute n'est pas assez bonne et ne s'améliore pas en dépit de mes efforts. J'ai beau écarter correctement les membres et vouloir être cambré, je stagne avec des com­mentaires d'instructeur qui ne marquent pas de progrès. Il fut dire que d'instinct je tends à regarder le sol, pour mieux profiter de la chute. Enfin on pense à me préci­ser ce qu'on aurait dû depuis le début – ou qu'on aurait dû s'assurer que j'avais bien compris : le vrai moyen d'être cambré valablement avec une assiette stable sur l'air est de lever assez la tête pour regarder l'avion qui s'en va. Je mets cela en applica­tion et immédiatement chois à la perfection. Le spectacle de l'avion qui s'éloigne est encore une de ces visions grandioses qui n'ont guère d'équivalent dans la vie commune.

    J'ai défini la « peur » du saut comme simplement un trac puissant, mais je ne peux dire comment il en va pour les autres. L'instructeur me dit n'avoir de sa carrière vu qu'un seul refus de saut, qui ne s'est d'ailleurs pas maintenu lorsque l'avion a fait un second tour au-dessus du point de largage. Lorsque j'en serai à mon douze ou trei­zième saut je verrai arriver un nouveau que l'instructeur me confie pendant que je suis à la moitié d'un pliage. Il m'observe et observe encore le pliage complet d'un se­cond parachute. Alors que je vais effectuer le premier des trois nœuds des ficelles à casser qui maintiennent la sangle d'ouverture automatique au sac du pépin, le nou­veau m'interrompt :

    - Laissez-moi essayer.

    Il y a lieu d'être perplexe car ces nœuds particuliers ne sont pas si simples à faire. Le nouveau s'en acquitte du premier coup avec une dextérité peu commune. Il se justifie modes­tement :

    - Je suis étudiant en chirurgie.

    Je sors du magasin un troisième parachute à plier : le nouveau fait tout du début à la fin.

    Les choses vont se compliquer lorsqu'il faudra sauter. Il éprouvera les plus grandes difficultés, s'assoira à la porte les pieds dans le vide ; je n'affirme pas qu'on l'aura gentiment poussé dans le dos, car ces procédés en principe n'ont plus cours. Enfin, il a sauté. Il recommence, car il déclare être venu ici « pour vaincre sa peur ». Je présume qu'il l'aura promptement vaincue puisque très vite on ne le verra plus.

    Un parachutiste sportif sur vingt atteint son centième saut ; j'en ferai cent cin­quante-neuf.

    Je dois au onzième saut à effectuer une poignée témoin, c'est-à-dire faire durant les trois secondes de chute le geste de saisir une poignée d'ouverture qui n'est reliée à rien, et de l'extraire de son pontet sur le côté gauche du harnais. J'exécute ainsi cinq sauts corrects et suis déclaré bon pour mon premier commandé.

    Ce sera mon seizième saut, ce qui est dans une moyenne banale pour un premier commandé. C'est mon troisième saut de la journée. On arrive aux derniers avions et je redoute de n'y pas trouver une place. Une bonne âme me cède la sienne pour ne pas m'infliger la frustration de re­porter un premier commandé. Je dois faire à mille mètres une chute de trois se­condes comme si j'étais encore en poignée-témoin. Le trac du premier saut en com­mandé est à mon avis supérieur à celui du premier saut tout court. Il semble alors que la forte sangle reliant le chuteur en ouverture auto­matique à l'avion est une sorte de cordon ombilical dont on se voit désormais privé. On va donc tomber sans autre recours que soi-même, on va se retrouver vulgaire pa­quet pour qui personne ne pourra rien. Il est vrai qu'on dispose du système KAP-3 d'ouverture automatique de secours à basse hauteur ; mais puisqu'en pratique on ne le voit jamais en action, je ne pense pas à lui. Il équipe alors seulement les quelques parachutes réservés aux premiers sauts en commandé ; ensuite on s'en passe. Je saute donc et tire plutôt au bout de 0,3 seconde qu'au bout des trois se­condes prévues. Le cas est fréquent au pre­mier commandé !

    J'ai observé le lendemain de mes premiers sauts une sensation de cuisson bilatérale sur la poitrine : elle suit le chemin des sangles du harnais et provient sans doute du choc à l'ouverture, qui à part cela n'avait produit sur le moment aucune douleur particulière. Les sangles étaient pourtant convenablement ajustées. La cuisson se reproduire une fois, puis s'estompera d'elle-même. C'est ensuite un souci d'oreilles qui apparaîtra lors des sauts en commandé : la chute de quatre cents mètres durant les dix secondes permises oppresse les tympans, mais en trois sauts la sensation s'efface sans même qu'on ait à faire une manœuvre quelconque. Cependant, elle ré­apparaîtra lorsque je sauterai du palier de progression suivant qui est 1200 mètres avant de s'évanouir encore après deux à trois sauts, et de même encore en passant à 1500 mètres. Au passage à 2000 mètres ne se produira enfin plus rien.

    Puisque je passerai quatre mois à sauter au sein de la SMPS (cinq mois moins un mois de fermeture de parachutisme autour de la fin d'année) tout en vivant à la base aérienne, je me rendrai un grand nombre de samedis matin à Strasbourg en stop, au moins depuis Haguenau à mi-chemin où un aspirant qui saute aussi me mène dans sa propre voiture ; il s'arrête cependant en route puisqu'il consacre à Haguenau sa matinée à l'équitation. Lui, deux autres appelés du rang et plus tard deux aspirants issus de Polytechnique seront les seuls appelés que j'aurai vu profiter de la SMPS ; encore resterai-je très nettement devant en termes de nombre de sauts effectués. Une fois arrivé à Strasbourg je ferai parfois de longues marches jusqu'à Neuhof si mon automobiliste s'arrête à l'autre bout de la ville. Le centre de parachutisme dis­pose d'un bâtiment neuf aux chambres blanches propres mais fort dépouillées, mo­nacales, dont je disposerai systématiquement et presque à chaque fois sans l'ennui d'un compagnon de nuit. Mon alimentation pour les deux jours de fin de semaine est constituée par les deux boîtes de ration que me fournit l'adjudant des cuisines. Je m'envoie en Livre de Poche tous les Rougon-Macquart pour distraction du soir.

    Si très peu d'appelés allèrent sauter, j'eus un moment d'alerte chaude. Les respon­sables de la SMPS se mirent un jour en tête à Drachenbronn de recruter ouverte­ment au lieu d'attendre les candidats trop rares. C'est ainsi que je tombai un jour sur une bonne quinzaine de soldats se livrant à une séance d'instruction, celle-là même qu'on ne m'avait pas fournie. J'en eus froid dans le dos : qu'adviendrait-il si tout ce monde s'en allait d'ici quelques semaines sauter à Strasbourg ? Il arriverait qu'on leur fournirait un car, un logement militaire hors du centre de parachutisme, un encadrement spécifique sur place. Qu'arriverait-il dès lors au soldat Trimouille qui part de la base aérienne le samedi matin dans la sensation de liberté de l'auto-stop, se confond à Strasbourg avec ses camarades civils, couche tout seul sur place, va se promener en ville quand il lui chante ? Il lui arriverait qu'il serait mis d'office dans le troupeau et que ses deux jours de liberté parfaite deviendraient autant de week-ends militarisés.

    Miracle, ou banalité : pas un des quinze postulants n'ira faire même un premier saut.

    Au-dessus de mille mètres il devient nécessaire de porter un altimètre, car il n'est plus question de compter les secondes en travaillant de surcroît. Je me procure chez un opticien de Strasbourg un instrument qui me sert encore quarante ans après sur le tableau de bord de mon ULM. Le service technique de Drachenbronn confec­tionne des bâtis pour altimètres à fixer aux élastiques du parachute ventral ; il en a fabriqué d'assez jolis ; j'hérite d'un machin mou et moche que je garderai cependant longtemps.

    Après quelques sauts d'accoutumance à 1500 mètres commence l'étude des mouve­ments contrôlés et non plus seulement de la chute stabilisée. On commence par les tours alternés en position de chute à plat, et avant de faire des tours on se contente de mouvements de lacet de 30 à 45 degrés. Je réussis immédiatement, avec une bonne maîtrise du geste et de sa stabilité. Malheureusement les ennuis suivent rapi­dement.

    C'est un fléau de la progression en chute que l'obsession de la perfection. Pour l'ins­tructeur qui du sol observe la chute au binoculaire, le mouvement n'est jamais par­fait et toujours à recommencer quand même le mouvement a été fait et la stabilité conservée. Toujours il y a une main comme ceci ou un pied comme cela qui ne va pas. Le parachutiste pendant ce temps s'exaspère. Malgré un bon début il me faudra le gâchis de vingt-cinq sauts consacrés aux tours à plat pour me voir attribuer le test afférent consistant en quatre tours alternés en moins de douze secondes. Cette plai­santerie s'étirera sur deux mois et demi. En effet mes moyens ont baissé puisque le 31 mars j'ai quitté l'armée et commencé à payer mes sauts.Je suis resté à Stras­bourg que je ne quitterai que trois mois plus tard ; mes visites au centre de saut s'espace­ront et il me sera parfois pénible d'entendre le Pilatus depuis ma chambre en ville sans pou­voir me rendre non seulement sauter, mais encore passer quelques heures avec mes camarades.

    Une fois obtenu ce fichu test on passe à l'étude du salto arrière, mouvement de 360° encore mais cette fois dans le plan vertical. La même plaisanterie recommence. Le mouvement est rapidement assimilé, mais n'est jamais parfait ; il y a toujours quelques degrés en trop ou pas assez ; la récupération donc n'est pas dans le plan parfaitement horizontal. Or pour obtenir le brevet complet (« brevet fédéral 6 ») qui libère de la tutelle des instructeurs, il faut effectuer un test de voltige. La voltige consiste à enchaîner deux tours à plat, un salto arrière, deux tours à plat, un salto arrière, le tout en moins de seize secondes. On commence bien entendu par des de­mi-voltiges de trois mouvements avant d'être autorisé à enchaîner l'ensemble. Je gaspille donc quinze sauts en saltos arrière jamais parfaits, et n'ai toujours pas le droit de faire même des demi-voltiges. Entre temps j'ai quitté Stras­bourg fin juin au bout de 82 sauts dont 51 militaires. J'ignore que je totalise déjà la moitié de tous mes sauts ! Je m'exerce désormais au centre de saut de Mourmelon, sis sur le ter­rain militaire. On saute au-dessus d'une végétation de camp militaire, faite d'ar­bustes et de broussailles ; au sol les ornières de char dans la boue durcie sont nom­breuses et à éviter. Ma progression reprise en chemin fait que j'exécute trois sauts de saltos encore, ce qui m'en fait quinze sans que j'en voie la fin. On m'oppose un re­fus de passer à la voltige : « Mais mon pauvre ami, avant de faire de la voltige il fau­drait savoir faire des saltos ». Je suis ainsi fait que si dans toutes les disciplines je pars souvent plus vite que la moyenne, bientôt je plafonne et n'atteins jamais la per­fection. On ne me laisse pas faire des voltiges ; le seul moyen d'en prati­quer est donc de passer outre.

    Le raisonnement est simple : en compétition de voltige, les concurrents tournent l'ensemble des six mouvements en moins de six secondes. Ces mouvements rapides ne sont pas parfaits ; le concurrent n'est éliminé que s'il sort des tolérances, les­quelles sont assez larges. Ainsi la tolérance pour la fin d'un salto est-elle de plus ou moins trente de­grés d'assiette du corps par rapport à l'horizontale ; or je suis en-dessous bien qu'on ne me lâche toujours pas en voltige. C'est absurde ; j'exécute une voltige sans plus demander la permission. D'emblée elle est presque correcte et faite en un peu moins de vingt secondes ; « presque » correcte parce que l'approche de la hauteur d'ouverture fait que m'énervant à la dernière seconde je pars en vrac à la fin du dernier salto. Je reçois une remontrance pour mon initiative, mais puisqu'elle est concluante je poursuis. En dix sauts les deux voltiges en moins de seize secondes exigées pour le brevet 6 seront faites. Je fais le lendemain deux bons sauts de dérive, exercice peu difficile qui me plaît assez. Il les fallait pour le brevet 6 ; celui-ci est dé­cerné sur-le-champ. Me voilà parachutiste diplômé en dépit d'une fraude légère.

    En effet on a oublié ou feint d'oublier que je n'ai pas pour le brevet 6 les deux préci­sions d'atterrissages à moins de trois mètres du centre de la cible. J'en suis infichu. J'en ai quelques une dans mon carnet de sauts, obtenues par hasard. Or on les ré­clame consécutives, ce qui empêche de profiter de la chance. Ce n'est d'ailleurs pas absurde : le parachutiste de brevet 6 a le droit d'aller sauter où il veut hors d'un ter­rain surveillé et équipé ; sa sécurité dépend alors de la valeur de sa pré­cision à l'at­terrissage, alors qu'à Mourmelon il n'est pas grave de se poser à cent mètres de la cible. Hélas je n'ai jamais réussi à m'intéresser au travail sous voile, la chute seule me captivant.

    Le brevet 6 en poche, j'étudie brièvement quelques positions de chute inhabituelles : position en boule, en banane, chute sur le dos, réduction, canarozzo. J'ai aimé la dé­rive ; je ne pourrai qu'aimer davantage le canarozzo consistant à sauter d'au moins 2500 mètres pour dévaler du ciel raide tête en bas au garde-à-vous, raide comme un piquet. On ne maintient pas cette position plus de dix secondes pendant lesquelles on perd huit cents mètres aux environs de trois cents kilomètres à l'heure. La sortie du piqué est étrange. Le corps revenant à l'horizontale offre sa surface de freinage habituelle qui lui donne en chute normale une vitesse de cinquante mètres par se­conde. Il en résulte sur le corps un facteur de charge momentané suffisant pour donner - la vue mise à part – l'impression que l'on remonte !

    J'achève l'année 1976 avec 120 sauts ; il ne m'en reste à faire que 38 qui seront éta­lés jusqu'en 1991. La cause première de ce délaissement est la même qui m'a fait abandonner aussi le vol à voile : il faut entrer en religion, être constamment sur le terrain, s'y ennuyer à ne rien faire la plupart du temps, se priver du gros de son temps libre. Un avantage toutefois du saut est qu'on repasse rarement en double, c'est-à-dire en automatique, au prétexte qu'on n'a pas sauté depuis deux mois. Je sauterai en commandé un jour de 1985 après presque deux ans et demi d'absti­nence. Je ne réussirai cependant pas à rééditer cet exploit la fois suivante en 1990 après cinq ans d'arrêt. Il faut dire que le chef de centre a changé, et l'on m'inflige trois sauts en automatique avant de revenir en commandé. Mais voilà qu'après à peine cinq nouveaux mois d'arrêt on m'impose deux nouveaux automatiques sans encore me lâcher en commandé. C'en est trop. Je profite six semaines plus tard d'un voyage en Angleterre pour aller présenter mon carnet de sauts au centre de para­chutisme de Langar. Ils ne com­prennent rien à son contenu ; je laisse donc entendre sans le dire ouvertement que mes sauts récents sont en commandé. On me confie un Aeroconical, parachute ainsi nommé parce que sa coupole ouverte évoque moins un hémisphère qu'un chapeau chinois. Le premier saut fait à 1600 mètres ne doit pas être si mauvais puisqu'au se­cond fait à 7000 pieds je sers de flotteur pour un relati­veur qui vient me toucher. J'ai donc une fois de plus contourné l'autorité. C'est tou­jours très mal, mais le mal vient-il du contourneur ou de l'autorité, lorsque l'autorité infantilise à force de prin­cipe de précaution ?

    Ironie finale, mon 158è et dernier saut le 12 mai 1991 sera en automatique, mais avec un motif « valable » qui le fait accepter : c'est mon premier saut en aile, et bien entendu le dernier. Outre deux sauts à Langar j'en ai fait un en 1980 à Bridlington, où m'étant posé en Turbulent sans aucun papier parachutiste j'ai fait sur ma bonne mine un mille mètres en Para Commander.

    Le saut de base jusqu'à mille mètres coûtait en 1975 à Strasbourg 25 francs, à majo­rer de 5 francs par tranche de 500 mètres. Durant une trentaine d'années au moins s'est maintenue un peu partout en France une règle non écrite du centime de franc par mètre, l'inflation étant compensée par la hausse de la première tranche, celle des sauts en automatique. En d'autres termes la situation ne cessait de s'améliorer... pour les confirmés.

    Quelques mots sur les avions largueurs. Après le Pilatus déjà cité je tâterai du Dor­nier 27 à pistons, puis des Cessna 206 et 185. Il y aura à Mourmelon entre 1977 et 1990 quatre sauts depuis un Broussard, ce qui en fait des sauts un peu plus « histo­riques ». L'avion est remarquablement poussif et ses montées fort longues. Je constate au vario qu'il fait quelques passages à zéro dès qu'il rencontre un passage descendant. Je ferai également trois sauts nettement plus historiques encore depuis un DC-3.

    Je ne suis guère sorti du matériel EFA archiclassique pour ce qui est des parachutes. La voile de début est le 6520 rond et généralement blanc, qui ne se distingue du ma­tériel militaire que par sa fente ; la fente communique à la voile une finesse de 0,5 avec sa modeste capacité de vitesse de 2,5 mètres par seconde. On désire alors pas­ser le plus vite possible sur les voiles de la formule Lemoigne, Olympic/Super Olym­pic/Para Commander, simplement pour sauter les jours un peu venteux au lieu de rester au sol ou même de descendre de l'avion qui roule déjà, au motif que cela souffle trop pour les voiles sans vitesse horizontale propre suffisante. La vitesse ho­rizontale des Lemoigne va de 5 à 6 mètres par seconde pour un plan de descente à 45 degrés.

    Je regretterai pourtant de passer du 6520 au Lemoigne. Le 6520 est d'un classi­cisme qui ravit mon goût pour les odeurs du passé. Il est dans la droite ligne du pa­rachutisme livresque de l'époque. Il diffère cependant des voiles rondes antérieures non seulement par la fente qui lui donne un peu de vitesse et surtout le rend orien­table, car avec du vent mieux vaut se poser à reculons qu'en avant ; il en diffère aus­si par sa gaine de voilure qui en amortissant considérablement le choc à l'ouverture le rend léger à supporter. Aux dires des parachutistes plus anciens, les voiles de ja­dis dépourvues de gaine présentaient une ouverture si méchante que sitôt sorti de l'avion on en avait déjà le plaisir de la chute entamé par la perspective de l'ouver­ture. Les productions EFA, dont le Lemoigne, possèdent un harnachement massif, pesant et raide, dans lequel on marche un peu empêtré, engoncé entre un sac dorsal volumi­neux et un ventral dur et encombrant. Pourtant cela n'est pas déplaisant puisque cela fait précisément très « parachutiste », en un temps où les premières ailes paraissent parfois au public extérieur relever du matériel d'acrobatie plutôt que du grave et sé­rieux parachutisme.

    Le 6520 est un plaisir à plier, autant qu'on puisse y trouver du plaisir. Tendu à mort par les sangles de la table de pliage vernissée, sa voilure affecte une forme de sapin pointu des plus facile à ordonnancer en vue de sa mise en gaine. Sous la main les bas de fuseau tendus par leurs sustentes raides comme des cordes d'instrument de musique, passent les uns après les autres et se rangent les uns sur les autres avec ai­sance et propreté ; le bras plonge à l'intérieur de chaque fuseau pour le battre et l'aligner. Il en va tout autrement avec les Lemoigne qui ont sans doute le même principe général de pliage, mais dans la voile me fait l'effet d'un tas de chiffons in­fâme ; chaque chiffon est un des cent et quelques panneaux indépendants qui ne constituent aucun fuseau et ne satisfont pas le sens de l'esthétique lorsque le plieur les répartit pour la mise en gaine ; ils sont trop petits et légers individuellement, ne s'aplatissent pas bien et conservent un gonflant bordélique.

    La fermeture enfin du sac des Lemoigne est un supplice. Presque toujours un sujet doté d'une musculature simplement moyenne s'y doit reprendre à plusieurs fois pour amener l'un sur l'autre les volets latéraux du sac, auxquels deux malheureux centimètres manqueront toujours en dépit des efforts faits par le plieur pour caser le lovage de la gaine de voile. Cette absurdité aura son rôle dans la vitesse de dispa­rition des voiles classiques. Autour de 1990 les centres passant sur ailes braderont leurs dizaines de voiles rondes périmées auprès de leurs membres soucieux de conserver des reliques des temps héroïques. J'achèterai à bas prix un ensemble 6520 et ventral que je jetterai vingt ans plus tard parce que je l'aurai mal conservé, et que beaucoup d'éléments se seront gâtés.

    Alors qu'en tirant en descente sur une commande du 6520 on tourne simplement sur soi, le même geste sur Lemoigne entraîne une énergique centrifugation du para­chutiste, à la façon de ce qu'on peut faire sur aile. Tirer ensemble et à fond les deux com­mandes casse la vitesse horizontale et fait plonger brutalement le taux de chute ; on a un peu l'impression d'être un instant dans un ascenseur qui entame une descente brusque. L'atterrissage est à pratiquer différemment. Alors que le 6520 à faible vitesse se pose face au vent, l'Olympic est supposé atterrir vent de dos en frei­nant à demi sa vitesse horizontale. Ainsi peut-il tel un planeur approchant aux aéro-freins suivre un plan de descente précis vers la cible. La vitesse horizontale vers l'avant est dès lors importante, mais la cible épaisse en cailloux est là pour amortir le posé. On a simplement omis de m'informer de cette nouvelle procédure, que ma foi je n'ai pas eu la curiosité de comprendre tout seul en regardant les autres. Résul­tat : je conti­nue à me poser face au vent, simplement moins loin de la cible qu'en 6520. Arrivant une jour sur la cible avec le vent de dos mais ignorant qu'on est cen­sé agir en effet ainsi, je fais à basse hauteur à la verticale de la cible un demi-tour que la vivacité de la voile rend périlleux. Je prends un bon coup à une cheville pour cette manœuvre aberrante, et c'est seulement alors qu'on songe à m'expliquer ce qu'il aurait fallu faire.

    Incident comique. J'ai demandé à un sous-officier de Drachenbronn plus ancien que moi en parachutisme, pourquoi vu son nombre élevé de sauts il n'était pas en­core passé du 6520 à l'Olympic ; sa réponse fut qu'il ne s'en souciait pas et se ju­geait très bien comme il était. Je ne partageais pas son sentiment et, encore en 6520, harcelais les instructeurs pour passer sur la voile plus évoluée. Après avoir donc obtenu le passage sur Olympic, j'étais en train d'en plier un lorsque le sous-of­ficier susdit ar­rive au centre, me voit, s'exclame « Quoi ! Trimouille en Olympic ! », et hurle à l'in­tention de chef de centre qu'on lui en donne un sur-le-champ.



    Vol relatif et désastre...

    Alors que j'ai trois sauts en Olympic un sauteur confirmé m'offre un premier relatif. Sautant du Dornier juste devant lui, j'ai pour mission de me stabiliser sur le ventre et de faire le flotteur, de rester inerte tandis qu'il viendra me toucher l'épaule. Mon rôle est facile, et dix ou douze secondes après avoir quitté le bord je vois à une heure et deux mètres plus haut mon relativeur encore distant d'environ trois mètres hori­zontaux entrer dans mon champ visuel. C'est encore une nouvelle vision éblouis­sante que de voir un homme sur fond bleu dans sa combinaison orange flotter ainsi dans l'air à proximité. Il approche assez lentement, touche une épaule et dégage aussitôt en demi-tour et plongeon. Je fais de même et rencontre un nouveau souci.

    Le 6520 s'ouvre avec une parfaite régularité en deux secondes. Personne ne m'a averti des caprices de l'Olympic ; il est capable de ne laisser aucun délai sensible entre l'action sur la poignée et le choc à l'ouverture, comme de traînailler quatre se­condes bien longues. Cette fois-ci rien ne s'est passé au bout de six secondes, et six secondes font trois cents mètres de chute. Le largage de voile aux épaules n'existe pas encore. Exaspé­ré, je tire sèchement le ventral. J'ai la vision fugace d'un fantôme blanc filant devant les yeux, et c'est le choc. Le ventral fait pour une ouverture ins­tantanée n'a surtout pas de gaine amortisseuse ; on se fait avec lui une idée des plai­sirs éprouvés au temps des parachutes anciens. Le corps est empoigné par la poi­trine, ce qui le fai­sant cambrer accroît la vivacité des impressions. La décélération est stupéfiante, accompagnée de l'illusion de remonter. Elle m'a paru durer un peu plus d'une seconde, ce qui partant de la vitesse de cinquante mètres par seconde suggère donc un freinage d'un peu moins de cinq g.

    La situation stabilisée, l'Olympic encore en gaine pend sous moi. Le ventral n'est pas dirigeable et je suis déporté un peu hors du terrain, pour aller choir derrière la clôture d'un enclos de dressage de chiens. Cet incident évoquant la Grande Va­drouille ne tire pas à conséquence puisque l'enclos est présentement inoccupé. Mal­heureusement la porte dans le grillage est fermée à clef. J'enrage, lorsque je vois que l'enclos est inachevé et qu'à deux mètres de la porte le grillage s'interrompt sur le sol nu. Serais-je un peu énervé ? Je suis évidemment ravi de l'aventure : de même qu'un pilote qui ne s'est pas posé en campagne n'est pas un pilote, un parachutiste qui n'a pas fait ventral n'est pas un parachutiste.

    Le parachute expertisé par un instructeur n'a rien. Il se contentait de faire l'intéres­sant six secondes près l'action sur la poignée. Celui qui avait signé la fiche de pliage pousse un ouf de soulagement. Je me fais mettre en garde contre les ventraux inop­portuns qui peuvent se finir au tapis en double torche enroulée.

    Hélas, l'auteur de cette amère remarque finira cinq ans plus tard avec un ventral qu'il n'a pu ouvrir. Peut-être est-ce lié à une conception médiocre de certains para­chutes de secours à la poignée si bien plaquée sur le sac fermé qu'elle en est malai­sée à saisir ; une coquille rigide imposant au sac un creux sous la poignée existe op­portunément sur les ventraux plus récents.

    Je rencontre un jour de 1975 une difficulté à la fermeture d'un Olympic. J'ai précisé que le sac en est désagréablement dur à fermer. L'opérateur est ainsi tenté de replier la gaine de la voile en donnant à ses plis une longueur exagérée dans l'espoir d'en éco­nomiser un et de réduire d'autant l'épaisseur du pliage complet ; ainsi le sacs se fer­mera-t-il plus volontiers. Malheureusement le bombé moindre qu'il affecte une fois fermé entraîne une gêne à l'extraction des aiguilles de fermeture lorsqu'on tire sur la poignée. Ces aiguilles engagées dans leurs cônes lors du pliage, j'effectue tou­jours une traction d'un centimètre environ pour m'assurer qu'elles glissent correcte­ment. Un jour donc elles ne glissent pas et s'arc-boutent dans leurs cône. Plus je tire, plus ça coince. J'en informe qui-de-droit : « j'ai un auto-blocage ». Je me fais répondre en substance par un qui-de-droit qui ne se dérange même pas : « auto-blocage toi-même ! » ; j'oublie l'incident après avoir arrangé ce cas ponctuel. Un an après la revue l'aéro-club et le pilote privé publie sur une demi-page une alerte au même phénomène, cause de quelques ventraux ; je peux y lire : « plus on tire, plus ça bloque ! »



    Sécurité, la fée Carabosse

    Un jour vers 1978 en retirant un parachute au magasin du centre, je reçois ce com­mentaire du magasinier : « C'est un parachute avec KAP-3 ; c'est tout ce qui me reste ; excuse-moi ! »

    Cela veut dire : « Tu es expérimenté et je te donne un pépin avec système d'ouver­ture de secours ; excuse-moi de te donner à ton âge l'équivalent d'un vélo à roulettes latérales. »

    En sentencieux imbécile inconscient de l'avenir qui l'attend, je ne manque pas de ré­pondre ne même pas comprendre qu'on ait le droit de sauter sans un tel dispositif. Il va sans dire que trois décennies plus tard la fédération de parachutisme décrétera l'interdiction de sauter sans lui. Or entre temps les centres ont progressivement prê­té de moins en moins de parachutes jusqu'à ce que la plupart des pratiquants régu­liers aient acheté leur matériel. Voilà qu'on y ajoute l'obligation du prix d'un cyclo­moteur ; certains renoncent. A la bonne heure ! Dehors, les fauchés et les résidus d'une mentalité malsaine périmée !

    J'ai fait mon dernier saut en 1991 ; je me suis plusieurs fois demandé si je n'allais pas recommencer ; j'ai appris l'obligation du dispositif d'ouverture de secours auto­matique. Le saut a d'un coup perdu tout charme à mes yeux. Je serai ravi si disant cela je choque, et ravi deux fois si je passe pour un imbécile.

    En 1995 est promulgué le nouveau code pénal avec son article le plus dangereux : la mise en danger de la vie d'autrui, dangereux parce que mis progressivement à toutes les sauces. J'apprends ainsi d'un instructeur qu'ouvrir au-dessous de la limite de sé­curité des 750 mètres vaut en principe une déclaration de mise en danger de la vie d'autrui. A demain sans la mise en danger de la vie d'autrui pour les individus qui ne sou­rient pas dans la rue ? Ils peuvent instiller l'idée du suicide dans les âmes dé­primées.

    J'assiste de l'extérieur à un stage de débutants vers 2010. Une jeune fille sur aile est larguée trop loin du terrain ; des bois l'en séparent. Elle réagit fort bien pour une néophyte : au lieu de persévérer vers l'aérodrome pour se vautrer dans les arbres, elle vire pour tourner le dos au terrain et venir se poser dans des prés en arrière des bois. Il faut alors lancer plusieurs véhicules à sa recherche sans savoir si l'atterris­sage s'est bien passé. Dans le monde contemporain l'angoisse des autres jeunes par­ticipants se doit d'être extrême.

    La jeune fille ramenée d'un seul morceau, un responsable du stage se lance devant l'ensemble des participants dans une tirade qui m'éberlue. C'est un sexagénaire qui a vu lui aussi monter la fée Carabosse au fil des décennies. D'une voix de stentor lé­gèrement agressive, il déclare vigoureusement à ces jeunes gens que, eh oui, l'exis­tence n'est pas qu'un tapis de pétales de rose ; que oui, ils ont vu un imprévu qui les a un moment inquiétés ; que c'est ça la vie, qu'il faut le savoir, et qu'à présent, basta, c'est clos ! Je présume qu'il a agi ainsi pour désamorcer dans l'œuf des errements métaphysiques à la limite capables de valoir, sait-on jamais, quelque procès de pa­rents scandalisés ? Ainsi me serai-je dans l'adolescence rebellé contre les arriéra­tions de la discipline ancienne pour assister dans le temps de la même existence aux délires débilitants de Carabosse, jadis complètement imprévisibles.



    Des moments d'histoire !

    Les 21 et 22 mai 1977 un DC-3 de location vient à Mourmelon remplacer le Cessna 206. Il s'agit de l'avion F-BAIF livré à l'USAF en avril 1945 il n'a donc participé à rien de bien grand. Il fut rapidement affecté à l'Armée de l'Air, puis aux lignes orien­tales et surtout africaines. Un DC-3 qui n'a pas connu la guerre ou l'Afrique n'est pas un DC-3.

    Le BAIF est entièrement vide et une trentaine de parachutistes peuvent y pendre place assis par terre en s'entassant le plus en avant possible. On quitte le bord d'une façon encore inconnue pour la majorité des sauteurs sportifs : debout. Ce n'est plus ici dans un avion de tourisme aménagé ; la porte laté­rale est d'une hauteur suffi­sante. Le geste de saut en est plus agréable et plus élégant ! J'effectuerai trois sauts dont deux à trois mille mètres et un à quatre mille, mes trois sauts les plus hauts. Le quatre-mille représente une minute et quelques secondes de chute ; c'est véritable­ment interminable. J'ouvre un instant la bouche ; le vent relatif s'y engouffre en fai­sant violemment battre les joues ! J'ai déjà dû protester auprès du chef de centre pour ne pas être au vu de mon expérience modeste cantonné à des sauts à deux mille mètres ; je ne participerai pas au dernier saut fait à 4500 mètres. Le F-BAIF dont on sent la fin de carrière a échappé à la ferraille en devenant une des pièces d'un musée hollandais proche d'Eindhoven. Je n'en aurai donc pas sauté sur la Normandie, mais sur la Champagne trente-trois ans plus tard. J'écris ces lignes alors qu'il s'est passé plus de temps depuis mes sauts de DC-3 qu'entre ceux-ci et la guerre.



    VOL MOTEUR, Suite

    Durant les permissions du service militaire je m'offre le premier mai à Ecury un at­terrissage en campagne sur Emeraude après panne de moteur. En juillet je m'initie­rai au Rallye, avion du modèle de celui du premier vol de ma vie. Il paraît que cette machine est indispensable dans les clubs pour les pilotes qui ne savent pas piloter. Il semble difficile de se casser la figure en Rallye, avion vainqueur d'un concours pour avion de sécurité émis à la fin des années cinquante. Il semble difficile, c'est vrai, mais ce genre d'impression ne se vérifie pas toujours et je ne connais pas de statis­tiques comparatives entre accidents de Rallye et des autres. C'est pour moi un avion de dépannage un peu plus cher que les Emeraude lorsqu'ils sont indisponibles ou retenus pour l'école, ou encore un avion où je peux placer deux passagers. Le Rallye est amusant en approche tout sorti avec sa pente impressionnante, ou bien volets rentrés lorsqu'on le pousse à sa Vne où il dégringole à plus de trente degrés de pente. Il est amusant lorsque tout réduit et manche amené lentement au ventre il tient l'air à 70 km/h sans décrochage en perdant tout de même cinq mètres par se­conde. Sa maigre fougue en revanche est son gros point faible, et il faut sur toute la gamme des Rallye moitié plus de chevaux à cet appareil pour atteindre la vitesse de croisière d'un Jodel Robin. Le Rallye est disgracieux et l'arrêt de son moteur fait désagréablement vibrer sa construction de casserole.

    A l'occasion d'une permission autour du nouvel an 1976 je vais gaspiller en quelques jours ma bourse annuelle en voulant me faire lâcher sur le Petit Prince de 115 che­vaux. Je rencontre un instructeur inconnu faisant un intérim. Il est de mauvaise hu­meur pour des motifs liés au club mais dont je suis bien innocent. Cela ne se passe pas bien. Il répertorie dans mon pilotage une série de points qui lui déplaisent. Je ne fais rien que de très banal mais il s'indigne en particulier de ce que j'ai toujours fait mes tours de piste à deux cents mètres et n'ai jamais entendu dire qu'ils se prati­quaient dorénavant à trois cents. D'où, insiste-t-il, inadmissible mise en péril de la sécurité. Je ne sais plus encore quelles salades font qu'il ne me lâche pas avant deux heures vingt, non sans me reprendre ensuite pour se faire conduire à Epernay-Plivot où il va demander à un pote ce qu'on doit faire d'un pilote aussi préoccupant. Pour finir, il inscrit sur mon carnet de vol cette mention : « Pilote dangereux ; ne pas lâ­cher sans double préalable. » Suivent ses nom et numéro de qualification d'instruc­teur. Le hasard me fera plus tard croiser un instructeur de cet instructeur ; je lui montre vite la mention de son élève ; il n'en croit pas ses yeux. Pour le côté pratique, je détacherai soigneusement la page entière afin de ne pas la présenter au chef de dis­trict à l'occasion du renouvellement de licence suivant. Il reste suffisamment d'heures sans cela. Pour plus de sûreté je vais dans un autre district, sachant le mien doté d'un chef à l'œil. Tout se passe bien, et au bout de quelques années et d'assez de pages remplies, je recollerai la manquante.

    En juin j'essaie un nouvel appareil acquis par Ecury. C'est un HR-200, le petit nou­veau de 100 chevaux de Robin qui se lance dans le métal. Je n'aime pas le métal que je soup­çonne d'être par nature réducteur de performances, mais je suis enthousiaste pour avoir lu un article élogieux de Bernard Chabbert.

    Après décollage la vitesse ascensionnelle avec la même puissance ressemble plus à celle d'un Rallye qu'à celle d'un DR-220. Déçu, je me tranquillise en me rappelant l'article chabertien : la charge alaire est forte et la vitesse de décrochage élevée, mais en palier, ça bombarde. Me voici en palier : le badin s'arrête à 170. Je suis confon­du : Robin a réussi à faire un Rallye, sans le comportement spécifique du Rallye aux basses vitesses. Il est vrai que par économie notre HR-200 est une version sans ca­rénages de roues, mais enfin je ne m'occuperai plus de cet aéronef.

    Tant que je demeure en Alsace jusqu'à la fin du service militaire et encore trois mois de plus, j'alternerai vols à Ecury et à l'aéro-club d'Alsace sis à deux cents mètres du centre de parachutisme. J'y utiliserai deux DR-220 ainsi qu'un Jodel 120. C'est un D.112 dont le 65 chevaux est remplacé par un 90 chevaux, qui en fait 96. Le vacarme à bord est à peine supportable ; la vitesse de croisière ne dépasse guère 150/160 mais la montée est brillante. Je me servirai un jour de cet avion pour une montée au plafond que j'atteindrai à 4200 mètres. Comme il se doit au plafond, la seule as­siette possible est considérable tandis qu'on se sent sur une pointe d'épingle. Je fe­rai sur cette machine peu chère et peu demandée au club quatre longs vols jusqu'à plus de deux heures, et allant jusqu'à Saverne.

    Je m'efforce de trouver quelques passagers pour aider au règlement de mes vols, et baptise entre autres mon père. Un dimanche au début du déjeuner il donne volon­tiers son accord pour se rendre à l'aérodrome au sortir de table. Puis au fil des plats le ton change, devient moins assuré. Au dessert tombe la sentence prononcée avec une sorte de colère étouffée : « J'irai prendre un baptême de l'air le jour de mon choix sur l'avion de mon choix avec un pilote expérimenté ! » Maman qui a dé­jà vo­lé en planeur se dévoue alors et va passer son fuseau de ski. Papa qui hors de ces rares circonstances ne la voit jamais en pantalon éprouve un choc, se sent embar­rassé et finit par me suivre. Par la suite il reviendra.

    Les derniers jours de 1976 je ferai une folie financière en me faisant lâcher sur le DR-360, le Chevalier du club d'Ecury. Son prix horaire de 140 francs s'avère avanta­geux puisque le club malade l'avait acheté dans l'espoir de relancer l'activité. Ce pro­jet grosso modo illusoire réussira pourtant avec moi puisque les six mois suivants le plus gros de mes allocations de chômage passeront dans cette drogue nouvelle ; je suis en effet sans emploi du premier janvier à la fin de mai. Seul à bord l'avion de cent soixante chevaux pour 560 kg à vide est aussi grisant par le vol à basse hauteur que par les montées raides ou même le temps ridicule mis entre deux aérodromes. Je ferai autre motif que le plaisir de Châlons à Lille mon premier voyage depuis les navigations du brevet ; je pratiquerai nombre d'autres navigations et surtout radio-naviga­tions dans un rayon d'un peu plus de cent kilomètres. L'équipement du Che­valier en instruments pour le PSV est une invite à étudier le passionnant vol en aveugle. Jus­qu'en juillet 1977 je ferai plus de vingt-cinq heures de ce bolide, outre des vols longs en DR-315. Je suis décidément un chômeur de luxe. Le Chevalier un peu plus tard sera détruit en faisant deux morts et un mutilé. Pendant ce semestre mon activité parachutisme ralentira à dix sauts mais après trois ans d'arrêt je re­viendrai modes­tement au vol à voile à Prunay. Mon but est de remettre ma licence en route pour passer la qualification de remorquage. A la vérité les remorqueurs à Reims sont déjà nombreux. Il se passe encore une chose intéressante. A l'issue d'un premier vol de vingt minutes en biplace l'instructeur déclare que ma licence pour­rait être renouve­lée dès à présent, mais que le chef de district ne voudrait pas croire cela possible après trois ans d'arrêt ; et qu'en conséquence il faut mieux remplir mon carnet auparavant. Je ferai donc huit vols pour cela ! Après huit autres courts vols de quinze à trente minutes en solo je me lasserai et cesserai toute activité véli­vole après un seul mois de reprise. Cela m'aura fait depuis 1970 un total de 229 at­terrissages en planeur.

    J'ai décidé fermement de passer à tout autre chose. Le planeur m'ennuie, au moins à Prunay que je n'aime pas. L'avion de club de gros calibre n'est pas une activité te­nable sur le long terme. Depuis plusieurs années en revanche je rêve de ces petits monoplaces en CNRA que j'ai vu de loin en loin passer pour m'étonner des privi­lèges de leurs pilotes, souvent jeunes. Il est vraiment possible de voler avec des choses aussi simples et légères, assemblées chez soi : voilà la véritable communion avec le ciel. Et le planeur ? C'est très joli, le planeur, mais assez fade en plaine avec une polaire des vitesses à l'ancienne et avec surtout l'inaptitude à la vadrouille. J'en­treprends donc en juin d'éplucher les petites annonces d'Aviasport et de Pilote Pri­vé. Il n'y a rien d'intéressant, hors un Mauboussin d'avant-guerre de 90 chevaux re­motorisé en Continental. C'est évidemment un appareil historique et sportif, Mais sa consommation n'est pas engageante. Je m'enquiers par téléphone du prix : il est le décuple des cinq mille francs auxquels encore on trouve un Bébé Jodel. Le ven­deur attaque d'ailleurs immédiatement sur ce point : « l'époque de l'avion à cinq mille francs est finie ! » Il ne dissimule pas son besoin d'argent pour acheter un Stampe. Disons que l'ère de l'avion à cinq mille francs finira un peu plus tard lorsque l'appa­rition de l'ULM fera grimper les prix des CNRA, bénéficiaires d'un nouvel engoue­ment pour le vol allégé. Deux ans plus tard le hasard me fera croiser celui qui avait vendu le Mauboussin à celui qui en voulait le prix mentionné plus haut : « pas mal », dira-t-il, « le prix a doublé en un an ».

    J'avais déjà dès 1974 jeté un œil sur le monde du monoplace en CNRA, et remarqué le Volksplane. Cette machine m'intéressait pour ses ailes démontables et les possibi­lités ainsi offertes de garage. Naturellement le démontage et remontage est une opé­ration longue et fastidieuse qu'il est exclu d'imaginer faire à chaque emploi, voulût-on emmener son avion chez soi ; mais l'enthousiasme joint à l'ignorance induit bien des illusions. Ayant découvert l'existence d'un tel appareil à Langres-Rolampont, je prends rendez-vous pour aller examiner l'engin et m'instruire auprès de son constructeur. Rolampont est un petits terrains très modestement bâti d'installa­tions bien vieillottes, mais sympathiques, doté d'une piste perdue sur les collines entre les bois, loin de toute agglomération importante, un de ces terrains intimistes où le can­dide pourrait presque croire qu'on vole incognito (je songe à ce film où Alain De­lon pilote perd sa licence pour être passé sous l'arc de triomphe de l'Etoile, et se fait dire par un ami : « Ne t'en fais pas ; je connais un petit club en Seine-et-Marne où l'on vole sans licence, en amateur »).

    Je découvre alors un piège : devant un avion constructible et lorsqu'on n'en a pas encore examiné d'autres de près, la tentation est grande d'en commander prompte­ment les plans alors même que les défauts de la machine sont patents. Ainsi par exemple chaque demi-aile assez théoriquement démontable du Volksplane tient-elle par des mâts d'extra­dos. Le constructeur me dit qu'il s'agit de mâts de Piper qu'il a trouvés en chinant au fil de ses années de construction. Voilà qui semble aléatoire ; or j'ai besoin d'être sûr de ce que j'entreprends. Quant aux performances, elles sont fort décevantes puisqu'il faut apparemment un Volkswagen 1600 pour donner à cette caisse lourde et carrée ce qu'un BB Jodel obtient avec quelques décilitres cubes de moins ; mais la caisse lourde et carrée est supposée hâter la construction. L'an­née suivante je me rensei­gnerai auprès d'un constructeur de Wing Ding et recevrai une offre de revente d'un appareil presque terminé, pour la somme minime de deux mille francs. Le Wing Ding est un avion minimum, un minuscule biplan à moteur propulsif monocylindre à deux temps dont le fuselage n'est qu'un caisson très plat de section quadrangu­laire, reliant les deux plans et sur lequel le pilote est assis en­tièrement à la façon des planeurs de 1930.

    Un autre monoplace en CNRA est à vendre en ce mois de juillet, un Starck de vingt mille francs qui reste au-dessus de mes prix. Un éventuel co-acheteur sollicité refuse de participer, ce qui est heureux car pour mon budget j'aurais eu la sottise de n'ac­quérir qu'un demi-avion. Je dispose du pont du 14 juillet et décide d'aller moi-même en mobylette à la pêche sur les aérodromes. Consulter dans une tour ou dans un district l'annuaire des immatriculations serait évidemment trop simple. Je pars de Châlons tôt le matin du 15 vers la région parisienne où j'arrive, en train, et passe la nuit chez de la famille puisqu'une défaillance m'a obligé à laisser mon véhicule jusqu'au lendemain chez un réparateur du côté de Chelles. Le lendemain sur un ter­rain de la banlieue sud je reçois une leçon de morale lorsque je dis rechercher un CNRA à vendre. Je devrais avoir honte, me dit-on, de proposer de l'argent pour ten­ter de corrompre celui qui dans sa démarche noble et désintéressée s'est élevé à construire un avion. Le troisième jour je pousse vers la Normandie jusqu'à l'aéro­drome d'Etrépagny qui est clos et désert. Prenant enfin la mesure de l'absurdité d'un tel procédé de recherche, j'abandonne et suis de retour le soir.

    Aviasport de juillet était sorti à Châlons le 13 et comportait une annonce d'un Tur­bulent à vendre. J'avais répondu avant de partir en expédition, tout en me promet­tant de détester éternellement cette revue si jamais je manquais l'affaire à cause du retard en question. Rentrant de ma virée à mobylette, je trouve une réponse. Elle est à moitié décevante puisqu'elle m'annonce que je suis en numéro deux : un autre a évidemment réagi pendant tout le temps que Châlons était privé d'Aviasport. Le len­demain j'appelle le vendeur qui confirme aimablement le contenu de sa lettre : je n'aurai l'avion qu'en cas de désistement du premier à avoir réagi.

    Le vendeur est à Auxerre, à seulement deux heures de route pourvu qu'on roule comme on roulait en ce temps où les contrôles restaient accidentels. J'obtiens le len­demain de quitter mon travail une heure plus tôt, et file tenter de faire trébucher l'honnêteté du vendeur en lui proposant sur-le-champ un chèque de la totalité des huit mille francs demandés. Tout de même, je fais un arrêt à Auxerre-Branches voir à quoi ressemble la machine. Une bâche recouvre largement un appareil peint d'un vilain orange, mais qui ne laisse pour ce qu'on en voit rien transparaître de prohi­bant ; son certificat de navigabilité est d'ailleurs valide pour un an encore.

    Il s'avère que le vendeur est un monsieur âgé, ancien pilote de Vampire tenant pour l'heure un magasin de cyclomoteurs. Il vend parce qu'il se sent mal en point pour sa prochaine visite médicale. Il a d'abord mis son annonce un peu pour voir, se réser­vant la possibilité de conserver son Turbulent quand même. Submergé par une dou­zaine de réponses qu'il n'attendait pas, il voit avoir mis le doigt dans l'engrenage. Je suis donc toujours numéro deux, dans la mesure où la plupart des lettres reçues ne sentent pas encore sérieusement la volonté d'acheter. Il refuse aimablement mais fermement de me vendre tout de suite ; il se décide cependant à cause de ma pré­sence à appeler le numéro un pour le prier de venir dès le week-end suivant de sa Franche-Comté regarder l'avion et se décider. Pris de court ce malheureux père de famille invoque ses obligations et demande un délai. Son affaire n'est pas bien bonne, mais la mienne non plus. Le lendemain à midi je reçois un appel du ven­deur : il a recontacté le numéro un qui décidément ne veut pas venir au plus vite ; le Turbulent m'est donc vendu. A ce soir ! Je nage dans la joie et mesure l'efficacité d'une détermination sans faiblesse.

    Je ressors de chez le vendeur avec le sentiment d'un grand et heureux accomplisse­ment : j'ai un avion, et tout le reste est secondaire. Je me suis hissé au niveau de ces propriétaires de petites machines qui depuis que je vole me paraissaient appartenir à un monde autre. Je crois à peine à mon élévation... ! Le 2 juillet j'ai rendez-vous avec un collègue devant me conduire à Auxerre chercher le Turbulent F-PKVU ; il ne vient pas et je fais le trajet avec ma propre voiture que je laisse sur place ; je re­viendrai la chercher le lendemain avec le Chevalier que ramènera à Ecury un autre pilote. A Branches j'apprends que ce Turbulent ne vole pas souvent ; eh bien cela va changer !

    Le F-PKVU numéro 96 a été construit par le fabricant de meubles et hélicier Régy en 1962 dans ses ateliers de région parisienne. Il porte évidemment une hélice Régy. Le constructeur manquant de loisirs l'a cédé à son ami d'Auxerre, mon vendeur. Un jour de 1984 alors que je déambule dans Saint-Denis je tombe par un complet ha­sard sur une plaque dans la rue : Société Régy. Le constructeur de la machine est là et me reçoit debout cinq minutes.

    D'Auxerre je reviens à Ecury en deux étapes d'une heure. Je goûte au vol en torpédo pour la première fois, et dès les premiers instants me jure de ne plus voler autre­ment. C'est à peu près ce que ferai. Le buste à l'air aux commandes de ce bourdon sans inertie, je nage dans une dimension nouvelle. J'ai trois bonnes heures d'auto­nomie mais le sommet arrondi du réservoir fait descendre très vite au début la jauge à flotteur. C'est inquiétant la première fois. J'atterris donc par prudence à Nogent-sur-Seine, discret et agréable petit terrain en ville abri­tant un certain nombre de CNRA dont plusieurs modèles vénérables. Un proprié­taire sans brevet viendra un temps aux commandes de son appareil à Ecury distant de soixante-dix kilomètres prendre des leçons en vue précisément d'obtenir ce brevet. Nogent trente ans plus tard disparaîtra lorsque l'état se débarrassera de ses aérodromes comme il s'est dé­barrassé de ses collèges et de ses routes en les refilant aux collecti­vités locales. Le maire de Nogent l'a interprété ainsi : « l'état nous a donné l'aéro­drome pour faire du développement » et fait du terrain un centre commercial, lais­sant un trou béant en fait d'aérodromes entre la région parisienne et Troyes.



    Essais du Turbulent

    Le F-PKVU pèse 182 kg à vide et dispose d'un Volkswagen de 1500 cm3 donnant une quarantaine de chevaux. L'envergure est 6,55 mètres, la surface alaire de 8,25 m² et la charge alaire voisine de 33 kg au mètre carré. Avec un rapport de motorisa­tion voisin de celui des machines d'aéro-club et une charge alaire moitié moindre, on devine qu'il décollera court, montera bien et virera sec. L'hélice prévue pour un Volkswagen 1200 permet au moteur de 1500 de prendre un régime plus im­portant qu'il n'est d'usage en aviation, et son pas court joint à un régime élevé dès le point fixe tire plus fort que sur tout ce que j'ai piloté ; on est en l'air en quatre-vingt mètres. La vitesse ascensionnelle frôle les 4 mètres par seconde. Je tenterai un jour une montée au plafond et atteindrai 4650 mètres/mer.

    Le F-PKVU est doté d'une verrière coulissante en goutte d'eau dont la position ou­verte ou fermée ne change rien aux diverses vitesses de croisière selon le régime. Elle est d'une qualité optique médiocre et n'est même pas utile sous la pluie, parfai­tement déviée par le galbe du pare-brise : on voit un rideau de traits de pluie enve­lopper le poste de pilotage. Le tableau de bord est récupéré d'un pla­neur des années cinquante ; il est prévu pour le vol de nuit. Je m'en apercevrai en pénétrant tard un soir dans le hangar noir pour avoir la surprise de voir phospho­rescer mes instru­ments. C'est probablement de la peinture au radium. Le tableau est complété par les instruments du moteur, dont un thermomètre d'huile à sonde à éther et un mano­mètre relié au Volkswagen par un très long capillaire de cuivre. Le thermomètre en panne, j'aurai le plaisir en 1978 de retrouver à peu près le même en matériel pour tracteur ; je parle de plaisir parce qu'on en trouve toujours à décou­vrir encore en fa­brication des systèmes qu'on croyait antédiluviens. Je ferai 386 heures de vol sur le Turbulent sans que casse jamais le cuivre entre moteur et mano­mètre malgré les vi­brations, et je m'en étonne presque car le moteur est monté a cru sans au­cun silent-bloc.

    Je n'ai jamais mesuré le centrage de l'appareil, mais on observe classiquement sur ce type le besoin pousser continuellement le manche en croisière. Les com­mandes sont d'une très grande légèreté. Quelle vitesse atteint un Turbulent ? Comme pour les autres monoplaces de ce genre c'est avant tout affaire de carénage. Les mieux fi­nis peuvent dépasser légèrement 200 km/h, m'a affirmé un Britannique dans le nid de Druine qu'est Redhill. Le mien n'a ni moteur ni train caréné ; une simple tôle est mise en forme autour du carter et laisse dehors les cylindres. Le ven­deur m'a donné 3300 tours pour régime de croisière ; la vitesse est alors 145 km/h où l'avion donne une impression de petit animal rageur ; le vacarme est épouvan­table. L'autonomie donnée par les 31 litres du réservoir vaut 2 heures 55 et la dis­tance franchissable 420 kilomètres. Pour ménager mes oreilles mais aussi dans l'idée de gagner en dis­tance franchissable je croiserai presque toujours à 3000 tours et 125 km/h. L'auto­nomie de 3 heures 20 permet ainsi de voler... 420 kilomètres. A 2800 tours on a 115 km/h et 105 km/h à 2600 tours. A 2400 tours l'avion chute à un mètre par seconde et permet ainsi de simuler un planeur pour exploiter une as­cendance ; bien entendu il ne saurait être question de transition entre deux pompes, car la polaire aux vi­tesses plus élevées en ne touchant pas à la manette devient dé­En soignant le pilo­tage en palier on atteint 160 km/h à 3600 tours et 175 à 3800. Ce régime surprenant sur Volkswagen s'explique par l'hélice à pas « trop court » pré­vue pour un 1200 ; ce moteur est prévu sur voiture pour atteindre 4500 tours. Une hélice à pas plus court freine moins le moteur ; il prend davantage de régime et donne ainsi plus de puis­sance : la vitesse de pointe augmente et non point diminue comme beaucoup le craindraient par préjugé, au motif du pas plus court. Bien entendu un moteur em­ployé normalement à pleins gaz à 2500 tours mais limité aussi à ce régime ne peut avec une hélice à pas plus court que voler moins vite. Cependant je ne pousserai la machine au-dessus de 3300 tours que brièvement et rarement.

    J'observe pour le décrochage 60 km/h indiqués moteur réduit et 45 avec tous les gaz ; l'assiette est alors impressionnante. Le chiffre 45 est toutefois douteux et même avec l'aide de la composante verticale de la traction d'hélice équivaudrait à un Cz illusoire. Cette traction aux vitesses basses est considérable ; je l'estime à près de cent kilos à en juger par les prises de vitesse. Voler tout réduit vers 80 et enfoncer la manette communique pendant quelques secondes une accélération vraiment inha­bituelle sur avion léger. Inhabituels aussi les effets moteurs qui vont avec ; la mise pleins gaz ou la réduction complète aux vitesses basses entraîne un brusque ba­layage du nez en lacet.

    Au premier atterrissage j'ai candidement réduit à fond pour pratiquer un arrondi classique. La manœuvre est très possible mais demande un peu d'exercice car l'ap­pareil déjà peu fin ne demande alors qu'à tamponner brutalement ; j'en ferai l'expé­rience désagréable. Je me poserai par la suite la plupart du temps avec un reste de puissance.

    Avec sa vitesse de pointe raisonnable et sa faible charge alaire le Turbulent offre un écart de vitesses permettant des manœuvres amusantes au décollage. Il est par exemple facile d'éblouir sans risque les spectateurs en poussant le manche pour for­cer l'avion à rouler jusqu'à cent km/h, puis en décollant soudain en une chandelle grim­pant assez haut puisque le badin peut descendre sans péril jusqu'à un chiffre assez mo­deste ; mais il serait peut-être embarrassant de voir le moteur lâcher au même instant puisque son fonctionnement influe nettement sur le décrochage. En profitant de la longueur de la piste d'Ecury pour pendre à peu près la vitesse maxi­mum à un mètre du sol, la chandelle consécutive est cette fois spectaculaire non seulement par sa hauteur, mais aussi par la cassure de la trajectoire que permet la faible charge alaire. Notre instructrice d'alors me met en garde contre ma mort prochaine en décro­chage dynamique ; elle ne perçoit pas que ma charge alaire ne me fait pas prendre en dépit des apparences plus de 2 g en début de chandelle, tandis que la vitesse per­met d'en supporter plus de quatre.

    Si le décrochage gaz réduits est d'amplitude modérée, celle-ci est presque nulle à pleine puissance où le nez retombe simplement à peu près sur l'horizon. Le décro­chage en virage ailes inclinées et bille au milieu est plus gentil encore : l'inclinaison revient d'elle-même à zéro. Dans tous les cas il n'y a aucun signe annonciateur. Je me pose ensuite la question de l'efficacité des becs fixes de bord d'attaque. Elles n'intéressent que la moitié extérieure des ailes, devant les ailerons eux-mêmes mu­nis d'une belle fente à leur bord d'attaque. Je me demande quel rôle tiennent les becs puisque selon les Turbulent je les vois construits de façon très différente : leur fente de sortie d'air sur l'extrados permet sur les uns de passer le pouce et sur d'autres une feuille de papier. Pour en avoir le cœur net je fais un vol avec les becs masqués par de la feuille de plastique autocollante. Je n'observe aucune différence même en virage symétrique. Je n'avais pas fait de virages volontaires franchement dérapés ; je tente la chose alors même que je ne m'y étais pas risqué becs dégagés. Il ne se passe rien, et j'inter­romps ces essais périlleux en considérant que je n'étais ja­mais allé aussi loin les becs dégagés !

    En reculant la verrière et en basculant la tête en arrière, il est possible de jouir d'un champ visuel entièrement vide, où rien ne paraît que le ciel et ses éventuels nuages. Les freins différentiels méritent une remarque : on peut en bloquer un à l'arrêt, mettre pleins gaz et sur l'herbe tourner indéfiniment autour de la roue freinée ser­vant de pivot.

     

    Un bon moyen pour prendre feu en vol.

    J'entends établir un record personnel de durée au moteur. Même en volant à la plus faible puissance possible je n'atteindrai peut-être pas quatre heures ; il est de sur­croît désagréable de se poser sur le dernier litre même si en pratique avec l'expé­rience de mon réservoir je finirai quelquefois par presque le faire. J'inaugure le 22 octobre 1977 un système original.

    Je remplace le bouchon métallique du réservoir par un bouchon de plastique venant d'un bidon pour essence du commerce. Outre un petit trou de mise à l'air je pratique un second trou plus large recevant un tuyau souple transparent d'un centimètre in­térieur environ. L'autre bout de ce tuyau arrive dans la cabine et porte trente centi­mètres avant son extrémité un second bouchon semblable au premier, à ceci près qu'un second trou y figure par lequel passe un court morceau de même tuyau de deux pieds de long. Je case comme il est possible six petits bidons de cinq litres dont tour à tour en vol je dévisse le bouchon normal pour le remplacer par le bouchon garni des deux tuyaux.

    Le tuyau qui se rend au réservoir plonge au fond du bidon ; le tuyau de deux pieds reste hors de l'essence et va à ma bouche. Je pressurise ainsi le bidon dont je vois dans le tube transparent passer le contenu au réservoir de l'avion. Je procède au premier transfert après une grande demi-heure de vol lorsque plus de cinq litres sont déjà consommés. Je ne sais plus si j'ai transféré tous les bidons puisque le vol ne durera en tout que quatre heures trente en un local élargi assez fastidieux.

    A ne pas imiter !



    Le journal d'un possesseur d'avion...

    Je fais à présent partie des deux ou trois cents pilotes qui en France disposent d'un monoplace léger à leur disposition ; l'ULM ne fait encore qu'apparaître sous la forme de deltas à moteurs de tronçonneuse. De ces deux à trois cents une bien mince fraction vole sérieusement et moins encore sont aux mains de jeunes gaillards à ma façon. Bref, je ne suis pas nombreux dans l'Hexagone... Plastron­nons sans complexe !

    Un peu plus d'une semaine après avoir ramené le Druine à Châlons, je goûterai aux vraies joies du possesseur d'avion en traversant d'un coup la France en diagonale, c'est-à-dire en allant trois fois plus loin que je n'avais jamais fait. Dans les jours qui précèdent j'accumulerai une dizaine d'heures dont le plus symbolique sera un aller-retour à cinquante-trois modestes kilomètres, au rassemblement du RSA de Brienne-le-Château. Je ne manque pas d'aller à l'accueil prendre ma carte du RSA, et de me gonfler du bonheur d'appartenir à cette noble association dont le but est évidemment ce que la vie humaine a de plus haut à proposer. Pourquoi moi aussi ne raisonnerais-je pas à la façon des artistes, des cavaliers, des amis des animaux, des monomaniaques de toute sorte ?

    Je découvre un jeune homme d'un âge voisin du mien qui vient de s'offrir un Turbu­lent pour quatre mille francs, la moitié du mien. Il est certes sans verrière et doté d'un moteur moindre, mais cela n'est pas tragique. Mon hélice Régy attire les com­mentaires émus d'un monsieur âgé qui s'avère être un autre hélicier connu. Je re­çois divers conseils dont un très pertinent : pourquoi mon appareil n'est-il pas équi­pé d'un starter ? En effet le Turbulent passera quatre ans à m'empoisonner par ses réticences au démarrage, ce qui en l'absence de starter n'a rien d'étonnant. N'enten­dant rien encore à la mécanique je tends à penser que si des connaisseurs ont ainsi construit l'engin, c'est qu'il y a de bonnes raisons, et qu'en conséquence la mauvaise volonté du VW n'est pas propre à ce moteur mais commune à tous ces moteurs. Cette lourde erreur me gâchera une part du plaisir tout le temps que j'aurai cet avion. Je n'ai pas non plus la moindre idée d'à quoi peut ressembler un starter, pas la moindre idée de la facilité d'en bricoler un, en sorte que je mesurerai plus tard, avec un autre VW cette fois à starter, le prix de la paresse intellectuelle et du blocage mental sur une simple broutille.

    Durant mes trois années de détention du Turbulent je souffrirai donc un grand nombre de fois pour lancer le moteur. Le plus horripilant est atteint lorsqu'un demi-cercle de quinze ou vingt promeneurs du dimanche se forme derrière le lanceur. Le mieux est alors d'abandonner et de ne revenir qu'une fois dispersés les déçus. Cet ennui ne se produit plus aujourd'hui puisque les petits aérodromes ont malheureu­sement tout à fait cessé d'être des buts de sortie. Ils sont en outre clôturés.

    Très fier de porter épinglé à ma chemise le badge du rassemblement, je suis un peu déçu de voir le vent me l'arracher au vol retour du côté du lac d'Orient. Dès les pre­miers jours de détention de l'appareil j'entreprends de changer son costume. Son orangé uniforme est décourageant ; je décide de peindre ce petit chasseur en ca­mouflé. Le mélange des tons pulvérisés à la bombe, aux bombes de brun, de vert fo­rêt et de jaune donne un résultat mat et convaincant qui me ravit. Il ravit moins le reste du club qui aurait aimé un avion bien visible en l'air, d'autant plus qu'il n'est pas grand. Je découvrirai aussi les diverses tensions que peut faire naître un avion de cette sorte lorsqu'on répond aux solliciteurs qu'on n'entend pas du tout le parta­ger. Il n'y a qu'un nombre limité d'heures disponibles avant le passage du redou­table Veritas ; et surtout, quid de la casse ? Le casser moi-même est mon affaire, mais le voir casser par un autre ? A supposer qu'il survive et me rembourse – au­jourd'hui il ferait un procès – qu'aurai-je à faire de l'argent ? Je me fiche de son ar­gent puisque j'ai donné tout celui que j'avais pour avoir l'avion, et que j'ai eu bien de la chance de le trouver aussi vite. L'emprunteur qui aura cassé la machine se retrou­vera tout simplement comme avant de l'avoir vue ; il n'en sera pas du tout de même pour moi, qui frôlerai le désespoir. Aussi, pas de prêt.

    L'appareil me coûte d'autant moins cher que le loyer est gratuit. Voici quelques mois j'ai demandé au président combien il me serait facturé. Il n'y a jamais eu d'avion privé à Ecury si loin que remonte ma mémoire. Le notable d'âge mûr bien assis qu'est le président me répond d'un geste de grand seigneur, qu'on ne songera même pas à demander quelque chose. Evidemment, on constatera plus tard sans plaisir que mes trente à quarante heures annuelles sur les machines du club sont tombées à zéro. Je n'ai pas un avion pour faire des économies mais pour voler quatre fois plus. Il s'y ajoutera la satisfaction considérable de pouvoir modifier et aménager à sa guise un CNRA.



    Premier raid

    Dès le 2 août alors que je suis propriétaire depuis dix jours j'entreprends une traver­sée du pays du nord-est au sud-ouest entre Ecury et Muret, un peu au sud de Tou­louse. Le but est d'aller rendre visite à ma grand'mère. J'arrive à Ecury tôt le matin sur le terrain désert ; une brume légère de peu de hauteur flotte encore. Les hautes et massives portes de bois du hangar une fois poussées, la bête sur l'aire goudronnée va faire ses sept cents kilomètres avant ce soir en battant tous ses records comme ceux de son cavalier. Je découvre le singulier privilège d'être de toute une ville le seul homme à disposer des dizaines d'hectares mis à sa seule disposition pour qu'il s'envole à l'autre bout de la France. La première escale sera Montargis distant de 160 kilomètres, franchis en une heure quinze.

    J'inaugure la façon de naviguer qui sera presque la seule des 386 heures que je ferai sur le Turbulent : suivre les routes. Il faut dire que je le faisais déjà lorsque je m'éloi­gnais d'Ecury sur un CdN de club. Je ne me perdrai jamais, ce qui veut dire que toute la ruineuse école de navigation au cap et à la montre faite en second degré me sera complètement inutile. Pour mieux suivre la route de Châlons à Sézanne je reste assez bas au niveau des petits cumulus épars dans l'air encore humide de ces pre­mières heures. La suite contourne Nogent et Sens ; je reconnais au passage une foule de repères auparavant vus seulement de la route, lorsque je parcourais le même itinéraire à cyclomoteur précisément à même destination – mais en trois jours.

    Ravitaillé à Montargis je repars pour le Blanc que j'atteindrai peu après midi. Ce vol de 192 kilomètres est l'un des plus beaux dont je garde le souvenir. Toujours suivant les routes j'arrive sur la Loire à Châteauneuf. Le temps est clair et le fleuve majes­tueux, mais quelquefois le ciel sera plus couvert. En une autre arrivée une autre fois sur la Loire je volerai à moins de deux cents mètres en vue du sol à la verticale, mais au-dessus de minuscules cumulus très bas assez denses pour faire un tapis hermé­tique à la vue dès que le regard devient oblique. Dans un monde floconneux et blanc ainsi visuellement isolé de la planète, ce seront les tours de refroidissement de la centrale de Dampierre qui permettront la navigation. Je suis partisan du nu­cléaire qui permet de se situer aisément par temps clair dans un rayon de cinquante kilo­mètres.

    A partir de Châteauneuf il faut bientôt quitter le fleuve pour contourner par le sud la CTR d'Orléans, passant au sud d'Olivet et retrouvant plus loin la Loire entre Meung et Beaugency. Débutent environ quatre-vingt kilomètres de Loire jusqu'à Amboise où je virerai au sud. C'est un paradis. Les coudes sur les bordés de cabine je des­cends le fleuve à vingt mètres au-dessus de l'eau et des bancs de sable, dans une paix que nul imbécile à cette époque n'aurait l'idée de dénoncer. Voici des campeurs sur la rive : les enfants qui m'ont vu arriver courent sur un banc de sable pour être sous l'avion lorsqu'il passera. C'est à peine si pour éviter de passer en plein milieu de Blois je dévierai un peu du cours d'eau. Je suis plus loin de mon point de départ que jamais en avion ; le paysage est large et somptueux ; l'image s'en fige à jamais. Arrive le château d'Amboise et sa grosse tour des conjurés pendus ; puis sitôt la ville passée il convient de piquer au sud à travers les terres en direction de Loches puis du Blanc. Immédiatement je fais la découverte d'une curiosité, d'une chinoiserie pointue dans un parc à la française : la pagode de Chanteloup bâtie dans sa proprié­té par Choiseul. Quelques minutes après le chemin coupe le Cher. A cinq kilomètres peut-être au loin sur ma gauche se devine un pont d'apparence curieuse. Pour mieux le voir je file dessus en demi-piqué ; à mi-chemin je rayonne de joie : c'est Chenonceau dont je dois l'aveu que je n'aurais pas su le placer correctement alors sur une carte.

    La route devient plus monotone, passant près des étangs de la Brenne. Le Blanc ar­rive après deux heures cinq de vol ; il y règne une activité parachutiste importante. Une fois ravitaillé je fais le tour des hangars avant de repartir, puisque l'un des avantages culturels des nombreuses virées vers de nombreux terrains sera précisé­ment de faire bien des rencontres d'aéronefs hors de l'ordinaire. Or voici dans un coin une chose curieuse : un tronçon arrière de fuselage métallique, tout ce qui suit la cabine ; mais il n'y a rien de la cabine tandis que le tronçon ne porte trace d'arra­chement. Il semble tout à fait autonome. Un peu plus loin, une paire d'ailes hautes posées contre un mur. Puisant dans ma culture aéronautique je n'y trouve qu'une seule explication. Je m'attends donc à trouver dans les parages une Vespa 400 re­carrossée. Bingo ! La voilà...

    Je suis donc en présence du prototype en CNRA « Autoplane » d'un certain M. Le­bouder. La presse aéronautique a présenté abondamment ce combiné avion/voiture dont il suffit à l'escale de détacher queue et ailes pour prendre la route à volonté. La cabine de l'avion est une voiturette largement revue, dotée de roues capables d'éle­ver le véhicule terrestre pour donner la garde au sol voulue à l'hélice du moteur de cent chevaux logé dans le coffre avant. Ainsi l'Autoplane de passage au Blanc y a-t-il connu un atterrissage difficile ayant causé l'impossibilité d'en repartir.

    L'après-midi commence avec la troisième étape qui me conduira en une heure qua­rante à Périgueux-Bassillac distant de 158 kilomètres. La première petite ville de quelque importance sur la route est la Trimouille. Plus loin on passe Saint-Junien ; on suit en somme l'itinéraire bis routier de Paris à Toulouse en évitant la zone de l'aéroport de Limoges. Saint-Junien est précédé par une barre de collines perpendi­culaires à ma route. Elles sont peu élevées mais je commence à ressentir la fatigue, en sorte que l'avion aussi me paraît essoufflé et que la barre de collines me fait l'effet d'une cordillère. Au sud de Saint-Junien je compte rejoindre à Châlus la route de Li­moges à Périgueux, qui avant cette dernière ville me déposera à Bassillac.

    Pour une fois j'ai là trente kilomètres à faire au cap et à la montre, car rien dans ce mauvais passage ne va droit ; ce n'est qu'un lacis presque inextricable de petites routes d'ailleurs souvent masquées par les bois. On dira que c'est peu ; mais si je manque Châlus je suis tout à fait perdu car je n'identifierai probablement pas la route de Limoges à Périgueux interceptée ailleurs. Si je crois l'identifier je n'en serai pas assuré avant longtemps. En un mot le décor devient inhospitalier, car se perdre avec le Turbulent est la dernière chose que j'envisage. Aller à l'aventure et tournico­ter en espérant se retrouver lorsqu'on n'a que peu de temps de vol, à vitesse d'escar­got de surcroît, est à éviter absolument.

    Au début tout va bien. Il faut cependant après Saint-Junien peu de kilomètres pour que le lacis et les bois qui le cachent me fassent perdre toute certitude quant aux routes que j'essaie de suivre. J'ai pourtant remplacé ici par nécessité la carte aéro­nautique au 1/500 000 par la Michelin au 1/200 000. Par chance en plein milieu du chemin trône au milieu du paysage moutonné le long étang de la Pouge. Une fois à sa verticale je tâche en faisant des ronds de tenir le manche entre les genoux tandis que sur la carte Michelin je passe, sous le soleil qui frappe assez dur, de longues mi­nutes à examiner le décor pour ne continuer mon chemin qu'une fois vraiment cer­tain de ne pas m'égarer fâcheusement. Oui, décidément l'apparition du GPS vingt ans plus tard ap­paraîtra comme une bénédiction.

    Une fois à Châlus la suite est facile et Bassillac vient sans peine. J'y roule jusqu'au bout de la piste en herbe où sept ans plus tôt je passais mes journées à attendre le Bijave. Le même instructeur est toujours là ; je peux aller le saluer assis dans son bi­place attendant le remorqueur. Au cours de ce vol j'ai passé mes cent heures de solo, planeur inclus. Une quatrième et dernière étape me portera à Muret en deux heures dix pour 197 kilomètres. La journée tire à sa fin ; à Muret j'aurai la chance de tom­ber sur un pilote assez aimable pour me conduire en voiture à ma destination, Car­bonne à vingt kilomètres de là. Total de la journée : 702 kilomètres en sept heures dix.

    Une semaine plus tard je retourne à Châlons par un autre chemin. La première étape va vers Graulhet où je passe deux jours dans ma famille en villégiature. Graul­het n'est qu'à soixante-dix kilomètres mais je mets une heure vingt-cinq puisque de Muret je commence par aller en direction inverse voir d'en l'air Carbonne dans sa boucle de la Garonne.

    Ayant assisté au redécollage de Graulhet, mon grand'père qui a fait Verdun, - puisque les jeunes gens de mon âge ont tous un grand'père qui a fait Verdun - dé­crète que pouvoir s'envoler ainsi à sa guise doit évidemment conférer une tout autre mentali­té. Bien vu !

    Je rentre à Châlons dans la journée avec escales à Issoire, Brioude et Cosne, 653 ki­lomètres en huit heures trente-cinq. Je ne m'avise pour ainsi dire pas de l'escalade des progressive premières pentes du Massif central, si bien que d'un coup à cent mètres au-dessus de hauts-plateaux semi-déserts je constate presque avec surprise voler à mille mètres. L'escale à Brioude vingt kilomètres après n'est pas nécessaire ; elle n'a d'autre but que de visiter un terrain de plus et surtout d'en inscrire un sur mon carnet, ainsi que d'enrichir sa collection de tampons : on qualifie parfois les avions comme le mien de « jouets » ; alors tant qu'à jouer...

    A Cosne l'instructeur d'âge mûr se répand en regrets de ne pas disposer d'un de ces petits appareils comme le mien, qu'il dit adorer. Me voilà donc élevé à une position enviée par un vieux chef-pilote ! Les deux cents kilomètres qui me séparent de Châ­lons sont faits en trois heures quinze : il y a sur la fin au moins une heure de local autour d'Ecury fait par un pilote qui ne peut se résoudre à clore son périple autour du pays, et se résigne à atterrir lorsque la butée au sommet de la tige de sa jauge d'essence à flotteur commence à donner des coups sur le trou du bouchon de réser­voir.



    Journal d'un possesseur d'avion, suite

    J'ai acquis le Turbulent un peu moins d'un an avant la date de la visite Véritas sui­vante ; il restait à peu près cent quatre-vingt des deux cents heures allouées sur les deux années entre visites. Je vais passer dix mois à voler à tire-larigot pour bien épuiser l'allocation jusqu'à sa dernière minute. Je ferai ce mois d'août un passage à Prunay, histoire de montrer sans le dire que je n'ai désormais plus rien à faire du vol à voile que j'y pratiquais au rabais. Au retour, réduisant le moteur de façon qu'il donne un mètre par seconde de taux de chute, je fais deux heures et demie de vol à voile. Début septembre je parcours en trois heures entre ses coteaux la vallée de la Marne que j'ai déjà faite dix fois à cyclomoteur. Je pousse jusque après Meaux, jus­qu'à deviner proche le terrain de Chelles ; on ne peut sans radio approcher Paris davantage. Plus loin, c'est pour le provincial sans ra­dio le mystère de la région parisienne avec sa densité d'avions gros et petits, lents et rapides, avec ses quatre ou cinq aéro-clubs par terrain, avec toute une atmosphère particulière que je rencontrerai malgré moi quelques années plus tard. Le lende­main presque à l'aube je pars à Strasbourg au Polygone non pour y sauter à nouveau mais pour y entamer une qualification de remorqueur : elle y coûte un prix symbo­lique et ma foi, je ne refuserai pas de m'en servir pour voler à Prunay... dans un avion. A vrai dire c'est aussi pour le plaisir d'avoir un coup de tampon de plus, car à Prunay quinze remorqueurs se partagent déjà l'avion. Je ferai tôt encore escale sur le petit terrain de Neufchâteau, très franchement au sud de la route directe. La raison en et que la Lorraine est sur la carte un incroyable guêpier de zones, en ce temps une ex­ception comme la région parisienne ou la Côte d'Azur. Je n'ai pas envie de m'en­nuyer à déchiffrer tout cela ; je contournerai le guêpier rien que pour dire que je boycotte les portions d'espace aé­rien qu'on a pourries. Depuis Châlons je remonte donc la vallée de la Marne jusqu'à Joinville où j'emprunte celle de son affluent le Rognon. Avant Bourdon-sur-Rognon (n'est-ce pas charmant ?) je vire à l'est à Andelot pour emprunter jusqu'à Neufchâteau trente kilomètres d'une vallée de route et chemin de fer sans cours d'eau, sous un ciel plombé dans un air mouillé. D'une façon générale je suis au paradis lorsque je progresse vers un but inconnu dans une vallée sous un ciel plombé dans un air mouillé. Le sol monte puisque les Vosges approchent. Après Neufchâteau j'éviterai le reste des Vosges en remontant haut vers Saverne par les voies ferrées.

    A Strasbourg le remorqueur n'est malheureusement pas disponible pour l'école ; de plus le tarif a été sérieusement relevé. Tant pis ! Je serai probablement mieux à terme dans monoplace qu'à tirer un planeur par-ci, par-là. Je rentre à Châlons avec à Sarrebourg une escale de précaution pour l'autonomie. Je traverse donc en plein le guêpier réel ou supposé des zones lorraines ; elle sont militaires ; c'est parfait ; j'en perce donc les cinquante kilomètres en vol tactique au ras des arbres. Voilà une fin de semaine qui frôle les dix heures de vol.

    Deux ou trois mois après l'achat de l'avion je ne manque pas de tripoter la méca­nique pour des motifs pas nécessairement valables et me retrouve avec dix pour cent de consommation en plus. Je ne parviendrai jamais à les perdre et verrai l'auto­nomie à 125 km/h définitivement tomber de trois heures vingt à trois heures nettes ; c'est quarante bons kilomètres en moins.

    Début octobre une longue excursion me conduit en Côte-d'Or où le mauvais temps se referme de presque tout côté. Il faut dire qu'en plus de quarante ans j'ai dû de­mander une ou deux fois la météo. Il reste une direction dégagée dont j'ignore où elle va. Voilà ce que c'est de voyager aux limites de sa carte sans avoir la carte conti­guë, car à trois ou quatre centimètres de moi au 1/500 000 se trouve l'aérodrome de Dijon-Val Suzon dont évidemment j'ignore la présence. Au lieu donc d'y aller trou­ver la sécuri­té, je remonte au nord pour finir par devoir absolument atterrir en cam­pagne dans une dernière clairière de temps passable perdue dans une circonférence entière­ment barrée. Je fais un passage pas sur un champ qui semble atterrissable, puis m'y pose sous la pluie battante. Je reste à l'abri de ma verrière ; un automobi­liste passe et me mène au café proche. Je suis au village de Puits, à une vingtaine de kilomètres au sud ouest de Châtillon-sur-Seine. J'y fais sourire en demandant une limonade, après quoi je trouverai à être conduit dans un hôtel de Coulmier-le-Sec. J'ai vrai­ment réussi à tomber au milieu d'une région... préservée des foules. La gendar­merie le lendemain matin me ramasse à l'hôtel pour retour au terrain ; le chef de district averti exige qu'un pilote professionnel en épandage agricole au travail dans le voisinage vienne tâter mon champ avant que je sois autorisé à en redécoller.

    Aucune autorisation de ce genre ne serait plus aujourd'hui donnée à un pilote privé. Tout va assez vite et se règle dans la matinée. Le pilote professionnel est si petit qu'il n'atteint pas correctement les palonniers du Turbulent, un appareil pourtant assez étriqué. Il renonce pour cette raison à rouler au long du champ pour juger de ce qu'il vaut, fait un tout petit tour sans s'éloigner et donne son feu vert au chef de district. Les gendarmes reviennent superviser l'envol vers midi, mais je dois me poser d'abord à dix minutes de là à Châtillon. Le décollage s'accompagne de la perte d'un chandail rangé dans le coffre derrière mes épaules ; le vent relatif à mon insu l'ex­tirpe de l'avion. Les gendarmes courent après et trois semaines après leurs collègues frappent à ma porte à Châlons pour le restituer.

    Châtillon est un agréable terrain carré de quatre cents mètres de côté sans piste dé­finie, c'est-à-dire un champ d'aviation. Je suis de retour à mon domicile à trois heures et demie de l'après-midi et me dispenserais volontiers en ce lundi de retour­ner au travail pour une heure. Puis je songe à la parabole des ouvriers de la onzième heure. Mon chef de service la connaît-il ? Si oui ma journée ne me sera pas déduite pourvu que je me montre. Je me montre donc ; le chef prévenu depuis le matin m'accueille de façon imprévue, en se tordant de rire. Ma fiche de paie du mois ne sera pas atteinte.

    Je finis l'année avec surtout des vols parfois très longs et lointains mais sans escale, après quoi en janvier 1978 j'exécute au-dessus de la campagne enneigée un triangle Châlons-Châtillon-Nangis-Châlons avec passage fortuit près de la tour César de Provins. A partir d'avril je me lance dans des expéditions plus lointaines. Fin mai le CNRA sera à renouveler ; je prévois un certain volume de travaux qui m'immobilise­ront un bout de temps ; du premier avril au 13 mai je mène une activité de voyages frénétique pour un total de soixante-cinq heures.

    Premier avril : Châlons-Sens, Sens-Blois, Blois-Saumur, 382 kilomètres. Présence à Blois d'un petit musée en plein air, dont un A-26. J'ai atterri sur une longue piste en dur, mais au lieu de la rejoindre pour repartir je me borne à mettre les gaz sur la bretelle qui la rejoint à la perpendiculaire. Ce sont de menues libertés que l'on prend lorsqu'on est assuré de la vacuité des lieux. Avant de me poser à Saumur je prends le temps à deux kilomètres au nord-est de la ville d'aller tourner au-dessus du manoir de Launay, le château favori du roi René d'Anjou et de Provence au XVè siècle. Il faut dire qu'à mes onze ans mes parents avaient loué tout le mois d'août cet édifice qui n'est plus un château fort et pas encore une demeure de la Renais­sance, mais qui tient des deux. C'est un souvenir d'enfance qui ne s'oublie pas. Il est des choses qu'on croirait faites pour n'être vues que du ciel ; ainsi cette grande fleur de lys tracée à la tondeuse dans l'herbe de la pelouse en forme d'écu dans la cour d'honneur. Je prends deux ou trois Polaroïd puisque je n'ai jamais possédé d'autre appareil photographique avant d'avoir un jour un électronique. Trente-six années encore et cinquante ans après mon séjour d'été j'irai par la route revoir ce manoir où, seul visiteur, je passerai près de trois heures à discuter aviation avec le proprié­taire qui est en retraite de sa carrière de pilote de chasse, de ligne et d'essai.

    Posé sur la piste en dur un peu fatiguée de Saumur, je constate au bureau de piste qu'il y a une taxe d'atterrissage. Je remets en route précipitamment et reprends les airs avant qu'on ait songé à me la demander. On a compris que le principe l'emporte sur le montant de la ponction. La distance parcourue de 759 kilomètres dans la journée l'emporte sur la longueur du raid Châlons-Muret.

    Deux avril : après une telle expédition de près de neuf heures, le lendemain di­manche demande un peu de repos. Je fais un simple triangle de peu d'amplitude entre Châlons, Romilly et Plivot. J'ai tout le temps aux escales de m'étendre dans l'herbe au soleil sur ces terrains en herbe peu fréquentés. Deux heures et demie en l'air pour cent quarante-cinq kilomètres à tournicoter au-dessus d'une belle plaine de la France printanière ensoleillée ; c'est un humble dimanche après-midi.

    8 avril : Châlons-Val Suzon-Châtillon-Juvancourt-Châlons. Eloignement modéré de cent soixante-dix kilomètres seulement en allant à Dijon ; un pilote ne saurait igno­rer l'aérodrome où naissent les Robin. Il est assez banal mais son nom char­mant de Val Suzon vaut le voyage a lui seul, évoquant à la fois la guinguette et la meule de foin. Pour une fois je n'ai pas besoin d'acheter de l'essence d'aviation puis­qu'il y a une station routière au bout de la piste. La lame souple de la roulette de queue est fatiguée depuis longtemps ; la voilà tout à fait flasque, tandis que la rou­lette se rap­proche beaucoup du gouvernail. Le mécanicien du club m'en refait gra­cieusement une autre avec ses rabiots. La nouvelle lame est un peu haute ; le Turbu­lent prend des airs de tricycle ; le seul inconvénient en sera simplement une dis­tance de décol­lage accrue. Il y a là aussi un brave travailleur qui ne pilote assuré­ment pas, mais remplit je ne sais plus quelle fonction autre. Il me fait une sorte de leçon. Il est cho­qué de voir un jeune gaillard consumer son salaire en futiles excursions aériennes au lieu d'être comme lui responsable, sobre, chiche et nourrisseur de ses dix en­fants. Il n'y a rien à répliquer...

    Je rentre par Châtillon et Juvancourt. Juvancourt est un terrain comme je les aime, bien isolé, bien désert, bien inactif, trouée parmi des hauteurs boisées en surplomb de la vallée de la Marne encore jeune. J'ai l'impression d'atterrir clandestinement en pleine nature. J'aperçois toutefois un avion sous un hangar ouvert, mais je ne vois personne. C'est fantomatique. On me contera plus tard, mais j'ignore si c'est vrai ou si c'est une invention, que le chef de district faisant un jour un passage bas sur cette piste perdue verra l'avion et s'en étonnera puisqu'il n'en connaissait pas l'existence. Oui, c'est bien fantomatique... !

    9 avril : Châlons-Arras et retour, 193 kilomètres aller et quatre heures vingt. Par une visibilité parfaite je décide de renouer avec la navigation en ligne droite. En cas d'égarement j'ai sur la route en plus de la visibilité quelques bons repères : Laon sur sa butte, les villes de Saint-Quentin et d'Arras visibles de loin par ce temps CAVU. Il y a même quelque part entre Reims et Laon une antenne de quelques hectomètres de haut que je n'ai pas vue avant de m'apercevoir n'être pas passé très loin de ses haubans. Navigation en ligne droite ne signifie pas du tout cap, montre et calcul de dérive, mais cap tout court. La méthode classique avec intégration de dérive étant par définition aléatoire même si elle est académique, je réinvente l'eau chaude en procédant d'une façon naturellement trop bête pour m'avoir été enseignée : prendre le cap sans se soucier du vent, choisir à l'horizon un repère face au capot, aller droit dessus sans se soucier de l'angle de dérive qui se prend automatiquement en cas de vent la­téral, puis recommencer une fois qu'on survole le repère. La méthode n'est pas utilisable par les minima VFR, mais devient excellente avec vingt kilomètres de visibilité. J'ar­rive à Arras avec deux kilomètres d'erreur latérale, ce qui revient à dire zéro puisque deux kilomètres sont inférieurs à la distance à laquelle l'aérodrome se voit parfaite­ment.

    Le vol frôle les aérodromes de Berry-au-Bac près de Reims, de Athies et Couvron près de Laon, puis passe encore en vue de Saint-Simon-Clastres près de Saint-Quen­tin. Il y a les stations fantômes du métro ; il y a les aérodromes fantômes en avia­tion. On passe devant ces terrains désaffectés de l'OTAN en considérant leurs pistes immenses et leurs marguerites d'alvéoles pour chasseurs en les imaginant bourdonnants des mouvements de F-84, 100 et 101 si communs quinze ans plus tôt. Chose étrange, aucune terreur des accidents ne restreignait les vols d'aviation légère qui devinrent de plus en plus réglementés à basse hauteur tandis que les chasseurs se faisaient de moins en moins nombreux. Il n'est pas désagréable de profiter de la présence de ces reliques aéronautiques pour descendre en enfiler les pistes à moins d'une envergure du béton. On effectue au bout une ressource pleine d'une double joie, celle d'avoir fait du rase-mottes et celle d'avoir entretenu « quelque chose ».

    15 avril : Lille en direct et retour avec escales à Lens et Rethel, 447 kilomètres en quatre heures quinze. Ce retour à Bondues me vaut le premier et unique contrôle de ma licence. En pensant être à l'aéroclub j'entre à Lens dans la salle des parachu­tistes. Le pilote du petit engin sportif dès qu'il a passé le seuil est accueilli par une sympathique ovation, qui s'amplifie lorsqu'il ne manque pas de préciser en retour être aussi breveté Fédéral 6 en para.

    16 avril : trois heures cinq minutes de vol à voile en local avec le moteur réduit comme d'habitude à ce qu'il faut pour laisser un taux de chute d'un mètre par se­conde.

    22 avril : Châlons – Nancy-Azelot – Epinal – Saint-Florentin – Joigny - Châlons, 541 kilomètres en sept heures quinze. Rien de remarquable si ce n'est le souvenir entre Saint-Florentin et Troyes d'une visibilité comme j'en ai peu vue, qui trans­forme le paysage en une carte de géographie presque irréelle. Les deux cents kilo­mètres entre Epinal et Saint-Florentin manquent sérieusement de repères et sont exécutés en suivant les chemins de fer. L'avantage d'un avion lent est de se croire au bout du monde à peu de frais.

    J'atterris à Joigny sur l'ancien terrain, celui dont la piste proche de la ville est prise dans une boucle de l'Yonne, ceinte à distance pas trop grande de saules et de peu­pliers, puis plus loin de collines ; l'ensemble fait l'effet de se poser dans un recoin de nature à moitié secret. J'exprime aux personnes présentes le ravissement que me procure le plus joli terrain où j'ai jamais mis mes roues. C'est pour entendre un concert de lamentations : le ville va expulser l'aéro-club vers les collines à distance et installer ici une base de loisirs nautiques. Evidemment ! La pure logique reprend le dessus lorsque la plèbe se met à prétendre à des ambitions de loisirs à sa mesure. Je vais au hangar vérifier une intuition : je veux croire que le Joigny est encore à Joi­gny, et que même en situation R depuis longtemps on conserve cette perle. Vers la fin des années cinquante un industriel de Joigny construisit un prototype resté unique, un triplace bijou de finesse doté de cent cinquante chevaux dont la presse aéronautique fit grand cas en le baptisant « Ferrari de l'air ». Eh bien, avant même de pénétrer sous le hangar j'avise à distance le Joigny qui stationne au fond. C'est une émotion simple. Hélas le Joigny remis plus tard en état de vol périra par colli­sion avec le sol, comme disent les compte-rendus d'accident.

    23 avril : retour à Bourges après six ans d'absence. Je me poserai en chemin à Aubi­gny-sur-Nère que je ne connais pas encore mais que le Turbulent, lui, connaît. Aubi­gny figure en effet parmi le nombre limité d'aérodromes que le précédent propriét­aire a rejoints un jour. Un flot de souvenirs en cinq heures quinze et 511 kilo­mètres.

    29 et 30 avril : aller-retour Orléans-Saint-Denis-de-l'Hôtel et Laon ; premier mai : triangle Châlons-Sézanne-Romilly ; 4 mai : Châlons-Haguenau-Sarrebourg-Châ­lons.

    6 mai : une belle journée avec cinq nouveaux terrains à son actif. Trajet : Dijon-Nuits-Saint-Georges-Beaune-Pouilly-Semur-en-Auxoix-Bar-sur-Seine et retour ; 440 kilomètres en quatre heures quarante.

    Un saut de puce d'un quart d'heure entre Dijon et Nuits-Saint-Georges où est à voir un curieux prototype en CNRA, biplace décalé, biplan de faible corde au fuselage en­tièrement clos entre les plans. Second saut de puce plus court encore vers Beaune. La toiture en tuiles multicolores vernissées des hospices, un des hauts lieux de la Grande Va­drouille, est une merveille ; on croirait la peau d'écailles d'un reptile géant. Il se pro­duit une chose curieuse au-dessus des faubourgs de Beaune. Je com­mence à dispo­ser d'un sixième sens, celui du repérage même au loin des aéro­dromes les plus dis­crets. Or j'éprouve ici l'impression nette de survoler un aéro­drome ; il n'y a pourtant là qu'un quartier banal, et plus précisément des terrains de jeux de ballon. Je re­chercherai plus tard l'emplacement de l'aérodrome ancien de Beaune, celui où na­quirent les Jodel. Il était bien là ! Je crois avoir vu des traces ar­chéologiques, des marques encore visibles telles que des traces d'équerres d'angle de piste. Après quoi je me pose un peu plus loin sur l'impersonnelle piste en dur du nouveau terrain.

    Court vol suivant jusqu'à Pouilly, dont je garde peu de souvenir si ce n'est qu'il était tout à fait vide et que j'aime la sensation de me poser libre comme l'air en pleine campagne lorsque le terrain est vide. Encore un vol bref et posé à Semur-en-Auxois. Comme beaucoup de terrains proches de toutes petites villes, celui-ci encore est dé­sert. La piste en dur est courte et rougeâtre, un ton inhabituel ; elle est comme en­castrée entre les herbes hautes non coupées. Le club est vide mais ouvert. Le re­gistre des passages est là ; j'y jette un œil curieux. Je ne suis pas déçu.

    Le registre est ouvert depuis 1936 ou 37 ; je ne sais plus exactement. Il n'y a malheu­reusement qu'une page de ce temps lointain ; les suivantes manquent et les pas­sages notés reprennent aux années soixante. J'examine la page d'avant-guerre. L'une des lignes mentionne un Caudron Rafale ; provenance : Guyancourt ; pilote : Détroyat. J'ai du moins compris pourquoi cette feuille est resté.

    Escale suivante à Bar-sur-Seine, encore un terrain désertique.

    13 mai : quatre nouveaux aérodromes, 677 kilomètres en six heures dix. Trajet : Châlons-Joinville-Til-Châtel-Dijon-Bourg-en-Bresse-Chalon-Chaumont-Châlons.

    Joinville et Til sont déserts. Bourg met encore en valeur mon sixième sens pour la détection des aérodromes invisibles. Arrivé théoriquement dans ses parages je le cherche vainement des yeux lorsque j'aperçois très loin un bâtiment qui à cette dis­tance ne diffère guère des autres répartis ça et là, et qui vu de cette distance pourrait tout aussi bien être agricole. Je mets le cap dessus. La moitié du chemin faite, je de­vine une manche à air. Je m'applaudis. C'est encore une piste campagnarde déserte.

    A regarder la carte aujourd'hui, je me demande si je ne confonds pas de mémoire Bourg et Tournus. Je suis allé à Bourg ; la chose est sûre. En revanche j'ai dû prendre le terrain de Tournus comme repère entre Dijon et Bourg, et mes re­marques sur l'aérodrome de Bourg si habilement flairé doivent plutôt concerner ce­lui de Tournus beaucoup plus isolé.

    Escale suivante à Chalon. Pour une participation financière modique je fais vingt ou vingt-cinq minutes de Stampe. Je n'ai jamais mis les pieds dans cet avion « my­thique » ; je saisis l'occa­sion puisqu'un pilote est disponible. Constatation : les cent quarante chevaux du moteur font l'effet d'être cinquante de moins en montée. Vu la hauteur perdue en­suite en quelques figures, le voltigeur doit mettre un temps dé­courageant à remon­ter. Mais enfin j'ai fait de l'avion mythique. Dernière escale à Chaumont où j'arrive en même temps qu'un orage, son eau et ses bourrasques. Les 27 et 28 mai j'épuise le potentiel entre visite par deux vols sans atterrissage exté­rieur, de trois heures qua­rante et trois heures dix. L'avion est désormais en si­tuation R et va le rester sept mois.

    Au lieu d'appeler Veritas voir un appareil qui en vérité ne demande aucun travail particulier, je suis pris de diverses angoisses inutiles. La toile d'origine en coton se­ra-t-elle sous le poinçon bonne encore ? Le contraire serait un désastre. Il n'est jus­qu'aux flancs du fuselage dont le contre-plaqué m'inquiète. Il n'a rien du tout, mais l'âge l'a fendillé partout en surface car il n'est pas marouflé ; rien n'est plus usuel, mais... C'est pourtant le moteur qui m'inquiète. Il est parfait à part les dix pour cent de surconsommation depuis que j'y ai touché, mais cela ne concerne pas Veritas. Il présente en revanche une originalité douteuse. La carter d'origine était de mauvaise qualité de fonderie ; les points les plus faibles par dessous ont été dès la construc­tion de l'avion percés et les trous refermés par des rustines en boulon et rondelles. Elles n'ont jamais fui si bien que l'expert Veritas officiant à Auxerre n'a jamais refu­sé sa signature ; mais celui de ma région ? Le mécanicien du club avec ses re­marques acerbes me fait froid dans le dos. Il est tellement aimable qu'il m'informe avec un air de dureté satisfaite comment passant pour d'autres avions, Veritas a re­gardé mon appareil en mon absence pour déclarer que de telles choses ne passe­raient certainement pas en CdN. Sur un CdN, je m'en serais douté ; mais comment malgré tout ne pas me faire du souci ?

    Il se trouve qu'un appelé d'une des casernes châlonnaises est un mécanicien agricole ayant vu le Turbulent et décidé de passer du temps à carrément changer ce moteur ainsi qu'à en avionner un autre. Un vrai miracle nous fait trouver un autre VW 1500 dans une casse de Châlons. C'est un miracle car cette cylindrée est rare et ne se trou­ver apparemment que sur la rare voiture Volkswagen à deux coffres qui fut peu pro­duite dans les années soixante. C'est d'ailleurs un miracle sans intérêt puis­qu'une autre cylindrée ferait aussi l'affaire en s'avionnant avec les mêmes pièces et se mon­tant sur le fuselage par les mêmes trous. Cependant je n'en sais rien et mes connais­sances alors sont minces. C'est à peine si depuis un an j'ai appris à régler des culbu­teurs, et pour tout dire c'est en le faisant que j'ai découvert culbuteurs comme tiges qui les poussent. Si je connaissais depuis l'âge de dix ans le principe du moteur à quatre temps, je n'avais aucune idée pratique de sa construction.

    Veritas passe en décembre, se couche sous l'avion pour en ouvrir les diverses trappes de visite et regarder longuement les timoneries que je n'ai touchées absolu­ment en rien. Il est satisfait de voir un carter propre et non plus rafistolé, puis fait tirer l'avion dehors et s'y assied pour essayer le moteur. C'est une catastrophe. Si la mécanique m'avait depuis un an empoisonné au démarrage, jamais elle n'avait montré autant de réticence. Veritas finit par abandonner la partie, non sans avoir fait remarquer les deux ou trois retours violents qui avaient manqué me frapper du­rement la main. Faudra-t-il dans quelque temps payer une seconde visite ?...

    L'expert se bornera à prier le mécanicien déplaisant de régler mon allumage, après quoi je n'aurai qu'à me déranger à son bureau à Reims pour finir les papiers. Ma foi, je sais régler l'avance ; je diminue simplement l'excès mis avant le passage de l'expert et qui était cause des retours ayant fait si mauvais effet. Le mécano se borne à mettre d'un air autoritaire les bons fils de la magnéto dans les bons trous de bou­gie. Celles-ci remontées, impossible de démarrer ! Il s'avère que le mécanicien si sé­vère et strict avait placé les quatre étincelles face aux quatre points morts hauts d'échappement. Je m'abstiens de le lui faire savoir.

    Apporter mes papiers à l'expert moi-même ? Humm... Je préfère la ruse psycholo­gique et y envoie mon père, professeur de près de cinquante ans auquel l'expert sera plus embarrassé de faire des histoires qu'au gamin maladroit que je suis. Le procédé fonctionne parfaitement ; me voilà avec deux ans de potentiel. Ouf.

    Si j'ai la satisfaction maintenant d'avoir un carter sans rafistolage, j'hérite de bien pires ennuis. Autour de la pièce porte-hélice l'huile ne cessera jamais de suinter en quantité appréciable, salopant le pare-brise, le fuselage, et faisant en peu d'heures tomber le niveau sous le minimum. Je passerai deux ans avec ce moteur pisseux qui gâche considérablement le plaisir. L'étanchéité à l'huile du carter autour de la pièce porte-hélice n'est pas assurée par un joint mais par un système de centrifugation qu'assure une grosse rondelle spéciale ; de cela je n'ai pas la moindre connaissance. Aussi est-il possible que tout simplement cette rondelle ait été remonté de façon dé­fectueuse ou même pas du tout. Allez savoir. Je ne revolerai que le 13 janvier 1979.

    Je vole le second semestre de l'année 1978 à nouveau sur les avions de l'aéroclub, dont plusieurs heures en baptêmes. Au premier semestre de 1979 je travaille à Arras mais le Turbulent reste à Châlons. Il ne volera sur tout ce temps qu'une demi-dou­zaine de fins de semaine. Parti d'Arras en voiture je fais par exemple un aller-retour Châlons-Arras en Turbulent avant de rentrer en voiture à Arras. Lors d'un vol à Se­dan je ren­contre un constructeur amateur ayant eu la surprise, après avoir piqué un peu bas sur un piéton en rase-campagne, d'apprendre plus tard – sans frais – qu'il s'agissait du chef de district. J'envisage de m'inscrire temporairement à l'aéro-club d'Arras, mais y renonce en apprenant que la responsabilité financière du pilote y est totale en cas de casse. Je n'en ai pas les moyens. J'adhère en revanche au centre de parachutisme de Lens où je suis étonné en relisant mon carnet de voir n'y avoir fait que quatre sauts. Le second à 2500 mètres fut le second de mes trois sauts de travail relatif, tous dans le rôle de flotteur. Je me souviens du premier à Strasbourg trois ans plus tôt et du reproche d'avoir été difficile à rejoindre ; le débutant recule tou­jours, glisse en arrière parce qu'il cherche à mieux voir arriver celui qui vient à lui. Taisant cette expérience je prétends ne rien savoir du tout du relatif et prends garde à rester épaules et tête plus basses. Je suis donc facile à approcher et reçois au sol des félicitations pour avoir été si bon au premier essai ! En outre il s'est trouvé que l' « approcheur » face à moi perdant soudain un peu de hauteur au dernier moment, c'est moi qui ai réussi à le toucher en plongeant.

    Sur un de mes trajets Arras-Châlons en voiture j'ai repéré le château de Pierrefonds qui constituera fin juillet un superbe objectif. Par ses représentations dans la bande dessinée, cette bâtisse faisait partie depuis longtemps de mon imaginaire enfantin. Enfin, au mois d'août j'entreprends sur dix-huit jours une sorte de double tour de France entrecoupé il est vrai de deux escales familiales. Un aller le premier jour me conduit de Châlons à Muret par Orléans, le Blanc et Bergerac ; après cinq jours en Haute-Garonne je repars en une belle journée séjourner brièvement à côté de Be­sançon : étapes à Béziers, Ruoms et Villefranche, soit 655 kilomètres en six heures trois quarts. Béziers est un vaste terrain en dur ensoleillé, impersonnel. Juste au sud de Montady à quelques kilomètres à l'ouest de Béziers, un spectacle agricole inat­tendu. Qu'on imagine une roue de vélo d'un kilomètre et demi de diamètre au péri­mètre cependant plutôt cassé, polygonal ; mais entre les rayons de cette roue, des champs étroits et tout en longueur, disposés un peu comme les secteurs nationaux sur l'An­tarctique. Je compte soixante-six de ces secteurs sur Google Earth aujour­d'hui. Ces secteurs ne vont toutefois pas jusqu'au « pôle ». Celui-ci est au centre d'un « parallèle » de quelques cent cinquante mètres de rayon sous la forme d'un chemin interrompant les soixante-six secteurs et n'en enserrant plus que cinq entre lui et le pôle. Sans doute invisible du sol, le spectacle paraît réservé aux hommes de l'air !

    On remonte ensuite vers le nord avec escale à Ruoms, un agréable terrain en herbe bien encaissé dans son décor. L'arrivée à Villefranche en milieu d'après-midi est in­quiétante. Il fait chaud et l'huile pisse mieux encore qu'à son habitude ; la chaleur se traduit d'ailleurs par une huile assez fluidifiée pour faire tomber la pression habi­tuelle de deux kilos à moins d'un seul. Le niveau du lubrifiant tombe assez pour que la pompe par moments n'amorce plus dès qu'on quitte le palier, et cette comédie dure un quart d'heure. C'est assez dire que le roulage au sol queue basse est à l'atter­rissage réduit à son minimum.

    L'aérodrome de Besançon-Thize est une découverte. Il jouit de deux immenses han­gars de la chasse des années trente dans lesquels des dizaines d'avions légers dis­posent d'une place invraisemblable. L'ensemble est cependant menacé. Lors d'une seconde visite que j'y ferai vingt-cinq ans plus tard par la route, j'apprendrai qu'il est classé et sauvé. Pour l'heure j'y rencontre Nicollier en train d'achever son biplace Bengali.

    Après un jour de pause près de Besançon je redescends au sud pour suivre grossiè­rement d'abord en sens inverse le chemin aller, encore que je l'élargirai beaucoup puisque j'irai jusqu'au bout de la Bretagne. La première journée est modeste : deux étapes à Lons-le-Saunier et Morestel ; nuit à Morestel après deux heures vingt de vol. Seconde journée plus courte encore de Morestel à Sisteron avec escale intermé­diaire à Gap. A Sisteron je retrouve un petit nombre des gens que j'y ai vus six ans plus tôt. La chaleur est écrasante et la pression d'huile moribonde en dépit du ni­veau correct. Troisième journée débutée par un vol local autour de Sisteron pour contem­pler les reliefs que le planeur limité à sa pente ne m'avait pas permis de visi­ter. Je vais ensuite planter ma tente à Nîmes-Courbessac après une escale à Vinon.

    Le transit au sud du Lubéron est une abomination. Jamais je n'ai vu de turbulences aussi violentes, sur plusieurs dizaines de kilomètres. Il est parfaitement clair qu'en cas d'ouverture de la ceinture je serais éjecté de l'avion en quelques secondes, et que fermer la verrière ne servirait dans cette hypothèse qu'à m'y rompre le cou sans m'empêcher de perdre toute position permettant de piloter ; j'en suis à me cram­ponner au manche pour mieux me tenir. Le réveil le lendemain sous la tente à Cour­bessac offre durant plusieurs dizaines de minutes un spectacle de choix devant le­quel d'autres spectateurs peinent à s'empêcher de rire ouvertement. Un sous-officier fait exécuter à ses apprentis fusiliers des unités de sécurité un séance de dressage indescriptible, surréaliste, inconnue d'un bidasse appelé ayant pourtant jugé en son temps que la marche au pas dans la cour atteignait déjà le degré de la recherche d'abrutissement. Je fais dans Nîmes des achats alimentaires ; la canicule est acca­blante ; Nîmes est la ville la plus chaude de France. Le chauffeur de taxi qui m'y conduit se plaint de ce que même les locaux ne trouvent pas le sommeil. Je prends trois tablettes de deux cents grammes de chocolat aux noisettes qui toutes les trois sont véreuses. Il suffit de jeter les noisettes ; le chocolat n'intéresse pas les vers. Je suis le soir à Lézignan à 155 kilomètres de là. On voit qu'à présent je musarde au lieu de traverser les deux tiers du pays dans la journée.

    Le vent s'est levé, à peu près laminaire mais terrible. L'atterrissage à Lézignan n'est pas chahuté mais se fait à une vitesse-sol d'une faiblesse étonnante et jamais ren­contrée. Le vent ne tombera pas des deux jours suivants, que je suis forcé de passer dans les locaux de l'aéro-club en compagnie de deux pilotes professionnels bloqués pour la même cause ; ce sont deux Polonais en tournée de démonstration d'un mo­nomoteur utilitaire PZL agricole et bombardier d'eau. Au bout de trois jours je peux repartir et passer au large des murailles de Carcassonne ; escales à Castelnaudary et Soulac, nuit à la Réole.

    Le jour suivant sera celui de nombreux survols courts de la mer, ce que je n'ai pas fait encore. Après le contournement de Bordeaux je pose mes roues à Soulac à l'ex­trême pointe nord du Médoc. Au redécollage, traversée de l'estuaire de la Gironde et direction Saint-Pierre d'Oléron, ma première île. Il est difficile de passer à distance moyenne de Fort Boyard sans le remarquer, quand même à ma façon on en ignore l'existence. Après la nuit à Oléron je rejoins la Roche-sur-Yon à travers les perthuis qui se suivent, qui forment un merveilleux mélange d'eaux entrecoupées de rassu­rantes terres successives. L'étape suivante est Redon, où un élève-pilote de ligne demande si les heures de Turbulent comptent pour le renouvellement de la li­cence. Après Re­don en me dirigeant vers le golfe du Morbihan la navigation est ai­sée en suivant la crête des landes de Lanvaux ; sa courte végétation sauvage caractér­istique qui la rend particulièrement visible. Un peu au nord du golfe du Morbi­han je tombe sur les tours d'Elven, à l'allure assez particulière pour justifier qu'on prenne le temps de tourner un moment au-dessus. Je ne cherche alors même pas à mettre un nom dessus, mais je comprends avoir eu affaire à elles bien plus tard en lisant un roman dont une scène s'y déroule, Le Roman d'un jeune homme pauvre. C'est un chef-d'œuvre d'une littérature dixneuviémiste qui, pour ne conter que des niaiseries, les conte dans un style justifiant à lui seul la lecture de l'ouvrage.

    Quiberon tout au bout de sa presqu'île est un terrain bourdonnant. Y ayant fait es­cale je me lance dans la traversée vers Belle-Île. Cette île surélevée sur ses falaises blanches est admirable à voir grossir au fil de son approche ; je franchis les falaises en songeant à Porthos dont les os sont en principe dans une de leurs grottes. L'aéro­drome en ce mois d'août est bien garni de monomoteurs cossus. J'entends al­ler finir la journée à Quimper. Il est tentant de s'y rendre en ligne droite au-dessus de quatre-vingt kilomètres d'eau, mais la raison tout de même l'emporte et je fais le trajet par terre. Je repère Quimper et le passe pour continuer jusqu'à la pointe du Raz. A mille mètres la visibilité est excellente et la majorité de la pointe de la Bre­tagne se découpe à merveille : pointe du Raz, baie d'Audierne, magnifique presqu'île de Crozon et rade de Brest. Je vais un rien au-delà de la pointe du Raz, et sans vou­loir atteindre Sein reviens vers Quimper. Le soir approche.

    J'atterris sur la longue piste en dur et m'arrête de côté dans l'herbe couper le mo­teur à une certaine distance des bâtiments. Voilà qui mérite une explication. Depuis un certain temps la coupure de la magnéto ne fonctionne plus. Chercher la cause et y remédier serait trop simple. Je me borne donc à descendre d'avion moteur au ra­lenti pour aller ôter les capuchons des bougies. Je tâche de ne pas me faire voir. Très souvent d'ailleurs le ralenti cale tout seul, aidé au besoin d'un vif coup de gaz qui étouffe le moteur puisque la pompe de reprise est demi-morte. Or à peine suis-je descendu qu'arrive un véhicule de service : on m'informe que j'ai atterri sans radio sur un aérodrome où elle est obligatoire. Cela ne m'est pas encore arrivé. De nos jours il est quasi-certain que la radio est exigée sur une si belle piste en dur ; cela n'avait rien du tout d'évident à l'époque, et surtout le piège se refermait du fait que Quimper ne possédait pas de CTR : ce dernier « détail » presque toujours excluait l'obligation de radio. On dira que je n'avais qu'à consulter la documentation aéro­nautique. Certes, certes... et pourquoi pas aussi la météo ?

    Pendant ce temps se pose un Fokker F-28 non vu mais qui n'était pas loin de me suivre. A la tour, le contrôleur n'est pas méchant. Le lendemain matin le comman­dant d'aérodrome n'est pas méchant non plus, mais vient s'assurer de mon bon dé­part en m'informant qu'il note soigneusement mon immatriculation pour le cas de récidive. Gros ennui : il pousse la coopération jusqu'à vouloir lancer lui-même l'hé­lice. Il ne m'a pas vu remettre les capuchons des bougies et en ignore la dangereuse défaillance. Par un double coup de chance il ne demande pas à d'abord brasser l'hé­lice avec le contact coupé, après quoi le moteur démarre immédiatement. Sans cette double chance l'absence de coupure était découverte, et Dieu sait comment ce com­mandant aurait réagi. Je ne sais plus au bout de combien de temps j'ai réglé ce sé­rieux inconvénient de coupure ; de nom­breux mois probablement. Décidément le Turbulent est malade de son moteur. Il ne coupe pas, crache sans rémission aucune son huile sur le pare-brise, en macule ses flancs au moindre vol ; il se met à présent à s'essouffler. Au lieu de voler comme avant à 125 km/h à 3000 tours, il n'avance plus à ce régime qu'à 115 ; il va de soi que la consommation n'a pas baissé pour au­tant. J'ai mis des segments neufs ; j'ai fait rôder les soupapes ; rien ne semble y faire et je me sens parfois las. Rien n'est démoralisant aussi comme atterrir toujours couvert d'huile sur un pare-brise dont l'opacité gâte le plaisir du vol, et sur des flancs de fuselage systématique­ment dégoûtants. On est surpris de ce que peut faire une quantité d'huile perdue pourtant minime, outre que l'avion n'en reçoit certaine­ment qu'une fraction. Tant pis. Tant que cela vole...

    Escales à Saint-Brieuc puis Granville. Le mont Saint-Michel est un peu avant ; je l'ai revisité il n'y a pas très longtemps ; je cercle autour d'autant plus près qu'il n'a pas encore sa zone interdite actuelle. Dernière étape à Dreux, contournement de Paris au large de Roissy et retour à Châlons après une journée de 744 kilomètres, autant que de Châlons à Muret.

    En 1980 je m'inscris à l'aéro-club de Vitry-le-François (distant d'Ecury de seulement 32 kilomètres) pour tâter du RF-4 dont il dispose. Depuis dix ans cette machine me fait l'effet d'un bijou ; il est d'autres avions légers « mythiques » à pilo­ter, mais ce­lui-là est d'un prix abordable. Je fais à Vitry un peu de double sur le Jo­del 112 F-BJPT immatriculé à mes initiales, puis deux vols sur le RF-4 pour un total de deux heures dix. Faut-il le dire ? Le Fournier tant vanté est décevant d'une certaine façon : il est fade parce qu'il n'a aucun défaut. Son vol est doux et parfait. Il exprime un senti­ment de sécurité complète. Sa seule imperfection est sa vitesse ascension­nelle mo­deste puisqu'il n'a que trente-neuf chevaux pour un poids de structure né­cessairement élevé. Au premier vol je ne parviens pas à rentrer la roue, mais la vi­tesse de croisière annoncée de 180 km/h n'en est pas clairement diminuée. Il est sans incon­vénient de voler avec les portes de train ouvertes puisque la vitesse limite train sorti est égale à la Vne. Il est certainement fort agréable de traverser le pays sur cette ma­chine.

    L'aéro-club de Vitry exige de chaque membre un dimanche de permanence annuel, faute de quoi on perd la caution de cent cinquante francs versée à cet effet. Ma foi, après quatre visites je ne reviendrai pas et ne pleurerai guère la perte de la caution. En avril je découvre le nouveau terrain de Joigny juché sur les col­lines, mais qui n'a plus rien du charme de l'ancien dans sa boucle de l'Yonne. En contrepartie il ne sera plus nécessaire l'hiver de percher les avions sur des cales de grande hauteur pour les préserver de la montée des eaux de la rivière. Quelques jours après, vol à coloration historique. Je débute par une escale à Chelles, extrême limite est at­teignable en ré­gion parisienne sans radio. L'escale suivante est Abbeville, et c'est là qu'est l'histori­cité puisque la piste est germanique. Voir Clostermann. Longue et large piste en ci­ment fen­dillée de partout et plantée d'herbes drues dans les fentes. Depuis tout cela est chan­gé. Une piste plus courte et plus étroite a été refaite au propre sur la vieille, dont les parties restées d'origine sont désormais verboten. Tout décidément fout le camp. La semaine suivante je vole d'une traite jusqu'à Loudun, établissant un re­cord de distance avec 378 kilomètres en trois heures dix. Après Joigny l'ancien, Lou­dun est le plus joli des aérodromes visités ; adossé aux bois le vaste bâtiment de son club comporte une partie ancienne presque monumentale probablement recyclée d'un autre usage. Au retour je ne pourrai atteindre Châlons et me pose à Romilly-sur-Seine. Il est trop tard pour repartir avant la nuit. Un pilote local me prête pure­ment et simplement sa R5 afin que je puisse rentrer. Je la ramène le lendemain après ma journée de travail et ai encore le temps de faire le vol de retour.

    Le 4 mai, passage à la Ferté-Alais après escales à Fontenay-Trésigny et Moret-Episy. A l'aller, survol dans une brume légère des marais de Saint-Gond qui prennent une allure confirmant bien que la topographie s'apprécie tellement mieux depuis les airs. A la Ferté tous les hangars sont clos et il n'y a rien à voir, mais j'aurai posé mes roues à la Ferté. La semaine suivante un trajet Avallon-Saulieu montre sur ce der­nier terrain une chose « amusante » : une levée de terre destinée à protéger le TGV passant non loin du bout de piste des collisions d'avions, qui ne s'écraseront que sur le sol en montée.

    Un troisième voyage à Muret à la mi-mai est l'occasion d'équiper enfin mon appareil d'un réservoir supplémentaire bien nécessaire. Je fabrique en verre et polyester une chose à sommet arrondi qui occupe tout le volume du coffre derrière les épaules. Ce ré­servoir évidemment amovible tient dans les trente-cinq litres, un peu plus que le principal situé devant le pare-brise. Le centrage ne va pas être fort avant ! Au pre­mier essai en pleine charge, décollant sur le réservoir avant je prends au roulage un bon excédent de vitesse pour disposer de puissance à la profondeur. Une fois en l'air j'y reste plus d'une heure jusqu'à ce que la consommation sur l'arrière diminue rai­sonnablement la pression franche et constante que je dois exercer sur le manche ; il ne s'agirait pas de la lâcher ! Je partirais en chandelle brutale suivie d'un décro­chage très possiblement irrécupérable. Je n'entends donc surtout pas tenter un atterris­sage avant net allègement de l'arrière ; et ma foi le moteur n'en profite pas pour me lâcher.

    Il en résulte une unique étape sur le chemin de Muret ; j'atterris à Saint-Junien au terme de quatre heures quinze de vol. Retour la semaine suivante par Villeneuve-sur-Lot, Sainte-Foy-la-Grande, Issoudun désert et enfin Bourges où je passe la nuit. Un premier départ le lendemain tourne court pour cause de brouillard au nord de la ville. De retour au terrain je résiste à l'homme de la météo qui me pousse à tenter le vol à nouveau, certifiant que le temps s'arrange plus que je ne crois. C'est bien la seule fois où j'aurai vu la météo inciter au départ un pilote qui n'y tient pas.

    Un atterrissage en juin à Montdidier me fait croiser le très prolifique Armand Châ­telain, créateur d'une douzaine de prototypes ; il délaisse l'aviation pour aller en re­traite dans le Midi. A Brienne que j'aime visiter de temps à autre pour son cadre de vieux terrain de l'OTAN et pour ses amateurs actifs, un T-33 laissé là par l'armée in­trigue les aviateurs présents : personne ne parvient à ouvrir la verrière. Chacun monté sur l'aile essaie de faire glisser la canopée vers l'arrière en tirant autant qu'il peut sur la poignée placée dans un arceau du plexiglas. Supposant qu'existe forcé­ment un moyen simple et facile de procéder, je regarde mieux que les autres et aper­çois près de la poignée un minuscule bouton rouge ; il suffit de le presser pour que tout s'ouvre sans effort. En août je m'envole vers l'Ecosse pour un périple raconté à part plus loin dans cet ouvrage. Six ans plus tard me vient l'idée d'adresser à la re­vue Pilote Privé une offre d'article sur ce voyage. Elle est acceptée et mes exploits paraissent dans le numéro d'avril 1986.

    A l'automne 1980 l'horizon est embrumé. Le Turbulent est toujours aussi malade de son moteur et son CNRA n'est plus valide que jusqu'à décembre. Qui plus est une attache du train sous l'aile a flanché. La petite tôle raidie qui le tient au longeron s'est pliée, laissant se plaquer de façon malsaine la structure en tubes sous le bois qu'elle vient presser à l'atterrissage. Il fait opérer, ouvrir le caisson en contreplaqué aussi peu que possible. Moyennant un trou d'intrados et un d'extrados, je com­prends ce qui est arrivé : les deux vis qui tiennent au longeron la plaque tordue et sa compagne sur l'autre face, traversent le longeron beaucoup trop rapprochées l'une de l'autre ; il leur faut absolument un entraxe supérieur. Il est cependant impossible de repercer le longeron, ce qu'en outre je ne ferais certainement pas sans avoir la preuve de sa construction intérieure. Le seul remède est de remplacer la petite at­tache de tôle raidie peu épaisse par une plaquette massive en acier épais. Le résultat sous l'aile ne se voit pas, mais j'ignore bien ce qu'en pensera Veritas et ce qu'il pen­sera de la réfection malheureusement visible du coffrage. Oui, décidément je me lasse de cet appareil et j'ai peut-être bien eu tort de refuser les deux mille livres qu'on m'en avait en août dernier spontanément offert dans ce nid de Turbulent qu'est le terrain de Redhill au sud de Londres. Mais un cavalier vend-il sa monture ! et en chemin ! pour revenir en train après avoir glorieusement suivi Blériot à l'aller !

    Le pire est encore ailleurs. Mon employeur déménage à Cergy-Pontoise et mes ef­forts pour retrouver un emploi comparable au mien à Châlons restent vains. J'en suis malade. Il ne reste qu'à explorer les possibilités d'hébergement pour avion à portée de Pontoise. La situation n'est pas drôle. A l'aérodrome de Pontoise, point de place. Il me faudrait en plus une radio, qui en 1980 n'a rien à voir avec les petites choses miniaturisées presque bon marché qui apparaîtront plus tard. Je vais donc voir en avion si je puis me garer à Etrépagny, d'accès direct depuis Pontoise et se te­nant en pleine campagne sans trafic démentiel. Il est possible de m'y recevoir en ef­fet, mais le loyer mensuel passe évidemment de zéro à un prix semi-parisien. En y ajoutant un trajet aller-retour sensible, l'augmentation de mon budget avion jointe à celle de mon logement me décourage. Des considérations analogues valent à Per­san-Beaumont malgré l'ambiance très agréable de ce terrain. Pour finir l'aéro-club de Mantes aux Mureaux me laisse garer mon Turbulent sans frais dans un coin de son terrain, dehors en attendant une possible encore qu'hypothétique libération de place dans le hangar. Je suis assez fou pour accepter, pensant qu'un avion, cela se bâche.

    C'est évidemment de la folie. Je suis fou de ne pas songer un instant à laisser mon avion à Châlons, qui n'est qu'à deux heures de route. Je volerais simplement moins souvent, sans vraiment qu'il m'en coûte en trajet puisque j'irai de temps à autre voir ma famille. Malheureusement j'arrive un mois plus tard à la fin du renouvellement du CNRA, et des visites raréfiées à Châlons me rendront peut-être impraticable une re­mise en état suffisante du moteur. Il y a d'autres soucis sur la cellule. Non, décidé­ment, aucune solution n'est heureuse, ni Châlons ni Paris. Pourtant je me résigne à emmener mon appareil en région parisienne. Puisque ma vie ne pourra plus être à Châlons, je veux qu'elle reste d'un morceau, homogène, et me répète que je me dé­brouillerai bien en région parisienne. Je mesure encore mal qu'en réalité ma car­rière aérienne va tout simplement fondre et se réduire pour très longtemps aux rê­veries. J'ai accumulé sept cents heures en dix ans, et n'en referai jamais autant même après être sorti de la mauvaise passe aérienne qui s'étalera de 1981 à 1997. Je plonge donc du succès du tour de Grande-Bretagne en août au trou presque noir à la fin de la même année.

    Peu avant de quitter Châlons je fais un aller-retour Châlons-Chalon, aller en trois heures quinze et retour en trois heures trente. Je m'amuse en effet à accumuler tout ce temps de vol en faisant le trajet à soixante-dix km/h à grande incidence. Je fais une observation : la verrière reculée, il est possible en basculant la tête en arrière de ne plus voir que du ciel, de ne rien voir de l'avion et de rester là un petit moment avec un champ visuel entièrement vide ; ou plutôt, de menus cumulus répartis çà et là me permettent de conserver une sorte de référence pour le pilotage.

    Il faudra de toute façon une radio aux Mureaux,. Dans l'attente de ce gâchis finan­cier le très courtois président de l'aéro-club de Neuilly me prête - je suis venu par la route pour mes af­faires, de logement en particulier - sans autre forme de procès un émetteur-récep­teur portable de la taille d'un gros transistor courant. L'aéro-club de Neuilly est le gros voisin du tout petit club de Mantes. J'emporte le poste à Châlons où il reste à voir comment le protéger des parasites des fils d'allumage de moto de mon VW, qui sont en plastique transparent nullement blindées. La logique voudrait que je commence par un essai avec le sol et mes fils comme ils sont, mais ce serait trop simple. Je blinde donc d'office mes quatre fils en les enveloppant de papier d'aluminium tenu par une couche de plastique adhésif. Le mécanicien ricane, mais qu'importe ; la physique n'a cure des ricanements. Le système fonctionnera.

    Le triste départ a lieu le six décembre pour un vol sur un paysage largement ennei­gé. J'ai averti les Mureaux de façon informelle sans déposer aucun plan de vol, et me pose en raison de la météo à Chelles. L'accueil y est sympathique ; puis par acquis de conscience deux heures après j'appelle les Mureaux. Ils me font la leçon : plan de vol ou pas plan de vol je devais les prévenir de mon arrêt en route ; cela fait une de­mi-heure, soulignent-ils avec gravité, que je suis sans essence... Allons ! Paris com­mence bien !

    Au terme d'une nuit passée à Paris chez des proches, je reviens à Chelles le lende­main et décolle pour les Mureaux en passant par le contournement nord sans radio de la capitale. Après Pontoise, je contacte la tour des Mureaux avec succès, le blin­dage artisanal de l'allumage fonctionnant donc. A vrai dire je ne l'avais pas essayé. Châlons avec ses 1500 mètres est la seconde plus longue piste en herbe de France ; les Mu­reaux avec deux kilomètres sont la première. Il est midi et le terrain presque inactif ; je me pose au terme de 386 heures et 22 minutes de Turbulent faites en un peu moins de trois ans et demi. Il n'y en aura plus.

    Le futur président du RSA Jean-Pierre David, constructeur d'un monoplace Raz-Mut et membre de l'aéro-club Roger Janin, m'offre l'hospitalité provisoire sous le hangar de son association. Les distances sur le terrain sont sensibles ; mon appareil est pénible à lancer ; nous l'attelons d'une corde à sa BMW, et sitôt démarré le Tur­bulent fait un pylône. Par chance l'hélice calée horizontalement n'est pas brisée. Un peu plus de vingt ans plus tard au fond de la campagne creusoise j'exerce mes ta­lents d'agent du téléphone près d'une maison isolée occupée depuis peu par un jeune retraité de région parisienne. Passe un petit avion qui oriente la conversation en sorte que le retraité me déclare avoir en banlieue parisienne un ami constructeur d'un Raz Mut. Or un seul vole utilement en France. Je raconte l'anec­dote du pylône et mon auditeur me désigne une BMW âgée : c'est celle-là !

    Malheureusement Roger Janin qui ne manque pas de place n'entend pourtant pas m'en cé­der. Je me suis au fond posé sur un aérodrome en me disant plus ou moins consciemment qu'on ne laisse pas un avion pourrir dehors, et qu'une solution se trouverait. Je me suis gravement trompé. Le Tur­bulent qui n'a plus de CNRA s'abî­mera lentement au fil de deux hivers sous lesquels se multiplieront malgré une bâche les décollements de la Certus du fuselage. Je trouve un VW propre dans une casse en remplacement de celui qui va si mal, et en commence l'avionnage ; mais je perdrai progressivement courage et comprendrai au fil des mois que l'appareil est perdu pour moi ; il faudrait un local pour le remettre en état, et je n'en aurai pas. Etre pauvre à Paris c'est être pauvre deux fois (Zola), même si la pauvreté toute re­lative se limite à la difficulté d'y être détenteur d'un avion.

    J'en arrive à envisager la dépose de toutes les pièces métalliques et autres équipe­ments pour en faire un lot qu'à un rassemblement du RSA ou par annonces je ven­drai bien mille cinq cents francs à un constructeur amateur ; il n'aurait plus qu'à se soucier de la boiserie. Je m'en déferai précisément pour cette somme, mais d'une autre façon. Une ligne de chemin de fer entre Paris et la Normandie longe l'aéro­drome et le Tur­bulent en plein air se voit du train. Un mécanicien sur hélicoptère de la Protection Civile travaillant à Issy-les-Moulineaux et habitant la Normandie prend ce train chaque fin de semaine ; il aperçoit l'appareil. En quelques semaines il parvient mal­gré la vitesse du train à déchiffrer l'immatriculation sur le flanc, et finit par me contacter. Il remettra le Turbulent en état dans son garage de Palavas-les-Flots où il a été muté, et où j'aurai l'occasion d'en voir le fuselage en réfection géné­rale. Le F-PKVU âgé de cinquante-trois ans après une autre réfection encore suite à un très long arrêt vole toujours en 2015.

    Ayant perdu la joie des longues excursions en vol, je trouverai une fraction de com­pensations dans l'achat d'une Honda 400N, une sorte de demi-vraie moto. J'aurai ensuite une demi-douzaine de motos jusqu'à une 600 monocylindre de route, et pourrai comparer les deux acti­vités. L'appartenance au milieu motard n'est certes pas rien. Le plaisir brut de la moto est supérieur à celui de l'avion, qui relève d'une dimension autre et ne se livre pleinement qu'en échange d'une démarche d'adhésion plus difficile. La moto a l'avantage de la disponibilité immédiate, quotidienne, à sa porte, et n'impose pas de trop longues pénitences par privation en cas d'ennuis. La moto malheureuse­ment me vaudra la rupture d'un fémur, banalité entre les banali­tés, redoublée par le fait que cet accident grave ne soit pas même survenu en ma­chine volante.



    Deux incidents peu communs...

    Un après-midi de 1974 se font entendre au-dessus de l'aérodrome de Prunay de curieux messages. Un monomoteur Cessna ne pouvant sortir son train cercle très longuement avant de se poser. On cercle habituellement en pareil cas afin d'épuiser le carburant. Or c'est ici exactement l'inverse : les deux pilotes attendent non que les réservoirs se vident, mais que les vessies se remplissent. Le liquide hydraulique est perdu mais la fuite a été jugulée ; reste à regarnir le circuit. Ces messieurs finissent par y parvenir et abaisser les roues.

    Un soir vers 1980 s'entend à la radio du club d'Ecury un dialogue lointain mais poignant entre un jeune pilote fraîchement lâché et son instructeur dans un autre appareil. La nuit approche et le jeune homme égaré est incapable de se retrouver. L'instructeur finit par lui ordonner d'atterrir en campagne. Leurs voix malheureusement décroîtront dans la haut-parleur et j'ignore la conclusion de l'histoire.



    La vignette

    Le plan Barre voté pour 1977 introduit une vignette pour les aéronefs. Mon appareil en CNRA ne devrait pourtant pas payer cher. Son budget n'a rien à voir avec celui d'un avion en CdN, et sa puissance officielle de 26 chevaux réels est ridicule. Le chiffre est minoré mais c'est celui que portent ses documents établis en un temps où n'exis­tait aucune raison de frauder.

    Mais voici le barème : tout avion jusqu'à cent chevaux paiera mille francs, soit près d'une quinzaine de mon salaire ou près de six cents euros de 2015. Aucune prise en considération du CNRA, aucune subdivision sous les cent chevaux.

    La taxe est de 1200 francs pour un avion de 180 chevaux. Un quadriplace IFR paiera ainsi vingt pour cent de plus que mon Turbulent.

    Les avions d'associations ne sont pas concernés. Le pilote faisant quelques di­zaines d'heures annuelles à cinq fois le coût d'une heure de monoplace Volkswagen n'est de la sorte ainsi pas concerné.

    Voyous ! Saccageurs ignorants ! Caricatures de technocrates !

    J'en fais part à un très haut fonctionnaire du ministère des finances de mon cousi­nage. Il m'écoute, mais après s'être récrié d'abord que le barème n'avait pas été éta­bli à la légère, mais après force consultations... ! Là comme ailleurs, voilà leur croyance.

    Le demi-tarif est consenti à partir de dix ans au lieu de cinq pour les automobiles. A une observation sur ce point émise par le RSA il est répondu (je reconstitue de mé­moire) : « les petits avions de construction amateur sont en général l'objet de beau­coup de soins de leur propriétaire, en sorte que beaucoup atteignent l'âge de dix ans auquel ils bénéficient du demi-tarif ».

    Signé : Maurice Papon.

    Le RSA parvient à obtenir de quelques parlementaires que dans les conditions habi­tuelles (vote de nuit avec une poignée de députés en séance) les monoplaces et bi­places en CNRA soient exonérés. Parce que la loi contraint à propo­ser une ressource de substitution, il est voté une absurdité, l'instauration d'une taxe de deux centimes par hectolitre de je ne sais plus quelle sorte d'huile.

    A noter qu'à l'autre bout de la gamme la vignette est de 30 000 francs pour tout avion à réaction. Il y a une pincée de CNRA à réaction ; j'en connais un qui est une restauration d'épave de cent cinquante kilos de poussée.



    LES MUREAUX

    Il y a aux Mureaux la collection d'aéro-clubs que les conditions bizarres d'attribu­tion des matériels à la Libération ont suscitée sur les terrains autour de la capitale. L'aéro-club de Mantes-la-Jolie, ville qui n'est pas tout à côté, est le plus modeste club du terrain mais possède un Sicile Record à 240 francs l'heure. Voici encore un avion « mythique » qui me consolera un très petit peu de l'absence du mono­place.

    Je connais les terrains parisiens surtout à travers ma vingtaine d'Aviasport des an­nées cinquante, ceux au dos desquels figure la liste des points de vente de la revue : Saint-Cyr, bar du terrain ; Chavenay : bureau du chef de centre ; Toussus : madame Bouclon, au bar... un sympathique artisanat qui fait écho aux Piper poussiéreux et aux Stampe huileux dont on peut s'imaginer remplis les hangars de surplus rouillés alignés au long des pistes en herbe de ces temps anciens. En reste-t-il quelque chose ? Peut-être ; descendant de Turbulent et allant rendre à l'aéro-club de Neuilly son poste de radio, je constate que le vaste bar sert aussi aux pilotes des autres asso­ciations ; une sorte de madame Bouclon me sert un sandwich si gros pour si peu cher que j'en avale un second. Le dimanche à l'heure de midi j'aurai une fois ou deux l'occasion de voir attablée la rédaction d'Aviation Magazine que je lis depuis 1970. Le rédacteur en chef Roger Cabiac trône en bout de tacle et n'est pas muet ; il éprouverait un peu de mal à se mettre à l'ULM ; je vois Lucienne Biancotto égale­ment ; le reste ne me dit rien. J'ai aussi à vrai dire des numéros de leur revue vieux de plus de vingt-cinq ans avec la photo de la même rédaction alors, de bien jeunes gens de l'âge de mes parents, et qui se lançaient dans l'aventure de leur périodique tout neuf. Qu'y a-y-il d'intéressant dans l'inévitable bric-à-brac supposé de ces vieux hangars entassés ? Un Moynet Jupiter qui ne vole pas, une Jaguar qui ne roule plus... La Jaguar appartiendrait à un aventurier disparu en Afrique. Ah, certes, on n'a pas tout cela au fond de la province... !

    Commencent ainsi onze ans d'exil parisien avant que je réussisse à décamper de cette région dont les charmes limités ne remboursent pas l'aliénation générale ré­servée au petit salarié. Mes vols sont toujours un peu les mêmes ; je songe plus à vo­ler pour dire que j'ai volé, qu'à trouver sérieusement des joies aé­riennes et faire des voyages significatifs ; ce serait d'ailleurs difficile puisque j'en fai­sais précisément très peu avant l'achat du monoplace. L'essentiel de mes vols se borne à la vallée de la Seine avec ses méandres sur une cinquantaine de kilomètres. Une seule fois en DR-360 je décollerai pour filer presque plein nord en montée continue, décidant de ne faire demi-tour qu'une fois perdue l'indication du VOR de Mantes. Mais le Che­valier grimpe vite en sorte que je ne la perds jamais et l'ai encore une fois à quatre mille mètres à la verticale du Touquet, quatre kilo­mètres au-dessus d'un gros ma­chin commercial que j'y vois rouler. Il y aura quelques courtes escapades à Etrépa­gny, et rien d'autre. Je ferai treize heures en 1981, moins de sept en 1982 puis stric­tement les cinq heures de renouvellement de 1983 à 1991. Lorsque je dis « stricte­ment » le mot est à entendre littérale­ment puisque par le jeu des heures à faire moins de six mois avant le renou­vellement de licence, je parviendrai à sauter com­plètement 1988 sans voler (le système de dé­compte permettant zéro heure un an sur deux et douze l'année suivante n'existe pas encore). J'en arrive à concentrer les heures nécessaires sur une durée très brève et à ne plus mettre les pieds au terrain du reste de l'année. La plupart des années je re­prends un appareil après sensible­ment un an d'arrêt sans que personne ne vienne m'ennuyer avec de la double. Voilà un club où on se sent adulte. De temps à autre comme partout un instructeur décide la création d'un tableau de l'entraînement des pilotes pour que cessent ces folies, mais comme partout ces belles idées sombrent rapidement dans l'oubli. C'était avant l'apparition de la puante informatique.

    L'instructeur qui m'a lâché sur Sicile est un ancien Français de la RAF. Il m'a donné d'of­fice la permission de voler sans autre formalité sur le DR-300 et le Rallye du club, mais non pas sur son DR-360. Qu'à cela ne tienne ; près d'un an plus tard j'y monte sans permission et retrouve en l'air le plaisir vif de cette mon­ture surpuis­sante pour qui est seul à bord. Le Chevalier est à 500 francs de l'heure, le triple de celui d'Ecury ; il faut dire que l'essence dans les dernières années soixante-dix aug­mente à peu près tous les mois sur un fond d'inflation annuelle (comparativement plus modérée que celle de la seule essence) de dix pour cent. Cet instructeur est éga­lement bien aimable puisqu'un dimanche où j'arrive au terrain en songe à prendre le DR-300, il me répond : « Non ; prenez le Sicile. Il y a beaucoup de monde aujour­d'hui et il n'y a que vous qui puissiez prendre le Sicile. »

    Un peu plus tard le club disposera d'un ATL. La visibilité est bonne et l'avion silen­cieux. A part cela la machine est un monument d'ennui, l'illustration de la fa­deur que donne le défaut de puissance. Au total j'aurai fait aux Mureaux cinquante-huit heures de 1981 à 1991 en m'ennuyant à demi. Je n'ai même pas cherché à explo­rer les autres terrains de région parisienne ni les divers cheminements qui y conduisent. J'ai certainement eu tort. Il faut dire que ma principale activité aéro­nautique sur cette période aura consisté à engouffrer temps et argent en quantités considérables dans des constructions amateur chimériques relatées par ailleurs. La région parisienne décidément ne me vaut rien et m'en échapper en 1992 me sauvera moralement.



    GUERET

    Au début de mai 1992 je suis à mon profond soulagement muté à ma demande en Creuse. Immédiatement je parcours avec joie la petite route qui mène au terrain de Saint-Laurent à cinq kilomètres de Guéret. L'aérodrome possède une piste en dur de moins de sept cents mètres. Il n'y a pas de bretelle en sorte qu'on décolle au QFU 07 simplement parce que son début de piste est proche du hangar ; la piste descend légèrement : on atterrit en 25 pour au bout du roulage n'avoir sans bretelle que peu d'herbe à franchir pour rentrer. L'approche de cette 25 survole la vallée de la Creuse quelque peu encaissée, source non rare de bonnes turbulences au terme d'une ap­proche en descendant une colline forestière. A contrario, la panne après décollage au 07 est plus que déconseillée. Si la piste est en montée légère au QFU 25, elle est peu après suivie d'une départementale et d'un terrain pour partie boisé qui monte lui aussi doucement. En résumé Saint-Laurent n'est pas très bien pavé.

    Guéret ne m'est pas inconnu. J'avais reçu dans l'enfance un gros recueil d'une cin­quantaine d'histoires de l'air touchant toutes les catégories d'appareils. Il s'y trou­vait le récit d'un vol d'épreuve de 300 kilomètres en planeur depuis la région pari­sienne, se concluant à Guéret par un succès. Le pilote amputé appareillé s'était à la vérité égaré du fait d'un compas fortement faussé par le voisinage de sa prothèse. Cette curieuse histoire me revenant à l'esprit, je suis charmé d'être basé ici. A ma première visite je ne suis encore qu'en quête d'un appartement et passe la nuit sur l'aérodrome sous la tente. Je suis venu de Pontoise en 125 ; la nuit sous les étoiles je parcours les étendues herbeuses hors pistes phare éteint. Une inspiration me le fait allumer sans raison particulière. Coup de frein immédiat : un fossé triangulaire d'un mètre en­viron de profondeur est à quelques pas devant.

    Le club possède un D.112 sur lequel je me fais immédiatement lâcher. J'effectuerai dessus la plupart de mes vols en 1992 et 1993, mes seules années d'avion à Guéret. Je n'y cumulerai pas plus de douze heures en deux ans, c'est-à-dire pas plus qu'aux Mureaux. Je retrouve ainsi de loin en loin toujours un 112, avec un brin d'émotion parce que cette machine qui sent vraiment son aviation presque ancienne entretient là où elle vole une communion avec le passé aéronautique du (presque) immédiat après-guerre. Les deux manettes de gaz de ce 112-là se terminent par des cabochons de bakélite noire porteuses d'une jolie cou­ronne dorée... J'y suis : ils proviennent des accessoires du tableau de bord d'une Dauphine. Il va de soi que peu d'années après le 112 disparaîtra d'ici comme de par­tout, et comme d'habitude au motif que son train classique épouvante les pilotes sur la piste en dur puisque la piste en herbe est réformée. Quant à moi c'est indéniable : ma motivation est en chute, encore que je continue à domicile à poursuivre des constructions encore chimériques. En 1994 je ne renouvellerai plus ma licence et l'on ne me reverra à Saint-Laurent qu'à la fin de 1996 lorsque j'y apporterai un ULM prototype enfin terminé.



    L'ULM

    Le possesseur d'un avion de petit calibre comme le Turbulent ne peut que s'intéres­ser à l'éclosion des ULM. En 1973 au salon du Bourget j'ai pu discuter avec un mo­deste exposant individuel présentant un planeur Rogallo de trois de finesse. Reiser dans Charlie Hebdo en avait fait un éloge très exagéré, bien dans cette veine écolo qui prend le débit d'un panneau solaire pour celui d'une centrale nucléaire. Quatre ans plus tard au rassemblement du RSA à Brienne un appareil semblable était muni de deux moteurs de tronçonneuse, et s'envolait après quelques pas face au vent ; c'était un spectacle admirable. L'Administration ne manquait pas de réagir en rap­pelant qu'il fallait au moins un brevet de pilote élémentaire d'avion. Des pratiquants ne craignant pas la suspension d'une licence qu'ils n'avaient pas se lancèrent quelque temps dans un jeu de gendarmes et de voleurs avec les forces de l'ordre jus­qu'à la production en 1980 du premier arrêté ULM. Ce texte était une merveille de libéralisme tant du moins qu'on respectait une vitesse minimum de quarante kilo­mètres à l'heure. Un tel chiffre excluait à peu près tout ce qui n'était pas delta de grande surface et très faible vitesse.

    Il n'est pas certain que la montée en puissance de l'esprit répressif en général ren­drait possible trente ans plus tard le même mouvement. Vinrent ensuite les deltas à roues et gros moteur à deux temps, volant à soixante en buvant dix à quinze litres l'heure. C'était la moitié de vitesse d'un Turbulent pour le double au moins de consommation kilo­métrique. J'ai commencé à regarder la chose d'un œil torve : voi­là une grande merveille que ces prouesses de gens se figurant sincèrement être des pionniers (en réglementation ils l'étaient). J'ai le souvenir d'un récit lu en 1985 sur revue de papier glacé, écrit par un des représentants de cette aviation supposée po­pulaire et volant sur de présumées mobylettes de l'air. Notre homme en voyage aé­rien casse son moteur de moto Yamaha. Qu'à cela ne tienne ; il achète sur place la moto correspondante, démonte le moteur et jette le reste. La boîte de vitesses de la moto tiendra lieu de réducteur. Bien enten­du pareil réducteur casse en un clin d'œil. Pas grave, on continue... On peut admi­rer l'entrain et la débrouillardise sur le ter­rain dignes d'Henri Mignet ; on admire moins l'économie, la démocratisation et les avantages pratiques d'une telle aviation.

    Lorsque quinze ans plus tard je serai passé à l'ULM, j'entendrai encore à cinquante ans des ulmistes de mon âge clamer dans la presse leur passion pour le vol. A la bonne heure ! Où étaient-ils à vingt ans, lorsqu'on pouvait voler en monoplace VW pour guère plus cher si l'on fait abstraction de l'effort pour passer l'inutile brevet avion ? Devant leur téléviseur, je suppose. J'ai le souvenir aussi d'une visite de cu­riosité faite à Paris vers 1983 dans une échoppe de fournisseur de matériel ULM, et du discours invraisemblable que j'y entendis sur tout ce que l'ULM primitif appor­tait de révolutionnaire en comparaison de ce dont l'avion était incapable. En résu­mé, l'ULM primitif m'a fait l'effet d'un rassemblement de plaisantins à éviter tout en profitant naturellement des avantages réglementaires inespérés qu'ils obtinrent. Ces avantages étaient suffisants pour qu'un pilote de Turbulent songeât désormais à construire non plus un avion à moteur VW, mais bien un ULM, moins performant sans doute mais tellement plus libre à tout point de vue. De 1980 à 1986 construire un prototype ULM à trois axes était une gageure à cause des 40 km/h de vitesse mi­nimum imposés, et l'on vit des drames comme les acci­dents de Béla Nogrady. Je songeai toutefois à en fabriquer un. Par bonheur l'arrêté ULM de 1986 rendait la construction de multiaxes beaucoup moins dure, et l'arrêté de 1999 permettait sé­rieusement de voler en VW avec une surface alaire qui n'était plus exagérée. L'an­cien pilote de Turbulent décidé à rester dans cette catégorie d'aéronefs n'avait plus aucune raison de res­ter « avion ».

    Je suis ainsi passé autour de 2000 à l'ULM parce que le même appareil pouvait être exploité aussi bien en avion qu'en ULM, ce qui rendait absurde l'entretien d'une li­cence de pilote privé. Je cédai à cette logique mais non sans mal et non sans regret : j'étais fier d'être pilote d'avion, relié par l'avion à toute l'histoire de l'aviation, et mé­content malgré moi de passer à ce que je regardais comme une sous-catégorie dont les débuts m'avaient laissé un certain dédain. Aujourd'hui encore malgré davantage d'heures d'ULM que d'avion, au fond de moi je n'aime pas l'ULM, évolue sur les ter­rains avion et évite les manifestations ULM. Cela ne m'empêche pas d'être « pas­sé à l'ouest » avec un loyalisme absolu et par exemple de défendre sans concession au­cune la règle des 450 kilos : il y a eu trop de gain à la réglementation ULM, et trop à perdre à faire les malins avec.

    Ajoutons-en encore une couche : tant que la médecine aéronautique n'était le plus souvent qu'une formalité, et pourvu qu'on disposât localement d'un expert Véritas pas trop enquiquinant, la possession d'un avion en CNRA permettait de voler à gogo tout en laissant ignorer aux foules que l'aviation était dix fois plus facile d'accès qu'elle se le figuraient. On restait de la sorte une élite satisfaite de l'être, loin des plèbes. En particulier le nombre des monoplaces était plusieurs dizaines de fois moindre que celui des ULM aujourd'hui. C'était un égoïsme de caste n'usant en réa­lité d'aucune contrainte envers les non initiés, ne les chassant nullement ! On se contentait de laisser ignorer tout cela au grand public. Je ne me gêne pas pour dire que je le regrette.

    Une anecdote singulière illustre la naïveté commune. Sur un aérodrome comportant aéro-club d'un côté de la piste et école ULM de l'autre, un élève trentenaire de cette école vient un jour m'aborder en tenant ce discours : « J'habite depuis l'enfance à côté du terrain et j'ai toujours rêvé de piloter, mais ce n'était pas dans mes moyens. Lorsque j'ai appris l'arrivée d'une école ULM je m'y suis inscrit. Mais par curiosité, s'il vous plaît, quel est le prix de l'heure de cet avion ? » Il désigne un Jodel 112 loué 280 francs. Je sais qu'il paie environ le double en face sur son tube-et-toile. A l'énoncé du prix, il fait une grimace ; il vient de tout comprendre.

    En 1983 je délaisse une année l'aéro-club de Mantes aux Mureaux pour celui de Brienne-le-Château où j'ai découvert un ULM appar­tenant à l'association. Ce n'est pas très commun puisque les clubs d'avion n'aiment guère les ULM : on ne monte pas à âne dans un cercle d'équitation. L'appareil est un Pathfinder II, une chose à trois axes en tubes et toile à moteur propulsif qui sera ma seule expérience d'un aé­ronef à poste entièrement découvert. Il est immatriculé 10C, ce qui montre qu'on est bien au tout début de l'ULM. Le brevet avion alors suf­fit à piloter un ULM ; c'était avant qu'on découvre que la sécurité (des tiroirs-caisse ?) exige un passage préalable par une instruction spécifique.

    Le Pathfinder est poussé par un deux-temps de trente-deux chevaux au son de si­rène étouffée. Comme son aérodynamique permettait de s'y attendre il ne croise guère qu'à 70 km/h, mais son défaut majeur n'est pas là. Il tient à une belle mau­vaise volonté en roulis. Autant un Turbulent permet(tait) de s'amuser très bas à vi­revolter du bout des doigts entre les petits bois avec une légèreté merveilleuse, au­tant cet engin-là s'incline comme un avion de ligne si on n'y ajoute pas le gouvernail pour améliorer juste un peu les choses. Tout réduit pour l'approche l'ULM se met à de dandiner d'une façon telle que je me demande comment on peut bien arriver à le poser ; mais enfin trois autres pilotes d'avion viennent sous mes yeux d'être lâchés sans ennui apparent. Au fond je n'ai jamais été très fin pilote ; il s'avère qu'il suffit de laisser presque immobile le manche qui ne demande qu'à faire diverger les mou­vements du Pathfinder très sensible à la surcorrection. Bref l'appareil n'est pas amu­sant et je n'en ferai que trois vols pour un total de soixante-cinq minutes au prin­temps de 1983 ; s'y ajouteront à l'automne cinq heures dix sur le Jodel 112 du club en trois autres vols.

    En 1986 fantaisie me prend d'aller au bureau des licences de Cormeilles-en-Vexin réclamer par équivalence l'octroi du brevet/licence de pilote d'ULM, à seule fin d'avoir un titre aéronautique de plus puisque je n'envisage pas encore de faire de cette catégorie ; un pilote d'avion n'a d'ailleurs pas besoin de posséder le bre­vet d'ULM pour en faire. Le titre qui m'est remis porte d'office la qualification mul­ti-axes, comme il est logique, mais aussi la qualification pendulaire sans qu'on m'ait demandé si j'ai jamais piloté ce genre d'appareil fait ; et je n'en ai jamais fait. Cepen­dant je reviens protester après réception du brevet par la poste : on a oublié de m'apposer l'autorisation d'emport de passager alors qu'un pilote d'avion l'a de plein droit. Mon plein droit est d'avoir l'autorisation d'emport de passager aussi bien en trois-axes qu'en pendulaire. L'erreur corrigée, je suis donc en toute légalité en droit d'emmener un innocent sur un pendulaire dont j'ignore tout et dont les commandes marchent à l'envers.

    Je ferai deux vols en pendulaire comme passager sans toucher à la barre, l'un de trente-cinq minutes en 1996 à Guéret et l'autre de moins de dix minutes sur la piste privée d'un fermier de l'Indre.

    J'abandonnerai donc tout à fait l'avion, que j'aime, pour l'ULM qui n'est moi qu'un avion à bas prix et sans empoisonnements administratifs. Je trouve dans les petites annonces un Tur­bulent à vendre à Vitry-le-François. Voici seize ans que mes vols en avion se ré­sument aux cinq heures annuelles nécessaires ou à peine davantage, exactement 77 heures sur toute cette durée. Encore ai-je même abandonné puisque mes derniers vols remontent à 1994. En réalité je continue à domicile à tenter de construire un ULM ; l'abandon de l'avion n'est que celui d'une pratique qui me rui­nerait si je voulais voyager, et qui sans voyages n'est que survols éternels du même décor.

    Le Turbulent à vendre n'est plus à huit mille francs comme en 1977 mais à cin­quante mille, ce que la seule hausse générale des prix n'explique pas. Je persuade un autre membre de mon club de se porter co-acheteur et me rends en 125 à Vitry. L'appareil est convenable mais en m'y asseyant je prends conscience du drame : j'avais oublié que la place était comptée dans cette machine : j'y tiens tout juste et mon co-acheteur qui me dépasse de plus de dix centimètres ne s'y logera certaine­ment pas. J'envisage alors de faire un gros effort et d'acheter seul. Il faut évidem­ment remettre en route ma licence avion périmée depuis deux ans.

    Je demande à l'instructeur en combien d'heures il me restituera cette licence ; je parle d'un ton voulant bien dire que je n'entends y voir qu'une formalité. Il ré­pond que ce n'en est pas du tout une, et que nous referons un réentraînement sé­rieux avec notamment des atterrissages sur un terrain contrôlé. Voilà qui ne fait pas mon affaire puisque de ma carrière de pilote d'avion je ne me suis jamais posé sur un ter­rain contrôlé si ce n'est pas erreur, ou bien à moins qu'ils ne tolérassent les ar­rivées sans radio. Je sens que j'en aurai pour une dizaine d'heures et un trimestre ; je cal­cule ainsi en doublant raison­nablement une première estimation faite à la louche. Et tout cela pour ensuite recommencer à suivre les routes !

    - Je suis, dit l'instructeur, responsable de ma signature et de votre côté rien ne vous empêche une fois renouvelé de partir faire le tour du monde en quadriplace. Le ré­entraînement sera sérieux.

    La situation est absurde puisque je ne compte rien faire d'autre de ma vie que des ronds dans l'air entre petits terrains en herbe.

    - J'ai deux cents heures en navigation sur un Turbulent !

    - Cela ne m'impressionne pas.

    Que faire devant la statue de la rigueur ? Je me sens glisser vers la lâcheté :

    - Et si je suis ce réentraînement, pourrai-je du moins pendant ce temps voler sur mon Turbulent en lo­cal ?

    - Oui, à condition que je sois présent, et avec mon autorisation au coup par coup.

    Puis, après un instant de réflexion :

    - Non, pas même puisque c'est un monoplace et que je ne pourrai pas vous tester dessus.

    - Un instructeur a le droit le lâcher un élève sur monoplace !

    - Oui, mais je ne prendrai pas ce risque.

    - Mais j'ai quatre cents heures sur le type ! Outre un lâcher initial fait tout seul !

    - Cela ne m'impressionne pas.

    Je suis au contraire très impressionné par cet instructeur en principe de précaution. Je pourrais aller dire au président que l'instructeur disposé à voler avec des élèves qui paient le vol, n'est pas disposé à les faire profiter des droits qu'il a. Je préfère évi­ter les vagues et sans rien dire quitte définitivement l'avion, non sans regret mais par nécessité.

    J'achèterai alors un ULM de construction amateur, un Mignet particulièrement mé­diocre. Je construirai ensuite un Mignet prototype qui sera plus médiocre encore puisqu'il ne volera par petits bonds qu'à la façon de l'Eole de Clément Ader. Je fais après cela un Mignet meilleur, puis un trois-axes inspiré des avionnettes des années 1920. Je termine par un appareil à moteur Volkswagen, de la même catégorie que le Turbulent mais en moins bon. Je vole sur ce dernier appareil depuis 2002 et ra­conte tout cela plus loin dans la partie consa­crée à la construction amateur.

    Quoique je possède à nouveau un quasi-avion, je n'ai plus l'entrain de jadis en ma­tière de voyage. Le Mignet acheté, particulièrement médiocre, n'a pas d'autonomie ; je me borne à le poser à Argenton-sur-Creuse où il déchaîne par sa laideur excep­tionnelle l'hilarité méchante mais non sans cause d'un vieil instructeur. Je le pose un jour de vol à voile à Issoudun où par hasard je retrouve un ancien instructeur de Lille, devenu plus tard président de la FFVV et ayant acquis un embonpoint éton­nant ; il disparaîtra malheureusement de façon naturelle un ou deux ans après. Un vélivole belge présent me déclare avec envie que la réglementation de son pays ne permettrait pas de faire librement un appareil comme le mien, ne suivant aucun plan. Ce pilote a été formé autrefois à Saint-Hubert ; je ne connais Saint-Hubert qu'à travers la bande dessinée Michel et Thierry que je lisais à dix ans dans Spirou ; on y vantait un chef-pilote réel aux méthodes à l'ancienne, un certain Watelet ; mon interlocuteur se pré­sente comme ancien élève dudit.

    Je poserai encore mon Mignet au Blanc déjà connu pour y apprendre sans frais que la radio y est exigée à présent. Eh bien, allez au diable ! Je n'ai de bon souvenir de cet ULM nul sur tous les plans que son premier posé à Argenton un jour de juin 1997 pour son premier atterrissage extérieur. Il est tôt ; le terrain est désert, l'herbe humide et l'air frisquet. Lorsque mes roues tournent dans la rosée je suis pris d'une vive émotion ; mes voyages anciens en monoplace me remontent à l'esprit en bouf­fée ; comment ai-je pu dix-sept ans durant ne quasi rien faire ?

    Lorsque cet appareil tombera en panne de moteur un jour au décollage je ne cher­cherai pas à réparer. J'en profiterai pour revendre le moteur en l'état et déman­teler la cellule aussi traînarde et mal fichue que laide à faire peur : fallait-il que je me sen­tisse en mal d'aéronef pour avoir acheté cette ignominie montée de bric et de broc ? Tour à tout je fais voler en 1998 un autre Pou de ma création à moteur DAF, qui fera quinze heures avant je me lasse d'arriver trop souvent au terrain pour y constater un vent de travers rédhibitoire pour un Mignet à train classique ; le Pou affreux avait du moins un tricycle qui, pour contribuer sensiblement à sa laideur, lui donnait une certaine tolérance au vent latéral. Je fais donc voler en 2000 un trois-axes em­ployant le même DAF, et cette fois c'est au moteur de s'avérer bientôt dé­faillant. En 2002 prend enfin l'air un second trois-axes à moteur Volkswagen que j'emploie en­core en 2015. Cette longue épopée tragi-comique de constructions est développée dans une section particulière. Avec mes créations je n'irai jamais plus loin de Guéret que Loudun à un peu moins de cent nautiques, puis Issoudun, Saint-Junien et Chauvigny. Je me poserai aussi sur le délicieux petit terrain rural discret de Châ­teauneuf-sur-Cher où l'instructeur prenant mon appareil à moteur VW pour un avion me demande d'un air choqué pourquoi je n'ai pas d'immatriculation (celle d'un ULM est sous l'aile et mon aile est semi-basse). Ayant compris son erreur (je l'ai fait marcher en lui demandant innocemment si cela l'embarrassait vraiment) il se met en tête de secouer mon monobloc pour voir s'il ne bat pas : hé ! Hola ! Fais le Véritas de ton propre parc ! A part cela je ne cherche même plus à collectionner sur mon carnet les aérodromes alentour. Mon terrain préféré est celui de Montluçon-Domérat ou je ferai de nombreuses visites ; il réunit tout ce qui me séduit. La piste en dur est vieille et craquelée ; la maison des deux aéro-clubs n'est pas un cabanon moderne en verre ; il y a une superbe aérogare d'entre-deux-guerres, de celles qu'on bâtit dans l'illusion d'on ne sait quel trafic ; il y a la ville directement à la porte de l'aérodrome, ce qui comme à Bourges donne un sentiment de communion entre vie et aviation ; il y a le souvenir de Léon Biancotto ; il y a surtout ce cas très rare de l'aérodrome où les petits avions se posent en survolant les faubourgs en vent arrière et la ville en approche, passant en finale peu au-dessus d'un immeuble qui est bien perpendiculaire à la trajectoire. Aussi Montluçon n'est-il accessible qu'aux appareils basés sur les terrains voisins.

    Une fois qu'on a construit l'appareil que probablement on utilisera jusqu'au terme de sa carrière de pilote, et qu'on a fait le tour des voyages de quelque importance qu'on envisageait, le récit de cette carrière de pilote est en quelque sorte terminé. Je me borne à me rappeler quelques impressions.



    C'est dimanche de Pâques. Il est onze heures ; un grand soleil printanier pas trop chaud encore égaie un joyeux paysage sur lequel bourdonne à basse hauteur mon appareil. Les villages défilent sous mes ailes ; il me semble entendre carillonner leurs églises : c'est une France rurale surgie du passé ; l'engin semble aussi heureux de vivre que son pilote.

    Nous voici maintenant par un après-midi gris de fin d'été. Le gris uniforme d'un plafond bas pommelé éteint assez de lumière pour as­sombrir modérément la ver­deur du paysage moutonné, tout en égalisant les nuances de vert pour en effacer le gros des contrastes. C'est alors entre ces deux couches une étrange impression de visiter un domaine isolé du monde et qui n'appartient qu'à soi.

    Tôt ce matin j'effectue vingt minutes de vol avant d'aller au bureau. La visibilité est bonne mais une mince épaisseur de brouillard stagne au sol. Les dépressions sont com­blées : la vallée de la Creuse est une longue tranchée sinueuse au blanc épais. Les menues éminences sont autant d'îles apparaissant sur la mer blanche. Là où les re­liefs sous-marins n'atteignent pas la surface, les arbres la crèvent : l'étendue blanche est ainsi parsemée d'émergences vertes, de pointes noires et de boules de feuillages posées sur le voile blanc. A la verticale seulement on distingue le sol à tra­vers vingt pieds de brume.

    Dans un ciel de cumulus où la référence verticale s'ef­face par mo­ments, le nez de l'appareil et son pare-brise remplissent le plus gros de mon champ visuel en sem­blant rageusement vouloir escalader le blanc qui envahit le plexi. Par­fois, trop rare­ment, un compagnon suit l'appareil en contrebas, sur le côté, mais non pas en palier puisqu'il monte et descend par sauts brusques et mal prévisibles, bien plus vif ainsi que l'appareil qu'il escorte. C'est mon ombre, que dé­peint Clostermann sous les traits d'un marsouin folâtrant d'un nuage à l'autre. Je suis aujourd'hui posé à Mont­luçon.

    Un Anglais d'âge mûr s'approche et s'enquiert du nom du type d'appa­reil. Il en note sur un carnet l'immatriculation, remercie et s'en repart sans aucun désir de rien savoir de plus. J'ai vu là un exemplaire de la race née outre-Manche des spot­ters, collectionneurs redoutables d'immatricula­tions, que rien n'intéresse d'autre, et modestes encore dans leurs ambitions lors­qu'ils se restreignent aux aéronefs plutôt qu'aux automobiles.

     

     

    ON S'ESSAIE AU PSV

     

    Passionné par le PSV dont je n'ai jamais fait, j'en étudie la théorie avant de la mettre en pratique un jour de 1977 sur le DR-360 d'Ecury. Je confectionne une visière de carton qui fixée à mes lunettes ne laisse voir que le tableau de bord pour peu que j'abaisse le regard. Il suffit en revanche de lever le nez pour voir dehors. Un jour de ciel pur et calme j'emmène en passager un pilote d'aile libre ; il a pour mission d'as­surer la sécurité tant face aux aéronefs que pour signaler une position scabreuse, à supposer que l'horizon artificiel m'ait échappé. A cinq ou six cents mètres je chausse les lunettes à visière.

     

    La première constatation est que le maintien du palier avec les ailes à plat est facile ; je n'ai pas perdu le contrôle au bout des 183 secondes d'espérance de vie promise au pilote inexpérimenté égaré dans un nuage. L'explication paraît simple. Je sais qu'il suffit de relever les yeux pour piloter à vue ; je n'ai pas à craindre un sol dont j'igno­rerais la distance ; je ne tremble pas en me demandant si je sortirai du brouillard et quand. L'absence de terreur fait toute la différence.

     

    Après le palier rectiligne je risque sans désastre montées et descentes à taux modé­ré, puis virages à inclinaison modeste. Lorsqu'on a compris les réactions de l'horiz­on en roulis et qu'on a pris le réflexe de ne pas inverser les corrections, la chose en air calme n'est pas difficile. Au bout enfin de quinze minutes de ces exercices je les interromps faute de savoir quoi faire encore.

     

    Des années après je me ferai traiter de menteur par un instructeur qualifié IFR en lui contant l'anecdote ; il nie absolument qu'on puisse à son premier essai tenir un quart d'heure. Probablement a-t-il rencontré des difficultés importantes à ses pre­miers vols en PSV ; rien ne dit non plus qu'en poursuivant je n'aurais pas subi l'un de ces vertiges de désorientation qui surprennent le débutant encore peu avancé, quand même il n'est plus à son premier vol sous capote. Je pense simplement avoir bien fait mienne l'idée qu'on ne se fie qu'aux instruments et nullement à ses impressions. Est-ce si difficile ? Il paraît que oui.

     

    C'est-à-dire que je ne perdrai aucunement le contrôle au cours de deux heures qua­rante-cinq que je ferai ensuite sous capote en quatre vols avec cette fois un instruc­teur. Nous combinerons PSV et radio-navigation, puis simulerons des approches sans visibilité guidées par radio par un radariste. L'instructeur évidemment simule le ra­dariste. C'est là que je perds le contrôle.

     

    L'instructeur m'a averti que tous les débutants une fois passés en approche sous les cin­quante mètres se cassent virtuellement la figure, parce que la proximité du sol annon­cée tend terriblement les nerfs de l'apprenti. Je passe donc sous les cinquante mètres en approche, descends encore de façon stable jusqu'au moment où l'instruc­teur sans doute impatient se saisit des commandes en proclamant que j'ai perdu le contrôle. Ah ? Je ne m'en suis pas aperçu, mais il doit savoir ce qu'il dit.

     

    Passons à la pratique. L'instructeur doit aller de Châlons à Dijon-Darois chez Robin convoyer un appareil du club qui entre en travaux. Je pars moi-même sur le Cheva­lier pour assurer le retour de l'instructeur. Tandis que celui-ci parvient à Dijon, pour moi les choses se passent autrement.

     

    La météo se fait mauvaise. A mi-chemin je me heurte à un mur de nuage qui s'étire verticalement du sol jusqu'à cinq cents mètres, net et bien délimité : une falaise. La falaise à gauche comme à droite s'étend de façon rectiligne jusqu'à la limite du re­gard. A cinq cents mètres du sol la falaise fait sa jonction avec un plafond strati­forme : le demi-tour s'impose.

     

    Je raisonne autrement. Je décide d'entrer dans la falaise et de parcourir trente se­condes en ligne droite. Si alors je n'ai pas retrouvé le vol à vue je ferai demi-tour. Trente secondes après la fin du demi-tour je retrouverai mathématiquement le vol à vue puisque la falaise est parfaitement délimitée.

     

    Trente secondes se passent sans retrouver « l'air libre ». Je fais demi-tour et attends trente autres secondes, puis soixante... Je suis toujours dans la purée. Diable. Il faut réfléchir.

     

    Pour mieux réfléchir sans doute je consulte ma carte, car une carte de vol à vue me sera probablement d'un grand secours en PSV. Tandis que je me livre à cette étude je suis réveillé par un bruit aérodynamique inhabituel. Je jette un œil à l'horizon ar­tificiel pour apercevoir la ligne entre terre et ciel tout en haut du cadran et forte­ment penchée. L'indication du badin n'est, comment dirais-je ? vraiment plus rai­sonnable en PSV . Elle chatouille la Vne ; cela n'est pas bien grave en air immobile, mais tout de même... Il n'y a que le compte-tours pour ne pas être effrayant. J'avais fortement réduit avant d'étudier ma carte en palier au ralenti, jugeant ainsi l'avion plus stable. Les tours-minute restent ainsi dans les limites permises, encore qu'à leur borne supérieure.

     

    Ne nous énervons pas. Un soir dans mon lit en consultant mes Aviasport des années cinquante, j'ai lu un article sur la « procédure de Saint-Cyr » mise au point sur cet aérodrome tout précisément pour tirer de ce mauvais pas les pilotes VFR fourrés dans un piqué incliné en nuage.

     

    Il faut décomposer : réduction des gaz, puis rétablissement de l'inclinaison puis ré­tablissement du palier. Décomposer est évidemment perdre une chance d'éviter le sol si l'on est trop bas, mais une chance aussi de ne pas finir mal en s'embrouillant les pinceaux.

     

    Appliquons la procédure de Saint-Cyr. Tout se passe bien, et se passe mieux encore qu'espéré. Car que pouvais-je en attendre sinon me retrouver en vol correct dans les nuages encore et sans issue ? J'aurais sans doute lancé un SOS sur n'importe quelle fréquence jusqu'à ce qu'on me communique celle d'un radar d'approche militaire.

     

    Mais voici que la ressource finale de la procédure a le bon esprit de me faire sur sa fin sortir sous le nuage ! Je suis sauvé sur tous les plans. Le sol en fin de ma­nœuvre est quatre-vingt mètres sous mes ailes. Tout va bien. Cependant je dois réduire de deux mille cinq cents tours et 240 km/h à dix-sept cents tours et 170 km/h pour évi­ter de me fourvoyer dans les multiples nuages traînant à terre et terriblement rap­prochés. En à peu près une heure et demie de ce tournicotis j'atteins Troyes-Barber­ey où j'atterris pour regagner Ecury le lendemain. Selon leurs idées les gens du club m'enguirlandent pour avoir fait rentrer l'instructeur par le train de nuit, ou me féli­citent pour un demi-tour judicieux. Il n'est pas utile de me faire jeter hors de l'assoc­iation en racontant les détails qui précèdent.

     

    Les choses se corsent lorsque rédigeant ces lignes en 2015 je relis mon carnet. Comme raconté plus haut, j'avais toujours cru avoir fait mon numéro dans les nuages après mon premier quart d'heure de PSV en lunettes à visière, suivi de deux heures quarante-cinq sous capote avec un instructeur. Or ce n'est pas du tout cela. J'ai fait ces deux heures quarante-cinq après mon exploit dans les nuages. Ledit ex­ploit n'a donc été précédé que du quart d'heure de PSV en lunettes. Je ne conseille certes à personne de m'imiter.

     

    Baptisés pittoresques  

     

    Les baptêmes de l'air parfois amènent leurs incidents ou leurs enseignements sociologiques. Un dimanche où l'aéro-club de Châlons s'est déplacé à quelques dizaines de kilomètres et dispense ses baptêmes sur un champ villageois - la pratique n'est naturellement plus admise - je monte deux passagers amusants. L'un est un robuste et jeune fermier à la silhouette de bûcheron et au sourire d'enfant ; l'autre semble être la beauté du village, une jeune personne apprêtée, aux airs de mijaurée et aux façons maniérées. Durant le vol le fermier ne cesse avec enthousiasme de désigner à la belle ses nombreuses bâtisses et propriétés ; la demoiselle qui ne dit mot  sourit d'un air entendu laissant entendre qu'elle sait tout cela et sans doute l'a déjà entendu plus d'une fois. Tous deux sont à mourir de rire.

    Moins drôle est ce sexagénaire embarqué durant la même séance. Nous sommes en 1980. L'avion vient d'atteindre cent mètres lorsque mon passager se met à pousser des cris forts et indistincts. Je propose un atterrissage immédiat. L'homme se calme et répond qu'il n'a pas peur du vol mais de tout autre chose, et qu'il me l'expliquera après l'atterrissage.

    Il était en mai 1940 soldat en opérations. Son adjudant avait ainsi instruit ses hommes sur les risques des avions ennemis : "En l'air un pilote ne voit que ce qui bouge. Si vous êtes surpris au milieu d'un champ ne courez surtout pas vous mettre à couvert ; vous vous feriez immanquablement repérer. Immobilisez-vous et vous ne serez pas vus !"

    Mon homme n'était jamais encore monté en avion. Parvenu à la hauteur où le survolaient jadis les avions Allemands, il avait compris en voyant le monde au sol que son adjudant aurait pu lui jouer un mauvais tour.

    Une autre fois à Mourmelon trois jeunes gens montent à mon bord, et celui qui s'assied devant n'a jamais volé non plus ; il demande un baptême "remué". Hélas le Rallye déjà un peu surchargé n'a rien d'un voltigeur et je ne puis le satisfaire. Or à peine l'avion en l'air, le candidat au vol remué s'effondre le visage caché entre les bras sur ses genoux.

     

     

    VOLS COMMERCIAUX

     

    L'intérêt pour l'aviation ne signifie nullement qu'on emprunte fréquemment l'aéro­nef marchand, le « ballade-couillons » des pilotes de ligne. Pour mon compte ce se­rait même plutôt l'inverse : mon intérêt est que les aéroports ne s'étendent ni en nombre ni en étendue des zones qui les surplombent. En définitive aucun des quatre vols de ligne que j'ai empruntés n'était le fait de ma volonté. Un employeur voulant un jour de février 1982 m'envoyer pour la journée à Lorient depuis la région parisienne, je fais connaissance avec Orly. Le billet est très cher, ce qui n'est pas étonnant puisque la majorité des passagers sont en uniforme de commercial, atta­ché-case inclus. Pour­quoi faire des prix aux entreprises ? C'est une journée du sou­venir puisque les avions pris ne sont pas loin de finir au musée. L'aller est fait en Viscount bien sonore, et le re­tour en Caravelle avec arrivée de nuit et vue impre­nable sur Paris éclairé. C'est en­core à ce jour mon seul vol nocturne.

     

    Quatre mois plus tard une aimable conductrice britannique déboîte pour dépasser tandis qu'à moto je le double déjà moi-même. Deux semaines plus tard un Trident me ramène à Roissy sur une civière avec un fémur brisé. L'accès à l'avion par la pas­serelle d'embarquement est assuré par six hommes forts qui se débrouillent pour te­nir la civière horizontale au-dessus de leurs têtes. Ne rien voir que le ciel en sentant son lit osciller à plusieurs mètres du sol est assez particulier. Dans l'avion j'occupe six places avec mon accompagnatrice, trois sièges en longueur étant nécessaires pour le brancard.

    Quelques semaines plus tard j'ai besoin de rappeler cette personne qui est la corres­pondante de mon assureur moto à Londres. Je rassemble mon meilleur anglais :

    - Hello ! I want to speak with miss X, please.

    En ce temps où l'affichage du numéro appelant était exceptionnel, la réponse n'en est pas moins aussi fulgurante que vexante :

    - C'est moi...

    En 1991 une seconde motocyclette est tuée sous moi par un second britannique. Je n'ai qu'une contusion au genou et peux quitter l'hôpital le lendemain, quoique mar­chant plusieurs semaines encore avec des cannes. C'est un 767 qui me reconduit une fois encore à Roissy, mais cette fois assis. Après quarante minutes de vol j'attends quarante minutes ma valise à l'arrivée ; il paraît que c'est normal.

     

     

    LES CATASTROPHES !

     

    Un accident d'automobile est la chose la plus sotte au monde. Un accident de moto et a fortiori d'avion : voilà un accident d'homme. Ne pas en avoir à son palmarès est n'être pas aviateur tout à fait. Je ne suis donc pas tout à fait aviateur puisque je n'ai pas eu d'accident aérien, mais seulement des urgences. C'est déjà ça.

     

    Le premier avril 1975 je décolle d'Ecury en Emeraude. Au bout d'un quart d'heure le bruit du moteur et ses vibrations deviennent tout à fait anormaux ; une petite volute de fumée entre en cabine, mais sans être suivie d'autres. Les vibrations devenant des secousses, je réduis au maximum et coupe le contact ; l'hélice ne s'arrête pas, que cela soit dû à l'effet de moulinet ou à la surchauffe du moteur causant un auto-allumage. Je suis à quatre cents mètres ou un peu moins, à la verticale des champs qui s'étendent près de Châ­lons le long de la route de Troyes à proximité de la sucre­rie. La peur monte quelques secondes, tangible, matérielle, hideuse. « Tu as voulu faire un sport de con ; puis­qu'il t'advient toujours des extravagances où que tu sois, cela ne pouvait que t'arri­ver ». La pensée naïve me vient à l'esprit que j'aurai des dif­ficultés de centrage si le moteur se détache ! (il est exceptionnellement advenu sur monomoteur que cet acci­dent ne soit pas fatal)

     

    Au bout de quelques secondes la logique reprend le dessus ; l'apaisement relatif du moteur y est pour beaucoup. « Tu es aux commandes d'un planeur même s'il est sans finesse ; tout est dégagé dessous » Le choix d'un champ long et large est ra­pide ; j'ai un demi-tour à faire. L'approche est aisée, encore qu'ayant abaissé les vo­lets à fond j'en rentre un cran à peu de hauteur. Sur les livres cela ne se fait pas, mais les interdictions absolues sont pour le temps normal ; elles ne sont pas pour les trajectoires de descente qui en rase campagne préci­pitent l'appareil sur un che­min creux longeant le seuil de la piste improvisée. Je vois en fin d'approche que j'ai la chance d'avoir un champ en pente montante ; le sol remplit une forte partie du pare-brise à l'arrondi ; l'arrêt est rapide quoique la culture soit très courte encore.

     

    Comme dans un film comique une Estafette bleue à gyrophare passe presque aussi­tôt par pur hasard. L'aéro-club distant de trois kilomètres est alerté. Le retour en re­morquage par les petites routes est organisé avec voitures en feux de détresse en tête et en queue d'un cortège assez fourni, comprenant aussi divers curieux. Je me sou­viens m'être fait la remarque de l'utilité de ce nouveau système qu'étaient les feux de détresse, puisqu'ils étaient alors d'apparition récente. Il reste à comprendre la panne.

     

    Je n'ai pas pris garde à la chute de la pression d'huile, dont la perte a causé le cou­lage de deux bielles. Sur le capot n'existait pas de trappe d'accès au bouchon d'huile, en sorte que j'avais depuis que j'employais cet avion vu peu de monde soulever un côté du capot pour aller jauger l'huile ; j'ai payé pour les autres. On a retrouvé le bouchon posé dans son tuyau mais non vissé ; les vibrations ont fait le reste. Quelques jours plus tard une trappe est apparue miraculeusement dans le capot.

     

    J'ai droit le lendemain à mon entrefilet dans le quotidien régional L'Union. Il se conclut ainsi : seul à bord le jeune homme s'en est tiré sans une égratignure, mais l'avion aura besoin d'une bonne révision. Sont-ils drôles !

     

    Le 28 avril 1976 à Strasbourg, ventral sec raconté plus haut ; de même pour une vache météo survenue en Côte-d'Or en Turbulent le 2 octobre 1977, sans difficulté particulière. Un journaliste local vient le lendemain matin ; je lui recommande ou­vertement pour son texte d'avoir à éviter l'emphase, car j'en ai l'expérience par ailleurs. J'ai d'une part lu nombre de récits de ce genre cités pour leur drôlerie par la presse aéronautique ; d'autre part j'ai vu à Bourges autrefois les stagiaires du vol à voile appelés dans le Berry Républicain « les jeunes demi-dieux d'une Olympe re­trouvée ». Ai-je paru impertinent ? Je ne recevrai jamais l'exemplaire promis du journal de Dijon.

     

    Le 8 juin 2002 je survole le sud de l'Indre avec mon ULM type JT.XI à trois axes et moteur Volkswagen. Il est encore officiellement aux essais, quoique muni déjà d'une grosse vingtaine d'heures de vol. J'aurais du demander déjà les papiers définitifs : on fait vite le tour d'un tel appareil. Il en résulte que je me vautre en panne dans la campagne hors de Creuse en me demandant si je ne serais pas par hasard en tort d'avoir quitté le département de l'aérodrome indiqué à l'administration pour les es­sais ; il faut dire que je n'ai pas eu le choix. Je survolais le nord de la Creuse lorsque le moteur a commencé à éprouver des ratés. La Creuse bocagée est inatterrissable. Guéret quatre cents mètres d'altitude plus bas est à vingt kilomètres ; j'ignore si je l'atteindrai avec un moteur qui bafouille ; je ne veux pas prendre le risque de finir en chemin dans une haie d'arbres. A trente kilomètres au nord se trouve le terrain ULM privé de Lourouer près de la Châtre où je vole de temps à autre sur un Pou-du-Ciel qui s'y trouve basé. Il est plus éloigné mais deux cents mètres plus bas que Gué­ret, ce qui est fort appréciable ; d'autre part et surtout je n'ai qu'à monter de quelques kilomètres seulement vers le nord pour trouver non plus du bocage, mais de vastes champs de plaine sans haies pour les séparer. Il faut donc aller au nord même si c'est pour finir vaché assez loin d'ici pour me dire que j'aurais pu atteindre Guéret !

     

    Simple bande étroite de quatre cents mètres, Lourouer n'est pas si facile à trouver. J'atteins bien les parages de la Châtre et de Lourouer mais tourne très longuement en me désespérant de ne pas retrouver cette piste pourtant à portée de main ! Pen­dant ce temps le moteur tourne juste de ce qu'il faut pour laisser un taux de chute faible mais constant et implacable de cinquante centimètres par seconde. Plusieurs reprises partielles de puisance sont sans suite. Par comble d'ironie il y a là une piste en dur, mais elle semble se moquer de moi : c'est une miniature de quelques déca­mètres destinée au modèle réduit. Enfin je me décide pour un vaste champ dont mon ignorance des cultures m'empêche de voir la nature et de supputer la hauteur. Je coupe le contact en approche finale et arrondis pour toucher à une vitesse que je ne croyais pas pou­voir être si faible. Aussitôt j'ai l'impression d'être sur un porte-avions et d'avoir ac­croché un filin d'arrêt. La décélération sans être violente est d'une puissance inat­tendue : la culture déjà haute a uniformément saisi le bord d'at­taque. L'appareil s'immobilise. La queue se soulève, irrésistiblement. Je vois avec incrédulité le sol droit devant moi, puis la machine retomber sur le dos.

     

    L'appareil enfin inerte, immédiatement je songe aux morts pour avoir dans une pa­reille situation détaché leur ceinture et s'être rompu le cou en tombant la tête au sol. Je me félicite d'avoir tant lu de récits divers. Je sais pourtant que je me fais un peu de théâtre puisque mes cheveux sont déjà contre le sol. Je me détache et parviens à me tortiller pour être juste un peu moins mal, encore que dans une posture bizarre. Je sens une odeur d'essence : le réservoir va couler par le trou de mise à l'air et l'es­sence se répandre à terre tout autour. Je ne crains pas le feu mais l'anesthésie et la mort. Il faut sortir de là sans délai. J'ai les épaules recouvertes par un capotage de stratifié mince et assez flexible, qu'il est possible de tordre et d'arracher. Je parviens à m'extraire entre sol et bordé de cabine ainsi dégagé ; l'appui-tête surplombant le fuselage assure dans cette position une certaine hauteur libre sous l'appareil retourné.

     

    L'essence en fin de compte aura peu coulé, au point que le réservoir sera encore em­pli le lendemain au retournement de la machine. Et le trou de mise à l'air ? Il est garni d'un bout de tuyau souple d'une quinzaine de centimètres de long comme sur certaines motos ; ce tube dans le retournement est écrasé par la végétation tassée sous lui.

     

    Un appuie-tête mis pour faire joli a prévenu la fracture du cou ; un tube flexible in­utile mis pour faire propre a évité l'empoisonnement par les vapeurs d'essence.

     

    Ma première idée est d'aller récupérer mon portefeuille prisonnier d'un casier sur le dessus du fuselage entre cloison porte-moteur et réservoir. Je gagne la petite route à vingt mètres, puis la ferme voisine. Je suis en panne ; puis-je téléphoner ? Certaine­ment ; où est votre voiture ? Non, c'est un avion...

     

    Nul ne m'a vu atterrir. L'ULM noyé dans la récolte est invisible depuis le bord du champ ; blessé, je serais resté là longtemps. Le propriétaire du Pou que je fais voler à Lourouer vient me dépanner, me loger chez lui et prendre des photos de la scène à la manière dont George Bush II observe le lointain aux jumelles : lorsqu'on ne retire pas le cache sur l'objectif, adieu les souvenirs.

     

    Le lendemain matin je passe un temps considérable à la gendarmerie rurale voisine. Les fonctionnaires se sont posé la même question que moi : peut-on en période d'es­sais quitter le département où l'on est basé ? Après recherche ils ne trouvent rien qui l'interdise. Dans le cas contraire j'aurais plaidé la nécessité, et ma cause eût été gagnante. Le monde se perfectionne : les gendarmes sur écran retrouvent mon pas­sé et le nombre de mes heures d'avion. Après cette audience par la gendarmerie lo­cale, c'est la gendarmerie de l'Air de Châteauroux qui vient sur le terrain. Une fois l'appareil remis d'aplomb il vérifie qu'il reste de l'essence ; c'est un réflexe de métier, mais comme on a vu plus haut c'est de toute façon par hasard s'il en reste. Le gradé de la gendarmerie de l'Air me pose quelques questions presque candides, mais qui paraissent normales chez un terrien. J'ap­prendrai plus tard qu'il est pilote privé.

     

    L'ULM hissé par une machine agricole est mené sous un hangar de la ferme voisine. On peut étudier les dommages ; ils ne sont pas importants. Une pale d'hélice est bri­sée ; l'appui-tête est quelque peu enfoncé ; le delco saillant sans capo­tage est fichu ; le bord d'attaque en bouleau d'un millimètre a été si régulièrement saisi au freinage par la récolte qu'il ne porte aucun enfoncement. La lame de train toutefois est délam­inée et déformée : j'ai arrondi en fonction du niveau supérieur des cultures et l'appareil a chu de haut.

     

    Un accord à l'amiable est conclu sans assurances pour les quelques ares dévastées par l'atterrissage et l'intervention de relevage. Une une fois reconduit en Creuse, je n'ai qu'à retourner en deux fois avec une remorque rapporter aile et fuselage. D'où est venue la panne ? Je me souviens avoir connu un hoquet ou deux du moteur quelques heures de vol plus tôt. L'allumage est en cause. C'est un delco électronique d'où partent deux fils allant à la bobine ; ces fils à l'intérieur du delco ne sont pas ac­crochés quelque part ; il a suffi de tirer un peu dessus du dehors pour qu'ils se tendent à l'intérieur, frottant contre le pivot rotatif du doigt d'allumage. Les fils ont été progressivement érodés jusqu'à la défaillance. Le plus drôle est que le fournis­seur ne voulait fournir à des aviateurs que le delco mécanique standard des moteurs VW, et jugeait sa responsabilité engagée s'il venait à leur vendre le modèle électro­nique dans lequel il se disait plus impliqué ; j'avais donc dû mentir sur la destina­tion de cet allumeur. Je n'ai rien eu que des éraflures aux jambes à travers le panta­lon ; le fournisseur de delcos a partagé ma chance dans cette affaire. Eussé-je d'ailleurs été plus sérieusement atteint, que je me serais efforcé de passer pour in­demne afin de ne pas contribuer à pourrir les statistiques de l'ULM.

     

    Une nouvelle panne en vol manque de peu sur le même appareil quelques années plus tard. Je décolle en 05 de Guéret, suivi par le regard inquiet de parachutistes au sol : je traîne un impressionnant panache de brouillard d'huile. Il provient du joint de cache-culbuteurs droit, dont il n'est pas exceptionnel sur VW qu'il montre cette défaillance subite. De mon poste je ne peux rien voir aussi longtemps que je conserve une position normale. Cependant il existe dans le contre-plaqué du flanc droit de la cabine un petit trou de six. Une part de l'huile ruisselle dehors sur ce flanc ; il en entre par le trou jusqu'à ce que je découvre ma manche fortement ta­chée. C'est alors qu'en me tordant le cou je distingue l'ample traînée de brouillard. Je n'ai franchi que trois ou quatre kilomètres et reviens après un demi-tour immé­diat, ne conservant de moteur que le nécessaire à la pente de descente. Le moteur arrive au parking sans autre panne.

     

    Je dois donc beaucoup à ce trou de six a priori sans fonction sur le flanc de la ca­bine. Pourquoi y est-il ? Peu auparavant y passait une courte vis de même calibre te­nant une patte d'aluminium sur laquelle était fixé le compte-tours électronique qui n'avait pas trouvé sa place sur le trop petit tableau de bord. Or cette patte était éga­lement collée. Dans une démangeaison un jour de gagner des grammes, j'avais ôté cette vis faisant double emploi. Voilà comment une accumulation de menus faits dont chacun était improbable aboutit à éviter miraculeusement une panne au-des­sus des bocages du département. Il est également étonnant de voir comment la dis­persion dans l'air d'une quantité d'huile minime peut causer des centaines de mètres cubes de brouillard.

     

     

    RENCONTRES DIVERSES

     

    Tandis que se répand en notre millénaire parmi les pilotes de plaisance la peur de voler sans trans­pondeur, il est agréable d'établir de mémoire la liste des avions croi­sés de près, comme autant de sa­luts amicaux même involontaires. Je n'ai aucun souvenir de cette sorte du temps où avant 1973 je ne faisais que du planeur. Pre­mière rencontre en vol d'instruction en DR-220, deux F-100 venus de mes trois heures passent devant moi un peu plus bas, à proximité de la longue piste militaire désaffectée de Brienne-le-Château. Toujours dans le même avion mais cette fois à l'occasion des navigations seul à bord avant obtention du second degré, je rentre de Compiègne sur Prunay via une escale à Laon. La ligne droite n'est pas possible ; il faut contourner par l'ouest le couloir de descente prolongeant la zone de la base aé­rienne de Reims. J'en contourne probablement l'extrémité au ras du trait : je m'avise de la présence d'un F1 parallèle à cinquante mètres à ma gauche, tout sorti en descente. Le DR-220 croise à 200 km/h et le Mirage n'en a peut-être qu'une cin­quantaine en plus ; il paraît presque immobile, s'éloignant en glissant très lente­ment. Brevet obtenu, je vole un peu plus tard dans un Emeraude du club de Châlons au-dessus de la vallée de la Coole ; un puissant vacarme se produit soudain : tour­nant vivement le regard j'ai le temps de voir à deux heures en assez gros la tuyère d'un F1 en légère montée, à cent mètres à peine, comme si je regardais la vue arrière de l'avion sur un plan à quatre vues. J'ai l'impression que son axe de roulis traverse l'Emeraude ; il aura rasé mon dos. La rencontre suivante aura lieu au-dessus des ra­dars de Drachenbronn le 20 mai 1976, un peu près ma libération du service mili­taire fait sur cette base aérienne.

     

    Un samedi je promène sur le Jodel 120 de l'aéro-club d'Alsace un camarade appelé de Drachenbronn ; je vien de quitter le service et lui a encore quelques mois à faire. Ayant décollé de Strasbourg-Neuhof pour un vol à frais parta­gés, nous remontons vers le nord sans envisager d'aller jusqu'à Drachenbronn ; cependant mon passager qui est parachutiste sportif comme moi-même, me fait signe qu'au diable l'avarice : il veut voir la base d'en l'air. Nous survolons les collines boisées en passant non loin du radar principal, lorsque le passager me désigne sur la gauche un Fouga volant parallèlement en sens inverse. Il vient au même niveau à notre ren­contre, à ceci près qu'il passera dans deux secondes par notre travers à deux cents mètres.

     

    A l'instant même du « croisement » je bascule le Jodel sur la tranche en amorçant un demi-tour serré vers le Fouga qui bien évidemment est loin devant lorsque le 180 s'achève. Il s'éloigne loin à gauche en montant ; je le perds de vue dans le yoyo qu'il semble effectuer. Le passager décidément plus doué pour survivre, signale son re­tour de face et de haut. Le Fouga sur le dos plonge de haut sur nous. Il va d'évi­dence passer très près ; il apparaît lorsqu'il est moins loin que son passage se fera par des­sus, au-dessus de notre dérive. La consigne est évidente : vol rectiligne et plus un geste ! Drachenbronn n'a pas d'avions, mais un ou deux de ses officiers sont des pi­lotes qui entretiennent leurs aptitudes à l'occasion sur une autre base. Mon passager le surlendemain se verra ainsi convoqué pour remontrances amusées, par son propre commandant qui à la descente de son biréacteur est allé enquêter sur l'iden­tité de l'équipage de son valeureux adversaire.

     

    A aucun moment il ne m'a été possible de mettre le Fouga trois fois plus rapide en danger de collision. On n'ose en revanche songer à ce qui pourrait sur plainte frap­per le commandant de nos jours pour son passage frontal au ras des moustaches, qui reste bien sûr un intéressant souvenir de vol.

     

    Peu après sur un avion du club d'Ecury, je survole la zone du camp de Mourmelon à une cinquantaine de mètres. Une patrouille de deux Mirage III surgit à gauche à même hauteur, à peine en avant. Je ne sais plus qui des deux a plongé. Un jour de 1979 sur mon Turbulent dans la région au nord d'Angoulême j'avise à dix heures et demie - parce que le hasard y dirigeait mes yeux - le ventre d'un Mirage III qui sur la tranche dégage brutalement sur sa gauche. Après une seconde de flottement, je fais de même sur ma droite, bien inutilement, par politesse en quelque sorte. En mai 1980, j'atterris à Auch fort mécontent ; j'avais été non loin de là aperçu de loin par un Transall qui s'était amusé à venir déli­bérément faire des passages lents sur ma droite en allant à peine plus vite. Plonger au ras des haies n'avait servi à rien puisqu'il savait le faire mieux que moi.

     

    En août 1980 de retour d'Ecosse en Turbulent, quelque part sur la côte de la mer du Nord entre Sunderland et Bridlington je suis pris dans un ballet tournoyant de six ou huit biréacteurs antichars A-10. Ils m'ont pris pour centre de giration et me suivent ainsi dans la descente que j'amorce rapidement, ne me lâchant que lorsque j'arrive à quelques mètres de la mer dans une crique découpée dans la falaise ; l'exi­guïté de l'endroit les oblige à me laisser. Plus au nord sur le côte est de l'Ecosse dans l'aller du même voyage, une patrouille de deux Hunter venant à peu près de face et à peine de ma droite m'avait croisé de niveau ; l'avion le plus proche l'était vraiment, montrant le casque du pilote apparemment dirigé vers moi.

     

    Ce fut tout puisque à partir de cette année-là je n'ai plus croisé en l'air que des avions légers. Il arrive que flânant à sept ou huit cents mètres on aperçoive un avion de face effectuant une jolie baïonnette pour s'écarter avant de disparaître. Un matin d'août autour de 2010 j'arrive à cinq cents mètres en JT.XI à la verticale du terrain d'Argenton-sur-Creuse en oubliant complètement qu'y existe une zone de voltige et un stage de l'aéro-club Dassault en déplacement depuis la région parisienne. A trente mètres de mon nez droit devant, j'avise un Cap 10 bien incliné en virage à droite ; dans sa position il ne peut me voir. Jean-Marie Saget atterrit quelques mi­nutes après, sensiblement en même temps que moi.

     

    Il ne s'agit pas ici de la rencontre avec un avion, mais avec le seul pilote notoire de la Seconde Guerre mondiale que j'ai eu l'occasion de voir. J'ai acquis vers 1995 We landed by moonlight, récit par le Britannique Hugh Verity des dépôts et reprises nocturnes en Lysander d'agents secrets en France occupée. Le sujet que je ne connaissais que par ouï-dire m'avait assez intéressé pour que j'en fisse un court chapitre en 1990 dans mon livre sur Flight Simulator (voir plus loin). Verity donne la liste de toutes les personnalités transportées par-dessus la Manche par son unité ; on y trouve une impressionnante brochette de la politique française des quatrième et cinquième république.

     

    Verity devait consacrer les décennies d'après-guerre à de nombreux voyages en France pour l'inauguration de monuments commémoratifs. Or j'apprends en août 2001 qu'il doit venir à l'aérodrome de Guéret pour inaugurer une stèle aux parachutages faits ici au profit de la Résistance. Verity dans la Creuse ! Comme quoi tout peut arriver. L'homme est presque confiné à sa chaise roulante. Il consacre ensuite un peu de temps à quelques autographes, dont celui que je sollicite sur mon exemplaire. J'évoque mon voyage en Turbulent en 1980 en Grande-Bretagne ; il me fait observer que j'étais très jeune alors, mais je peux lui répondre qu'il l'était davantage lors des faits narrés par son livre. Verity mourait trois mois plus tard.

     

    CAMARADES DISPARUS

     

    Une longue fréquentation des terrains ne va pas sans pertes. La première est celle en IMC de l'équipage du Chevalier sur lequel j'ai moi-même produit sans visibilité les beaux exploits contés plus haut. X., pilote fraîchement breveté fait en famille son premier voyage. La météorologie du retour devient détestable, au point qu'il se ré­signe à tenter un atterrissage dans la nature probablement « à la grâce de Dieu » : on retrou­vera l'épave dans une zone tout à fait boisée, et précisément mise en mor­ceaux par le choc avec les arbres. Deux arbres ont retenu les deux ailes tandis que le fuselage s'est éventré sur un troisième. Le pilote et sa femme sont éjectés et tués sur le coup. Leur fillette est scalpée sans autre blessure, tandis qu'un passager perd une jambe. Le plus gros morceau de l'avion rapporté à l'aéro-club ne dépasse pas soixante centimètres.

     

    Un peu plus tard un camarade de lycée devenu pilote professionnel et qui m'a plu­sieurs fois largué en parachute, est simple passager dans un avion en vol aux instrum­ents dans un département d'outre-Mer. L'appareil percute une montagne, probablement à cause d'une erreur de direction en approche d'un aérodrome.

     

    Un camarade de vol à voile était veuf d'une jeune femme de taille normale et d'une tren­taine de kilos. On l'a retrouvée morte un jour sans raison particulière à guère plus de trente ans. Il épousa ensuite une vélivole, une des plus belles femmes dont j'ai le souvenir. En volant un peu bas il laisse un bout d'aile à un arbre, avise droit devant un terrain atterrissable partout à l'exception d'un unique arbre. L'avion qui ne gou­verne presque plus s'y fracasse.

     

    Le constructeur d'un monoplace Pottier inscrit au même aéro-club que moi décolle un jour de façon trop sportive, effectuant trop tôt une fois en l'air un dégagement trop serré ; il décroche et s'écrase.

     

    Au salon des ULM de 2002 à Blois je bavarde le dimanche avec Jean Pottier que je connaissais déjà pour l'avoir croisé aux Mureaux. Il se tuait le mercredi avec le pi­lote d'un de ses biplaces.

     

    Le menuisier de Seine-et-Marne Jean-Pierre Gruet m'a en 1982 débité du bois pour une construction plus tard avortée. Il était un des membres de la patrouille des Tempête de Nangis. Il disparaît dans son appareil après 2000 dans une collision survenue à cent mètres au-dessus de l'eau en meeting à Biscarosse. Apprenant l'ac­cident dans la presse quoique sans le nom de la victime, j'ai le réflexe naturel ab­surde de supposer que c'est forcément un autre que le seul membre de sa patrouille que je connaisse. J'ai envie de téléphoner chez lui pour en savoir davantage, mais la prudence l'emporte tout de même et je m'en abstiens opportunément.

     

    Je n'ai jamais rencontré Michel avec lequel j'ai cependant échangé des dizaines de messages sur le Forum des Pilotes Privés. Un jour de 2013 dans les Landes avec sa femme il s'écrase dans les bois dans son ULM à aile haute en tentant vainement de rejoindre la piste d'où il vient de partir, après que la brume basse s'est avérée beau­coup plus dangereuse qu'il y avait paru. L'appareil ayant brûlé, le préfet de ce dépar­tement sensible aux incendies de forêt a l'ingénieuse idée d'interdire quelques jours les vols d'ULM uniquement. La justice administrative saisie par la fédération annu­lera cet inquiétant arrêté aussi malvenu qu'étrangement discriminatoire.

     

     

    PIERRE CHANAL

     

    L'adjudant Pierre Chanal cantonné à Mourmelon sautait dans les années quatre-vingt au centre civil local de parachutisme. C'était un homme athlétique au contact cha­leureux et cordial, très impliqué dans le déroulement des séances ; on l'aurait cru encadrant de fonction alors que ce n'était pas le cas. Plus d'une fois il m'a vérifié avant l'embar­quement. Il possédait un ULM gréé du moteur PUL 425, do,t je possé­dais un exemplaires destiné à une construction que j'espérais finir un jour. Or les pre­mières séries de ce propulseur souffraient d'une faiblesse du vilebrequin ; une faible proportion s'en rompit en fonctionnement. Chanal avait connu la mésaven­ture sans dommage pour lui, son moteur ayant cassé alors même qu'il se posait. En bavardant d'ULM il m'avertit donc de vérifier si mon propre moteur était concerné.

     

    Il l'était. J'allai à moto le porter dans la Sarthe au fabricant qui sans réticence chan­gea le vilebrequin pour mettre le modèle renforcé qu'il montait désormais ; il ajouta sans frais en prime une seconde culasse dotée d'un décompresseur de démarrage puisqu'une seule des deux culasses en possédait un sur les séries anciennes du mo­teur. Chanal ainsi m'a rendu un service potentiel considérable. C'est dans un numé­ro de Libération de 1988 que je découvris son affaire criminelle. Ayant ligoté un au­to-stoppeur il l'avait violé dans son Combi avant d'être découvert par hasard par une patrouille de gendarmes ; il fut condamné à dix ans de prison.

     

    Libération consacrait rien moins que deux pages à brosser le portrait de cet éton­nant Jekill et Hyde. Le journaliste était allé chercher au centre de Mourmelon des informations visiblement très précises et donnait du personnage une image parfaite. Chanal libéré plus tard était réinculpé quelques années après, fortement soupçonné d'avoir liquidé les fameux soldats disparus de Mourmelon. Il se donnait la mort en prison la nuit précédant son procès, en s'ouvrant sous ses draps l'artère fémorale au moyen d'une lame de rasoir conservée cachée dans un pansement.



    DEUX VIFS REGRETS

    Je ne supporte pas la clôture des petits aérodromes. Cette invention des années 2000 ne répond pas à des impératifs anti-terroristes dérisoires mais à l'obsession sécuritaire juridique : et si un jour un promeneur quelconque se faisait assommer par un avion en traversant une piste ? Voilà jeté par les fenêtres au profit des gens présumés aisés beaucoup d'argent des contribuables locaux, car l'excédent éventuel dans la caisse d'une association ne permet en rien de payer trois à quatre kilomètres de grillage.

    Aux yeux des riverains, les riches s'enferment dans leurs propriétés réservées à l'élite. Pour le pilote à l'âme bucolique, les confins de l'aérodrome cessent de se fondre dans la nature environnante. Pour le passager laissant la nuit son avion et repartant tôt le lendemain, pour le pilote vacancier qui remorque son appareil derrière sa voiture et voudrait profiter d'un terrain désert... Qu'ils se débrouillent !

    Je supporte mal la judiciarisation des infractions aériennes. Naguère encore elles se réglaient de manière administrative et sans fantasmer sur la mise en danger d'un autrui dont pas un membre n'a jamais été tué en France au sol en un siècle d'aviation. Au mépris de toute notion d'égalité en république, je suis resté fièrement convaincu qu'un pilote passant là où ou là comme il ne fallait pas, n'a pas à être traité comme un gibier de radar routier.



    LA GRANDE-BRETAGNE EN TURBULENT 



    Ce texte est basé sur mon propre article paru dans Pilote Privé d'avril 1986 sous le titre Un Turbulent chez les Grands-Bretons, et qu'ici je développe largement. Une semblable expédition est devenue beaucoup plus banale depuis l'extension du mou­vement ULM, mais demeurait bien moins commune en 1980.



    Après avoir sillonné la France en tous sens avec mon Turbulent, j'ai décidé en 1980 d'aller passer un mois d'août en Grande-Bretagne. Le côté sportif d'une traversée maritime sans radio me tentait fort, d'autant plus que je ne connaissais les Anglais que par leur littérature aéronautique dont j'ai la tête farcie depuis dix ans. Et puis, le Turbulent a été construit en série en Angleterre. Cet appa­reil, qui est le Bébé Jodel des Britanniques, me servirait de lettre de recommanda­tion auprès d'eux. Entre les deux guerres les sportsmen d'outre-Manche ont relié les points les plus lointains de leur Empire à bord d'avions du même genre que le mien.

    Au printemps 1980 s'est tenu à Ecury un petit rassemblement auquel participaient des pilotes venus d'Etampes. L'un d'eux pratiquait par ailleurs la course sur racer à moteur O-200 et semblait partager son temps entre France et nids d'appareils de course en Angleterre ; il me dit avoir coutume de traverser en Cassutt en quatre mi­nutes le Pas-de-Calais. L'idée me vint alors de faire de même, plus tranquillement, et précisément notre homme avait sur lui l'adresse de l'administration britannique à contacter pour une autorisation de survol du pays avec un CNRA. La permission fut obtenue et le voyage préparé. Le Turbulent demandait quelques aménagements. Dans le coffre derrière mes épaules : tente et sac de couchage. Ficelés au trièdre du train gauche : les piquets de la tente. Dans des boîtes plates vissées au plancher, sous le siège, l'outillage (gare aux tournevis dans les câbles si les couvercles sont mal assurés). Plusieurs kilos de nourriture concentrée dans une caissette haute et étroite entre les genoux, devant le manche : il n'est pas question de faire du stop chaque jour entre un aérodrome et le supermarché. D'un saut à Paris je revins avec le guide Pooley des aérodromes britanniques, qui est un recueil de « fiches VAC », et la carte aéronautique au 1/500 000 du sud du pays ; les autres manquaient.

    3 août. Châlons-sur-Marne-Calais, 289 kilomètres.  

    En cinq vols cumulant trois heures et cinq minutes, trajet Châlons-Péronne-Arras-Saint-Omer-Calais. On me raconte à Saint-Omer que les Allemands croyant tromper les Anglais avaient garé là de faux chasseurs en contre-plaqué ; les Anglais auraient alors bombar­dé le terrain avec des bombes en bois. Moins drôle, une sensations anormale prove­nant de la roulette : de l'herbe s'est fourrée entre roulette et étrier, coinçant la pre­mière. En quelques instants elle se râpe en présentant un grand mé­plat. L'avion ne roule plus qu'en cahotant sèchement. L'atterrissage et le roulage à Calais sont de ce fait assez pénibles. Qu'importe : j'irai en Angleterre.

    Le seul équipement de secours exigé est le gilet. Un collègue m'en a prêté un qui vient de son voilier. Je dépose un plan de vol sans radio pour Lydd, ce qui oblige ré­glementairement à passer à mille huit cent mètres : c'est l'altitude requise pour pla­ner jus­qu'à la côte en cas de panne au milieu de la Manche. La contrôleur entend me faire signer un accord prétendument obligatoire selon quoi je paierai les éventuels frais de recherche en mer puisque je suis sans radio. En examinant de près le docum­ent, je trouve une argutie : la rédaction me dispense de cet engagement du fait d'une subtilité liée au passage à dix-huit cents mètres. Le contrôleur mécontent remballe son papier. Lydd refuse le plan de vol parce que dix-huit cents mètres côté anglais sont en plein espace contrôlé, et impose mille deux cents mètres. Cette fois l'argutie ne tient plus et le contrôleur se précipite pour exiger sa signature.

    Le trajet de Calais à Lydd a ceci de paradoxal qu'il s'effectue en allant au sud, parce que la découpe des côtes place Calais plus au nord. En vérité l'écart de latitude est si faible que « plus au nord » ou « plus au sud » dépend du point de mesure sur la lon­gueur de la piste ; « plus au sud » vaut en prenant la mesure à mi-piste. Arrivé au cap Gris-Nez la moitié du chemin est faite, mais la meilleure reste à faire. La visibili­té est parfaite ; l'Angleterre est magnifiquement visible. J'ai malheureusement pro­gressé depuis Calais à soixante kilomètres à l'heure face à un vent de même valeur. J'ai beau avoir toute l'essence nécessaire, je répugne à survoler la mer dans ces conditions ; je fais demi-tour et rentre à Calais avec une célérité inouïe. En outre avec ce vent l'orientation de la piste de Lydd justifie presque le re­tour.

    Il faut pourtant se rendre à l'évidence : les centaines de coups envoyés dans la cellule par la roulette qui a perdu sa belle circularité ont fendu le dessous de l'étambot ; il est impossible de poursuivre de cette manière. C'eut été folie de passer la Manche. Je dors sous ma tente et repars le lendemain pour Châlons ; une seule étape aurait suffi sans un vent de face qui m'incite à me poser dès Laon.

    Pour plus de plaisir, une toile de tente placée dans le coffre derrière moi commence à s'échapper à l'extérieur. Le vent relatif y creuse des poches qui flottent dehors. Ré­duisant au maximum, je connais quelques ineffables minutes de joie pour l'empê­cher d'aller trop loin et enfin la récupérer. Une autre fois c'est le galet tenant la ver­rière dans son rail gauche qui s'était déboîté. La succion faisant son œuvre sur cette cloche de plexiglas, j'avais en vol aussi lent que possible atteint un terrain en cris­pant la main gauche, changée en serre-joint, entre armature de la verrière et longe­ron de fuselage. La force de la succion n'est nullement visible en temps normal ; je vois ici à quel point il faut soigner rails et roulettes.

    Voici enfin Laon et son terrain en herbe. Autant le posé à Calais avait été cahoteux, autant il est ici doux à l'extrême dans l'herbe grasse : je comprends que je n'ai plus de roulette. Cent kilomètres de train suivis de trois autres à pied me ramènent à mon domicile châlonnais. A tout hasard je signale à la gendarmerie la possible chute d'une roulette et de sa lame quelque part entre Calais et Châlons.

    4 août. 

    Ayant une idée de l'endroit où la roulette pourrait bien être, je prends la route dès le matin au guidon de ma 125. A la tour de Calais je demande à ce qu'un véhicule de piste veuille bien m'emmener inspecter la piste, sur laquelle en un instant nous re­trouvons la roulette et sa lame. Elles n'étaient pas tombées dans la nature, mais simplement restées à l'endroit où le risque qu'elles causent un dommage était le plus élevé ! La structure du fuselage et l'emplacement de la lame font que la casse du bois à son emplacement ne font pas courir de risque pour la tenue des empen­nages.

    Du 5 au 9 août.

    Avec les matériaux qu'on peut trouver à Châlons, je compose un en­semble lame et roulette de remplacement assez franchement médiocre, mais qui tiendra pour le voyage : mes vacances sont brèves et je ne peux différer longtemps l'envol vers l'Angleterre. Deux ou trois jours à la suite je ferai la navette en 125 entre Châlons et Laon, où la canicule sous les hangars facilitera le prise de la colle pour le travail de menuiserie préalable indispensable. Il y a là un stage de parachutisme, dont une des participantes m'apprend en bavardant la récente mort accidentelle d'un de mes deux instructeurs parachutistes à Strasbourg. Il semble qu'ayant eu à faire ventral, une cause technique l'en a empêché. Les ventraux de ce temps n'étaient pas tous bien pensés.

    10 août.

    Il faut reprendre le train pour un aller simple vers Laon. En une heure quarante je suis de retour à Calais. Je plante ma tente, emprunte quelques revues à l'aéroclub et m'endors dans les incessants bruits de corne des navires au loin.

    11 août. Traversée Calais-Lydd ; Lydd-Rochester.

    Je décolle en milieu de matinée. Le vent est faible mais la visibilité ne dépasse pas sept ou huit kilomètres. Arrivé au cap Gris-Nez, l'Angleterre est évidemment invi­sible. Je prends pourtant la route magnétique réglementaire 309, déterminée de manière à assurer la sécurité en visant le milieu de l'arc de cercle formé par la côte anglaise entre Douvres et le cap Béveziers à Dungeness. Cap Béveziers est le nom français de "Beachy Head" dont use par exemple on ne sait pourquoi Le grand Cirque. Ainsi une erreur modérée de cap ne conduit-elle pas dans l'eau de la Manche ou de la mer du Nord après épuisement de l'essence. Quand la côte fran­çaise s'estompera dans mon dos, je déciderai de la suite du vol. Elle disparaît pour­tant sans que la côte anglaise soit en vue. Tant pis ; je continue en contrôlant au so­leil la justesse du cap. Bien m'en prend, car pour n'avoir jamais utilisé l'instrument au-dessus des terres, j'ignorais qu'il était spectaculairement faux. Je vole à l'aiguille, l'horizon marin étant noyé par la brume. Cependant la position d'un soleil pâle dans cette brume au-dessus de ma tête me donne un repère vague de verticalité que je crains de perdre ; j'ai l'impression que mon inclinaison y tient comme avec une fi­celle. On ne voit que l'eau à la verticale, avec bon nombre de bateaux tirant leurs longs sillages. Je songe aux paroles de Blériot : « Pendant dix minutes je ne voyais ni la côte française ni encore la côte anglaise... » Je ne distingue en fait de terre que les hauts fonds sous une mince pellicule d'eau.

    Soudain, victoire ! Les hôtels au style tarabiscoté fin du XIXè de la Riviera anglaise se dessinent sur les plages de Folkestone. Il reste à longer la côte vers le sud-ouest pour gagner Lydd, quelques kilomètres à l'intérieur des terres. Las, la météo se dé­grade méchamment. Je rate le terrain qui est pourtant bien près du rivage, et me mets à tournicoter au-dessus des étendues sablonneuses détrempées de cette ré­gion : très mauvais pour la vache météo qui s'annonce. Je tombe enfin sur la cen­trale nucléaire de Dungeness, repère parfait à trois kilomètres de Lydd. Je déboule à cent mètres sur ce terrain contrôlé pour m'y poser durement sur l'herbe hors piste : le contrôle de Calais s'était fait dire par Lydd au téléphone que je ne devais surtout pas utiliser autre chose que la piste en dur, et avait compris l'inverse. Au bureau de piste, on me demande si je tourne rond...

    Une heure et cinq minutes de vol pour soixante-douze kilomètres en ligne droite, mais beaucoup plus en réalité.

    Lourde taxe d'atterrissage : £ 2,65. Elles sont toutes ainsi, car un terrain pos­sède toujours ambulance, voiture de pompiers et piquet d'incendie même pour une piste en herbe. Le piquet quitte-t-il son service à seize heures ? Le terrain ferme, quand bien même la nuit ne tombe qu'à vingt-deux heures. C'est une curieuse conception du voyage aérien. La 100LL coûte 35% de plus et la TVA frappe les heures en aéro-club. On sait qu'en Angleterre la classe moyenne est rabougrie ; il ne faut donc pas s'attendre à y voir comme en France beaucoup d'avions de club et quelques appa­reils de particuliers plus riches. Il est courant de voir deux tapins de club coucher dehors tandis que Bonanza, Mooney et Baron dorment au chaud dans le hangar.

    Lydd est impersonnel comme tous les terrains en dur. Je repars vite pour Rochester, petit aérodrome à l'extrême périphérie de la banlieue est de Londres. Une bonne vi­sibilité n'empêche ni un plafond bas et gris, ni un fin crachin. Le gazon est tendre, tout est bien anglais. J'aime voler par ce type de temps, et voici que je le fais aujour­d'hui dans le pays où il semble le plus naturel. Cinquante-trois kilomètres en trente-cinq minutes sur une campagne bocagère verte et sous un ciel gris pleuvo­tant : c'est du dessin de Bergèse, (voir Le Bal des Spitfire, pages 17 et 18 par exemple) avec en plus un air humide imparfaitement limpide que la bande dessinée ne rend pas. L'accueil est chaleureux à Rochester. On me fait cadeau du jeu complet des cartes aériennes neuves de la Grande-Bretagne ; on me traîne au pub et je dîne chez un membre du club. Il et ingénieur chez l'électronicien Marconi limitrophe du terrain, a des airs de personnage de série étasunienne et songe sérieusement à la construc­tion d'un Varieze. Je rentre dormir dans le bar du club sur plusieurs fauteuils ali­gnés et ma foi confortables. Je me fatiguerai une autre fois à planter ma tente. 

    12 août. Rochester-Fenland. 158 kilomètres, Une heure cinquante-cinq.

    J'apprends que pour voler vers le nord, il est tout à fait permis de survoler Londres à deux mille pieds ! Le plancher de la TMA est à deux mille cinq cents. On me fait cadeau de la taxe d'atterrissage de Rochester au nom de l'Entente cordiale ; à peine envolé face au nord on fait face à la Tamise, étonnante par sa largeur. Je vire à gauche pour la remonter jusqu'à l'endroit où s'y jette la rivière Lea, qui descend plein sud et rencontre le fleuve à la perpendiculaire en plein centre de la capitale. Les méandres de la Tamise permettent de se repérer sans aucun mal ; au bout d'une trentaine de kilomètres au-dessus d'une banlieue gigantesque de plus en plus dense, la Lea part vers le nord un peu après l'emplacement du futur aérodrome de la Cité de Londres ; il n'existe pas encore. On ne peut tout de même traverser Londres d'est en ouest entièrement ; la CTR de Heathrow mange la moitié ouest de la capi­tale. Virage plein nord pour suivre la Lea ; son cours sur trente kilomètres est fait d'un chapelet de lacs successifs. Je suis ensuite les routes jusqu'à Cambridge, Ely, puis la voie ferrée vers Spalding. Je compte faire quelques kilo­mètres au sud-est de cette dernière ville une escale à Fenland, dans les vastes éten­dues marécageuses qui bordent le golfe du Wash. Fenland – fen signifiant marais - possède une piste en herbe de cinq cents mètres et une de trois cents ; j'ai une bonne expérience en France du repérage des aérodromes plus ou moins invisibles et repère le mien sans trop de mal, rien au milieu de rien. Quoique n'ayant jamais atterri à Brindas, je n'ai guère de mal à poser un Turbulent sur les mille pieds d'herbe.

    Sur le paysage commence à se dessiner le souvenir historique. Par dizaines et di­zaines dans l'ouest de l'Angleterre survivent les aérodromes des flottes de bombar­diers de la Seconde Guerre mondiale. Quelques uns sont a demi mangés par les re­tour des cultures ; quelques uns paraissent intacts ; beaucoup ont des pistes encom­brées de stocks malaisés à identifier. Ils sont partout, de l'East Anglia jusqu'aux Lowlands.

    On m'accueille à Fenland en me demandant si je n'aurais pas par mégarde emporté distraitement un portefeuille disparu à Rochester au moment de mon départ. Après cela l'instructeur et le mécanicien des lieux disparaissent ; tout se débande pour ne pas revenir de l'après-midi. On n'a pas daigné me donner d'essence. Je tente sur le fond du réservoir d'aller au terrain pas trop lointain de Boston où malencon­treusement l'atterrissage n'est pas praticable. Retour au mal accueillant Fenland pour m'y morfondre. En fin d'après-midi arrive un vieux gentleman british en diable qui compatit. L'instructeur est désagréable, et point serviable ? « He is a communist ! » Justement le communiste revient et se fait faire un peu de morale. Je finis par être ravitaillé, dormir sur le canapé antique du club et repartir le lende­main de la piste de trois cents mètres.

    13 août. Fenland-Bridlington. 152 kilomètres et une heure vingt.

    Je remonte toujours en commençant à suivre la côte de la mer du Nord. Les plages sont couvertes de milliers de bungalows loués aux Anglais modestes, pauvre côte d'azur étirée sur des dizaines de milles d'eau froide. Quarante kilomètres avant Bridlington, traversée de l'estuaire de quatre kilomètres de large de la Humber. Bridlington est une cité balnéaire à mi-chemin en latitude des extrémités nord et sud du pays. Le terrain est un centre de parachutisme sportif dont le jeune et sympathique chef me croit sur parole lorsque je déclare être brevet 6. Sans le moindre justificatif, je fais dans la soirée un mille mètres en Para-Commander. Il ne faut pourtant pas prendre le chef de centre pour un sot. Il me suspend à des agrès d'exercice pour juger de mes gestes, et me pose quelques questions embarrassantes pour un ignorant du parachutisme. Ma tente reste encore roulée dans l'avion puisque le centre est bien pourvu de chambres. Remplissant la fiche de pliage après mon saut, je lis avec amusement que mes deux prédécesseurs portent les noms respectifs du directeur et du sous-directeur de l'établissement an­glais qui m'emploie à Châlons-sur-Marne.

    Au parking voitures, je découvre les intéressantes automobiles britanniques à trois roues. Gabarit et puissance de 4L, tenue de route à découvrir... uniquement pour payer moins de vignette : la taxe est constante et indépendante de la catégorie du véhicule.

    Le propriétaire de l'une d'elles n'est pas de ces Anglais qu'on accuse d'ignorer le reste du monde. Bien au contraire il se renseigne sur la France : le 21 juin est-il éga­lement chez nous le jour le plus long ? Comment pouvons-nous vivre sans sécurité sociale ? Deux chasseurs passent à cet instant au-dessus de nous, ce qui est motif à : avez-vous une armée de l'air ?

    14 août. Bridlington-Sunderland, puis Sunderland-Glenrothes. 296 kilo­mètres et deux heures trente-cinq en deux vols.

    Longeant toujours le rivage, je fais escale à Sunderland près de Newcastle. C'est un terrain contrôlé, et pour la seule fois de ma carrière de pilote j'aurai faute de radio droit à des signaux lumineux. La contrôleuse est un sosie de Margaret Thatcher alors en poste. Le pompier est charmé de me faire découvrir le petit musée en plein air qui dans un enclos grillagé regroupe T-33, Super Sabre, Meteor et Hunter. On peut s'asseoir dans le Meteor au tableau de bord disparu. Le F-100 est clos et verrouillé, mais il reste possible d'aller regarder à travers la verrière. Pour cela je monte sur la profon­deur dont la tôle ne fait pas « sglong » sous le pied comme celle d'un Rallye. De là, il suffit de chevaucher l'épine dorsale de l'appareil en rampant dessus jusqu'à la ca­bine. C'est assez glissant. Dans un local contigu se trouve la queue d'un Heinkel 111 qui a percuté dans le brouillard les collines voisines. J'en ramasse à mon profit un centimètre carré de tôle détaché et tombé dessous.

    Un 172 belge arrive de Bruxelles d'une traite, lui ! Le pilote vient voir mon appareil et, le nez sur l'immatriculation, s'obstine à me croire britannique. Il me félicite pour ma maîtrise du français, et, enfin détrompé, m'offre un verre en me priant de refaire la plaisanterie à ses camarades de voyage. J'ai le temps de poursuivre jusqu'en Ecosse.

    Les aérodromes de guerre désaffectés continuent à jalonner le chemin. Les routes me conduisent jusqu'à la rive sud de l'estuaire de la Tyne, large de vingt kilomètres du sud au nord à l'est d'Edimburgh. Il est impossible de passer ailleurs à cause de la CTR locale, alors que la Tyne recouvre une largeur cinq fois moindre un peu en amont. Je retrouve la terre ferme côté nord à Kirkaldy ; je vise Glenrothes cinq minutes plus au nord. Il possède alors encore une piste en herbe.

    Je suis accueilli par un jeune homme et une jeune fille qui tient le bureau de piste. Ils parlent avec deux accents terriblement différents. Je fais ainsi connaissance avec le garçon de l'accent écossais, très minoritaire en réalité, ce qui est dommage puisque sous sa rocaille étonnante la langue anglaise s'avère - chose inouïe chez des locuteurs de naissance - parfaitement articulée ! Les « r » en particulier sont roulés au lieu d'être comme d'habitude escamotés. La fille au contraire nasille solidement ; elle est canadienne. Il en résulte le dialogue suivant :

    - From where are you coming, in Canada ? (avec un puissant accent tonique sur « Ca », souvenir de La grande Vadrouille)

    - Vancouver.

    - Vancouver ? Perhaps you don't speak French ?

    - No, unfortunately !

    - (avec l'accent du personnage) Vive le Québec liiiiiiibre !

    - (hurlement de tigresse de blessée)

    - I believed you did not speak French...

    Je passe la nuit dans la caravane d'une équipe parachutiste en déplacement.

    15 août. 

    Je voudrais gagner Inverness et le loch Ness, mais le temps est pourri sur les Hi­glands qui barrent le chemin. Une maigre amélioration me permet de demander à Inverness l'autorisation d'y aller, mais une nouvelle détérioration m'oblige à renon­cer. Inverness est un terrain contrôlé d'une certaine importance. Après Lydd et Sun­derland, on voit que la radio en ce temps béni n'était pas obligatoire en beaucoup d'endroits. En Angleterre cependant la permission préalable reste demandée sur un très grand nombre d'aérodromes secondaires même en herbe.

    16 août. Glenrothes-Perth-Dundee.

    Journée de tourisme dans la même région avant d'attaquer le Grand Nord. J'arrive à Dundee à la fermeture, seize heures. Vers vingt heures un fraudeur vient faire du lo­cal en compagnie d'un ami, contrôleur à la base de chasse voisine de Leuchars (prononcer « lioukeurz »). Il re­garde avec des yeux ronds mon immatriculation et mon tableau de bord pour mur­murer : « You are a brave man. » Il m'invite et nous nous offrons avec la complicité de son ami un rase-mottes en enfilade sur la piste de Leuchars. On remarque une paire de Phantom bâchés identifiables malgré cela à leurs formes. Bombardiers et patrouilleurs soviétiques sont tenus à l'œil. Mon pilote semble vouloir à présent se poser. Je lui tape sur l'épaule. Hé ! Ho ! Je ne suis pas anglais, moi... Je n'ai pas envie de risquer de finir la nuit en cabane. Nous remettons les gaz.

    17 août. Dundee-Inverness. 135 kilomètres en une heure trente.

    C'est la percée définitive vers l'extrême nord et les montagnes écossaises. Les High­lands n'excèdent guère mille mètres, mais il ne faut pas songer à les survoler aujour­d'hui. Leurs cimes sont noyées dans les nimbostratus. Il faut les traverser en suivant une très longue vallée zigzagante et encaissée de Perth à Inverness. L'Ecosse devient de moins en moins peuplée ; le paysage aride et fantomatique est le royaume du rase-mottes. Posé à Inverness, je repars vers le Loch Ness à quinze kilomètres de là. Le loch en fait quarante de long et un à deux de large, serpent d'eau noire marbrée d'écume entre les collines abruptes. Je parcours un aller jusqu'à Fort Augus­tus et retour à deux mètres au-dessus de l'eau sans rien remarquer de spécial... sinon un arc-en-ciel entier dont le bas tangente les flots ; je n'avais pas encore vu ce spectacle. Je franchis ainsi à six pieds de haut quatre-vingt kilomètres à mille mètres de chaque rive, accroché à un Volkswagen : encore un comportement de jeune homme que pour ne pas regretter, je me garderais de refaire.

    18 août. Inverness-South Ronaldsay. 156 kilomètres en une heure quinze.

    Inverness est rempli de passagers touristes venus du continent en avion commercial d'un simple coup d'aile. Paresseux ! Je passe ma première nuit sous la tente, plantée au pied de la tour. Il fait au petit matin un froid de loup. Le contrôleur penché par une baie m'invite à monter prendre un café. Il voudrait, dit-il, vivre en mon beau pays de France, pour tous ses avantages sauf la médecine. En voilà donc en­core un qui pense la France dépourvue de sécurité sociale. Serait-ce une légende po­pulaire entretenue à dessein ? Certes, le système anglais est gratuit de bout en bout sans aucun débours, comme je le constaterai deux ans plus tard en me brisant dans la région de Londres un fémur à moto. Il a toutefois en contrepartie ses raideurs et surtout ses grosses faiblesses compensées pour les gens aisés par un système d'assu­rances et d'établissements parallèles. Je rassure donc mon interlocuteur sur notre état sanitaire et porte l'estocade par une question innocente : « Pouvez-vous choisir librement votre médecin ? » A sa réponse négative, je l'achève en racontant avoir en plusieurs circonstances été remboursé plusieurs fois pour avoir demandé l'avis de plusieurs praticiens sur la même chose (on mesure à ces faits remontant à 1980 l'évolution française).

    On me promet un temps superbe pour joindre Kirkwall, chef-lieu des îles Orcades. J'aurai donc dépassé le point extrême nord de la Grande-Bretagne. Partant d'Inver­ness on longe la côte qui monte sensiblement au cap 45° ; on pourrait poursuivre ainsi jusqu'à Duncansby Head, ce point nord extrême. Je préfère sur les cinquante derniers kilomètres faire un détour en coupant à travers les hautes collines à la végétation rase et rare, un semi-désert où le vol très bas est un régal. Voici la mer, le détroit de Pentland qui sépare la Grande-Bretagne de South Ronaldsay, la plus méridionale des Orcades ; il fait une quinzaine de kilomètres. Peu avant de m'engager sur l'eau, je vois pourtant le temps se dégrader rapidement. En moins de dix minutes je longe la côte est de South Ronaldsay, mais le vent d'ouest forcit et il faut oublier l'objectif Kirkwall. Il faut en fait choisir tout de suite entre la vache et la noyade. J'apprendrai qu'un ULM a disparu aujourd'hui dans les parages, emporté quelque part vers la Norvège. La chose est possible avec les ultra-légers de ce temps, car je mets près d'une minute en remontant le vent pour rejoindre la côte de South Ronaldsay éloi­gnée d'un petit kilomètre. Je trouve très vite un champ en montée près du village de Saint Margaret's Hope. Je me pose sans mal, face à un vent qui permet presque le surplace. L'avion attire vite une voiture qui me conduit chez un couple de fermiers âgés. J'appelle Kirkwall pour demander des instructions. A ma surprise j'apprends que j'ai parfaitement le droit de redécoller sans autre forme de procès dès qu'il fera meilleur.

    Il faudra attendre le lendemain. La nouvelle de l'arrivée impromptue d'un avia­teur français s'est répandue chez les huit cents habitants de l'île comme la flamme au long d'une traînée de poudre. Un journaliste francophone du canard local m'interviewe longuement au téléphone ; il m'enverra à Châlons un exemplaire de l'hebdoma­daire The Orcadian, à la présentation de quotidien. Mes aventures figurent à la une sous l'image de la reine mère débarquant dans la contrée. Je suis invité à dîner chez un professeur de français, et je dors chez les vieux fermiers qui ce 18 août font du feu, ce 18 août. Un gros fermier du voisinage est également invité chez le professeur parce qu'il possède un avion, un Yankee. Il entend me dissuader de repartir de mon champ qu'il dit trop court, mais il pense en pilote de Yankee. Je lui montre qu'à côté d'un rapport de motorisation comparable je dispose d'une charge alaire moins que moitié de la sienne, et que du fait de ma vitesse maximum bien moindre, mon hélice au décollage tire bien plus fort par cheval. Je décollerai pour finir avec beaucoup de marge.

    Extrait de The Orcadian, 21 août 1980 :

    « French pilot makes forced landing

    « A French pilot travelling in a light aircraft had to make a forced landing in a hay-field in South Ronaldsay on Monday, because of strong winds.

    « En route for Kirkwall Airport, twenty-seven-year-old M. Jean-Pierre Primouille from Châlons-sur-Marne, Northern France, safely landed his D.31 single-engined plane in a field near Mucquoy.

    « M. Primouille had hoped to continue his journey the same day but the weather did not improve sufficiently. Instead, he stayed with Mr and Mrs Scott, Lythes, who had also given him assistance when he landed.

    « At 9 a.m. On Thuesday M. Primouille made a short flight to the farm of Berriedale, south Ronaldsay, where he picked up equipment he has earlier removed from the plane to make the short take-off from Mucquoy easier. He left Berriedale at around 11 a.m. Heading for Wick on his way back to France. M. Primouille had left his home a week ago for a flying trip round Britain.

    Voilà un travail sans défaut (hors une initiale erronée) qui tranche agréablement avec ce que fait ordinairement la presse générale traitant d'un domaine un peu tech­nique. Il n'y a pas une sottise, pas un trait emphatique, pas un sentiment niais, rien de tout ce qui caractérise généralement ce type de travail. Non seulement le journa­liste m'a questionné le jour de l'atterrissage, mais encore sans me recontacter s'est-il parfaitement informé le lendemain auprès des divers témoins de mon départ. A noter également la courtoisie du « M. » là où nos compatriotes rédigeant en français m'eussent probablement affublé d'un « Mr ». Hats off !

    19 août. South Ronaldsay-Wick-Inverness. 167 kilomètres en deux heures vingt-cinq.

    Pour décoller des trois cents mètres de mon champ, il faut me résigner à accélérer vent de quinze nœuds dans le dos. Une forte pente le permet, tout en interdisant de prendre la moindre vitesse en sens inverse. J'allège l'avion de tout mon matériel ; des agriculteurs que je suis depuis les airs le véhiculent dans un autre champ plat et vaste. J'y fais escale pour récupérer le barda et remets les gaz pour Inverness. Après une escale à Wick j'en effectue une seconde à Dornoch, quarante kilomètres avant Inverness. Un vent de plus en plus violent me fait en effet redouter d'arriver sans cela un peu juste. Dornoch est un terrain si pauvre qu'il n'y a aucun avion. Le week-end, un appareil vient d'Aberdeen en une demi-heure faire de l'instruction. Il y a bien un hangar, mais plus petit que l'envergure d'un avion. Il contient l'ambulance habi­tuelle sur les terrains ; il n'y a ici que cela ; c'est donc l'équipement aéronautique mi­nimum. Il n'y a évidemment pas de combustible, mais mon estimation de vent de face était absurde et j'arrive à Inverness avec plus d'une heure d'essence.

    21 et 22 août. Inverness-Redhill avec escales à Sunderland, Bridlington et Skegness. 791 kilomètres en huit heures.

    Le retour vers le sud s'effectue le premier jour par le chemin de l'aller. Entre Sun­derland et Bridlington je suis pris à cinq cents mètres le long de la côte dans le ballet de A-10 raconté ailleurs. A Bridlington le vent est passé à trente nœuds plein travers et la piste perpendiculaire est hors service. Seule solution : approcher aussi lente­ment que possible pour se poser dans la largeur de la piste. Avec les deux taxiways de part et d'autre et la vitesse du vent de face, ça passe...

    Je redécolle le lendemain de Bridlington pour la région de Londres, en évitant cette fois le déplaisant terrain de Fenland. A la place je fais escale non loin, à Skegness. J'y déclare vouloir me rendre à Old Warden visiter la fameuse collection Shuttle­worth. On me met en garde : Old warden n'est pas un terrain licencié. Keksekça, un terrain pas licencié ? Eh bien, c'est un aérodrome où vous vous posez à vos risques et périls, car il n'y a pas d'ambulance et pas de pompier.

    J'assume virilement le risque et atterris sur ce terrain qui est en quelque sorte l'équivalent en plus riche de notre Ferté-Alais. Comme à la Ferté, Old Warden est une grande pelouse sans piste définie. Mais la collection ! Tous les avions légers an­glais d'entre les deux guerres, en particulier les De Havilland tels que Puss Moth et Hummingbird. Le plus spectaculaire demeure à mon avis la série d'immenses appa­reils de vol musculaire suspendus au plafond ; les structures de balsa infiniment compliquées se détaillent au travers des revêtements transparents.

    Je finis la journée à Redhill, gros terrain d'aviation légère dans la banlieue sud de la capitale. Là aussi, c'est un musée : une demi-douzaine de racers, des Tiger Moth, un Mustang en réduction avec 200 chevaux, un gros monomoteur Percival qui a détenu un record de vitesse Londres-Le Cap avant guerre, un Beech Staggerwing... et tout cela vole, sans parler de cinq Turbulent ; le mien ne s'ennuiera pas dans le hangar. On m'en offre deux mille livres. J'ai objectivement tort de décliner puisque trois mois plus tard l'avion fera son dernier vol entre mes mains et sera revendu moins du dixième de cette somme ; mais rentrer d'une telle expédition par le chemin de M. Tout-le-monde n'est pas imaginable. Divers pilotes de racers s'af­fairent ; l'atmosphère d'aviation réellement sportive est inhabituelle. L'emplace­ment de Redhill fait qu'arrivant sur Londres depuis le nord selon le chemin inverse de l'aller, j'ai survolé cette fois la capitale selon un diamètre complet, sans être arrê­té par la CTR.

    23 août. Redhill-Châlons par Lydd et Calais. 435 kilomètres en 4 heures.

    Le lendemain matin, je repars franchir la Manche en compagnie d'un Tiger coutu­mier de la traversée. Son propriétaire se rend à un meeting belge avec une passagère et un matériel destiné à permettre à celle-ci de faire une démonstration debout en vol sur l'aile supérieure. Le pilote parle français à la perfection et connaît notre pays comme sa poche. Il sait par exemple que sur le charmant mais obscur petit terrain de Joigny végète depuis vingt ans le le superbe prototype rapide triplace du même nom. Il songe bien entendu très sérieusement à l'acheter. Cet avion sera en réalité remis en état de vol quelques années plus tard puis perdu dans un accident.

    Escale à Lydd pour dépôt du plan de vol vers Calais, et nous repartons de concert sur la mer. Le tigre vole en patrouille assez serrée, chose que je déteste. Pour tenter de le lui faire entendre, je procède de façon malhabile en réduisant pour freiner et perdre de la hauteur. Le tigre croyant sans doute à une panne au-dessus de l'eau plonge à son tour avec vivacité ; je remets les gaz pour lui faire signe que tout va bien, puis le prier avec insistance de prendre du champ latéral. Vexé peut-être, il prend sa vitesse de croisière normale un peu supérieure à la mienne et lentement s'efface au loin.

    Calais, Châlons... Treize jours d'un voyage hors de portée pour les autres membres du club, à cause du cercle prétendument vicieux qui paralyse nos pilotes : il faut pour voyager un avion puissant bien équipé, et un avion puissant bien équipé re­vient trop cher pour voyager.

    Pour mon compte je ne m'étais jamais par quelque moyen que ce fût éloigné autant de chez moi, en sorte qu'il n'est pas si mal de l'avoir fait dans un avion que je pilo­tais moi-même. Quelques jours après mon retour, je reçois la facture de la taxe d'at­terrissage à Dornoch, ce minuscule terrain sans avion mais avec ambulance : £ 11,50 à comparer aux trois livres des gros terrains.

    Trente-quatre ans plus tard en juin 2014, un jeune propriétaire de Turbulent basé en région parisienne, ayant exercé naguère la fonction d'enseignant de français aux îles Orcades, me contacte pour m'informer de son ambition de répéter un raid ana­logue. Un premier essai échoue pour cause de météo trop typically British ; une se­conde réussit en mai 2015 en patrouille avec un Ménestrel. Tous deux atteignent Kirkwall d'où je reçois leur appel. En juin ils bénéficient d'un long article illustré dans The Orcadian, et comme ils sont allés en fouiller les archives, ils ont signalé mon précédent : l'articulet de 1980 est en grande partie repris. Une carte postale qu'ils envoient met près d'un mois à me parvenir.



    INCURSION DANS LE MONDE LITTERAIRE

    La simulation de vol m'a toujours fasciné. J'ai voulu dans un recoin de la maison pa­ternelle construire en 1977 une cabine côte-à-côte d'avion à réaction. Il n'était pas question d'une image sur le pare-brise ; c'eût été une sorte de link. Il n'était pas question d'électronique non plus. Pour entraîner par fils les aiguilles de mes ca­drans, je construisis de façon rudimentaire un ensemble de dispositifs à base de poids coulissants, d'élastiques de rappel et d'amortissements visqueux créant des inerties. Je butai tout à fait sur la conception d'un système de navigation et m'en tins là.

    En 1987 j'achetai mon premier ordinateur et pour lui un peu plus tard un simula­teur monochrome de Harrier dont le simplisme extrême ne chagrinait pas du tout l'utilisateur qui n'avait jusque-là jamais rien eu ; on peut dire qu'il s'agissait beau­coup moins d'un simulateur que d'un jeu intellectuel, d'un amusement abstrait à base de paramètres chiffrés.

    A la FNAC de la rue de Rennes j'acquiers en juillet 1988 un ordinateur Atari à seule fin d'exploiter Flight Simulator II que j'achète en même temps. Je passe toute la nuit suivante dans ses décors encore oniriques à force de simplicité, j'explore la ré­gion de la baie de San Francisco, La place Rouge et le vol de Matthias Rust, pour dé­clarer forfait au travail le lendemain en fin de matinée. Avec le logiciel j'ai surtout acheté l'ouvrage étasunien traduit en français Flight Simulator Co-Pilot de Charles Gulick. C'est une méthode d'enseignement du pilotage sur ordinateur. Il était offert à moitié prix en option dans l'emballage du logiciel. J'ai feuilleté l'ouvrage au maga­sin et pensé qu'un pilote n'en tirerait pas grand'chose, mais je venais de payer un ordi­nateur ; je n'en étais plus à cent francs ; je pris, sans trop de conviction.

    Je vois bientôt qu'il s'agit d'un ouvrage assez original : c'est un manuel technique en­tièrement rédigé, qui ne contient pas plus de deux ou trois formules disséminées sur ses cent cinquante pages. Mieux : le texte est semi-poétique, souvent très évoca­teur. Le caractère primitif des images sur un simulateur de ce temps permet aussi de ren­forcer le caractère quelque peu onirique de la simulation et des écrits qui s'y rap­portent. En bref, ce livre est charmant. Il est malheureusement impossible à ex­ploiter à plus du tiers.

    Cela tient surtout à la difficulté de trouver en France les disquettes recouvrant l'en­semble des paysages des Etats-Unis. Le logiciel de base ne représente que cinq ré­gions de quelques centaines de kilomètres de côté. Des scenery disks complémen­taires au nombre d'une dizaine couvrent la totalité du pays, mais la FNAC elle-même n'en offre qu'une fraction. Les vols d'instruction que le livre Co-Pilot décrit sont ré­partis sur tous les Etats-Unis, en sorte que l'utilisateur européen ne peut les suivre.

    Cependant j'ai en plus du logiciel de base acquis une disquette complémen­taires plus facile à trouver et qui reprend une partie de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne, ainsi que la place Rouge de Moscou évoquée plus haut. Il me vient l'idée de m'en servir pour écrire sur ces paysages des textes inspirés de Co-Pilot. Ce travail représente environ trente-cinq feuilles dactylographiées. Je me propose de les offrir à travers les petites annonces des revues de micro-informatique.

    J'entends à la même époque une émission de radio abordant la question du manus­crit que chaque Français est supposé laisser dormir au fond d'un tiroir : comment le faire pu­blier ? Un éditeur explique qu'il ne faut pas l'envoyer in extenso, mais fournir seule­ment un synopsis et quelques pages bien choisies. Je suis exactement ces conseils et adresse tout ceci à l'éditeur parisien. La réponse arrive en moins d'une semaine : on me prie de prendre rendez-vous.

    On m'apprend que Co-Pilot étant un succès de librairie considérable (à l'échelle des publications de micro-informatique), ma suggestion d'en réécrire une partie afin de mieux l'adapter aux disquettes disponibles en France, tombe à pic. En outre la ver­sion nouvelle Flight Simulator 3 est en train de sortir ; j'adapterai le nouveau texte aux deux versions FSII et FS3. Au total je conserverai trente pour cent du texte ori­ginal et composerai entièrement le reste sous la forme de scénarios de vols se dérou­lant en Europe. Sous le nom d'un auteur au livre réécrit à soixante-dix pour cent, et sous celui de son traducteur, le mien figurera modestement au titre d'adaptation à la version 3. J'userai d'un pseudonyme pour de sombres raisons familiales.

    L'éditeur décide presque en même temps de produire son propre ouvrage original sur le sujet. Je travaillerai simultanément sur les deux. Les ordinateurs n'étant pas encore très répandus dans le public, l'éditeur me prêtera un PC acheté pour ce faire. J'avais composé mes premiers textes sur un Amstrad primitif au traitement de texte incompatible. Le tout prendra au début de 1989 un peu plus de trois mois de travail consommant presque tout mon temps libre. Titre du livre : Aux Commandes de Flight Simulator. Le premier tirage de précaution de deux mille exemplaires sera épuisé très rapidement, suivi d'un complément de mille autres ; il est en partie ex­porté en Belgique et au Québec. J'ai la satisfaction de le voir dans les étalages d'un hypermarché proche de mon domicile.

    Microsoft travaillant vite, la version suivante FS4 sort à peine un an plus tard. Une nouvelle édition m'est demandée, sur laquelle je ferai plus copieux et plus « vivant » dans la mesure où cette nouvelle version me plaît beaucoup plus. Diverses revues ne voient que peu d'évolution entre FS3 et FS4 car le graphisme encore très simple de­meure le même. Ces revues n'ont pas perçu l'essentiel : l'apparition de la simulation du second régime. Il n'y en avait pas sur les versions précédentes. Cela veut dire qu'avant FS4 il n'était pas possible d'avoir un vario négatif et le nez haut en même temps. En d'autres termes on ne pouvait se poser qu'en tamponnant la roulette de nez : on ne pouvait descendre qu'en piquant, si peu que ce fût. Je passe deux semaines à retaper tout l'ouvrage de l'année précédente pour en conserver l'os­sature, puis trois mois à tout reprendre et enrichir en multipliant les digressions pé­dagogiques et encyclopédiques... Le petit matériel de dessin industriel dont je dis­pose à mon travail sert pendant les pauses méridiennes à exécuter les schémas nombreux.

    Je surveille aussi dans les magasins l'apparition des ouvrages concurrents que j'achète pour en faire les compte-rendus à mon éditeur. Les miens sont indiscuta­blement meilleurs : tandis que la concurrence produit avant tout des chapitres d'énumérations de touches à presser, j'évite cela autant que possible ; je l'évite même très largement et fais presque du romanesque ; le ton est radicalement diffé­rent, mais je le dois à l'inspiration de Charles Gulick, l'auteur de Co-Pilot sans qui je n'aurais pas eu l'idée de faire ainsi.

    A l'occasion de ces recherches de livres concurrents à la FNAC je vois un pilote vir­tuel examiner un ouvrage fraîchement sorti sur FS4. Je lui conseille avec succès d'attendre quelques semaines la sortie du mien, qui sera meilleur. L'employé du rayon est ravi de croiser un auteur. Une semaine après la parution de l'édition nou­velle je vais regarder à nouveau ce qui se passe à la FNAC ; je n'y vois qu'un unique exemplaire de mon travail, ce qui est inquiétant en un tel lieu. Je m'inquiète inutile­ment : l'exemplaire présent est selon l'employé le dernier des cinquante partis ces derniers jours.

    En cédant à moitié prix de mes exemplaires d'auteur à la Maison de la Presse proche de mon domicile de grande banlieue, j'en verrai dix partir en un mois dans une ville de taille moyenne. Il est tentant d'en déduire que des dizaines de milliers plutôt que de simples milliers se vendraient moyennant une mise en place ambitieuse, mais je ne puis faire plus moi-même ! Il m'est arrivé vingt ans plus tard et davantage de trouver sur la toile des commentaires flatteurs, ainsi que des exemplaires d'occasion jusqu'à plus de deux cents euros. Flight Simulator poursuivant l'émission de ses versions successives, il semble que j'aurais pu disposer des décennies durant d'une véritable rente. Cependant la politique de l'éditeur ne se poursuivit pas en ce sens et mon départ de la région parisienne fit que je ne cherchai pas à voir ailleurs.

     

     

     

     

    CONSTRUCTION ET CONCEPTION AMATEUR 



    On s'occupe de mille choses dans la vie, dont une, voler, semble à ceux qui la font d'une es­sence différente et supérieure à toutes les autres. Lorsqu'on vole de surcroît sur les ailes qu'on a des­sinées soi-même, le sentiment de plénitude est là, extrême­ment particulier, propre aux créateurs, malaisément exprimable, réservé à des poi­gnées d'individus à peine...! 

    Précisons que tout ci-dessous n'est pas dit, parce que tout ne peut pas être dit. Tant de points sa­voureux condamnés au silence tant qu'un imprévu ruinant le rédacteur ne lui rendra pas sa liberté ! 

    Le premier mai 1999 je décolle de Guéret-Saint-Laurent pour son premier vol un aé­ronef monoplace de ma conception, construit à domicile en un an environ. C'est une avionnette de trente chevaux de for­mule Mignet, qui incorpore quelques originali­tés. Le manche pèse très lourd à piquer, demande un effort constant et important pour le retenir, si bien qu'avec un bras déjà endolori je dois réduire le vol à un seul tour de piste ; les lignes droites des jours précédents n'avaient à cause de leur briè­veté pas bien souligné ce défaut. La pose d'un tab fixe au bord de fuite de l'aile avant le corrigera aisément. 

    C'est un grand jour qui clôt près de trente ans de tergiversations longtemps vaines. Obsédé dès l'adolescence par le besoin de figurer au nombre de ceux qui ont fait vo­ler un aéronef issu de leur cerveau, j'ai commencé par perdre un temps et un argent considérables, et presque l'espoir d'aboutir. Dès 1977 j'ai acquis un Turbulent d'oc­casion en CNRA, mais sans y trouver la satisfaction intellec­tuelle de voler sur mes propres ailes. 

    Je voulais de toute façon construire, indépendamment de la conception. Or je n'étais ni équipé ni compétent pour les usinages inévitables que je trouverais sur des plans ; il me faudrait sous-traiter un important volume de travaux coûteux. Dessi­ner soi-même permet au contraire de simplifier au maximum un projet, cela se payât-il de moindres performances. 

     

    Un pionnier...

    Au printemps de 1970 durant la préparation du BIA, plongé dans l'histoire de l'aéro­nautique fi­gurant au programme, je suis ébloui par les vols des pionniers du planeur à bras: Montgomery, Cha­nute, Lilienthal. L'idée qu'on puisse voler très réellement avec vingt kilos de matériaux banals a quelque chose de profond : voler n'est pas in­ouï ; voler est au contraire merveilleusement naturel puisqu'un assemblage simple pesant le quart de son oiseau humain suffit à être en l'air. La NASA déjà mis en l'air depuis quelques années une sorte de pendulaire lourd à aile Rogallo, mais ce type de voilure quasi-magique n'est pas encore bien connu du public ; il le découvrira un peu plus tard en version ultra-légère avec l'aile libre apparue trois ans après.

    Je suis donc très étonné que ces pionniers remontant à 1900 n'aient pas été suivis, et qu'un sport si merveilleux n'ait jamais démarré en masse. Le vide en la matière depuis deux tiers de siècle me semble même total puisque j'ignore qu'un (tout) petit nombre de constructeurs connus d'avions légers ont dans leur adolescence essayé briève­ment la chose. Je serai ainsi une sorte de pionnier ressuscitant un art ridicule­ment tombé dans l'ou­bli. 

    J'entreprends donc la construction d'un ustensile tout à fait absurde. N'ayant au­cune lumière en menuiserie pratique, ignorant même qu'on peut se faire débiter des baguettes telles qu'on les désire chez un artisan, je ne connais que les carrelets de deux mètres de long des magasins de bricolage. Du moins à l'époque sont-ils tou­jours en résineux, et non pas en bois exotique dépourvu de fil comme de résistance. Leur longueur limite celle de chaque demi-aile ; une corde de 1,20 mètre là-dessus donne donc une surface alaire totale de 4,8 m². Je ne connais rien des calculs de structure et je construits ainsi des ailes de modèle réduit en taille réelle. Elles n'ont pas de longeron plein, et disposent de nervures de contre-plaqué pleines au profil à intrados plat d'environ dix à douze pour cent d'épaisseur relative. J'ai bien sûr se­crètement conscience que tout cela ne servira à rien du tout. 

    L'entoilage est fait de grandes feuilles doubles du Figaro en trois épaisseurs, tendues à la colle à papier peint. Le tout est peint de vert sapin avec en grandes lettres à l'ex­trados le nom de « KAMI­KAZE ». Quelques rapiècements seront parfois néces­saires : la colle à papier peint durcit et tend ef­ficacement « l'entoilage » par temps moyen ; par temps chaud et sec la tension devient telle que des claquages lacèrent ce beau revêtement. Inversement par temps de forte pluie, même à l'abri cet "entoi­lage" devient assez mou pour être traversé d'un doigt sans effort. 

    Un espace pour le pilote est ménagé entre les deux demi-ailes, qui sont reliées par deux longs fers ronds à béton « récupérés » sur un chantier temporairement aban­donné. Il est de fait inter­rompu depuis si longtemps que j'ai le sentiment de ne faire que de la récupération légitime de matériaux -faussement- abandonnés. Les ronds pénètrent les deux ailes profondément par des alignements de trous dans les ner­vures pleines ; le pilote est entre un rond avant et un rond arrière. On mesure à ce procédé d'assemblage des demi-voilures la complète méconnaissance de la notion de moment flé­chissant ; les demi-voilures eussent instantanément en cas de vol pris un dièdre spontané de 90°, et applaudi entre elles des deux extrados.

    Lassé par tout ce travail, je bâcle absolument un empennage horizontal plus sim­pliste encore, dé­pourvu de toute espèce de calage, notion encore inassimilée. Je n'ai pas le souvenir d'à quoi pouvait ressembler l'empennage vertical, probablement bi­dérive rudimentaire sous forme de planchettes aux deux bouts du stabilo. Un beau jour le Kamikaze porté par son constructeur et un camarade de très bonne volonté prend le chemin du terrain d'essais. 

    Il s'agit d'un terrain vague plus ou moins militaire en sortie de la ville de Châlons-sur-Marne, où j'ai remarqué des sortes de grandes cuvettes de trois mètres de pro­fondeur ; le sol y descend par un talus herbeux à 45 degrés. Voilà le seul site de vol libre identifié dans ce coin de plaine champe­noise. Il y a plus d'un kilomètre de ville à franchir à pied de façon cocasse : les deux ailes sont dis­posées en un V inversé soulevé du sol par les quatre mains des deux jeunes gens en tandem insérés à l'inté­rieur du lambda majuscule. Seuls quelques gamins étonnés traîneront sur le che­min ; l'un d'eux qui a remarqué en bouts d'ailes des profils de voilure comprend qu'il s'agit d'une sorte de mo­dèle géant, et s'en exclame avec une sorte de respect surpris. Personne par bonheur ne nous suit longtemps. 

    Le Kamikaze est assemblé sur son terrain d'essai ; les empennages et les ronds à bé­ton y ont été préalablement apportés. Vient le moment de devenir sérieux. Les trois mètres de pente ne per­mettent évidemment aucune prise de vitesse assez longue pour assurer un envol que de toute ma­nière aucun dénivelé appréciable n'entretien­drait. La pente est bien trop violente. Courir sur le plat avant le talus ne donnerait qu'une vitesse initiale misérable, et toute l'opération serait d'un impensable casse-cou. 

    En conséquence de quoi le Kamikaze sera lancé tout seul. Je le précipite depuis le bord de la cu­vette ; mais il est lourd et ne prend guère de vitesse le long de la course de mes bras. A un mètre de l'herbe de la pente à 45 degrés, il glisse en suivant paral­lèlement celle-ci avant de frapper le fond. C'est presque un succès : l'engin est allé droit, alors qu'il aurait décrit un tronçon de parabole en l'ab­sence complète de toute influence aérodynamique. Allez, ma foi, bon débarras ! Ce sera toute ma construc­tion amateur pour les sept ans à venir. 

    Chanute a conçu des planeurs à bras qui fonctionnent. Je me rends vers Noël 1970 Boulevard Pé­reire au centre de documentation du Musée de l'Air pour m'en infor­mer. Pas de chance : un vieux monsieur bien aimable me répond par une fenêtre du rez-de-chaussée que c'est fermé, vu que la faible affluence de public de l'endroit per­met d'être en cette période de fêtes généreux en ponts et viaducs avec le personnel. Il ne le dit pas de cette manière, mais je le comprends ainsi. 

    C'est vers la même époque sans doute ou un an après que j'irai le cœur ému faire la connaissance du Réseau du Sport de l'Air, car je suis persuadé qu'on jour je construirai. Les lieux ne sont pas en rapport avec le caractère grandiose de l'idéal qu'ils représentent. Une boutique vieillotte fort étroite, où officiera des décennies durant la secrétaire affable et compétente, est complétée par une autre du même genre, distante d'un numéro, où l'on peut s'attabler devant des quintaux de docu­mentation technique. Le tout qui ne paie pas de mine siège dans l'étroite et pas du tout hausmannienne rue de Sauffroy, qui paie moins encore. C'est en définitive bien sympathique. 

     

    Retour aux projets de construction

    L'achat en juillet 1977 d'un Turbulent me fait aussitôt déplorer de n'y pouvoir em­mener personne. Il me faut donc un à terme biplace, et pourquoi pas le biplace Tur­bi dérivé du Turbulent ? Sans local, sans moyens techniques pour métal et méca­nique, je m'intéresse malgré tout courageusement à cette machine qui me charme particu­lièrement par son air de Miles de sport des années 1930. Commande à ma­dame veuve Druine des plans pour la somme de cinq cents francs ; réception d'une liasse tirée à l'alcool, pleine de charme avec ses écritures rondes et ses expressions techniques surannées, ses dessins à la plume presque ar­tistiques d'écrous et d'acces­soires. La feuille du plan trois-vues vaut d'être affichée en poster dans ma chambre. 

    Je songe aussi à acquérir des notions de résistance des matériaux en vue de concep­tions futures ; je n'en ai aucune ; mais où trouver des documents utiles ? Je me fais photocopier quatre ou cinq pages d'un catalogue de profils NACA dans la mince échoppe du RSA à Paris. Un formulaire pour dessi­nateur trouvé au bureau dans les fonds de placards m'enseigne des formules élémentaires, dont j'éprouve la justesse en refaisant à l'envers avec elles les calculs de longeron du Turbulent et de deux ou trois avions légers, grâce à leurs écorchés publiés par Jean Pérard dans Avia­tion Magazine. Je me trouve des dispositions à cette étude. C'est ainsi qu'avant de l'avoir lu, je pressens que la flexion s'analyse comme une compression du côté concave et une élongation de l'autre ; muni de cette simple idée je calcule correcte­ment le rayon que peut prendre sans casser une boucle faite d'un matériau habituel­lement rigide mais aminci suffisamment. Tout ceci pourtant est bien maigre ; je té­léphone à quelques concepteurs connus assez fous pour laisser leur adresse dans l'annuaire des membres du RSA. 

    André Starck importuné au téléphone en son appartement parisien, me répond un peu sèchement qu'il dispose en effet de documents, mais à son usage purement per­sonnel. Claude Piel répond longuement et discute de divers points techniques qui me préoccupent ; il m'annonce que pour le prix des photocopies et des timbres il m'adressera la cinquantaine de pages d'un ouvrage simple mais cependant tech­nique et précis, accessible moyennant une lecture sérieuse. Je recevrai bientôt cet exemplaire de l'intéressant de Goncourt, en effet la première chose peut-être à lire pour s'initier à la conception amateur. Elle suffit pour dessiner une charpente cor­recte. L'intéressant est que les quatre francs de timbres sur l'enveloppe en occupent à peu près toute la surface, sous la forme de quatre blocs de cent vignettes d'un cen­time. 

     

    Premiers bricolages et illusion du canard

    Sitôt reçus les plans du Turbi aux premiers jours de 1978, j'envisage les moyens à mettre en œuvre pour sa construction. Il m'est impossible de construire à domicile plus que des gouvernes ou des nervures. L'aéro-club dispose d'une sorte de petit hangar inemployé, que le président ne refuse pas de laisser à ma disposition. Il contient deux restes du vol à voile de jadis interrompu depuis au moins dix ans, deux Emouchet démontés recouverts de poussière. Le RSA en cherche précisément un pour son musée en cours de montage ; le représentant régional vient sur mon in­formation prendre livraison des deux cellules. Je ne ferai cependant rien dans ce lo­cal, car j'abandonnerai la construction d'un Turbi dans le courant de l'année. Je se­rai pourtant allé faire la connaissance de Henri Piat, le responsable régional du RSA. Il est menuisier à Saint-Dizier, peut débiter du bois et fournir colle, contre-plaqués et moyens divers. Il peut faire ou faire faire notamment des éléments com­plexes comme le train d'un Druine. Dans son atelier je trouve un Continental de 65 chevaux que j'achète mille francs, ce qui n'avait rien de parti­culièrement exception­nel alors. On y voit aussi un D.9 démonté dont l'aile est particulière : à la suite d'un désentoilage consécutif à un accident, on a découvert qu'une des quatre faces du longeron n'était pas collée. J'assiste au débit des baguettes d'orégon dont j'ai besoin pour entamer mes gou­vernes, et m'initie de la sorte au spectacle des divers ma­chines à bois. L'orégon de dix ans en em­baume à la découpe ; j'apprends quelque chose sur les bois, un domaine où je n'entendais rien encore. Il y a là notamment une semelle de longeron en frêne, superbe pièce du Caudron Rafale dont les plans sont refaits par Precetti que j'ai croisé à Prunay il y a quelques années en y prépa­rant le brevet avion.

    J'abandonne au bout de quelques mois l'idée du Turbi dont la construction de la grande aile en di­èdre de près de neuf mètres me fait peur dans un atelier trop diffi­cile à installer. Je finis aussi par délaisser l'idée un temps caressée de construire un Pottier biplace en tandem, engin qui ne demande ni grande place ni chauffage du lo­cal. Je me rabats sur l'idée d'employer mon moteur Continental sur un biplace cô­te-à-côte court et de faible envergure, probablement inspiré du KR-2. Ce projet mé­diocre me tiendra quelque temps l'esprit occupé ; sa médiocrité vient de la motori­sation trop faible pour un appareil qui sans doute en demanderait davantage avec son faible allongement et sa faible surface.  

    Ce projet abandonné, je dessine en 1978 un canard biplace côte-à-côte futuriste, toujours avec le moins futuriste A65 qu'il faudrait bien finir par employer. En un mot je tombé dans le piège intellec­tuel du canard, très en vogue depuis 1975 et le Varieze aux qualités outrageusement exagérées. 

    L'idée générale était que le canard ayant deux surfaces portantes peut se contenter d'une aile prin­cipale de taille moindre, et que son fuselage peut être plus court puis­qu'on place le moteur propulsif dans le dos de l'équipage. Le tout permettrait alors une masse à vide et une surface mouillée bien moindres. J'ai adhéré plusieurs an­nées à ce point de vue avant de tomber un jour par hasard sur la formule de la traî­née induite. J'ai eu la curiosité de l'appliquer à un avion classique de formule Blé­riot, ainsi qu'à un canard comparable. Le résultat est net. La portance ou déportance de l'empennage d'un Blériot peut approcher zéro, et donc la traînée induite de cet empennage zéro elle aussi. La charge alaire avant d'un canard étant d'obligation beaucoup plus forte que celle de son aile, l'avion cumule au total aux basses vitesses beaucoup plus de traînée induite que la formule classique. Ajoutant à cela l'obliga­tion d'un train tricycle, la formule ne pré­sente en définitive pas d'avantage global particulier. Les performances du Varieze tiennent d'abord à une qualité de construc­tion peu commune en son temps, mais que la formule Blériot peut atteindre aussi. 

    J'entreprends néanmoins dans un deux-pièces le fuselage côte-à-côte du canard fu­turiste. Il est cô­te-à-côte parce j'ai trouvé pour peu d'argent un bâti-moteur d'avion Emeraude ; ainsi vont souvent les choix amateurs. Je découvre à cette occasion le travail du tissu de verre et de la résine polyester. La mousse de styrodur en ce temps n'est pas si facile à trouver ; je me rabats sur de la polyuré­thane friable, sans souplesse, bien difficile à utiliser puisque liquide en bidon. Tous ces approvi­sionnements causent de plus ou moins longs déplacements en 125, à Paris pour la mousse, et pour le stratifié chez un fournisseur d'articles de navigation de plaisance au lac du Der. Le travail sale et désagréable de ces maté­riaux ne me conduit pas loin. La mousse est une vraie nullité. Ayant abandonné le début de fuselage en plastique, et jeté les morceaux is­sus de sa mise en pièces, je dessine un second canard côte-à-côte cette fois en bois. 

    Mon projet est inspiré du Miles M.35, un canard expérimental des années de guerre. Il décolla à peine, mais semble intelligemment pensé. Le plan canard reçoit un 23018, épais puisque le canard doit disposer d'allongement. Sans en comprendre davantage, je fais un canard allongé parce que le Varieze en a un. L'aile est dotée du 23012. Pour construire en apparte­ment, la voilure de 6,60 mètres sera en trois tronçons. Cette solution chimé­rique au vu de mes outillages me vaudra encore un voyage à moto chez Weber pour m'y faire dé­couper des plaquettes de 25CD4S, destinées aux ferrures de liaison des tronçons. Reims Aviation un samedi matin dans les ateliers déserts passera les plaquettes aux ultrasons pour y vérifier l'absence de défauts, non sans me faire observer que cet acier n'est pas d'une ténacité bien extraordinaire, et qu'il y a bien mieux pour de telles ferrures. J'en conviens ; mais choisir un métal médiocrement approprié est encore la conséquence de connais­sances techniques peu étendues. Qu'importe : mes calculs sont justes malgré cela. Le fuselage de l'avion sera une caisse à flancs droits bien anguleuse que je trimbalerai dans deux déménagements. Enfin, ce dinosaure est délaissé à son tour fin 1979 et finit sa carrière dans les flammes. 

    En 1977 j'ai sérieusement envisagé la construction en dural d'un Pottier biplace en tandem, mais décidément je tiens à concevoir mes ailes. C'est l'époque du grand succès des plans Pottier dans les revues aéronautiques : on y imprime volontiers que la France et ses amateurs tiennent enfin les rempla­çants modernes des monoplaces et tout petits biplaces en CNRA en bois des années 50. C'est du métal : moins de connais­sances à acquérir, pas de contraintes de température dans l'atelier, quatre cents heures d'assem­blage seulement. Voilà pour la promotion, mais les quatre cents heures ne se vérifient pas toujours. Les Pottier largement construits ne mettront nullement hors de mode les monoplaces an­ciens en bois. La modernité supposée est associée dans beaucoup d'esprits au métal, mais elle n'empêchera pas les Jodel monoplaces alors vieux de trente ans de continuer à être encore construits trente nouvelles années plus tard et davantage. Le conservatisme n'en est pas la seule rai­son.

     

    Poursuite des rêveries constructives et orientation définitive vers le mo­noplace

    J'ai toujours mon moteur Continental de 65 chevaux. Je songe quelques mois de 1978 à le faire suivre d'une cellule côte-à-côte, courte de fuselage comme de voilure. C'est le type même du projet douteux, susceptible de croiser assez vite mais en sacri­fiant tous les autres aspects du vol. Il faudrait un 90 chevaux ou un O-200. Je fais examiner mes dessins par un élève ingénieur aéro­nautique croisé au rassemblement du RSA à Brive, et à moi désigné par Ca­rioux. Il n'y trouve pas de vice rédhibitoire, mais rien qu'une grande banalité susceptible d'aller à la médiocrité. 

    Cauchy a dérivé du Bébé Jodel à la fin des années 70 son DC-1 biplace côte-à-côte particulière­ment rapide avec un mince Volkswagen. Il est le premier étonné par les performances de sa création. J'imagine faire de même avec le Turbulent, ce qui fe­rait une construction moins encombrante qu'un Turbi. Dessinée par mes soins, elle serait dépourvue de tous les travaux de métallerie compliqués du Druine. J'ai démé­nagé de Châlons à Pon­toise ; Pottier vole au terrain des Mureaux où je soumets mes dessins à son examen au bar de l'aéro-club de Neuilly. Il n'y trouve aucun travers définitif, mais pas grand intérêt non plus. 

    Je me suis marié. Le désintérêt de l'épouse pour l'aviation me ramène de façon défi­nitive aux mo­noplaces. Trop de candidats acheteurs ou constructeurs s'illusionnent indéfiniment dans l'idée bi­place, et se figurent bien trop longtemps que leur second siège sera rentable en termes familiaux ou amicaux. Les constructeurs profession­nels d'avionnettes bénéficient de cette candeur, et en effet n'ont hors pendulaires qu'un nombre infime de types monoplaces.  

    Avant d'accepter l'idée que ma femme ne sera pas une passagère fréquente, je réflé­chis longuement à un biplace cette fois économique. Le moteur PUL 425 de JPX est une intéressante nouveauté applaudie par la presse aéronautique. Ses 22 chevaux pourraient à la rigueur tirer un motoplaneur ULM de grand allongement. C'est très exactement ce qu'a tenté un ingénieur-constructeur connu, avec un succès mitigé ponctué par deux hospitalisations. Ses compétences pourtant dépassaient les miennes de beaucoup. L'idée n'est cependant pas absurde : calcul à l'appui, je me répète que 22 chevaux avec une hélice de bon rendement donnent à 16,7 m/s ou 60 km/h la traction impressionnante de 80 kilos, chiffre bien suffisant un biplace de 300 kg et 20 de finesse dont on n'exige pas un décollage trop court. 60 km/h ne sont pas choisis au hasard ; ils peuvent pas­ser pour la vitesse de meilleure finesse d'un appareil de grand allongement décro­chant à 45 km/h. La loi exigeait alors 40, mais je table sur un peu de trichotterie par-ci, par-là. Il faut reconnaître que l'exigence de vitesse minimum à 40 km/h relevait de la provocation.    

    Ce projet cumule comme on voit trois qualités : performant, léger et pas cher. Je songe que des trois mots, l'un résolument est en trop. Ce peut être arbitrairement celle qu'on veut. Aussi l'idée ne connaîtra-t-elle pas de suite.

    Fin 1982 et sitôt marié, je démarre un monoplace inspiré du sensationnel Quickie. Il n'en aura na­turellement pas le moteur à quatre temps, merveille d'économie d'es­sence que je ne sais où trouver ; il n'en aura pas la construction en plastique qui per­met des formes optimisées. Ce sera donc un machin aventuré, en bois, certes peu lourd car son moteur à deux temps JPX sans réducteur ne pèse guère. Je passerai commande de ce propulseur au rassemblement du RSA de 1982 pour la somme alors pas particulièrement concurrentielle de 7500 francs payant ses 22 chevaux an­noncés.

    Furetant en région parisienne à la recherche de produits intéressants, je déniche la société Raigi qui vend par 1,8 kilo une concurrente directe de l'Araldite, à un prix très bas, vraiment surprenant. J'en achèterai tant et plus, collant mes bois avec une quinzaine d'années durant, pataugeant les mains nues dans cette résine sans le moindre inconvénient. Ce n'est qu'au terme de ce délai que l'allergie surgira du jour au lendemain. Elle ne frappera d'ailleurs que les paupières, mais de façon spectacu­laire. Le bois me sera fourni et débité dans la campagne de la Seine-et-Marne par Jean-Pierre Gruet, de la patrouille de Nangis, autre menuisier usant de son art pour faire de l'avion. Il disparaîtra vingt-cinq ans plus tard accidenté à Biscarosse dans son Tempête.

    Les gouvernes de l'aile avant feront profondeur et gauchissement à la fois comme sur un Varieze. Cependant la place manque dans cette chose que je construits trop étroite, pour des raisons que j'ignore encore à ce jour. Je compte commander ces deux gouvernes de façon indépendante chacune par une pédale. On se représente la gymnastique mentale et les nouveaux réflexes à acquérir. La direction et la roulette de queue seront dirigées par un levier avant/arrière pour gauche/droite, plaqué sur le flanc droit. On croirait à lire ces lignes que leur auteur n'avait jamais fait d'avion. 

    La construction démarre dans la cuisine du jeune ménage, chaque soir après la vais­selle. A la fin de chaque séance les éléments en chantier, collés à la Certus achetée chez Laverdure, sont hissés et amarrés sous le plafond. Ceux qui ont l'expérience du mariage pressentent déjà comment celui-là se terminera. Le fuselage et les deux ailes sont à peu près achevés, la voilure employant un NACA série 64 de 21% d'épaisseur relative : pour un engin peu puissant, il faut de l'allongement. 

    J'adresse un croquis de mon projet à Jacques Lecarme dont les analyses aérodyna­miques et les conseils aux amateurs font depuis plus de dix ans mes délices. Sa ré­ponse aimable est encoura­geante (je n'ai pas parlé des commandes). Cependant pour le train monotrace je ne trouverai aucune solution d'amortissement satisfai­sante logeable dans mon minuscule avion. D'autres impasses en chaîne se manifes­teront les unes après les autres ; l'appareil bien entamé finit au bûcher.

    Par ailleurs le JPX 425 de 22 chevaux en 1982 n'en donne plus que 17 à 18 sur le dé­pliant publici­taire de 1983, sauf - n'en déplaise aux Cri-Cri - à lui ajouter des pots de détente décourageants sur la petitesse de l'avion. Le pot standard très ramassé du petit 425 était précisément l'une de ses vertus. Les pots de détente ne sont pas don­nés, et perdre plus vingt pour cent de la puissance déjà légère contribue à condam­ner l'ensemble du projet.

    Je ne me laisse pas aller au découragement. Ebloui par le Biplum de Maurice Guer­pont, j'en des­sine une chose mal inspirée qui permettra le recyclage du moteur JPX tout neuf encore. Ce sera donc mon premier ULM. Guerpont qui reçoit mon dessin répond par un courrier encourageant. L'appareil sera construit jusqu'à un stade bien avancé, mis sur ses roues et doté de son moteur. Cau­chy dont je fais par hasard la connaissance au siège du RSA vient regarder l'appareil et m'encoura­ger à bien poursuivre. Je ne sais plus quelle nouvelle suite logique d'impasses conduira bientôt cette machine à être livrée au feu. C'est dommage, car le réservoir structural dans le corps de fuselage entre les deux voilures pouvait tenir plus de cent litres. J'aurais pu passer les journées d'été en l'air sans escale si le JPX avait pu décoller tout cela.

    Puisque les formules particulières comme le biplan en tandem ou classique ne me valent rien, je vais entreprendre une machine très convenue, un monoplan ULM à aile basse inspiré des avion­nettes ultra-légères de l'entre-deux-guerres. Le JPX 425 y aura bien entendu sa place. Je ne peux construire la voilure chez moi d'un tenant, mais pour l'assemblage des deux ailes je travaille à un système ingénieux : des axes de liaison verticaux sont usinés chimiquement, chose faisable par tout le monde et qui dispense d'un tour ; les conduits métalliques des axes sont tenus face aux se­melles de longeron par un abondant enrobage d'unidirectionnel de verre collé sur les âmes au droit desdites semelles. 

    J'ai oublié à la suite de quelle accumulation de soucis divers la petite machine finira au feu. La construction suivante sera une aile volante, car une visite à l'aérodrome de Romorantin en 1986 m'enthousiasme pour le Pélican de Debreyer. 

    C'est une visite intéressante, faite depuis Pontoise en 125 MZ. Un Dewoitine 520 stationne sous le hangar. Entrer dans un hangar banal pour s'y trouver nez à nez avec un Dewoitine 520 surprend toujours. Il y a aussi un P-47, mais à l'échelle ½ et muni d'un O-200. En bavardant avec son construc­teur nous découvrons dans le re­vêtement stratifié du bord d'attaque un petit trou d'environ cinq mil­limètres de dia­mètre. Un autre trou semblable figure dans le revêtement intérieur du logement de train ; les deux orifices sont bien alignés en définissant un trajet parallèle à l'axe de roulis. La seule explication qui nous vient à l'esprit est celle d'un tireur ayant du sol mouché le Thunderbolt à la 22 dans une phase de descente ou léger piqué ; la balle peu énergique ayant épuisé son énergie à percer deux peaux de fibre et la mousse intermédiaire aura été arrêtée par le pneu avant de tomber dans la nature à la des­cente du train. 

    Le Pélican méritait le déplacement. Cet engin de sept mètres d'envergure et douze mètres carrés réussit avec son monocylindre propulsif à ne peser que cinquante-six kilos malgré son fuselage plein et sa verrière close. Tout est fait au plus léger, au plus mince, les petits apex au pied des gouvernes de direction sont curieusement souples ; le longeron principal est en revanche quelque peu surdimensionné. Le profil Fauvel de 17% et deux mètres de corde au centre est si stable que selon le constructeur la gouverne de profondeur a très peu ou pas d'effet sur toutes les phases du vol : toutes se font à 70 km/h ; changer les gaz ne change que la pente. L'allongement de la voilure est très faible, mais la finesse atteint 12. Le constructeur veut avec ses douze chevaux grimper selon une pente minimale qu'il s'est imposée (10%) : il a calculé qu'un d'allonge­ment supérieur vaudrait un supplément de poids qui malgré une meilleure finesse réduirait la pente de montée. Je dispose du moteur JPX moitié plus puissant : ne pourrais-je bâtir un appareil inspiré de celui-ci mais tout de même plus allongé ? La chose est à voir. 

    Je rends visite à Paris rue du Dahomey à la minuscule librairie aéro­nautique Mil­lien, tenue par ce spécialiste de longue date de la formule Mignet. Il at­tend les clients peu nom­breux avec lesquels ils a tout le temps de bavarder, tandis qu'il construit un fuselage de Pou qui est une merveille de précision et de finition. Il dispose de nombreux documents aéro­nautiques anciens difficiles à trouver. Je découvre un fascicule de trente et quelques pages rédigé au­tour de 1960 par Jim Marske, un pionnier étasunien des planeurs de formule aile volante. Je constate qu'il obtenait des finesses passables même avec une voilure parfaite­ment rectangu­laire à profil Fauvel de 17%, et que ses machines étaient raisonnable­ment stables même avec une corde modique de quatre pieds. Une avionnette fort simple et d'allongement décent semble donc faisable dans cette formule. Je l'entre­prends sans délai. Elle ne tarde pas à devenir bien trop lourde, sans avenir, découra­geante. Elle sera livrée aux flammes. 

    Par hasard un jour de 1985 environ je découvre dans la rue que j'habite à Pontoise un atelier devant lequel stationnent les fuselage d'Orion qu'on y moule.

    Mon couple aux deux membres découragés l'un par l'autre pour des motifs divers, où l'opiniâ­treté à poursuivre la construction d'un prototype compte au total assez peu, finit par se dissoudre. La question maintenant est de savoir quel aéronef peut être fabriqué dans mon nouveau logis, et préci­sément dans une pièce longue de 5,80 mètres au cinquième étage. 

    La hauteur en soi est accessoire : les larges baies permettront aux éléments achevés de descendre au long de la façade, de nuit, discrètement. Avec à mon actif quatre appareils à moteur JPX tous avortés, j'ai le sentiment curieux mais réel d'avoir en quelque sorte bien amorti ce moteur, encore qu'il n'ait pas tourné une fois. Je décide en conséquence qu'il serait plus intéressant de faire avec un moteur puissant moins d'heures mais de plus intéres­santes. Le prochain appareil sera un avion. 

    Ce sera un appareil ramassé, léger, puissant, calculé à 9 g pour pouvoir me remuer un peu en vol. La masse croît notoirement selon l'effet boule de neige qui multiplie par trois ou quatre chaque variation de poids d'un élément donné au départ de la conception ; j'emploierai ainsi non pas un lourd Volkswagen mais un léger Rotax 503 de cinquante chevaux : l'avion par effet boule de neige inversé devrait être vrai­ment léger et nerveux. Le fuselage sera court, taillé à la serpe, tandis que l'aile ne sera qu'un rectangle d'un mètre sur cinq. Le longeron de 9 g ne sera donc pas bien pesant. La charge alaire devrait ne pas dépasser les cinquante kg du mètre car­ré : cinquante kg de moteur, cent pour la cellule et le train, cent de charge. L'avion sera en fin de compte un Tempête de poids moitié. Le 503 est acquis neuf à assez bon compte chez Loravia qui fait une promotion. Je consacre une journée d'hiver nei­geux à faire en 4L le trajet Pontoise-Yutz et découvrir les charmants vallonnements lorrains. 

    Le dépôt du dossier de CNRA sera-t-il simple, ou effrayant de complexité comme certains disent ? On écrit beaucoup que le plus long est d'attendre l'envoi du formu­laire lorsqu'on l'a demandé ; le dé­lai serait épouvantable, paralysant. Le RSA invite par ailleurs les constructeurs à faire transiter chez lui les dossiers rem­plis, au motif que pas un de ceux qu'il voit n'est exempt de travers à corriger. D'un caractère an­xieux, j'appelle l'administration pour savoir en combien de temps on m'adressera le formulaire. Le premier fonctionnaire au téléphone ne peut se permettre le risque de s'engager sur quelque chose d'aussi grave. En trois renvois de bureau en bureau j'at­teins donc celui du directeur de la DGAC qui tout bonnement prend note ; je reçois dans la semaine ce document inaccessible. Quant à le remplir ! Il n'y a aucune diffi­culté, sauf à ne pas comprendre l'élémentaire. N'en déplaise au RSA, le formu­laire me sera retourné tamponné sans aucune demande de renseignement complé­mentaire. 

    La construction manquée de plusieurs machines m'a convaincu de la vanité de tout vouloir faire seul, sans apport extérieur d'autres moyens et compétences, sans l'aide morale d'un associé qui vous sou­tient et envers qui on se doit de réussir. Je tiens justement l'homme adéquat. Un certain découragement de la construction soli­taire vaine n'est pas sans me gagner lente­ment. Je ne compte plus mes voyages à Montreuil aux établissements Charles pour y déverser des sommes fréquentes payant des feuilles de bouleau qui finissent invariablement au feu. Le sentiment de piétinement progresse...

    Mon homme adéquat est un menuisier avec atelier et machines à bois : n'est-ce pas l'idéal ? Un jour un inconnu m'a téléphoné après parution en 1986 dans le men­suel Pilote Privé de mon récit d'un long voyage en Ecosse en Turbulent. C'est un me­nuisier de soixante ans ; il y a trente ans qu'il veut construire un CNRA ; il exprime le courage qu'un tel article lui rend. Je lui rends vi­site dans son atelier de grande banlieue pour constater qu'il collectionne en ef­fet les liasses de ce qu'il a envisagé tout à tour de construire, du planeur Minéo d'avant-guerre jus­qu'au plus récent KR-2. Au-dessus des machines à bois est suspendu un (ou « le » ?) curieux pla­neur à bras Stabiplan d'André Starck, récupéré d'un autre constructeur. Celui-là n'a jamais volé ; j'ignore si le type a été essayé par ailleurs. Je décline l'offre qui m'est faite de l'essayer remorqué par automobile.

    Bref, mon menuisier qui voudrait construire cahote depuis trente ans, c'est-à-dire bien plus que moi-même ; a vrai dire il n'a jamais rien débuté. Est-il possible de l'embaucher comme associé, fu­tur copropriétaire, en lui insufflant du courage ? Ses moyens de menuisier sont bien tentants... L'association est décidée. 

    Il rendra un ou deux services accessoires, comme aller de l'autre côté de Paris cher­cher des fourni­tures. Débordé par son métier, il ne commencera pas le moindre élé­ment de cellule. Il ignorait donc qu'il ne disposait d'aucun loisir ! Au bout de quelques mois j'ai bien avancé ; il lui sera impossible de me rattraper ; la coproprié­té n'aura plus de sens. Je le convaincs de quitter le bord en échange d'un dédomma­gement pour ses menus services. Il se construira, lui dis-je, son propre ap­pareil à son propre rythme au lieu d'être soumis à ma cadence infernale. Ce brave homme trouvera lui-même peu après la conclusion parfaitement adaptée à son cas : le rema­riage avec une dame qui le dispensera de toute rêvasserie aérienne. Il m'avait d'ailleurs un peu avant fait mourir de rire en déclarant vouloir explo­rer pour ses re­cherches conjugales, en 1987, le vivier supposé des millions de veuves de guerre al­lemandes. 

    Il me rendra pourtant un service réel. Le fuselage achevé dans une pièce étroite doit être pas­sé dans la pièce voisine pour mise en croix. Le seul chemin pos­sible est la façade ; les baies des deux pièces sont assez larges pour faire sortir puis rentrer l'objet d'un balcon à l'autre. Avec le me­nuisier j'opérerai évidemment de nuit. Avec force cordages le fuselage sort très bien, mais une partie saillante le bloque définitivement entre les deux pièces, à l'extérieur, surplombant un vide de cinq étages. Il n'y a aucun danger immédiat car il est fermement amarré. Il s'avère qu'il manque seule­ment une troisième personne pour décoincer ce qui est coincé tandis que les deux autres poursui­vront la manœuvre. Il n'est pas question d'at­tendre le jour et le scandale... la solution est trouvée : deux pompiers solides sont appelés en urgence pour une intervention peu courante. 

    Bien entendu la descente des éléments par la façade était prévue pour la fin une fois l'avion prêt à voler ; d'autres l'ont fait, avec une bonne équipe. Cela fait très, très aviateur passionné ; un bien bel épisode à photographier ! 

    D'autres plus doués en bavardage qu'en actes se manifesteront aussi. Colomban a publié dans les Ca­hiers du RSA des abaques faisant référence pour la détermination de la forme et des paramètres d'une hélice. Un constructeur d'hélices pour amateurs est venu faire sa réclame dans un dîner de tels clients potentiels. Sur la base des cal­culs Colomban fidèlement suivis, je lui passe commande car ses prix sont très convenables. Après de nombreux mois et plusieurs rappels sans effet, j'annule pure­ment et simplement. « Je m'en moque », réplique notre hélicier de bien bonne foi ; « Je préfère ne pas faire cette hélice dans laquelle je n'ai jamais cru. Les seules hé­lices valables sont celles qu'on fait en suivant les abaques de Colomban ! » Un peu plus tard un constructeur amateur réel me propose spontanément de faire cette hélice. Ce sera là encore la même chanson sans fin ni aboutissement, conclue par une fâ­cherie. 

    Ce sera autant d'économisé puisque l'appareil sera abandonné. Il ne sera cependant pas comme ses prédécesseurs combiné à l'oxygène de l'air. Déjà, le Krasmoliot a pris du poids par comparaison au dessin originel. Il est baptisé Krasmoliot parce qu'il est intégralement rouge, ce qui fait penser au communisme et donc à la langue russe où « rouge » est « krasnoï » et « avion » est « samoliot » ; il suffit de contracter les deux mots. Fin 1988 des événements personnels tragiques surviennent brutalement qui mettent en question mon propre avenir et me découragent de toute poursuite de quoi que ce soit. Le Krasmoliot voit sa voilure soigneusement coupée en deux ; les morceaux et le fuselage peuvent descendre par la cage d'escalier. Un professeur de collège technique du bois le récupère. Remonté sommairement, il orne depuis, ou a orné un temps, le plafond des locaux dudit collège. 

    Le moteur neuf est revendu avec perte sensible à un jeune pouduciéliste désargenté qui joue de malchance : un peu plus tard alors qu'il remorque sur la route son appa­reil aux ailes posées longitu­dinalement sur leur bord d'attaque, le choc de pression/dépression rencontré en croisant de près un poids lourd arrache genti­ment son entoilage. 

    Je mesure aujourd'hui la chance que j'ai eue de ne pas faire voler cet avion. Je n'avais aucune expé­rience des moteurs à deux temps d'aviation. J'ai acheté plus tard un Pou doté d'un 447 qui au bout de soixante-dix heures m'a lâché au décollage. Verdict du mécanicien, indépendant du construc­teur : incompétence dans l'entre­tien par un utilisateur n'ayant pas conscience de ce qu'un deux-temps requiert de connaissances et d'attentions. Le long emploi des Volkswagen indes­tructibles ne m'en avait en effet donné aucune idée. Or l'incident le moins souhaitable à bord d'un avion sans finesse est bien la défaillance motrice. 

     

    Vers le succès !

    En 1992 je déménage dans la Creuse où l'achat d'une maison vaste me donne tout l'espace voulu pour construire. Un peu lassé pourtant, je songe à me rabattre pares­seusement sur un appareil tout fait. Il y a précisément un D.9 à vendre sous le han­gar de Guéret-Saint-Laurent. Le prix demandé de 55 000 francs représente beau­coup d'inflation depuis mon Turbulent payé huit mille quinze ans plus tôt. Il y a aussi un engin original : un biplan monoplace à VW 1700, prototype construit par Roger Valladeau ; il est l'ancien producteur industriel local de Jodel. Ce petit CNRA est joli, et se veut une intrapolation du Jungmann. Je m'y assois ; le fuselage est si resserré que les bras sont légèrement comprimés par les flancs. La corde de voilure est minuscule, mais c'est un biplan. L'envergure est minime et la charge alaire sen­sible. Voilà encore une machine qui en cas de panne ne planera pas comme un Nim­bus. Le fait est qu'un instructeur du club précisément vic­time d'un arrêt du moteur a dû plonger raide, puis a observé un mauvais arrondi à la vitesse finale d'approche imposée par la longueur du pré qu'il visait ; c'est là le risque présenté par un avion de forte charge alaire et de faible allongement. L'affaire s'est conclue sur un train cassé, un tassement de vertèbres et de longs soins. L'avion vendu quittera un peu plus tard le terrain, vers une destination de moi inconnue. 

    Plus d'un prototype amateur a décollé de Guéret. Le plus curieux fut un ULM moto­planeur dont le moteur, insuffisant pour décoller l'engin sur cet aérodrome assez court, disposait aussi d'un accouple­ment vers la roue pour améliorer l'accélération au sol. Je n'ai pas assisté aux essais, mais il est rap­porté que la machine vola en effet de sol. Je l'ai vue plus tard démontée chez son inventeur. Stupeur : les se­melles de longeron étaient en aggloméré ; je suppose que ce matériau ne résiste pas à plus de quelques pourcent des efforts que tient le bois. Des mâts renforçaient la tenue en flexion. Ils de­vaient être pourtant fortement sollicités puisque la faible hauteur du fuselage les obligeait à former avec l'aile un angle à peu près moitié de ce qui est habituel. Un mât peut supporter une traction très forte, mais ses ferrures de liaison à la voilure ? Celles que j'ai vues étaient des pièces de fonte d'aluminium, récupérées des PTT qui s'en servent pour fixer les câbles sur les poteaux. Autour des trous qu'elles comportent de fabrication, et utilisés ici pour passer l'axe entre aile et mât, la largeur d'alu mince est des plus minimes. Qu'importe ! Les soulèvements au-des­sus de la piste ont bien démontré la tenue de la structure sous 1 g ; le fait est indiscutable. 

    Vers la même époque je suis ébloui par la récente Souricette. Elle convient parfaite­ment à mon JPX toujours inemployé. Il serait trop simple d'en acquérir les plans, et j'entends toujours me simpli­fier la vie en n'ayant pas des pièces de métal infaisables par moi-même à devoir sous-traiter à grands frais. Je dessine donc un appareil va­guement similaire. La commande de gauchissement al­lant vers une aile placée der­rière les épaules du pilote n'est pas simple. J'achète un poste à souder électrique avec lequel j'ap­prendrai seul à assembler une timonerie d'acier doux bien lourde et bien grossière. Ma pre­mière séance de soudage auto-appris ne se passe pas trop mal, mais parce qu'il fait chaud je travaille en short. Un superbe coup de soleil artificiel me chauffe le lende­main du cou aux chevilles. 

    Ce nouvel ULM entrepris en 1995 prend des allures de dinosaure incompatible avec les dix-sept chevaux du JPX. Le destin de cette machine est aisé à deviner. Cela vaut mieux : je croiserai plus tard Michel Barry sur l'aérodrome de Guéret et bavarderai avec lui ; je préfère qu'il n'ait pas eu sous les yeux un ma­chin caricaturant ostensi­blement mais lourdement sa jolie création. 

    Un jour tandis que je remplis ma charge de fonctionnaire en inspectant en pleine nature du côté de la Courtine le lieu d'un chantier futur, la grâce me touche. 

    Le menuisier déjà évoqué m'avait à Paris aiguillé sur un dîner mensuel de construc­teurs amateurs dans un restaurant tunisien de la rue de Charenton. Deux ans envi­ron je m'y rendrai assez régulière­ment. C'est une popote de pouduciélistes où à côté de gens connus comme Gilbert Landray ou quel­quefois Maurice Guerpont, douze à quinze constructeurs viennent hurler deux heures en dépit des autres tables. Il y a là une paire de demi-fous, presque tous ayant construit ou construisant un Pou géné­ralement monoplace et ULM : par hasard, le second arrêté ULM paru en 1986 favorise beau­coup cette formule. 

    Le texte précise que hors accessoires un ULM doit peser à vide moins de 175 kg, et que toujours hors accessoires la surface alaire doit égaler en mètres carrés au moins le dixième de la masse à vide exprimée en kilos. Or un Pou présente un double avan­tage : il est dispensé d'empennage horizontal tandis que sa formule biplane permet une surface un peu plus grande pour le même poids de struc­ture (même sans que les deux plans travaillent ensemble comme sur un biplan classique où ils sont liés). Certains ajoutent un troisième avantage, en disant compter froidement l'entreplan horizontal dans la surface portante. Par ailleurs le fuselage court est léger. Tout ceci concourt à rendre assez ai­sée la fabrication d'appareils respectant l'arrêté, alors que c'est moins facile autrement dès qu'on sort du pendu­laire. Ces années voient donc une certaine expansion des Mignet amateur. Ainsi pour certains amateurs, les mé­rites propres à la formule comptent moins dans son choix que son aptitude fortuite à suivre mieux que d'autres l'arrêté ! Ajoutons qu'un court fuselage et qu'une voilure repliable faite de tronçons brefs permettent à quelques uns de ces Parisiens de construire en appartement, frôlant parfois le drame conjugal. 

    Ajoutons à tout ce folklore l'ambiance agréable des environs du restaurant. On est proche du quartier des ébénistes où naguère j'ai acheté ma colle Certus rue Traver­sière chez un très ancien fournisseur pour les métiers d'art, dans sa boutique de comptoirs et de placards anciens vernissés. On croit voir Mignet passer à côté pour acheter son contre-plaqué, qu'il prenait tout près au 103 de cette rue de Charenton. J'aime sur le boulevard Daumesnil voisin les nombreuses arches basses du viaduc des Arts, avant la modernisation récente qui en bouleverse à grand renfort de verre l'aimable ca­ractère vieillot de vieux entrepôts désaffectés, lieux toujours un peu mystérieux pour les grands enfants de tout âge. 

    J'ai fréquenté avec plaisir ce petit monde sans adhérer pourtant à la chapelle Mi­gnet ; j'ai toutefois beaucoup appris à son sujet. Un jour donc dans ma charge de fonctionnaire dans la nature creusoise, longeant à pied la voie ferrée désaffectée al­lant à la Courtine, la grâce me touche : je ferai un Pou. Ce n'est pas tant que j'aime sans limite cette formule intrinsèquement disgracieuse et ne concordant pas avec l'image d'un avion que j'ai dans l'esprit depuis toujours ; mais en faisant un Pou, même isolé dans la Creuse je ne serai pas seul : les anciens de la popote Charenton me soutiendront mora­lement et par divers services, au lieu de regarder avec dis­tance mes projets classiques. Il faut ajouter à cela le côté indéniablement séduisant des ailes petites, faciles à faire dans de simples pièces. J'en­treprends le dessin d'un Pou qui utilisera bien entendu le JPX de 17 chevaux : il convient d'en étu­dier parti­culièrement la légèreté. 

    Les ailes sont de simples planches rectangulaires de cinq mètres de long sur un mètre de corde, avec profil 23014. Le fuselage sans verrière est simplissime, et re­pose sur une lame de train en peuplier contre-­collé recouvert dessus et dessous de deux millimètres d'unidirectionnel de verre. Formule simplifi­catrice inhabituelle, la cabane n'est pas en V mais faite seulement de deux mâts verticaux espacés de la lar­geur du fuselage. Il n'y a aucun hauban, si bien que les porte-à-faux sont longs et re­quièrent un longeron un peu plus massif qu'à l'habitude sur Mignet (d'où le 23014 au lieu de l'habituel 23012). L'ensemble ne dépasse pas cent kilos. 

    Le pire est dans les timoneries. Toujours soucieux de simplifier à l'extrême ces choses habituelle­ment complexes et chères, je les révolutionne. Il n'y a pas de manche, mais une simple poignée articulée à la place du tableau de bord absent ; elle est connectée par une biellette unique à l'aile avant, et n'agit qu'en profondeur. Sa manœuvre tord vaguement le bras et s'avère un peu déconcertante. Il y aussi un palonnier, normalement absent sur Pou ; il aura la fonction du manche en latéral, à savoir le gouvernail de direction com­mandant l'inclinaison. Comme pour simplifier encore je fais un palonnier au sens premier du mot, simple barre droite sur pivot central, le délicat contrôle latéral d'un Mignet n'en sera pas rendu plus aisé. N'ayant aucune expérience de la formule, je ne m'en représente pas du tout le caractère si chatouilleux en roulis, exigeant beaucoup de finesse du bout des doigts. Je vais donc prétendre au tour de force de prendre tout seul ma première leçon de pilotage Mi­gnet, sur un prototype, avec un système de commandes inédit et douteux : sur ces trois conditions, deux sont en trop.

    Le 17 novembre 1996 le Pou de type JT.IX identifié 23BD fait ses premières lignes droites soulevées à Guéret-Saint-Laurent. Ce volateur ne fera malheureusement pas de longs aviats. Les bonds de l'appareil se déroulent tous ainsi : je n'ose pas mettre pleins gaz malgré la faible puissance, de peur d'être entraîné par surprise trop haut pour en choir sans trop de risque. En effet l'engin ne fois en l'air paraît vouloir grimper quoi qu'on fasse. Une dizaine de chevaux suffit à soulever le Pou à un mètre ou deux : la charge alaire est faible et le pas de l'hélice JPX est court. Je suis incapable en l'air de tenir la ligne droite, et l'engin dé­rive hors piste pour se re­poser comme il peut sur l'herbe après quelques décamètres de vol. Je ferai deux telles séances tandis que mes bonds anarchiques épouvanteront le club. Le pré­sident est ami d'Alain Mignet, créateur du Balérit et du Cordouan ; il me prie de le contacter avant de continuer mes jeux inquiétants. Alain Mignet ne m'apportera pas de solution miraculeuse, mais me mettra en rapport avec son oncle Pierre, fils de Henri, avec lequel j'aurai au fil des ans de nom­breux débats téléphoniques des plus cordiaux. Je constaterai en particulier combien l'héritier de Mignet est éloigné de l'étrange esprit refermé sur la formule que manifestent quelques uns de ses fervents.

    J'y apprendrai diverses choses. Toujours à la recherche (absurde mais compulsion­nelle) de l'avion minimum, je n'ai pu que remarquer le HM-16 Bébé-Pou, exception­nellement ramassé et doté d'une cellule extrêmement légère. Pierre Mignet me rap­porte avoir vu son père faire un vol unique et descendre de machine en disant sans autre commentaire qu'il fallait l'oublier. Il est vrai que la vue de profil peut conduire à s'interroger sur la stabilité de route ; or je ferai un peu plus tard une expérience angoissante sur ce sujet avec un autre appareil. D'autre part l'envergure de quatre mètres suggère un plan de descente et un taux de chute ne donnant pas envie de se vacher avec. Il est pour­tant possible de se procurer les plans du HM-16 ; a-t-on dé­couvert comment remédier aux ennuis rencontrés par Mignet ? 

    Une autre question me tracassait avant les essais : supposons qu'en dépit du soin apporté à sa construction, il reste à mon aile une certaine dissymétrie ; comment sans ailerons pourra-t-elle être contrée en l'air ? sauf à voler direction continuelle­ment braquée au mépris de ce qui en restera d'efficacité sur le côté concerné ? Pierre Mignet me rassure lorsque je lui dis que si dissy­métrie il y a, mesurée en termes de vrillage du bord de fuite, elle reste en-dessous du centimètre. Pierre Mi­gnet en effet a rencontré un jour un Pou achevé mais non décollé présentant une horrible dissymétrie voisine de dix centimètres ; il en a fait l'essai en vol. « J'ai vou­lu voir ce que ça donnait... et j'ai vu !! » précise-t-il avec un reste d'effroi. 

    Mignet en appartement à Paris avant la guerre s'est construit avant tout vol de Pou une soufflerie à moteur à explosion. Les voisins de ce temps étaient compréhensifs. Il a ainsi étudié la stabilité en tangage ; mais en roulis ? Mignet s'est lancé dans un engin sans ailerons ; comment sa­vait-il que sa formule répondrait en roulis à la di­rection aussi efficacement qu'elle le fait ? Comment en a-t-il été sûr ? La question m'intéresse en tant que concepteur inexpérimenté de Pou : mon Pou à moi jouira-t-il de cette faculté, ou sera-t-il incontrôlable ? Pierre Mignet répond qu'il ignore com­ment son père s'est convaincu de l'innocuité encore non démontrée du défaut d'aile­rons. 

    Le professionnel Alain Mignet qui aime les relations avec les amateurs me fournira au fil de quelques années le matériel d'entoilage pour trois de mes prototypes. J'aurai surtout par le truchement d'un ami commun le plaisir de faire une visite à Saujon aux Per­rières, c'est-à-dire dans la fort belle propriété où Mignet justement construisit chez son propre père une floppée de ses élucubrations d'avant-Pou. Du sol et du ciel, le lieu est bien illustré dans le Sport de l'Air. Les Perrières abritent alors les ateliers de la société Mignet, qui toutefois fermera un peu plus tard. 

    Un pèlerinage m'occupera un après-midi de 2002. Où est le Bois de Bouleau, où est la vaste plaine un peu sauvage, un peu éloignée de toute activité, où Mignet expéri­menta en vol, et qui lui inspira les quarante plus belles pages de son livre, les plus chargées de poésie évocatrice ? On sait que c'est dans l'Aisne et précisément dans le triangle de routes Vailly/Condé-sur-Aisne/Chassemy qui fait trois kilo­mètres de cô­té. Je suis le tour de cette étendue de bois peu élevés, irréguliers, broussailleux, comme marécageux par zones, qui s'avère largement divisée en menues parcelles couverte de caravanes et bungalows en bon nombre. Le long du tronçon Condé-Chassemy je trouve un chemin libre permet­tant d'entrer explorer ces paquets d'hec­tares un peu hors de tout. Où y a-t-il une possible piste de plusieurs hectomètres orientée à peu près est-ouest ? Il ne semble guère exister d'étendues dégagées aux dimensions significatives, mais les arbustes ont pu tout recouvrir depuis. Enfin je déniche un endroit possible, cent mètres de large sur sept ou huit cents de long. Cette piste hypothétique dont je n'ai même pas relevé les coordonnées au GPS est aujourd'hui à mi-longueur coupée d'un clôture et d'une marche de quelques déci­mètres, mais fait figure de candidat possible. J'en fais part à Pierre Mignet qui lui non plus ne connaît pas l'emplacement exact du lieu sacré ! Les chemins sont extrê­mement bourbeux ; il faudra un véhicule des services municipaux de Chassemy pour me tirer d'un mauvais pas. 

    Avant même les essais de vol de mon Pou, plusieurs au club s'inquiétaient fort de l'absence de dièdre. Il existe des Pou sans dièdre et j'en ai piloté un par la suite, mais un vain peuple de pilotes de comptoir est persuadé que faute d'ailerons, c'est à un bon dièdre qu'un Pou doit de rester suffisamment stable. Il n'en est rien ! Qu'im­porte : l'opinion publique décrète que sans dièdre je ne pourrai voler. J'ai beau sa­voir que ces discours ne sont que sottise, je ne puis m'interdire de les lais­ser m'in­fluencer un peu. J'ai en novembre reçu justement l'exemplaire du Sport de l'Air que je me suis commandé. Il s'y trouve un dessin clair du manche articulé classique que Mignet s'est fait dans les années trente. Armé de cornières et tubes du quincaillier, du livre et de mon poste à soudure, j'en fabrique un que j'essaierai en décembre. Les nouveaux bonds ne seront pas plus convaincants. Et si le fuselage visiblement tor­tillard entre les deux plans gagnait à devenir plus rigide ? En avril suivant un fuse­lage plus raide ne changera rien non plus. 

    Je suis las, bien las de tous ces échecs. Je finis par penser que je redoute au fond de moi de voler sur une conception personnelle, et que j'ai tout simplement multiplié les raisons de douter assez de moi pour en arriver à la conclusion qu'il faut renoncer à inventer, et acheter une machine éprouvée. J'en viens à penser que j'ai plus ou moins inconsciemment fait exprès de cafouiller toutes ces années. 

    J'échafaude un projet double : acheter un Mignet volant déjà, et pendant ce temps en dessiner un autre qui ne sera qu'un demi-prototype : il sera largement classique et de nombreux paramètres se­ront calqués sur ceux du HM-293. 

    Un HM-293 à moteur 447 est précisément à vendre à cinq cents kilomètres de chez moi. Rendez-vous pris, je rencontre le constructeur/vendeur qui cherche ainsi à fi­nancer le biplace de même formule auquel il travaille. Ce biplace est un prototype où la traî­née ne manquera pas si j'en juge par le fuselage et son pare-brise qui pourraient faire un bateau de plaisance. Le train est construit tout exprès pour faire du Cx à coup de tube carré et de passages bizarres réservés au fluide aérien. Sur sa jolie base où il est garé, l'ULM à vendre est l'appareil le plus laid parmi les présents. Di­sons qu'il est franchement hideux et ne rappelle que bien confusément le 293. Il ne montre rien qui soit susceptible de faire douter de sa sécurité, mais il est si vilain que je demande quand même à le voir voler aux mains du vendeur. Les choses en l'air paraissant normales vues du sol, je conclus et reviens deux semaines plus tard embarquer l'engin. 

    Les ailes sont repliables à la Mignet, mais le constructeur a jugé bon de modifier le profil. Résul­tat : les axes des ferrures de longeron et de longeronnet ne sont plus ali­gnés. On ne peut replier les ailes qu'en ôtant les axes au longeronnet ; il en résulte la nécessité d'une grande délicatesse de gestes dans l'opération de repliage si l'on ne veut pas fausser les ferrures d'articulation. Il faut alors de grandes précautions d'ar­rimage pour affronter le vents relatif de la route. L'engin est tricycle, ce qui n'est pas fait pour en accroître la beauté ; juché sur ses roues et en ajoutant l'épaisseur des ailes supérieures repliées, l'échafaudage grêle sur sa remorque est im­pressionnant de hauteur. Je consacre une nuit à rentrer précautionneusement. 

    Le 25 mai 1997 je décolle à Guéret le Pou en début de soirée pour trente-cinq mi­nutes. C'est donc un auto-lâché sur Mignet, et je me sens aussi mal à l'aise que pos­sible de l'absence d'ailerons. Le fait est que la nervosité en roulis est considérable et qu'en dépit de l'heure la turbulence des trois cents premiers mètres m'angoisse pas­sablement. Au-dessus, l'air est calme et je m'habitue aux dé­placements latéraux in­fimes à imprimer au manche en gauchissement. L'atterrissage me surprend : la vi­tesse d'approche d'un Pou n'est pas toujours faible, car le plan avant est toujours sensiblement chargé ; mais ici j'ai l'impression d'être sinon en avion, du moins vrai­ment rapide pour la catégorie. J'explorerai tout cela. Après ce vol je découvre avoir composé par erreur mon mélange à 1% au lieu de 2. 

    Viennent les essais. Malgré les quarante chevaux, le poids ULM et la grande hélice démultipliée, la montée ne dépasse pas trois mètres par seconde ; la descente tout réduit n'est pas celle d'une feuille morte. La vitesse de pointe est 110 km/h, et la croisière à ce qu'on peut estimer 75% est de 99 km/h. La consommation horaire est alors de quatorze litres. La moindre réduction semble faire pas­ser au second régime ; pour quatre cents tours de moins qu'en croisière à 99 km/h, on vole peu au-dessus de la vitesse minimum tout en buvant encore 13,5 litres. A moins, on des­cend. C'est une machine à consommation ho­raire constante comment qu'on l'uti­lise.

    Le réservoir tient vingt-six litres : la distance franchissable extrême vaut donc 180 kilomètres et le temps de vol extrême moins de deux heures. Mieux vaut ainsi ne pas s'égarer ni devoir trop cer­cler en attente à l'arrivée, si comme souvent à Guéret l'avion des parachutistes est omniprésent. Je compare mentalement sur ces plans l'appareil à un chasseur à réaction à simple flux en basse alti­tude : ni distance fran­chissable, ni autonomie. Je consomme 14 litres aux cent kilomètres à comparer aux 8 de mon Turbulent de jadis. 

    Je fais part au vendeur de ma déception au moins quant à la vitesse ; mécontent du grief, il me si­gnifie d'avoir à trimer l'aile avant puisqu'une petite manivelle est là pour cela, même si le bras te­nant le manche n'en sent pas le besoin. Une fois cette aile trimée, la vitesse de croisière passe comme je le prévoyais de 99 km/h à 99 km/h : l'aérodynamique se moque bien de savoir si ce sont les muscles du pi­lote ou bien le tab qui maintiennent la voilure à l'incidence qu'il faut. Elle donne même un petit avan­tage aux muscles, qui ne produisent aucun supplément de traînée par eux-mêmes. 

    L'appareil est dans les clous puisque sa charge alaire est inférieure à 30 kg/m², et qu'à l'époque cela suffisait ; la vitesse minimum n'était prise en compte et limitée à 65 km/h qu'en cas de charge alaire de plus de 30. Pourtant sa vitesse de posé reste importante et je veux comprendre pourquoi. Je procède à une pesée : 75% du poids reposent sur l'aile avant, une valeur bien excessive en dépit de l'obligation de sur­charger le plan avant d'un ca­nard. Cela donne à l'avant une charge alaire importante qui explique sans mal la vitesse au toucher des roues.  

    Je volerai 73 heures en quatorze mois sur cet appareil aussi peu plaisant que disgra­cieux. J'irai à Argenton-sur-Creuse, où l'instructeur ULM se moquera sans pitié de la hideur de ma monture. J'irai la faire admirer aussi au Blanc et à Issoudun, à près de cent kilomètres : on voit que le ravitaille­ment à l'étape est absolument indispen­sable, et qu'il ne faudra pas tomber un jour sur quelque terrain désert. Je confec­tionne un réservoir annexe d'une douzaine de litres à placer derrière mes épaules, grâce auquel je pourrais sans revenir sur les dernières gouttes atteindre et contour­ner le Puy-de-Dôme. Je ferai en réalité demi-tour un peu avant. 

    Le premier atterrissage extérieur a lieu à Argenton, et c'est aussi mon premier atter­rissage exté­rieur en monoplace depuis tant d'années sans le Turbulent que j'ai cessé d'utiliser en 1980. Tôt le matin sur le terrain encore désert, c'est un réel sentiment de renaissance, une remontée inattendue des souvenirs vieux de vingt ans de mes longues virées solitaires en Druine. Comment ai-je pu si longtemps m'en priver ! Un jour de semaine en juin durant ma pause de midi, j'aurai le plaisir de spiraler mo­teur fortement réduit jusqu'à mille sept cents mètres sous de beaux nuages. 

    Un incident singulier aura lieu lorsqu'un pilote de l'aéro-club venant voler un ins­tant en formation me fera des gestes auxquels je n'entendrai goutte, mais suite à quoi une assemblée inhabituelle vien­dra assister à mon atterrissage. Rien de parti­culier ne s'y produit. Le pilote effrayé a vu ceci : la roue avant de type tiré pen­douillait purement et simplement dans le prolongement du fût comme si ce qui de­vait la maintenir en position normale était défaillant. A l'examen au sol, je suis inca­pable de comprendre ce qui précisément pouvait l'empêcher de pendre en vol. Cet organe apparemment absent serait-il tombé, sans que je puisse deviner où il s'atta­chait ? Existait-il seulement ? Mystère. La chose en fait n'est pas gênante, la roue au toucher ne pouvant de par son dessin qu'être ramenée brusquement à sa place ; sa fourche venait taper contre un fort caoutchouc amortisseur. J'imagine cependant le supplément de laideur encore en vol, et comprends toujours un peu plus la modestie extrême des performances. 

    Le premier août 1998 au décollage le régime baisse deux mètres au-dessus du sol. L'inatterrissable vallée de la Creuse m'aurait accueilli si la demi-panne avait attendu vingt secondes de plus. Je peux atterrir sur le reste de piste. L'entrepreneur ULM basé note une surchauffe attribuée à la mauvaise tension de la courroie d'entraîne­ment de la soufflante de refroidissement. Même s'il en va de ma faute j'ai assez vu cet appareil, groundé maintenant une fois pour toutes. Je serai heureux d'en re­vendre le moteur que l'acheteur fera refaire, et de livrer le reste à un feu purificateur de mauvais souvenirs. 

    Ma construction d'un Mignet prototype avance pendant ce temps. J'ai dit que ses caractéristiques seront fortement reproduites de celles du HM-293. J'en copie les envergures et les dièdres avant et arrière, ainsi que les entreplans horizontal et ver­tical ; je place mon séant à la même distance verticale sous l'aile avant. De tout cela devrait dériver un appareil aussi volable que le modèle qui l'inspire. Les extrémités seront toutefois rectangulaires. La surface alaire totale sera pourtant moindre, car je descends la corde de 1,20 mètre à 1 mètre seulement. 

    Alors que mon premier appareil respectait l'arrêté de 1986 prescrivant 1 mètre carré de voilure pour dix kilos de masse à vide, le second jouit du nouveau texte de 1998. Il ne demande plus que moins de 30 kg/m² ou moins de 65 km/h ; il n'est plus imposé de surface alaire minimum. Toutefois je m'avise en début de construction que les délais d'entrée en vigueur du nouvel arrêté en préparation pourraient m'embarrasser. Mais voici que les mensuels aéronautiques annoncent un entrée en vigueur plus rapide que prévue. L'administration locale ne semblant pas en avoir connaissance, j'appelle Paris pour apprendre qu'en réalité cette en­trée en vigueur hâtée est dans l'esprit de l'administration destiné aux constructeurs professionnels, afin qu'ils puissent mettre au point leurs nouveaux produits sans perte de temps. Cependant la loi étant la même pour tous, Paris enverra à ma DGAC régionale une lettre l'autorisant à enre­gistrer mon appareil. Encore une œuvre de pionnier à mon actif ! 

    J'ai soupé des moteurs à deux temps. Outre celui de mon ULM précédent, d'autres ont serré un jour tels deux des moteurs de mes trois motos MZ. Je n'entends plus voler qu'en quatre-temps. Aucun moteur à quatre temps ne m'a jamais lâché, sur la route comme en l'air, même à moto, tant du moins que l'huile a bien voulu rester à bord (voir ailleurs mon posé en campagne en Emeraude). Le VW est pesant mais je trouve à ra­cheter un DAF avionné avec son hélice. Il donne une trentaine de che­vaux pour une petite quaran­taine de kilos. Qui a déjà démonté un VW n'éprouve au­cune difficulté à faire de même avec un DAF, qui est visiblement à l'intérieur l'imita­tion du moteur allemand simplement réduit à deux cylindres. Le Pou torpédo prêt à vo­ler ne fait que 145 kg. Si le dièdre de l'arrière est en moyenne celui du 293, il n'est pas limité aux plans extérieurs et son angle est diminué de moitié pour concerner toute l'aile, sans brisure. Le plan central est solidaire du fuselage, et au gabarit rou­tier. Le continuité sans cassure de dièdre entre plan central et plans extrêmes per­met de fixer ceux-ci à la manière des bouts d'aile de certains planeurs, enfilant un tronçon de longeron mâle dans le longeron femelle des bouts du plan central. Tout cela est en bois ; des ceinturages de stratifié préviennent dans les parties femelles l'éclatement à l'effort. L'effort à vrai dire est faible avec des plans extérieurs ne fai­sant qu'un mètre en envergure et ne portant chacun que 13 kg par g. 

    Pour simplifier la cabane je songe à une paire de mâts rigides montés en V comme sur les Croses. Or c'est impossible : le centrage est tel qu'il faudrait me couper les pieds faute de pouvoir les loger ; le V derrière la cloison porte-moteur occupe la place. En d'autres termes le moteur n'est pas assez lourd pour que je puisse reculer suffisamment mon siège ; et les Croses en effet volent avec un pesant Continental, sauf l'ULM Criquet Léger à Rotax. Son moteur en contrepartie est monté au bout d'un long bâti que je n'ai pas la technique pour faire. Il ne reste ainsi qu'un moyen : exécuter deux mâts verticaux disposés dans la largeur du fuselage et accolés intérieurement à ses flancs. Le porte-à-faux de l'aile sera simple­ment plus long ; je passe en conséquence l'épaisseur relative de 12 à 14%. Les ferrures d'at­tache mât/aile relèvent d'une simplification trop longue à décrire (!), mais qui dis­pense de tout usinage. 

    Du 24 au 27 avril 1999 je monopoliserai chaque soir la piste de Guéret à l'heure où il n'y a per­sonne, pour multiplier les lignes droites décollées. Le début est découra­geant : comme avec mon tout premier Pou de 1996, la machine s'obstine sitôt en l'air à dévier, à quitter la ligne droite et la piste pour finir dans l'herbe. Or cela ne devrait plus arriver puisque à présent je sais manier un Pou. Je me demande s'il y a une erreur fonda­mentale quelque part dans mes dessins successifs. C'est assom­mant... une fatalité... Et puis à la mise des gaz d'une ligne droite de plus, je me dé­termine à oublier la prudence exagérée que peut-être je montre au manche ; je re­dresserai franchement à gauche, sans timidité, dès que la machine s'inclinera et dé­rivera encore sur sa droite. 

    Cette manœuvre évidente réussit d'emblée. Je n'ai plus qu'à faire suivre cette ligne presque droite par d'autres, volontairement de plus en plus sinueuses, bien maîtri­sées à un mètre au-dessus de la piste. Je me risquerai ensuite à gagner de la hau­teur, et passerai de délicieux moments à grimper à six ou sept mètres pour redes­cendre et atterrir aussitôt dans la longueur de la piste. Je jubile : enfin une ma­chine de mon cru veut bien évoluer dans les airs docilement à mes ordres ! Je rentre le soir chez moi en flottant dans cette béatitude particulière aux créateurs qui ont réussi quelque chose. Premier vol proprement dit le 1er mai 1999. J'ai quarante-cinq ans déjà, et ma pre­mière machine volant pour de bon est des plus modestes.

    Le Pou volera quinze heures sans guère s'éloigner du terrain, et bientôt je me lasse­rai de venir à l'aérodrome pour deux fois sur trois renoncer à voler à cause du vent traversier. L'affreux train tri­cycle du Pou acheté et abandonné permettait du moins de tolérer un certain vent hors de l'axe. D'autre part l'aérodynamique anguleuse ré­sultant des simplifications constructives diverses rend la croisière peu rapide. J'at­teins 85 km/h aux deux tiers de la puissance ; au moins n'est-ce qu'en consommant huit litres et non plus quatorze. 

    La grâce me touche une seconde fois, comme un jour elle a touché Mignet. Il passa quelques an­nées à enchaîner les prototypes variablement invraisemblables avant de recevoir la révélation de­vant les cassons de ses échecs précédents, dont un hélico­ptère : « Construits un avion ordinaire et tu voleras ! »  et en page suivante de son livre : «  Si j'avais eu un bon petit moteur ; si j'avais suivi des directives expérimen­tées ; si j'avais opéré prudemment dès les débuts, je volerais « en amateur » depuis 10 ans ! »

    Cette méditation lui fit construite l'avionnette de formule classique HM-8, son pre­mier succès. S'étant malgré cela bigorné avec, il décida que l'avion classique ne va­lait rien et inventa le Pou. J'aurai sur ce point évolué à l'inverse : constatant que le Pou malgré ses vertus ne valait pas grand-chose pour moi, pour ma psychologie, je me retourne de façon définitive vers le classique, et surtout, l'éprouvé. Cela n'ôte rien à l'affection que je garde à la formule Pou au terme d'un notable chemin fait en commun ; je continuerai d'ailleurs à voler sur un Mignet que l'on me prête de temps à autre. 

    Je décide d'avoir un avion doté d'un gauchissement efficace contre le vent de tra­vers, et dessine un trois-axes. Le Pou au total n'aura pas volé plus de quinze heures du premier mai 1999 au 26 mars 2000, sans aucune escale extérieure. Je transfére­rai le moteur DAF sur la nouvelle cel­lule qui volera dès le 10 avril suivant, ne me laissant pas longtemps sans appareil. 

    Je ferai sur ce Pou une observation curieuse. En regardant s'il est possible de piloter en profondeur sans toucher au manche, c'est-à-dire en levant le bras pour saisir le bord de fuite de l'aile articulée, je constate de la part de celle-ci une certaine réac­tion à piquer simplement lorsque j'en approche la main. La paume ouverte dix cen­timètres sous ou derrière le bord de fuite, sans aucun contact, fait réagir les 5,50 mètres d'envergure tout entiers à plonger de quelques degrés ! 

    Le Pou ne sera brûlé que partiellement. Son aile avant perchée dans les hauteurs de ma grange en fait l'honneur, tandis que le fuselage conservé entre siège et étambot, avec moignons d'ailes, intrigue les gens de passage.

    Ma science toute relative de concepteur amateur s'est bâtie en plusieurs décennies de lectures di­verses en laissant forcément des lacunes dont quelques unes pour­raient être dangereuses. J'ai appris des choses importantes et même critiques par hasard ; je peux donc en ignorer d'autres. Je ne suis pas seul dans ce cas ; et l'anec­dote suivante relative à la for­mule Mignet en dit long sur ce qui en plus de l'igno­rance découle probablement de la désinformation (bien  intentionnée).  

    Une revue aéronautique signale qu'un Pou récemment construit se refusait à décol­ler, avant qu'on s'aperçoive que son aile arrière était calée sous quelques degrés né­gatifs. Or cette aile doit être bien entendu ca­lée positivement puisque les deux voi­lures d'un biplan en tandem sont porteuses. Le calage positif est évidemment indi­qué sur les plans, mais le constructeur n'en a pas tenu compte. Cet incident me consterne parce qu'il me rappelle des ennuis personnels passés et surmontés au bout de trop de temps perdu.

    On rencontre un nombre impressionnant de pilotes, de techniciens, de livres, d'ar­ticles, de cours, répétant les uns après les autres leur prétendue condition impé­rieuse de stabilité en tangage d'un avion : le centre de gravité doit être en avant du centre de portance, et donc l'empennage horizontal calé pour être déporteur. On ajoute que l'équilibre de l'avion est ainsi semblable à celui d'une balance romaine.

    On y ajoute une démonstration par le moyen d'un croquis à base de vecteurs. On oublie seulement de préciser que le raisonnement imparable (à base de réflexions sur les petites variations accidentelles d'incidence) accompagnant le croquis a beau être vrai, il le reste aussi lorsqu'on a la curiosité intellectuelle (que n'a presque per­sonne) de placer le poids non plus en avant, mais en arrière de la portance. Alors ?

    Non seulement la formule de Lapresle donne pour un avion donné une position ar­rière maximum admissible fort en arrière très souvent du centre de gravité, mais encore foule d'avions sont-ils manifestement centrés ainsi. On sait par exemple que la banale série NACA 23000 est dotée d'un centre de portance à peu près fixe à 25% de la corde. Un avion qui en est muni peut très bien être autorisés par son manuel au centrage arrière de 30% ; l'empennage alors est nécessairement porteur. Il y a bien calage positif obligatoire pour l'aile arrière d'un biplan en tandem, mais non pas calage négatif obligatoire pour un empennage ordinaire. Entre les deux formules, transition continue et non opposition de principe. Ma propre machine actuelle (2015) de ma conception est en dépit de son NACA 23012 centrée entre 26 et 29% selon essence et bagages ; je n'ai jamais observé qu'elle fût instable.

    Or la croyance à la nécessité du poids devant la portance m'a causé très longtemps un préjudice certain : m'acharnant à dessiner des machines ainsi centrées, je per­dais mon temps en ne parvenant qu'à des résultats médiocres, trop longs, trop lourds, visiblement éloignés des appareils existants. Je ne serais pas étonné que nos amis avec leur Pou à aile arrière calée à l'envers n'aient raisonné sur une base voi­sine : prenant l'aile arrière pour un empennage, et sans bien comprendre la position du centre de gravité d'un Mignet, il est possible qu'ils aient calé négativement cette aile en suivant le préjugé solide qu'un empennage doit être obligatoirement dépor­teur.

    Me voilà ainsi reparti pour le dessin et la construction du JT.X, une petite machine aux formes car­rées qui évoque en à peine modernisé les nombreux types d'avion­nettes minimum produites en plusieurs pays dans les années 1920. Il récupérera le moteur DAF, non capoté. C'est une solution heu­reuse dans la mesure où cette mécanique est esthétique, à la façon de bien des moteurs anciens. Je considère le JT.X comme la plus réussie de mes conceptions sur le plan constructif. 

    Le fuselage est quadrangulaire depuis la cloison porte-moteur jusqu'à l'étambot : quatre flancs de contre-plaqué simplement épaissi de l'avant jusqu'au dos du pilote, tenus par quatre longe­rons minimes de 10 x 10, simplement doublés du nez jusque derrière le siège. La section du fuselage évolue normalement du nez à la queue, mais contrairement à l'habitude sa face supérieure est plate entre dos du pilote et queue ; devant le pilote elle est également sans arrondi transversal et se borne à descendre vers la section carrée plus petite du cadre porte-moteur. Le fuselage ne comporte donc pas les classiques arrondis latéraux d'un avant d'avion et d'un dos de car­lingue. La tête du pilote émerge d'une plaque plate amovible qui porte un petit pare-brise. Un bloc de mousse derrière le crâne carène vaguement. Il ne faut pas construire ainsi : on a le cou rompu en cas de retournement au sol. 

    La voilure est à profil 4417 parce que la série 44 donne encore de la portance à inci­dence nulle et permet de monter sous le fuselage l'aile sans aucun calage. Elle est boulonnée de la sorte en quatre points à deux cadres forts parfaitement verti­caux. Cela évite un casse-tête de géométrie projective. L'épaisseur relative impor­tante permet d'enfiler les ner­vures sur le longeron, ce qui dispense d'un chantier particulier pour l'assemblage d'une aile en ner­vures de trois morceaux. La voilure est une planche de 6,80 mètres x 1,36 m sans dièdre ni vrillage. En son centre, un ensemble de six fractions de nervures serrées entre longeron et longeronnet sup­porte le siège. Ce même ensemble reçoit le berceau du manche. Un seul boulon à dé­faire le dissocie de la biellette de profondeur ; la totalité de la timonerie de gauchis­sement, le siège et le manche des­cendent ainsi d'un bloc lorsqu'on défait cinq bou­lons. 

    La technique des biellettes n'est pas la plus légère, mais est si simple pour un ama­teur peu outillé : tube de dural de 20/18 et rotule de 6 à bague mobile montée sur nylon (rotules sans jeu). La queue de la rotule est vissée dans un court cylindre en dural de diamètre 18 tenu dans le tube par un moyen dûment calculé en résistance des matériaux. Le rond de dural de 18 est obtenu en fraisant chimiquement du rond de 20 par im­mersion surveillée dans une solution de soude (réaction vive : attention aux projections de soude et au dégagement d'hydrogène), suivie d'un lavage soigné.

    Je n'ai pas de pince à sertir les embouts des câbles, et n'use pas du système à tortillon de cuivre. J'emploie un autre moyen. Attention : il ne s'agit en aucune façon des serre-câble à écrous visibles sur certains plans célèbres ; je n'exécute que des assemblages définitifs indéfaisables et indesser­rables. Chaque embout est essayé individuellement en charge.

    Les empennages du JT.X sont tous deux intégralement monoblocs, pas même équi­librés. Si c'était à refaire j'équilibrerais la profondeur. Si la direction est actionnée classiquement par câbles, la profondeur l'est par une biellette unique en tube de du­ral de 20/18 avec rotules. Comment fait-on une biellette de plus de deux mètres et demi de long en tube de 20 sans qu'elle s'arque et flambe ? Il suffit d'innover. Le tube de 20 ne concerne en réalité que vingt à trente centimètres aux deux extrémi­tés. Tout le reste est un tube carré de bois de section 50 x 50, fait de bouleau de 10/10 et de petit bois intérieur en 6 x 6. Les extrémités où est emmanché et retenu le tube de dural sont protégées de l'éclatement par embobinage de tissu de verre et résine. 

    A noter que pour la simplicité de montage et d'articulation, le manche est un tube de section carrée. Le manche carré heurte et intrigue beaucoup les observateurs. Ils y voudraient au moins une poi­gnée ronde, mais le pilote en quelques secondes ne fait plus aucune différence.

    Pour m'éviter des poulies et des renvois de câble d'aileron, j'imite le système de commande des ailerons des avions Pottier. Les ailerons sont de section triangulaire et articulés au longeronnet par de la charnière à piano sur toute leur longueur. Les câbles issus du manche sont uniquement rectilignes et n'actionnent qu'un guignol de bois situé devant le milieu de chaque aileron. Du guignol part une biellette noyée dans le profil ; elle atteint l'aileron en traversant l'âme du longeronnet.

    Une profondeur monobloc est délicate à articuler : il faut éviter que le moindre jeu des deux paliers assez rapprochés ne fasse battre fâcheusement de manière déce­lable les deux extrémités. La réponse technique habituelle tient à l'emploi d'axes rectifiés passant dans des palier d'alésage rigoureux. Que d'embarras... Mignet ne se disait-il pas exaspéré par exemple par la construction d'ailerons et de leur timone­rie, doublant selon lui le temps consacré à l'aile entière. Alors, innovons !

    Au lieu d'axes rectifiés, j'emploie du banal boulon de 6. Il fait peut-être aléatoire­ment 5,96 ou 6,02. La pa­lier sera du rond de rilsan percé au foret de 6 : l'élasticité discrète de ce plastique technique fera que le palier enserrera parfaitement l'axe im­parfait dans une étreinte douce mais sûre. Au­cune usure après des centaines d'heures de vol. Le court cylindre de rilsan est noyé dans un bloc de bois ; deux joues de contre-plaqué percées seulement au diamètre de l'axe maintiennent en place le rilsan tout en le dissimulant. Inconvénient : il faudra de la chirurgie lourde s'il vient du jeu. L'appareil dont je traite ici n'a volé que vingt heures, mais son suc­cesseur disposant du même système n'y montre aucun jeu après plus de cinq cents heures.

    Alors que toujours je boulonne rigidement les moteurs DAF ou VW sur un cadre fort, je m'offre sur le JT.X un montage souple. Certes il n'est pas question de souder un bâti. Le moteur est boulonné ri­gidement sur une plaque de contre-plaqué de 10 mm, et la plaque est tenue au cadre fort avant par six silent-blocs de pot d'échappe­ment de camion. La grande vertu ici du DAF tient à son faible poids combiné à la forme ramassée du bicylindre : le moment qu'il exerce sous facteur de charge sur ses fixations est très faible, quatre fois moindre que celui d'un VW.

    Autre innovation : le bois compressé et gorgé de résine dont on a fait jadis des lon­gerons de planeurs m'a servi, bien poncé et déverni, à gagner de l'épaisseur là où du bois ordinaire me posait problème. Où trouver ce bois compressé ? Mais dans le pe­tit matériel du bureau, où je change l'affectation de quelques-unes de ces règles d'un centimètre à peine de côté, que l'on ne casse pas à la main.

    Comme sur le Pou, la gouverne de direction épaissie incorpore la "roulette" de queue, une roue à pneu de diamètre 260 sans autre amortisseur. Les ferrures d'at­tache (en réalité en stratifié) à l'étambot sont renforcées pour supporter les ef­forts. C'est le système Croses, qui sans être ce qui se fait de plus commode par vent de travers n'en est pas moins une sensible simplification supprimant la timonerie propre à la roulette directrice. La gouverne ainsi est très épaisse, mais je ne fais pas un avion de course.

    La lame de train est faite de contre-collé de peuplier doublé dessus et dessous d'uni­directionnel de verre. Elle est très large d'avant en arrière, puisque le bois sans ad­jonction d'âmes de contre-plaqué doit encaisser l'effort de cisaillement ; il est vrai qu'on pourrait aussi emballer intégralement le bois. Plaquée sous le fuselage, la lame lui transmet son effort de poussée en s'appuyant sur deux bouts de cornière boulonnés sur deux renforts en bois collés aux flancs ; deux étriers la maintiennent ; c'est encore un système très simple.

    En résumé : la cellule est simplifié, « géométrisée » au maximum. Tout ce qui est métal, accessoire, équipement, ne cherche pas à se plier aux solutions classiques ; il est réétudié en vue de simplifier le plus possible tout en surveillant le calcul et les essais individuels de chaque chose. On travaille avec des tubes, des cornières et des méplats, éliminant tout ce qui est soudure et presque tout ce qui est pliage.

    La construction d'un fuselage plus long et plus exigeant en précision que pour un Pou, demande un bâti pour l'assemblage convenable des flancs terminés. Je vis dans une demeure vaste dont une par­tie n'est pas employée ; j'ai une longue salle de près de dix mètres en étage, dotée d'un plancher gris et usé. Y planter quelques clous n'est pas embarrassant ; on y fixe de la sorte un certain nombre de paires d'équerres de grande taille bricolées en bois, qui épousent par l'extérieur la forme du fuselage ; le montage des flancs et de leur entretoisement du nez à la queue est ainsi fort simple. Une part de ce travail a même été faite en été sur un chantier réduit à sa plus simple expression, fait de planches clouées de niveau entre les vieux poteaux de bois soutenant le faux-plafond d'une des étables joux­tant l'habitation... Ah ! Construire torse nu dans la chaleur estivale, les chaussures dans la paille restée là d'autrefois, entre les murs de granit irréguliers, la grande porte voûtée ouverte sur une prairie du Limousin...  

    Le fuselage achevé en étage est descendu par la fenêtre (procédé dont se doit d'user un vrai constructeur amateur soucieux du folklore de son activité) par le camion-na­celle de mes collègues les poseurs de lignes téléphoniques passant par là par ha­sard. C'est dans la grange principale que l'aile sera assemblée.

    Voici le procédé. Sur le fuselage est d'abord fixé le longeron principal de voilure ; les trous de boulonnage au fuselage sont per­cés dans le cadre fort contre lequel est pla­qué le flanc du longeron. Un peu de soin garantit la perpendicularité du longeron et du fu­selage ; l'ajout d'une mince cale de contre-plaqué d'un millimètre ou deux sur l'âme avant du longe­ron, localement, d'un seul côté, s'avère nécessaire pour la per­fection du respect de cette perpendicularité : il ne faut pas me croire capable de fa­briquer un fuselage rigoureux au millimètre. Cela fait, le longeronnet arrière est également fixé sur son propre cadre renforcé de fuselage. Il est très facile de s'assu­rer qu'il est convenablement paral­lèle dans le plan vertical au longeron principal (et qu'on n'aura pas une aile vrillée positivement tandis que l'autre le sera négative­ment) : on se place devant le longeron principal et, un œil fermé, on vise par dessus les deux bouts de ce longeron pour s'assurer que les deux bouts du longeronnet sont simultanément à la même hauteur. 

    Il ne reste qu'à enfiler et caler proprement les nervures. On débute par l'une des deux qui touchent le flanc de fuselage, lequel est rectiligne sur la longueur de la corde (pour aussi s'épargner des raccords déli­cats). Le calage de cette première ner­vure se fait à l'estime : je sais que l'intrados plat du 4417 doit être par dessin paral­lèle au bordé de cabine. Une erreur d'un degré se voit très bien sur 1,36 mètre de corde, et de toute manière une petite erreur au calage de la première nervure serait sans consé­quence dès lors que le reste serait calé de même.

    Il est un peu délicat de caler rigoureusement la seconde nervure « de fuselage », de l'autre côté, afin qu'elle n'offre aucun écart de calage avec la première. Si la caisse du fuselage était parfaite, il suffirait de se régler sur ses angles ; mais en aucun cas elle n'est parfaite. J'ai oublié l'astuce employée pour un calage exact. Les deux nervures dûment calées sont collées aux longerons. Cela fait, on enfile en vrac sans les coller toutes les nervures des deux ailes. On s'attache alors au calage/collage parfait des deux nervures margi­nales, par rapport aux deux nervures centrales déjà en place. On recourt ici au niveau à flacons. Lorsque les quatre nervures sont bien fixées, on tend entre leurs queues deux fils à coudre représentant dans l'espace les futurs bord de fuite ; il ne reste qu'à coller tout l'ensemble des autres nervures en se réglant sur ce « fil de fuite ». Niveau à flacons et fil à coudre sont les deux instruments fonda­mentaux d'assemblage d'une aile « en l'air », sans bâti ni chantier.

    Reste le coffrage du bord d'attaque, fait nervure par nervure et sans l'affreux travail d'enture des contreplaqués minces qui partent en poussière dans l'opération. Comme pour les flancs de fuselage, je sacrifie un peu de poids en assemblant les feuilles par collage sur le côté intérieur de bandelettes de quelques centi­mètres de large.

    Insistons sur la beauté de la cathédrale de petit bois qu'est une aile sans son entoi­lage, prise en enfilade par le regard. Vient l'entoilage ; le plus amusant tient au re­passage au fer chaud, un art consistant à tendre comme de façon magique le dacron mou, sans le percer par fusion. Je voudrais entoiler tous les jours. Et le lardage ? J'aime la tradition, c'est entendu, mais pas au point de m'emm... à apprendre à lar­der et à larder en effet : vivent les chapeau de nervure où l'on colle le textile.

    Je n'ai guère parlé des outils employés, sinon pour suggérer qu'ils se réduisent à très peu. Je fais un aparté au sujet des agrafeuses dont j'ai une belle expérience. Cet ins­trument a jadis révolutionné la construction en ridiculisant la préhistorique bande à clous. Il est des agrafeuses chères et pas chères. Il convient de choisir les secondes sans regret : toutes celles que j'ai eues entre les mains sont mortes autour de cinq mille agrafes, quel que fût le prix. Du démontage permet quelquefois de les prolon­ger un petit peu, sans que l'effort le justifie toujours.

    Avant vol le président de l'aéro-club vient d'autorité faire à la machine, qui ne voit pas Veritas, sa petite inspection personnelle sous couvert de curiosité. Que diable, il a la responsabilité de son ter­rain. Les premières lignes droites les 14 et 15 avril 2000 à Guéret ne rencontrent aucune difficulté tant qu'il ne s'agit que d'essayer la profon­deur, mais la piste de moins de sept cents mètres est trop courte pour y balancer l'engin en roulis et se reposer ensuite ; cela n'est plus possible comme avec le Pou de charge alaire moindre.

    Le premier vol du W23BS (qui ne recevra pas d'immatriculation définitive) est pré­vu pour le 22 avril. Les deux jours précédents ne sont pas agréables ; ils me rap­pellent ceux qui ont précédé mon premier saut voici vingt-cinq ans. C'est un malaise qui n'est ni la peur ni son absence, qui est le sentiment d'un effort pénible inévi­table, une pétoche diffuse. C'est paradoxal puisque je n'en suis pas à mon pre­mier prototype ; je crois qu'au fond je ne considérais pas le Pou comme un avion avec ses incon­nues, mais comme un fauteuil qui vole nécessairement de façon stable et sûre (une fois surmontée l'angoisse initiale de l'absence d'ailerons) ; un avion est « autre chose »...

    Le 22 avril, tout est parfait : l'appareil semble réussi d'emblée ; rien n'y est à corri­ger. On n'avait pas manqué de m'avertir qu'une aile basse sans dièdre serait mal pi­lotable. Tout le monde n'a donc pas vu un Jurca. Je n'observe aucune propension vi­cieuse en roulis. Disons que par vent de travers il faudra se défier de la faible garde au sol des saumons, mais à l'épreuve des faits je n'en serai pas sérieusement gêné. La vitesse de croisière est 100 km/h et la vitesse de pointe 110. A ces grandes allures l'incidence du NACA 4417 tend vers des valeurs négatives, car son angle de Cz nul est de l'ordre de moins cinq degrés : l'assiette donne une inhabituelle sensation d'être à piquer, et la vue est agréablement déga­gée vers l'avant.

    La vitesse ascensionnelle ne dépasse pas 2 mètres par seconde. Il faut s'y prendre de loin pour franchir une ligne de collines. Je trouve aux avions sous-motorisés un cer­tain intérêt : leur pilotage exige une forme d'intellectualisation que j'aime aussi exercer au simulateur en limitant volontaire­ment la puissance, ou en y décollant de la Paz avec un avion léger sans compresseur. Le JT.X pla­fonne à 1500 mètres QNH.

    Il ne fera qu'un seul et petit voyage, un dimanche matin de Guéret à Argenton-sur-Creuse. Le ter­rain est anormalement désert. J'y découvre sur une porte de hangar mention d'une fermeture en cours pour construction de la piste en dur. Je relance et file sans avoir été remarqué. Le 4 juin l'accé­lération au décollage se fait remarquer par sa tempérance plus marquée encore qu'à l'ordinaire. Je décolle à tort, pare à peine la route longeant le terrain et, montant très faiblement, conserve à peine quelques mètres au-dessus du sol des prés qui s'élèvent graduellement. Je louvoie pour passer entre des bosquets que je ne peut survoler, et après avoir péniblement atteint une petite centaines de mètres achève ce fâcheux tour de piste.

    Les examens de la mécanique comme de ses accessoires ne révéleront aucune cause compréhen­sible ; « asthénie idiopathique ». Rien n'y fera, et je n'exécuterai plus que quelques vols très mous par bonnes conditions et sans monde sur le terrain ; le der­nier aura lieu le 27 juillet. J'envisage un temps le montage d'un Rotax moyennant quelques renforts, puis renonce.

    Le successeur ou JT.XI est à ce jour (2015) ma dernière construction et le restera probablement. Démoralisé par le lâchage du DAF que j'aimais bien, je songe longue­ment à revenir à mes fantasmes anciens de petite puissance. Un Solo monocylindre pourrait propulser une aile volante qui ferait aussi du vol à voile et cumulerait les heures à bon compte. Puis un constructeur amateur et collègue faisant un Ménestrel (toujours en chantier à ce jour) s'offre un Jabiru à la place du VW 1600 qu'il comp­tait d'abord y monter. Je récupère pour mille francs le moteur et la pièce porte-hé­lice qui vaut peut-être bien le prix à elle seule. Ce moteur disponible sur place balaie mes idées de petitesse et de Solo : je vais faire une cellule de la catégorie D.9/Turbu­lent et retrouver les grands plaisirs que la possession d'un Druine m'avait donnés voici vingt ans.

    L'avionnage est un travail à la portée de tout le monde dès lors qu'on dispose de la pièce porte-hé­lice et des deux éléments spéciaux (à faire tourner) pour l'autre extré­mité du vilebrequin : la pièce annulaire qui tourne dans le joint spi retenant l'huile du carter (elle remplace un épaulement du disque d'embrayage de la voiture), et la grosse vis qui tient la pièce précédente. Sur un 1600 à simple admission je dépose le ra­diateur d'huile, et le rem­place par un court-circuit entre son entrée et sa sortie d'huile émergeant du carter. La pièce support de radiateur est utilisable pour cela, moyennant quelques modifications sans complexité. La pres­sion d'huile se prend là où c'est prévu ; un Tiny-Tach donne les tours simplement en enroulant un fil autour d'un câble d'allumage, sans rien changer. Il est un peu cher pour du jetable, mais la pile au lithium non remplaçable tient encore depuis quinze ans. Le carburateur est laissé là où il est ; de même pour le delco. Cela donne un ensemble de superstruc­tures qui ne sont pas très capotables : le moteur restera à l'air.

    En pratique je dépenserai six ou sept mille francs pour changer à peu près tout, hors les bielles, les culasses, le carter et le carburateur. Le prix de quatre cylindres neufs (que je ferai suraléser de quelques centièmes) avec leurs pistons et leurs segments est de neuf cents francs ; qu'a-t-on pour cette somme chez les constructeurs de mo­teurs aéronautiques ? Le VW entier empêche de faire des appareils vraiment légers, mais il reste sans concurrence après quatre-vingt ans de carrière. 

    Collage des premiers morceaux au début de 2001. L'appareil sera terriblement clas­sique, toujours dans le but résigné de simplement voler plutôt qu'expérimenter des solutions grandioses mais vaines. La sagesse est venue.

    Elle n'est venue qu'à demi puisque je continue par principe à faire la chasse aux complications constructives même quand elles sont raisonnables. Les complications raisonnables sont celles qui font la différence entre un avion agréable et gracieux, et une caisse volante à fort Cxo. Il en résulte un fuselage massif d'où pour des raisons simplificatrices que j'épargne au lecteur, n'émerge absolument que la tête du pilote derrière un petit coupe-vent dévelop­pable auquel sa forme et son armature donnent un vague air de pare-brise de T-6. Ce coupe-vent est solidaire d'un capot opaque de contre-plaqué articulé latéralement, qui pivote comme une verrière de Starfighter et vient recouvrir mes épaules. Ainsi suis-je engoncé presque entièrement en des pro­fondeurs caverneuses, ce qui ne me déplaît pas ; j'ai toujours aimé me tapir dans les petits recoins, et pour ce motif je déteste les bâtiments modernes clairs et carrés. Cette installation dans les profondeurs de la machine me fait penser au chasseur I-16, un de mes avions à hélice préférés. Seulement, l'aile du I-16 est basse, tandis que pour me simplifier la construction la mienne est posée sur les longerons supérieurs de fu­selage à la façon d'un Cassutt ou d'un Sagittaire. La visibilité hors secteur avant est ce qu'elle doit être avec cette formule. Les ailes en position mi-haute étant peu ré­pandues, je ne compte plus les gens venus me dire que mon appareil ressemble à la Souricette, voire me demandant même si c'en est une. Or mon appareil dispose d'un VW, est haut sur pattes et son aile n'est nullement derrière le pilote, non plus que haubanée. Il n'y a décidément aucune ressemblance. 

    La gouverne de direction englobe de nouveau une roue arrière à pneu. La gou­verne est droite, sans aucune flèche ni amincissement ; elle enlaidit l'appareil vu de profil. Qu'importe. Le plan de profondeur est de nouveau monobloc, mais équilibré cette fois par prudence aux deux tiers : tout le profit de légè­reté du monobloc y est perdu, et au-delà. Comme par ailleurs je n'entends pas courir aux difficultés en cas de mauvais centrage, je n'allège guère le plan horizontal lorsque je lui donne 20% de la surface de l'aile, un chiffre normalement superflu pour cette formule d'empen­nage. C'est que dessiner un avion bien centré est soit affaire de calculs extrêmement complexes et malgré cela illusoires, soit affaire de pifomètre, un talent qui se gagne à l'expérience ; autant rester prudent et prévoir les erreurs de conception : les dé­sastres ne sont pas exceptionnels et sont toujours en centrage arrière, mal récupé­rable voire pas du tout.

    L'aile emploie cette fois le sempiternel 23012, l'ami des amateurs de par sa torsion en principe nulle par rapport à la cote 25% de la corde. Si donc le longeron est dis­posé à cet endroit, la torsion et les efforts sont en principe faibles sur le longeronnet et ses attaches, tout comme sur le coffrage du bord d'attaque (affirmation dont le rédac­teur s'est suffi pour lui, mais dont il n'endosse pas la responsabilité pour autrui ; il faut notamment compter avec les efforts de torsion induits par les ailerons et les vo­lets s'il y en a, efforts qui peuvent être très importants). Je reprends le principe des ailerons Pottier employé sur le JT.X, avec cette différence que le profil ne fait plus 17% : la biellette noyée dispose en 12% d'un très court bras de levier par rapport aux charnières à piano d'extrados, et le gauchissement donc est dur. J'y remédierai par­tiellement à grand renfort de bombe de graisse silico­née partout dans la timonerie afin du moins de réduire les sources de friction. 

    L'aile est encore une planche sans dièdre ni vrillage de 7,071 mètres d'envergure et de 1,414 mètre de corde (à la précision près de la construction !), 10 mètres carrés et 5 d'allongement. Il y a la surface requise pour exploiter la masse maximum régle­mentaire vite atteinte de 300 kg, sans se poser d'autre question puisque la mouture de l'arrêté en vigueur en 2001 précise qu'un ULM doit présenter ou bien une charge alaire maxi­mum de 30 kg/m², ou bien une vitesse minimum de moins de 65 km/h. La différence avec la mou­ture actuelle est qu'il faudrait nécessairement aujourd'hui des volets dès qu'on observe 66 km/h comme vitesse minimum. Ce n'est pas une mince modification de l'arrêté de 1998.

    Bien entendu trois de ces dix mètres carrés sont absolument inutiles à autre chose qu'à être ULM. Ils servent aussi à rendre la croisière rapide désagréable par temps agité. La perte théorique de vitesse de croisière est très minime.

    Pour l'esthétique je ramène le profil de 12 à 6% de façon progressive sur les deux dernières ner­vure : le résultat ici est heureux en comparaison d'une coupure franche, car faire des saumons par es­sence non développables m'ennuie à l'avance. Ce travail d'amincissement est fastidieux ; il est ma seule concession à la ligne de l'appareil. Comme je n'entends pas m'ennuyer à l'appliquer aussi aux ailerons, ceux-ci s'arrêtent deux nervures avant le bord marginal ; tant pis pour le roulis. La ma­chine sera plus une voyageuse qu'une voltigeuse. Ce point me fait penser à feu mes trois motocyclettes MZ : pas chères, tenant le 90, pratiques, mais de plaisir limité.

    Le train reprendra mon système de lame bois/stratifié. Un ennui : je n'ai pu donner à l'aile un ca­lage suffisant pour le 23012 qui à l'inverse du 4417 présente une inci­dence de portance nulle bien plus forte. Résultat : il faut des jambes de train longues, ce que je redoute de faire tant pour la résistance de la lame en flexion que pour celle des attaches en traînée au sol. Conséquence : le décollage avec un train trop court demandera une distance désagréable. Curieusement et sans que je sache l'expliquer, cet embarras ne semble pas se répercuter à l'atterrissage.

    Je n'aime pas les avions blancs, si banals. Mélangeant un pot de gris perle et un autre de bleu ciel, j'ob­tiens cette teinte indéfinissable du prototype du Spitfire. Les observateurs ne savaient dire s'il était gris ou bleu, et changeaient d'avis avec les changements du ciel britannique.

    La construction comme à mon habitude ne traîne pas. L'appareil entrepris en jan­vier est terminé en décembre en 1100 heures. Le nombre d'heures n'est pas tout ; la répartition des séances fait beau­coup. Travailler brièvement avant de partir au bu­reau et travailler brièvement à la pause de midi ac­célère notablement le chantier : de courtes séances permettent de démouler des collages et d'en pla­cer immédiate­ment d'autres sous presse. A multiplier les courtes séances quotidiennes on ne gagne rien sur le nombre d'heures, mais beaucoup sur le nombre de jours. Cela s'ob­serve en particulier dans la fabrication des nervures. 

    Le fuselage une fois encore descendra de l'étage par la fenêtre au moyen d'un engin élévateur ; le longeron est construit dans la maison en traversant le séjour et un peu de cuisine. Comme pour les appareils précédents l'assemblage de l'aile ne peut avoir lieu que dans la grange, donc en été. Le transport vers l'aérodrome du fuselage équi­pé de son monobloc verra un incident qui épargnera des ennuis plus gros. La queue pointe en avant, si bien que le vent relatif prend le monobloc à l'envers. On constate à l'arrivée que les liaisons nervures/longeron du plan ont toutes cédé ! Confiant dans un calcul tant aérodynamique que des surfaces de collage, j'avais réduit ces dernières. Je me fais penser à tel concepteur nettement plus connu que moi, qui aux commencements de l'ULM séjourna en hôpital pour savoir gagné du poids en se bornant à coller un support de guignol d'aileron sur la structure d'un prototype au lieu de l'y boulonner. Mais peut-être en vol normal mes collages eussent-ils résisté ? Sur le papier, oui. Hum...

    Je n'ai pas fait mieux en me bornant à coller sur le plancher de contreplaqué les supports de bois recevant les pédales. La surface de collage était large et apparem­ment surabondante. J'aurai avec cet appareil un accident en atterrissant en cam­pagne ; me suis-je dans l'aventure inconsciemment crispé en pesant sur le palonnier ? Toujours est-il qu'en faisant l'inventaire des dommages je trouve les pédales en promenade au bout de leur câble, support décollé. Or la stabi­lité de route sans les pieds était ridicule, voire inexistante, et le décollement en une autre circonstance eût peut-être amené un désastre. Sauvé par l'accident ?... Le palonnier désormais sera évidemment boulonné au reste de la structure.

    Pour la première fois j'ai fait mes comptes : le JT.XI m'aura coûté cinquante-cinq mille francs en tout. Les premiers sauts de puce du 23BZ ont lieu à Guéret le 13 jan­vier 2002. Guéret est un fameux centre d'essais, car je n'y suis ni n'y fus pas seul créateur ! Le premier vol a lieu par surprise le 25, lorsqu'il s'avère en saut de puce que la piste restant devant moi ne permet plus le posé. Un simple tour de piste se révèle désastreux : la stabilité de route frôle l'inexistence. L'appareil donne l'impres­sion de vouloir passer la queue devant. Il faut des trésors de délicatesse du bout des orteils pour tenir l'engin à peu près droit. C'est un peu moins pire une fois les gaz ré­duits.

    La direction monobloc est-elle surcomprensée par sa partie en avant de ses articula­tions ? C'est malaisé à croire. Cette gouverne est parfaitement similaire en forme et volume à celle du JT.X qui n'a jamais causé de souci. Peut-être ne faut-il après tout pas s'inquiéter : il est des véhicules bien in­stables au premier contact, et auxquels on se fait bientôt en dépit de l'angoisse du premier essai. Ceux qui par exemple ont utilisé un Solex 5000 savent ce que cela veut dire. Hélas le tour de piste suivant trois jours plus tard confirme que l'instabilité rend vraiment la machine inutilisable. Un vol cette fois satisfaisant aura lieu cinq semaines plus tard après une chirurgie profonde.  

    Il faut scier tout ce qui dépasse de la gouverne en avant de ses articulations d'étam­bot et le remplacer surface pour surface par une petite dérive fixe. Il faut de ce fait ouvrir le dessus du fuselage pour improvi­ser les ancrages résistants, les fondations de cette surface rigide. Or elle n'est pas haute et le change­ment à l'œil semble limi­té ; peu de décimètres carrés de dérive fixe remplacent peu de décimètres carrés de gouverne. Qu'importe : même si le progrès en stabilité est restreint, il existera forcé­ment ; or j'ai pu deux fois ramener la machine ; a fortiori le pourrai-je à nouveau. 

    La modification sera suffisante. Les essais suivent : croisière à 130 km/h pour 3000 tours et onze litres à l'heure ; vitesse ascensionnelle de presque 4 m/s, ou 4m/s s'il fait un peu frais. Une mon­tée à mille mètres (1400 QNH) en quatre minutes dix se­condes depuis l'arrêt au sol me vaut d'un autre pilote la remarque : « pas étonnant avec le vent de face qu'il y avait ! »  Cet autre pilote est instructeur.

    Plus tard le JT.XI disposera d'un nouveau fuselage plus long et d'une direction plus grande. Voilà comment un jour en premier virage à gauche après décollage, manche à fond à droite je ne parviens pas à redresser ! Explication : mon pied gauche pèse inconsciemment sur sa pédale, et la direction l'emporte sur le gauchissement. Comme sur beaucoup d'ULM même industriels il reste indispensable de laisser les pieds sur le palonnier. Qu'on les en enlève, et l'appareil lace d'un bon nombre de de­grés à gauche ; sa direction décroche ; il revient sèchement au neutre qu'il dé­passe en recommençant la même chose à droite, indéfiniment, saluant continuellement de gauche et de droite avec une sécheresse et une amplitude déplaisantes.

    Le nouveau fuselage possédera un train mal placé. Une erreur de dessin assez gros­sière fera tou­cher les roues au sol dix centimètres trop en avant. Je m'en sors bien : il s'avère à l'usage que ce n'est pas plus mal ainsi. Le risque de capotage en devient à peu près nul. La queue au décollage ne se lève qu'à près de cinquante km/h, mais qu'importe ! C'est une chance au moins d'avoir surdimensionné la profondeur. Au­cune propension particulière à un comportement erratique au sol ne se remarque malgré la distance plus grande que prévue entre centre de gravité et roues. La roue arrière à pneu et les attaches de la direction renforcées en conséquence ne souffrent pas du surpoids. Un bon point aux trains mal dessinés.

    Le JT.XI est parfaitement inhomogène entre ses axes : la direction est surpuissante, brusque et très légère ; la profondeur est puissante, précise et très légère ; les aile­rons sont durs, mollassons, déplaisants, satisfai­sant simplement la norme de pas­sage de 45 degrés à 45 degrés avec l'aide de la direction pro­prement dosée. Les conceptions amateur sont décidément à confier à leurs seuls créateurs.  

    L'appareil est agréable par sa vivacité ; l'hélice à pas assez court est adaptée à son aérodynamique peu soignée où le moteur lui-même n'a jamais été capoté. Il croise à 120 km/h, 2700 tours et 10 litres/heure. Donner tous les gaz produit 3600 tours en déterminant la vitesse de 155 kilomètres ; l'engin alors est rageur, vivant, un plaisir dont je n'abuse pas pour ne matraquer ni le moteur ni la cellule à coup de trépida­tions sèches. Après quelques mois le fuselage est modérément endommagé dans un retournement au sol lors d'un atter­rissage en campagne relaté ailleurs. J'en profite pour refaire un fuselage plus long, plus confortable, mieux pensé et surtout muni d'emblée d'une dérive de bonne surface ainsi que d'un appui-tête assez haut et so­lide pour remplir la fonction de pylône anti-rupture de vertèbres : c'est une leçon ti­rée du retournement. Un ami doté d'un atelier de mécanique à domicile compose un train en barres de zicral qui rehaussera valablement l'incidence au sol jusque là trop faible ; il me gréera aussi d'un démarreur électrique. J'ai pré­vu trois mois d'arrêt pour re­faire ce fuselage ; il s'en écoulera quinze. Je reprendrai le manche au terme de ce dé­lai sans avoir volé de tout ce temps ; c'est encore un privilège de propriétaire et de dé­tenteur d'une licence à vie.

    Anecdote curieuse : les roues principales sont des choses peu chères à jante de plas­tique rouge dis­ponibles dans tous les bazars ; sous le hangar métallique surchauffé de l'été 2003 caniculaire, elles s'affaissent en partie ; mes roues sont désormais el­liptiques à grand axe horizontal. Il faut consentir les frais d'une paire de roues mé­talliques plus aéronautiques.

    Ainsi s'achève probablement une longue épopée de constructeur. Il ne reste plus qu'à voler sur ce que j'ai, même si ce n'est pas l'idéal en agrément ni en économie ; il y a des chances que ces inconvénients coûtent moins cher sur tous les plans que de nouvelles audaces expérimentales.

    Le Pou JT.IX a volé quinze heures, le trois-axes JT.X vingt heures ; le JT.XI a passé les cinq cents en 2010.

    La quête des matériaux et fournitures est une part en soi du plaisir de la construc­tion amateur. Elle ferait l'objet de plus longs développements si j'avais le talent de savoir mieux évoquer les atmo­sphères, les impressions, les satisfactions esthétiques procurées par la vue des matériaux, leur toucher, leur odeur, et parfois par le simple fait de trouver plus ou moins fortuitement un lot inhabituel par sa qualité ou même son prix. Un prix bas ne satisfait pas que le goût de l'économie : il procure le senti­ment que tout n'est pas pourri et que l'argent ne mène pas toujours tout ; il établit une passerelle mentale vers un passé sup­posé - parfois à juste titre - n'avoir pas connu que l'instinct de gestion cynique optimisée. Débrouillardise et bonne fortune font partie intégrante de la construction amateur. Il existe dans la Creuse une câble­rie qui produit de la qualité aviation ! Une visite m'y vaudra le don d'un rouleau de cent mètres à peine entamé.

    Je ne pense pas être le seul à avoir mis les pieds la première fois dans un atelier de menuiserie à l'occasion d'une découpe de baguettes. Ils ont souvent grand charme avec leur odeur et leur allure désuète en diable au fond des campagnes ou des bour­gades. J'y aurai fait ainsi fait la connaissance plus ou moins détaillée des machines à bois. Bien entendu les trois menuisiers qui m'ont servi étaient tous impliqués dans l'aviation amateur. Deux l'étaient à titre personnel et le troisième à défaut d'être pi­lote avait œuvré chez le constructeur creusois Valladeau. C'est dire qu'à chaque fois la coupe à exécuter avec mon aide était bien moins service pro­fessionnel que coup de main à un aviateur. Un des menuisiers était membre de la patrouille des Tem­pête de Nangis, et a disparu à Biscarosse dans une collision en meeting. Je ne parle pas du quatrième me­nuisier, le rêveur dont j'ai traité plus haut et avec lequel j'ai bientôt rompu une illusoire association. C'est aussi la construction qui m'a fait ap­procher un atelier de mécanique de précision et fait découvrir la beauté, inattendue pour le profane, d'une pièce neuve et brillante naissant au tour sous les yeux. Elle s'ex­tirpe lentement d'un rond d'acier plombé ou de bronze noirci ; elle semble s'ex­traire de ce vêtement sale en déroulant son interminable copeau en spirale, pour dé­voiler magiquement par-dessous son éclat neuf.

    Le contre-plaqué le moins cher est celui de bouleau ; toutes mes constructions l'uti­lisent à l'excep­tion du trois-axes JT.X à la courte existence, qui est en okoumé. La raison en est que j'ai pu acqué­rir cet okoumé chez un fabricant qui le détaillait à prix d'usine vraiment intéressant. Dès ma construction suivante ledit fabricant avait abandonné sa commercialisation à un distributeur. Merci ! La société Mignet m'a fourni l'entoilage pour trois machines. Ce n'était pas parce qu'elle était très modes­tement moins chère que sa concurrence, mais parce que pour la même surface à col­ler et entoiler elle préconisait deux fois moins des très dispendieuses colles et en­duits. Or il m'en est encore resté. Le fournisseur conseillant le double s'en est du coup trouvé moins bien en cour chez moi. Il m'avait affirmé aussi qu'un entoilage coûtait de six à douze mille francs, selon sans doute qu'on fait un BB Jodel ou un Mousquetaire. Je comprends son souci commercial, mais un entoilage en dacron lé­ger proprement fait et calculé sur monoplace ne m'a jamais coûté la moitié des six mille francs. Le même homme me demande encore si j'emploierai une peinture spéciale à plus d'une journée de mon salaire pour un litre. La réponse est simple : "Non, je ne suis pas assez riche."  Certes, ces peintures réduisent le travail en remplaçant l'en­duit alu anti-ultraviolet. Cependant la peinture banale de Leclerc sur de l'en­duit alu pas très cher me convient. Il est vrai que l'enduit alu dans la bouche de ce fournisseur était « un truc de vieux » ; cela tombe bien : je révère les techniques qui ont fait naître l'aviation. J'ai souvenance aus­si de ces cinq litres de peinture bleu-vert à la teinte composée à ma demande, qu'une usine chimique de la grande ban­lieue parisienne sud-est m'avait autour de 1985 fabriquée et vendue pour la somme dérisoire de cent dix francs le tout ; il est vrai que cette entreprise n'a pas vécu. J'ai construit trois ULM avec du bois sim­plement sélectionné avec soin dans les tas de madriers d'un fournisseur local pour le bâtiment. Pour le quatrième et dernier il m'a fallu me rabattre sur de l'orégon à vingt mille francs le mètre cube, faute de plus rien trouver désormais de propre parmi le tout venant.  

    Les aéro-clubs logés dans de vieux hangars remplis de détours, de cagibis, de re­coins et de désordre sont moins nom­breux que jadis. On n'y furète plus guère pour y trouver les bidules encore récupérables que l'enthousiasme du constructeur ama­teur pur jus regardera comme des merveilles. Chez un particulier j'ai pu déni­cher pour très peu cher l'anémomètre Badin de 1935 qui sert toujours en 2015 sur mon appareil actuel ; j'en vois le modèle exact sur la tableau de bord d'un Caudron d'entraînement militaire avancé C.580. J'en exploite tout le tour du cadran qui monte à plus de 300 km/h : il suffit de brancher à un venturi l'une de deux prises de l'instrument et d'ignorer l'autre ; la vitesse indiquée est alors le double de la réalité ; c'est sans importance tant que l'on a ses repères.

    Un tel récit serait incomplet sans la mention des centaines et centaines d'heures passées au fil des décennies à élaborer de vains projets. Les projets commencent à apparaître avec l'assimilation auto­didacte de notions de résistance des matériaux rencontrées presque au hasard de manuels de lycée technique et de formulaires pour dessinateurs. J'ai ainsi dessiné surtout des longerons, partant du principe que celui qui tient son longeron tient son avion. J'ai commencé lorsque ayant acquis un Turbulent en 1977 et décidé de lui donner un successeur biplace, je me suis mis à éplucher les plans trois-vues pour y relever des cotes approximatives et refaire les calculs à l'envers ; je regardais de la sorte si j'avais compris comment on pratique le sens direct. Le fascicule de Goncourt fourni par Claude Piel m'enseignera l'essentiel. J'ai en mé­moire des dizaines de recommandations pratiques de Jacques Lecarme, lues en dix ans d'abonnement à Aviation Magazine. Je profiterai de chaque avion ou planeur rencontré démonté, ou accidenté, pour en étudier les entrailles et cher­cher à com­prendre le pourquoi de mes observations. A chaque rencontre d'un concepteur non pro­fessionnel j'ai le plus souvent demandé comment il avait déterminé son longe­ron, afin de me rendre compte de ce que faisaient les autres. Eh bien...

    Eh bien, c'est consternant. Spectaculaire est le nombre de concepteurs ayant fait un longeron dans le vague, par imitation ou à l'inspiration. Je sais assurément ce qu'est la paresse intellectuelle, et ne suis pas pour rien devenu fonctionnaire. Quelques uns pourtant poussent pareille inertie décidément trop loin. Il faut dire que la pa­resse intellectuelle est souvent une défense : on sait qu'on n'entend rien à la théo­rie ; on ignore cependant délibérément son ignorance pour ne pas voir sa main arrê­tée par la peur de construire. Il est pourtant facile de demander autour de soi où trouver une méthode de calcul appli­cable par à peu près tout le monde. Mais non, on préfère aller au nez, parfois jusqu'à dessiner au coup d'oeil son propre profil de voilure. Le créateur d'un appareil en stratifié qui a failli faire un carton chez les amateurs me déclare sans détour avoir mis de la matière selon son inspiration. Qu'importe : les ingénieurs de Wassmer lui ont dit que c'était surabondant ! Au dé­but des années 1980 un innocent périt dans la rupture de son trop frêle longeron de bois ; il est innocent car il a suivi un plan qu'on lui a vendu. En général pourtant, « ça passe ». Les coefficients de sécurité autrefois étaient plus faibles ; les ruptures étaient moins exceptionnelles, mais enfin pas quotidiennes. Le pilote constructeur le plus souvent ménage son œuvre, etc. … Bref !!

    La plupart de mes projets, centrés sur leurs longerons, concerneront des voilures de grand allonge­ment : je serai longtemps obsédé par l'idée du vol le plus économique possible. Ce n'est pas par pingre­rie, mais dans l'illusoire idée de passer la moitié de ma vie en l'air. Par voilure de grand allongement, j'entends autour de dix ou douze comme sur un Fournier : au-delà, on s'éloigne trop de la flexion plane pour que je m'y aventure par la théorie, et je fais la même observation quant aux torsions. Je calcule donc un longeron, puis, sur la base d'hypothèses plausibles, et armé de la formule de la traînée induite, je détermine 10 km/h par 10 km/h la traînée d'une foule de motoplaneurs ultra-légers. Je découvrirai ainsi pour moi-même que la traî­née induite est affaire d'envergure et non pas d'allongement comme il est à peu près systé­matiquement enseigné. Dans ces nombreux calculs point par point je n'aurai en revanche pas retrou­vé, alors que je l'aurais dû, la loi précieuse disant que la fi­nesse est maximum quand les traînées de forme et induite sont égales.

    Après toutes ces savantes études, je ne construirai prosaïquement que des voilures de cinq d'allon­gement portant des moteurs pesants. Après avoir envisagé moult pro­fils de la série 64 ainsi que les tant vantés RA-3C, je ne m'éloignerai que peu du 23012 aussi vieux que bourré d'avantages pour le concepteur du dimanche. Lorsque sa corde ne suffira pas à per­mettre un longeron assez haut, j'extrapolerai simple­ment à plus épais. 

    La conclusion sera l'expression de ma gratitude pour les rédacteurs de la réglementation ULM. Pas de médecin im­prévisible, pas d'angoisse du lendemain, pas d'expert technique devant qui tout maquiller, pas de substantiels frais inutiles. C'est à peu près comme si l'on me disait au terme d'une longue éducation à l'aviation certifiée : respectez les limi­tations du dé­cret, et moyennant cela volez quand et comme vous voudrez, construi­sez comme vous l'entendrez. C'est comme si l'on me reconnaissait assez d'expé­rience acquise dans le pilo­tage et le matériel pour me dire que l'on me signe un blanc-seing : je suis désormais « lâché » au sens le plus large et libérateur du terme. Merci !  



     

     

     


  • MORALE MODERNE

    essai 

     . 

      On doit prendre avec intérêt connaissance de la législation suisse récente relative au respect de la créature végétale. Cueillir sans motif une fleur, étêter par jeu les marguerites, n'est pas une infraction réprimée, mais c'est un mal, officialisé comme tel. C'est un réel progrès dans l'élévation de la morale et de la dignité des humains eux-mêmes.

      Il nous semble qu'à partir d'une situation de table rase faite du passé, lorsque tout est à reconstruire comme au lendemain d'une guerre mondiale, on observera les périodes suivantes dans le progrès de l'élévation morale :

      Première période

      La guerre vient juste de finir. On n'a pas le temps de s'appesantir sur des subtilités et des raffinements. Il faut agir, produire, bâtir. La valeur morale des comportements est mise au second plan, la morale ne donnant ni toit ni pain. On ne se permet pas le luxe d'un souci environnemental contre-productif. On ne s'occupe de sécurité que là où le danger est préoccupant en termes de coût à court terme. Les gamins d'une association qui se déplace de son lieu de rassemblement vers son lieu d'exercice sont trimbalés sans ceinture sur les bancs longitudinaux d'un camion à ridelles. Les bêtes ne sont pas supposées posséder une sensibilité excessive. La magouille financière et fiscale est banale ; la politique est souvent corrompue. La femme et l'enfant sont écoutés lorsqu'on en a le temps. Les crimes de moeurs sont souvent escamotés, ou sinon jugés avec beaucoup d'indulgence. Les simples délits de moeurs n'intéressent pas beaucoup les agents répresseurs.

      Seconde période

      Les ventres sont remplis et l'hiver se passe au chaud. On se prend enfin de compassion pour les pauvres, les faibles et les bêtes. On prend au sérieux la prééminence de la vie et de la santé sur les résultats économiques immédiats. On évoque la notion de principe de précaution. On en finit avec les bâtiments aisément inflammables, les comportements routiers libres, les répressions idiotes (notamment sexuelles), les abus de faiblesse physique et aussi, avec beaucoup de précaution, psychique.

      Troisième période

      Le principe de précaution a échappé à ses parents. Enfant monstrueux, il tue en freinant ou empêchant des progrès qui permettraient de réduire la mortalité à moyen terme. Il tue en empêchant qu'on fournisse aux pays pauvres des procédés bon marché de réduire la mortalité, mais rejetés par les pays riches pour cause de risques associés mineurs ou folkloriques, telle la possible mise en danger de certaines espèces de bestioles. Le droit de faire ce qui n'est pas interdit est remplacé par l'interdiction de faire ce qui n'est pas autorisé. Il reste cependant permis par dérogation d'éteindre un incendie avec de l'eau non traitée. Tout geste de l'existence matérielle est codifié, normalisé, contrôlé en vue d'améliorer l'hygiène, la sécurité, la consommation dirigée. Le test ADN à bas prix identifie qui a uriné ou déféqué dans la forêt. La défense des faibles et des victimes prend une ampleur sans précédent, proportionnée au nombre de nouveaux faibles et victimes identifiés (inventés). Un temps estompée, la répression sexuelle réapparaît sous des formes inédites. Après avoir sur ce sujet balayé dans un court premier temps le poids des vieilleries de jadis, la morale laïque reconstruit le droit sexuel en beaucoup moins indulgent, infligeant pour des comportements même exempts de dol ou de fraude, mais supposés dégradants, des peines immédiates et certaines au lieu de châtiments post-mortem aléatoires. Il devient beaucoup plus dangereux de comparoir en justice pour un viol sans homicide que pour un homicide sans viol. Selon le principe général illustré par les bûchers de l'Inquisition succédant aux flambeaux humains chrétiens des nuits de Néron, bien des catégories minoritaires autrefois brimées font payer fort durement au moindre motif leurs tourments ou assujettissements passés. L'emploi toujours plus fréquent du renversement de la charge de la preuve et autres abominations morales de cet ordre sont regardés comme indispensables au progrès moral.

      Quatrième période

      Au lieu de se dépenser dans la culture (y compris scientifique et technique) l'esprit s'aventure en des terres auparavant insoupçonnées. Les animaux ne sont plus simplement protégés, mais bénéficient d'une segrégation positive en regard des intérêts humains. Les plantes deviennent des personnes. Les pierres et l'eau n'en sont pas éloignées. L'homme reste toléré, mais la femme est érigée en aboutissement de l'univers (sous réserve des droits des pierres et des eaux). Un code sexuel est promulgué ; inspiré de 1984, il ne permet à peu près rien. La parole en toute chose ne doit porter que le respect ; l'ironie est une faute lourde. Dieu ne se porte pas si bien qu'autrefois, mais les croyants peuvent régler son compte judiciaire à tout persifleur. Paradoxalement, la religion offre des échappatoires à la loi. Quand la loi dicte qu'on marche sur la tête, se réclamer d'une foi qui l'interdit est le seul moyen de ne pas le faire. Une mesure de limitation légale des rites religieux est pourtant prise : l'interdiction de l'absolution en confession. L'absolution amnistie le pénitent qui montre du repentir sincère, et le dispense de s'imposer plus longtemps les souffrances morales de ce repentir. L'absolution de la sorte tend à rendre l'individu peu sujet au sentiment de repentance illimitée dans le temps ; or la loi précisément magnifie en tout la repentance. En fait et plus généralement, une religion laïque aux interdits et obligations omniprésents remplace par force les théologies facultatives d'autrefois. La justice hésite continuellement entre deux voies sans savoir s'arrêter à l'une ou à l'autre : ou bien incarcérer à vie les petits délinquants, ou bien libérer immédiatement les assassins après les avoir entendus avec bonté et dûment chapitrés.

      Cinquième période

      L'humanité se catharise. Elle interroge la science : peut-on dématérialiser les corps et maintenir les esprits, dégagés de tout désir, au sein de champs physiques immatériels ? Car il apparaît que la dignité humaine ne peut perdurer sans cette sorte d'identification de l'être humain à Dieu ; mais la chose n'est pas facile.    

       A l'irréalisabilité de cette exigence d'évolution pourtant indispensable à la dignité humaine, le suicide collectif terminal semble en fin de compte la seule réponse logique.

      Il est même désirable, puisqu'en définitive la conservation même des seuls esprits humains pollue la pureté originelle de l'univers.

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *

              


  •  

     

    EXPOSES  D'ASTRONOMIE 

    Usage libre sous réserve de n'en faire aucun usage commercial et d'en préciser l'origine

     

    Dans l'ordre, de haut en bas : 

    - Les trous noirs

    - La fusée ; principes physiques

     

    **************************************************************************************************************************************************** 

     

     

    LES  TROUS  NOIRS  

     

    Prononcé dans un club d'astronomie (de façon plus souple), le texte de cet exposé est disponible et libre d'emploi pour qui voudra, sous les seules conditions de n'en faire aucun usage commercial et d'en préciser l'origine. En cas d'utilisation à fins collectives, merci de laisser un commentaire précisant en quel contexte.  

      Ce texte a pour objet principal l'exposé des notions élémentaires sur les trous noirs les plus simples, dépourvus de rotation. Les calculs seront effectués en supposant ces objets déterminés par les lois de la physique classique, newtonienne. Or la vitesse proche de celle de la lumière atteinte par les corps en tombant dans un trou noir suggère qu'ils sont plutôt régis par la physique relativiste bien plus complexe. Aussi dans un second temps préciserons-nous, de façon cette fois qualitative, les différences les plus visibles entre un trou noir "newtonien" simple mais purement théorique, et un trou noir réel ou relativiste.
      On adoptera les abréviations qui suivent afin d'alléger le texte :
    TN  :  trou noir, en général
    TNN  :  trou noir newtonien
    TNR  :  trou noir réel, c'est-à-dire relativiste

     

    Caractéristiques générales des trous noirs

      Le pasteur et astronome anglais Michell se demandait au XVIIIème siècle si toutes les étoiles étaient nécessairement visibles. Un corps lancé du soleil doit être animé d'une vitesse de 618 km/s pour échapper à la pesanteur de l'astre et n'y jamais retomber. On dit que la vitesse de libération solaire est 618 km/s. Peut-on concevoir une étoile si massive que sa vitesse de libération atteigne et dépasse la vitesse de la lumière qui vaut 300 000 km/s ? En ce cas la lumière émise retournerait sur l'astre émetteur sans nous atteindre.
      La lumière est une onde et les ondes échappent à l'emprise de la pesanteur, mais Michell se plaçait dans l'hypothèse d'une lumière faite de corpuscules matériels. Les deux théories ondulatoire et corpusculaire coexistaient ; l'hypothèse ondulatoire fut definitivement établie vers 1820, causant l'oubli de l'hypothèse de Michell ; Newton préférait l'hypothèse corpusculaire ; elle devait à l'autorité du savant une part de sa crédibilité.  

      La vitesse de libération est de quelques km/h depuis la surface d'un modeste astéroïde, de 2,4 km/s depuis la lune, 11 km/s depuis la Terre et 618 km/s depuis le soleil. La masse de l'astre ne suffit pourtant pas à déterminer sa vitesse de libération ; il faut aussi tenir compte de sa compacité.
      Supposons que le soleil de densité moyenne 1,4 acquière à masse constante les 5,5 de la densité terrestre. Son rayon diminuerait de 696 000 km à 441 000 km. Sa pesanteur de surface passerait de 274 m/s² (28 fois la pesanteur terrestre) à 683 m/s². Sa vitesse de libération en surface monterait de 618 km/s à 776 km/s.
      Il faut considérer que la vitesse de libération est aussi la vitesse à laquelle atteint la surface un corps lâché sans vitesse initiale depuis "l'infini", depuis en pratique plusieurs fois le rayon de l'astre. Un corps tombant ainsi sur le soleil tel qu'il est rencontre sa "surface" à 618 km/s. Il traverserait à la même vitesse la sphère virtuelle de 696 000 km de rayon centrée sur le soleil si celui-ci se rabougrissait à 441 000 km de rayon. Il pourrait donc acquérir sur la différence de trajet, un complément de vitesse égal à la différence entre 618 et 776 km/s avant d'atteindre ce soleil réduit au rayon de 441 000 km.
      Ainsi la compacité d'un astre entre-t-elle en ligne de compte autant que sa masse pour déterminer une vitesse de libération.

      Il devient alors facile à travers des calculs que nous sautons, de trouver une relation simple combinant masse et rayon d'un astre pour que sa vitesse de libération vaille 300 000 km/s. Soit un astre de masse "m" exprimée en kilogrammes et de rayon "r" donné en mètres ; sa vitesse de libération vaut 300 000 km/s si le rapport :   

    m/r  =  6,74.10^26       (6,74  x  10 à l'exposant 26)

      On remarque que la masse peut être quelconque et n'a pas besoin d'être celle d'une grosse étoile de plusieurs masses solaires. Il y a souvent confusion à ce niveau : l'effondrement d'une grosse étoile est le seul mécanisme connu pour engendrer un TN ; il est donc très possible que n'existent pas de TN plus petits que ceux d'une masse de calibre stellaire ; cela n'empêche pourtant pas qu'un mécanisme différent et hypothétique puisse en théorie donner des TN de petite masse.

      Appliquons la formule donnée à la masse du soleil qui vaut 1,99.10^30 kg :  le rayon d'un TN de masse solaire est 2950 mètres, ou 3 kilomètres.
      Appliquons à la masse de la Terre, qui vaut 5,94.10^24 kg : le rayon d'un TN de masse terrestre est 9 millimètres.
      Observons que le rapport de 330 000 entre la masse du soleil et celle de la Terre est aussi le rapport entre les rayons des deux TN ayant ces masses. On pouvait aussi le déduire de la formule. Or la masse d'une boule croît au cube de son rayon tandis que celle d'un TN ne croît, on le voit, que proportionnellement au rayon : un TN de masse double montre un rayon double et non pas multiplié par racine cubique de 2 (qui vaut 1,26). 

      Il en résulte évidemment que la densité d'un TN décroît rapidement avec sa masse et donc son rayon. Faisons le calcul de la densité d'un TN de masse solaire grâce aux données qui précèdent : nous trouvons :  1,85.10^19 kg/m3. Ce n'est pas énormément supérieur à la densité des étoiles à neutrons elles aussi créées par l'effondrement de grosses étoiles simplement un peu moins massives que les progénitrices des TN. 
      La masse du soleil vaut 330 000 masses terrestres ; or il est manifeste qu'on rangerait dans une sphère énorme de 3 km de rayon beaucoup plus de 330 000 billes de 9 mm. On en logerait environ trente millions de milliards. Il apparaît ainsi que la densité d'un TN de masse terrestre sera vertigineuse. La densité d'un TN varie au carré de sa masse.
      Est-ce à dire qu'un TN colossal de la masse d'une galaxie serait assez peu dense ? Nous avons toutes les données suffisant à déterminer les caractéristiques d'un TN dont la masse vaudrait 100 milliards de masses solaires (2.10^41 kg), ordre de grandeur pour une galaxie. Nous trouvons un rayon de 300 milliards de kilomètres ou 11,6 jours-lumière. Sa densité vaudra 5 grammes au mètre cube, ce qui vaut la densité de notre atmosphère vers 35 000 mètres ; quelques ballons s'y maintiennent, mais pas d'avion.

      Après ce résultat qu'on n'attendait pas de l'image courante des TN, intéressons-nous à leur pesanteur "de surface", si tant est que la densité minime atteinte par les TN très massifs laisse encore croire à une quelconque surface.
      On sait que la pesanteur à la surface terrestre vaut 9,81 m/s² : un corps en chute libre atteint 9,81 m/s ou 35 km/h au terme d'une seconde de chute. La pesanteur est 274 m/s² à la "surface" du soleil. On image en disant la pesanteur égale à "g", ou "1g" sur la terre et 28g sur le soleil.
      Lorsqu'une boule de masse invariable change de rayon, sa pesanteur de surface change en proportion carrée inverse : si la Terre avait un rayon double ou moitié pour la même masse, sa pesanteur en surface vaudrait respectivement le quart ou le quadruple. Il suffit donc de connaître le rapport entre le rayon d'un astre et le rayon d'un TN de même masse pour connaître la pesanteur de surface de ce TN.
      Puisque le rayon d'un TN de masse terrestre vaut 9 mm et le rayon de la planète 6370 km, ou 707 millions de fois plus, la pesanteur à la surface du minuscule TN de masse terrestre vaudrait (707 millions)² de fois la pesanteur habituelle, soit 500 millions de milliards de "g". La pesanteur de surface d'un TN de masse solaire serait (même mode de calcul, vérifiable par le lecteur) de 1500 milliards de "g", bien moindre donc... La pesanteur à la périphérie d'un TN de masse galactique de 100 milliards de soleils vaudrait à peine 15 g...

      Dissipons ici une idée fausse consistant à penser qu'un TN est un aspirateur tout-puissant, si bien que par exemple le soleil remplacé par un TN de même masse avalerait rondes ses planètes. Il n'en est rien. Elles conserveraient leurs orbites.
      Si la pesanteur à 1 million de km du centre d'un astre vaut 10 g, il importe peu que cet astre ait un rayon d'un million de km et qu'on soit à sa surface, ou que l'astre n'atteigne avec la même masse que deux, dix, vingt ou trois cents mille kilomètres de rayon seulement, tandis qu'on se trouve très au-dessus de sa surface : à 1 million de km du centre, la pesanteur est la même qu'on soit posé au sol ou qu'on le survole de loin. 
      Une comète rasant le soleil à son périhélie passe à 700 000 km de son centre ; le soleil remplacé par un TN de même masse et 3 km de rayon ne changera rien à l'orbite de la comète, qui passera toujours à 700 000 km du centre. C'est uniquement si la comète venait à passer quelque part entre 3 km et 700 000 km du centre qu'elle subirait du TN central une influence plus forte.La puissance attractive spécifique à un TN ne se manifeste qu'entre l'extérieur de ce TN et le rayon de l'astre qui aurait même masse.

      Calculons les paramètres de deux TN assez particuliers, le plus grand et le plus petit possible. Supposons un TN qui recèlerait toute la masse de l'univers visible. La masse de ce TN vaudrait "environ" (marge d'erreur considérable) 10^54 kg ou cinquante milliards de milliards de masses solaires. Ce chiffre comprend en fait l'équivalence-masse de toutes les formes d'énergie invisibles. L'application de nos calculs détermine le rayon de cet objet : 15 milliards d'années-lumière, ordre de grandeur encore du rayon de cet univers visible. Si pourtant l'image est frappante et correspond peut-être à quelque verité sous-jacente, il faut éviter de tomber dans la tentation courante de qualifier l'univers de TN. Même si les phénomènes à l'intérieur d'un TN sont des plus mal connus, l'analogie ne semble pas aller beaucoup plus loin qu'une confrontation de chiffres.

      Le plus petit TN possible est le TN dit de Planck, celui que l'on compose avec les grandeurs de Planck : il possède masse de Planck (2,18 microgrammes, soit à la densité de l'eau une sphère visible à l'oeil nu d'un tiers de millimètre de diamètre) et longueur de Planck pour rayon, une valeur minuscule proche de 10^-35 mètre. Non qu'une masse plus faible n'existe pas ! mais elle ne saurait a priori se constituer en TN ; on en verra plus loin les raisons.
      Quoique nous ayons calculé depuis le début selon la physique newtonienne, c'est la relativité généralisée (RG) qui régit les TN ; or la confrontation de la RG et de la physique quantique qui inspire les grandeurs de Planck, montre que la RG, qui est encore une physique presque "classique" et encore quelque peu conforme à nos intuitions, ne gère plus ce qui se passe à l'échelle de la longueur et du temps de Planck. 
      D'autre part, la démonstration du phénomène d'évaporation des TN (voir plus bas) montre que si cette évaporation est infime pour un TN de masse appréciable, elle est très rapide pour un TN très petit, et fulgurante pour un TN minuscule : un TN de Planck s'évaporerait en un temps de Planck ou 5,4.10^-44 seconde. La longueur et le temps de Planck sont regardés comme la longueur et le temps sous les valeurs desquels n'existe plus de longueur ou de temps qu'on sache définir ; comment définir alors un TN plus petit, d'un rayon qu'on ne sait définir, et s'évaporant en un temps qu'on ne sait définir ?
      On rappelle que la durée de Planck est au dixième de seconde ce que le dixième de seconde est à mille milliards de milliards d'âges de l'univers. Nous avons choisi le dixième de seconde en le posant égal à l'intervalle de temps que le cerveau est à même de distinguer d'un autre dixième de seconde.
     
    Résumé des lois générales précédemment exposées

    Un TN est défini comme un objet dont le rapport : masse/rayon atteint la valeur 6,74.10^26.
    Un TN peut avoir toutes les masses qu'on veut (à l'inverse d'une étoile à neutrons, l'objet compact le plus voisin en densité pour es valeurs comparables de masse) ; mais l'effondrement d'une étoile étant le seul mécanisme connu de création d'un TN, on ne connaît pas de TN dont la masse soit à de plus petites échelles.
    Le rayon d'un TN varie en proportion directe simple de sa masse : deux fois plus massif, deux fois plus de rayon.
    La densité d'un TN varie en proportion inverse du carré de sa masse : deux fois plus de masse, quatre fois moins de densité.
    La pesanteur "de surface" d'un TN varie en proportion inverse simple de sa masse : deux fois plus de masse, deux fois moins de pesanteur.

    Effets de marée

      Examinons la question des effets de marée qu'on dit souvent par leur violence mettre en pièces tout ce qui tombe dans un TN. 
      Considérons un homme tombant verticalement les pieds les premiers dans un TN de masse solaire et de rayon 3 kilomètres. Assimilons-le à deux masses de 40 kg distantes d'un mètre et cherchons quelle force de marée tend à les écarter.
      Lorsque l'homme est encore à 700 000 km du TN, c'est-à-dire lorsqu'il passe la limite jusqu'où s'étendait autrefois le soleil mué en TN, il baigne dans une pesanteur de 274 m/s². Un mètre d'altitude sépare ses deux moitiés définies ci-dessus. La différence de pesanteur sur 1 mètre d'altitude au-dessus d'un astre de 700 000 ooo mètres de rayon, vaut 2 fois 1/700 000 000-ième de 274 m/s², soit en valeur absolue 0,8 micron/s². La force tendant à écarter deux masses de 40 kg vaut 0,1 milligramme-force. Cet écartement n'est pas encore un écartèlement.
      Le sujet tombe encore et parcourt les 999/1000 du chemin restant vers le TN : il en est à 700 km. La force qui tend à le couper en deux atteint 3130 kilogrammes-force. Il est déjà déchiré depuis quelques kilomètres. S'il parvenait entier au ras du TN, la force de marée qui le coupe en deux monterait à 10 millions de tonnes-force.
      Tombant de la même façon dans le TN déjà évoqué de 100 milliards de masses solaires et 300 milliards de kilomètres de rayon, de pesanteur "de surface" valant 15 g, la force de marée écartant les deux masses de 40 kg serait de 2 nanogrammes-force. Le sujet ne s'apercevrait ainsi de rien en traversant l'horizon du TN.

      Le bruit et la fureur dont les TN sont la source lorsqu'ils avalent ce qui passe à portée proviennent des conséquences mécaniques des effets de marée. Cela, nous venons de le voir, ne s'applique pas aux très gros TN dans lesquels les objets peuvent s'effacer sans douleur... au début. Qu'une masse de gaz soit arrachée à une étoile en orbite avec le TN, ou qu'une étoile entière soit aspirée : elle perd toute allure sphérique avant d'atteindre l'horizon : sa propre gravitation n'est plus rien devant les effets de marée ; sa matière perd toute cohérence. Différemment accélérée en vertu des effets de marée selon  le point de l'étoile d'où elle provient, la matière stellaire se percute elle-même à des vitesses relatives énormes, en émettant de grandes quantités d'énergie rayonnée. C'est là c'est ce qu'on détecte d'un TN, c'est ainsi qu'on le "voit" indirectement : c'est un rayonnement qui n'est en fait émis qu'à ses abords ; une fois que la matière aspirée a passé l'horizon, elle n'émet rien qui puisse quitter le TN.
      Il est possible qu'un maximum d'un peu plus de 40% de la masse attirée par le TN ne passe pas son horizon, et, changée en énergie rayonnante via la relation d'équivalence  E = mc², ne laisse que les 60% restants aller effectivement grossir le TN. 
      Si le TN est suffisamment gros pour que ses faibles effet de marée laissent intact ce qui traverse son horizon, rien n'est émis ; la totalité de la masse avalée s'ajoute à celle du TN. 
      Bien entendu, le rayon du TN s'accroît alors en fonction de sa masse augmentée.

    Le TN réel, ou TNR, objet décrit par la relativité généralisée (RG)

      Un TN réel est régi par la RG, et non par la mécanique newtonienne ; cela n'étonne pas puisque la relativité en général remplace la physique classique lorsque les paramètres deviennent extrêmes ; et parce que la Relativité Généralisée étant la théorie vraie de la gravitation, il faut bien qu'elle commande ce que doit être un objet où la gravitation prend des proportions extrêmes. Cependant la valeur du rayon d'un TN et ses autres caractéristiques déterminées plus haut par la physique classique restent valables. Voyons maintenant quelques unes de ses caractéristiques ne correspondant pas du tout à ce qu'indiquerait la physique classique. 

      Tout d'abord aucune lumière ne sort d'un TNR, ce qui n'est visiblement pas le cas du TNN, classique, newtonnien : rien n'empêche la lumière quittant sa surface de monter à distance indéterminée, pourvu qu'elle retombe ensuite ! (rappelons qu'elle est supposée faite de corpuscules ayant une masse). La vitesse de libération depuis la Terre vaut 11 km/s ; un projectile lancé à 10, 9 km/s retombera nécessairement, mais après avoir culminé très loin de la planète. Que la vitesse de libération d'un TNN vaille 300 001 km/s (un TNN juste un peu plus massif  que le minimum nécessaire) n'empêchera pas sa lumière d'aller loin avant de retomber ; elle pourra être captée de loin : le TNN ne sera un astre invisible qu'au-delà d'une certaine distance. Il n'est rien de tel avec un TNR.
      Nous avons montré que le rayon d'un TNN croît avec sa masse, mais il était sous-entendu qu'il s'agissait d'un TNN dont la vitesse de libération est 300 000 km/s tout juste ! Or rien n'empêche un TNN d'entasser dans son rayon autant de masse qu'on peut en mettre, et on a vu que les gros TNN doivent disposer de place puisque leur densité peut devenir dérisoire ; un tel TNN plus massif que le minimum strictement nécessaire pour son rayon, présentera une vitesse de libération de 400 000 km/s, 1 millions de km/s... toutes vitesses permises en physique classique.
      Il n'en est rien pour un TNR : sa vitesse de libération ne peut dépasser la limite relativiste réelle de 300 000 km/s, non plus évidement qu'être moindre, et pour une masse donnée il n'est qu'un rayon de trou noir possible. 
     
      Un TNN de rayon assez modeste pour avoir une densité comparable à celle des solides peut très bien ne pas être un vrai trou, avoir une surface que l'on percute, bref être "matériel". Par exemple, une planète géante qui présenterait cependant la densité moyenne de 5,5 de la Terre serait, un TNN pour "peu" que son rayon atteigne 170 millions de kilomètres. Un TNR n'est nullement un amas de matière. Dedans il n'y a rien ; ce n'est pas un astre, mais une région d'espace aux caractéristiques particulières.
      Faute de sol, le TNR est délimité par une surface sphérique immatérielle purement géométrique appelée "horizon" du TNR ; ce nom se justifie par le fait qu'on ne voit rien au-delà, et ceci, qu'on se trouve en dedans ou en dehors. Le rayon de cet horizon, rayon donc du trou noir, est appelé "rayon de Schwarzschild" (RS). 
      Si de la lumière "piégée" sur l'horizon ne peut s'en éloigner, elle peut courir sur lui comme en orbite. Plus précisément, elle le peut en demeurant à quelque distance, en ne s'aventurant pas plus près de l'horizon que 1,5 RS. Or la RG enseigne que la lumière suit tout bonnement la courbure de l'espace imposée par la gravitation locale ; on en déduit que sur l'horizon du TNR la courbure de l'espace est complète, que ses géodésiques sont des lignes refermées sur elles-mêmes ; alors que plus loin elles ne sont que des courbes ouvertes à la façon d'une parabole décrite au-dessus de la Terre par une météorite que la planète dévie sans parvenir à la capturer, et qui quoique déviée poursuit sa course en nous fuyant définitivement.
    .
      A l'intérieur du TNR la courbure ne fera que s'exacerber jusqu'à prendre en théorie des valeurs infinies jusqu'au point mathématique sis au milieu et désigné habituellement "singularité centrale", dont l'existence mathématique ne garantit pas l'existence physique. Du moins est-il cohérent d'envisager en ce point la disparition finale de la matière telle que nous la percevons. En oubliant les spéculations nombreuses sur le sujet, aussi problématiques à démontrer qu'à réfuter, "le plus simple" est de penser que la matière absorbée par le TN finit dans la singularité centrale où il n'y a pas lieu de s'interroger sur un quelconque volume nécessaire à son entassement indéfini. Dans une archi-dense étoile à neutrons, il faut au moins le volume des neutrons "entassés". Ils ne sont pas des billes dures mais des volumes de vide où évoluent des quarks, lesquels sans doute n'occupent aucun espace ; le broiement ultime de la matière, protons et neutrons, ne laisse pas de résidu encombrant. Ne subsiste que l'énergie correspondant à la masse engloutie, et la forte courbure d'espace que la singularité entraîne jusqu'à la distance entre elle et l'horizon, et qui referme l'espace sur lui-même.
    .
      On soulignera enfin la nature réellement non classique d'un TNR en notant parmi bien d'autres une particularité inattendue, qui dénote comment l'intuition commune ne saurait donner d'un trou noir que des images grossières dont il faut constamment se méfier. Cette particularité est que les orbites possibles autour d'un TNR diffèrent de celles possibles autour d'un astre ordinaire et d'un TNN, qui usent de la même physique classique. Toutes les orbites à quelque altitude que ce soit sont en fait possibles autour d'un astre ordinaire ou d'un TNN ; il suffit que le satellite ne descende pas dans l'atmosphère (Terre) ou ne percute pas une montagne (lune). Il n'en va pas du tout de même autour d'un TNR, où existent des orbites interdites : il est impossible à un objet matériel d'orbiter sans être capturé, s'il est plus bas qu'une altitude valant deux fois celle du rayon du TNR  : imaginons qu'autour de la Terre de rayon 6400 km, un satellite puisse orbiter au-dessus de 12800 km d'altitude, soit 19200 km de centre de la planète ; et qu'à cette altitude exactement, la moindre pichenette le précipite infailliblement au sol. Il n'y a donc de ce point de vue rien de commun entre astre usuel ou TNN, et TNR.

      Il est intéressant d'examiner un point souvent évoqué, et plutôt mal, sur la façon dont serait franchi l'horizon. On lit fréquemment qu'un astronaute tombant vers un TN serait vu de loin comme s'approchant de plus en plus lentement de l'horizon sans jamais l'atteindre, et qu'on verrait ses gestes se ralentir finalement jusqu'à sembler figés pour toujours.
      Cela est vrai : c'est ainsi que l'homme en chute serait vu de loin. Le défaut tient à ce que cette présentation ne va souvent pas plus loin, laissant entendre que les objets s'accumulent pour l'éternité au ras de l'horizon sans jamais entrer dans le TN. Bien entendu, l'horizon est franchi en chute par définition à la vitesse de la lumière, après quoi la singularité centrale est atteinte en un temps propre très bref : presque instantanément dans un TN de masse solaire, quelques heures dans un TN de masse galactique.
      De loin, de l'extérieur du TN, on ne peut voir l'homme déjà de l'autre côté de l'horizon. On ne voit figée éternellement au ras de l'horizon que la dernière image de l'homme un temps epsilon avant franchissement de l'horizon. Pourquoi ?
    .
      On peut représenter l'horizon d'un TNR comme une surface à travers laquelle l'espace alentour se précipite à la vitesse de la lumière. Peu avant l'horizon cette vitesse d'engloutissement est encore un peu moindre, en sorte que l'image émise par l'homme en chute "remonte encore le courant d'espace", quoique "lentement". Tout près de l'horizon l'image ultime ne "remonte" presque plus, et met un temps "infini" à "s'extirper" du courant contraire : un observateur lointain continue éternellement à voir quelque chose, dont les gestes sont de plus en plus lents à ses yeux puisqu'une scène très brève, le passage de l'homme au ras de l'horizon, est de plus en plus étirée en durée d'émission.
      Cette explication n'est pas en contradiction avec l'expérience de Michelson et la constance de la vitesse "c" à laquelle se propage la lumière indépendamment de la vitesse de sa source : la vitesse constante de la lumière s'entend dans un fond d'espace statique, ce qui n'est pas ici le cas. Ce n'est pas le cas non plus sur des distances cosmiques assez grandes pour que la vitesse d'expansion de l'univers y devienne significative devant la vitesse de la lumière, et en effet observe-t-on pour cette cause le décalage vers le rouge des galaxies lointaines : leur lumière "patine" en luttant de vitesse contre l'expansion - et au-delà de l'horizon cosmologique, perd la course.
      La lumière qui "patine à contre-courant" portant la dernière image de l'homme en chute vers le TNR ne se borne pas à rougir, puis à passer dans des longueurs d'onde invisibles de plus en plus longues ; le nombre de photons reçus par l'observateur lointain chaque seconde est de plus en plus proche de zéro, puisque cette dernière image portée par un nombre de photons nécessairement fini, les envoie sur un temps infini. En définitive, voir indéfiniment la dernière image figée de l'homme devant l'horizon est bien problématique.

     L'évaporation des TN

      Le physicien Stephen Hawking démontre dans les années 1970 que les TN ne sont pas éternels. Ils se dispersent peu à peu dans l'espace par un processus quantique parfaitement ignoré de la physique classique.
      Dans l'espace apparaissent constamment des paires particule/antiparticule dites virtuelles, en ce sens qu'elles vivent si brièvement avant de se retouver et s'annihiler, que peu d'effets s'en remarquent. La physique quantique donne leur durée de vie, qui ne peut dépasser un temps d'autant plus bref que leur masse est importante. Nous ne faisons pas ici un cours de cette physique, et nous bornerons à fournir un résultat tout fait pour un exemple concret : une paire virtuelle composée d'un électron et d'un positon, l'anti-électron de charge positive, ne peut vivre plus de 3.10^-22 seconde.  Procédons à ce qu'on nomme en physique un "calcul naïf". On entend par là une représentation, simpliste et obéissant aux lois classiques newtoniennes, d'un phénomène relativiste ou quantique plus complexe et de nature intime même très différente de l'image classique qu'on en donne pour ce calcul naïf.
    .
      Imaginons que naisse une paire (e-, e+) de tels électrons quelque part à l'extérieur d'un TNR, à peu de distance de son horizon. Les deux particules emploient leur vie très éphémère pour s'éloigner l'une de l'autre à la vitesse de la lumière, exécuter un demi-tour et venir se rejoindre pour s'annihiler et retourner au vide. Pour enfantine qu'elle soit, cette image permet avec la durée de vie donnée de trouver qu'au maximum, les deux électrons se seront éloignés de 10^-13 mètre. Par ailleurs, ils exercent l'un sur l'autre à cette distance une force d'attraction électrostatique de 0,023 newton (2,3 grammes-force).
      Supposons que le trajet des deux électrons durant leur courte vie s'effectue au long d'un rayon issu du centre du TNR : la distance maximum dont il se sont écartés équivaut à une différence d'altitude entre les deux électrons. Un effet de marée intervient : la force gravitationnelle exercée par le TNR sur chacun de ces électrons (leur poids !) à l'instant de leur séparation maximum de 10^-13 mètre n'est pas la même ; elle est plus forte sur l'électron "le plus bas". Si jamais la différence entre l'attraction gravitationnelle exercée sur chaque électron dépasse alors les 2,3 grammes-force de leur attraction électrostatique réciproque, la gravitation l'emporte sur l'attraction électrostatique : la paire est dissociée.
      L'électron le plus bas tombe dans le TNR ; l'électron le plus haut lui échappe : le TNR s'est allégé de sa masse.
    .
      Sans doute, les deux électrons sont-ils nés du vide autour du TNR, et non pas nés du TNR lui-même ; mais le vide ne crée gratuitement des paires que si elles s'y réenglouissent aussitôt. Or le processus décrit a empêché ce réengloutissement et permis la création ex-vacuo d'une particule réelle échappée aux abords du TNR : le TNR a nécessairement fourni l'énergie correspondante, s'allégeant d'autant en vertu de la relation  E = mc². Le TNR s'évapore ainsi lentement.
      Toutefois, la différence de pesanteur sur une différence d'altitude infime de 10^-13 mètre est si ridicule près de l'horizon d'un TNR de masse solaire de 3 km de rayon (comparer 10^-13 m et 3000 m), que ce mécanisme ne se produit pas. Trouvons un cas qui convienne.
      Calculs faits, la baisse de pesanteur sur la différence d'altitude doit être la bagatelle de 2,5.10^28 m/s².
      On trouve après de laborieux calculs (longs mais non pas savants, puisque naïfs) que le TNR permettant la dissociation de la paire d'électrons par effet de marée est de rayon à peu près égal au 10^-13 mètre dont les électrons s'étaient séparés. On se serait épargné ces laborieux calculs en se souvenant que c'est précisément la règle ! Le TNR cherché doit être d'un rayon égal (au plus) à ce chiffre...
      Or un TNR de rayon 10^-13 mètre a pour masse 70 milliards de tonnes. Ce n'est vraiment rien, la masse de 25 kilomètres cubes de roches, la masse du Mont Blanc. 

      On ignore si de tels TNR existent : ceux qui naissent de la fin d'une étoile sont autrement massifs. Cela ne veut pas dire qu'un TNR d'existence certaine, né d'une étoile, ne s'évapore pas du tout ; car la physique quantique mise en oeuvre ne dit pas oui ou non, mais donne toujours une probabilité, si minime soit-elle. Une particule s'échappera d'un TNR existant, effectif, mais des millions d'années après la précédente. 
      Quelle est la durée de vie d'un TNR avant évaporation totale ? Au vu du paragraphe précédent, on l'imagine formidablement longue. Cependant, une surface émettant de l'énergie n'en a pas moins une température. Chaque mètre carré du soleil porté à 6000 degrés émet plus de 60 000 kW. Quelle est la température de la "surface" d'un TNR de masse solaire et 2950 m de rayon ? Une célèbre encyclopédie en ligne nous apprend qu'elle vaut 6,15.10^-8 degré K. On présume qu'il émet peu d'énergie, peu de particules. La formule de Stefan-Boltzmann donne la puissance émise par une surface de corps noir portée à température absolue T :      Puissance émise  =  5,67.10^-8  x  T^4.
      Appliquée à la température T de 6,15.10^-8 K, la puissance émise est 8,1.10^-37 W/m², un chiffre infinitésimal. Tout l'horizon du TNR de masse solaire avec ses 2950 m de rayon émet ainsi 8,8.10^-28 W, une dérision. L'énergie de masse d'un électron valant (au repos) 8,2.10^-14 joule, on divise la puissance émise par ce chiffre pour trouver que le TNR en question, supposé pour l'exemple s'avaporer en n'émettant que des électrons, n'en émet qu'un tous les 3 millions d'années. Parler de température lorsque l'émission est aussi discontinue relève de la pure forme.
    .
      Encore un TNR de masse solaire n'émet-il même rien du tout, ou plutôt, s'alourdit-il plus qu'il ne s'évapore, même à supposer que jamais un atome d'hydrogène cosmique ne passe à sa portée. L'univers entier baigne dans le rayonnement fossile à 2,7 K ; cette température minime étant bien supérieure à celle du TNR, le TNR absorbe bien plus d'énergie qu'il n'en émet. Ainsi grossira-t-il encore un temps inconcevable, jusqu'à ce que l'expansion de l'univers atteigne encore un facteur tel que sa température tombe au-dessous des 6,15.10^-8 K de l'horizon.  Alors seulement il s'allégera en s'évaporant au rythme indiqué.
      Pour autant l'univers ne sera-t-il pas près d'atteindre le zéro absolu auquel un TNR de masse solaire s'évapore complètement en 2.10^67 années. Ce chiffre fabuleux vaut à peu près mille milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de fois l'âge actuel de l'univers.

      Cette durée de vie varie au cube de la masse du TNR, ce qui veut dire qu'elle varie assez vite pour que d'hypothétiques petits TNR s'évaporent en un temps à l'échelle de l'univers, voire bien moins encore.
      Ainsi, le TNR de la masse du Mont Blanc s'évapore-t-il en 10^15 années, bien plus encore que l'âge de l'univers ; mais un TNR de 70 000 tonnes, soit un million de fois moins, ne demandera-t-il que 9 heures. 
      Un TNR commençant à s'évaporer le fait donc de plus en plus vite puisque sa masse diminue. Très lent, le phénomène devient à terme extrêmement rapide. Or émettre davantage d'énergie veut dire être porté à plus haute température : le TNR de faible masse est fantastiquement chaud, car sa température croît en proportion inverse simple de sa masse. La température du TNR de masse solaire étant 6,15.10^-8 K, celle d'un TNR de la masse du Mont Blanc est un joli deux milliards de degrés. Les températures atteintes dans les derniers instants d'évaporation sont inconcevables, correspondant à une émission d'énergie et donc de masse extravagante.
      Un TNR qui n'a plus qu'une seconde à vivre fait encore deux mille tonnes : il lui reste à émettre en une seconde l'énergie de quelques centaines à quelques milliers de bombes H.
    .
      Enfin, le TNR réduit à la masse de Planck, ou 22 microgrammes, s'évapore dans le temps de Planck de 5,4.10^-44 seconde. Vingt-deux microgrammes ne représentent qu'une émission modique de 550 kWh, une bombe ordinaire de 100 kg. Cette énergie étant cependant émise en un temps de Planck, on peut s'amuser de manière un peu dépourvue de sens à diviser 550 kW par 5,4.10^-44 pour attribuer une puissance rayonnante à ce trou noir de Planck. Le résultat est naturellement fabuleux, et c'est pourquoi l'on dit parfois que la puissance d'un trou noir de Planck en explosion (il ne peut d'ailleurs exister dans un autre état) vaut un million de fois la puissance rayonnée par tout le contenu de l'univers visible.  

       Note : nous avons assimilé un TNR à une sphère émissive de surface classique 4.pi.r² alors que la valeur à réellement prendre est quelque peu différente : la physique de la lumière et du rayonnement est nettement modifiée dans leur voisinage.
      En outre les particules émises par un TNR de masse encore importante sont des photons. Les particules massives n'apparaissent que lorsque la masse, température, évaporation du TNR sont fort avancées. Nous avons pris l'exemple d'une paire d'électrons pour bénéficier de la simplicité du calcul naïf permis par leur charge électrique.

    Une nouvelle idée du trou noir

      Et si la matière ne disparaissait pas dans une singularité centrale ? Si elle échappait à ce sort étrange en s'accumulant au centre mais en restant bien matière ? Il faudrait que ce fût une matière assez dense pour occuper un rayon physique moindre que le rayon de Schwarzschild (RS) correspondant à la masse considérée. La matière extrêmement dense des étoiles à neutrons n'est pas encore assez compacte puisqu'un tel astre est d'un rayon encore un peu plus grand que le RS correspondant à sa masse.

      On envisage que la matière chutant vers le centre du TN à vitesse quasi-luminique s'y condense dans l'état le plus dense permis par la théorie connue, la densité de Planck valant environ 10^96 kg/m3. Une étoile entière est ainsi ramenée à quelque chose de plus petit qu'un atome. Cependant, la propriété intéressante ici est que cette étoile de Planck n'a aucune longévité : la matière qui la forme rebondit immédiatement, franchit en un temps minime le RS qui la sépare de l'horizon, dans un mouvement symétrique de celui de sa chute, et en jaillit dans l'espace "normal" ; le TN a vécu.

      Le temps mis par la matière stellaire en chute pour passer le RS à l'aller en constituant le TN, puis en ressortir de façon symétrique, est d'une fraction de millième de seconde. Comment alors est-il possible pour nous d'observer maint TN probable, à l'allure évidemment stable - songeons à la longévité de ceux qui siègent au centre de galaxies - si sa vie ne dépasse pas le millième de seconde ?

      Le paradoxe est résolu de façon surprenante mais logique par la dilatation relativiste du temps. Si l'étoile de Planck existe, sa combinaison de masse d'étoile normale et de rayon microscopique engendre sur place une pesanteur inimaginable. Or un observateur lointain dans une pesanteur faible ou presque nulle voit le temps, donc les mouvements, se ralentir pour les objets placés dans un champ gravitationnel intense. Or le champ gravitationnel est si vertigineux à proximité d'une étoile de Planck (bien plus qu'à la surface du TN qu'elle engendre) que vue par un astronome terrestre regardant l'emplacement d'un TN, la matière en rebond est vertigineusement ralentie du point de vue de cet astronome (si un observateur pouvait suivre cette matière dans le TN, il chronométrerait bien son temps de transit à l'intérieur du RS comme de l'ordre de la milliseconde). La gravitation au centre du TN est ainsi assez grande pour qu'un phénomène s'y déroulant à l'échelle de la milliseconde paraisse de l'extérieur jouir d'une durée astronomique.

      

     

     

     

    LA  FUSEE - PRINCIPES PHYSIQUES 

     

      Cet exposé présenté a été prononcé par l'auteur dans un club d'astronomie où, moyennant une expression orale certes un peu plus souple, il a été bien reçu. L'auteur en permet l'usage et la reproduction libres, sous la seule réserve de l'indication de leur origine.  

      Si vous utilisez à titre collectif ou public tout ou partie de ce texte, merci de laisser un commentaire pour préciser dans quel genre de contexte.

     

    Principes de base

      La fusée se propulse par réaction, c'est-à-dire en éjectant sa propre substance à la plus grande vitesse possible. Jadis on interprétait mal le phénomène, en dépit de la connaissance qu'on avait pourtant depuis Newton du phénomène d'action et de réaction. On écrivait que les gaz émis "prenaient appui sur l'air" ; on pensait ainsi que les gaz émis repoussaient la fusée en se détendant entre elle et l'air ambiant. Ce dernier en quelque sorte remplaçait le fond du tube d'un canon, où les gaz de la poudre en détente en espace clos repoussent le boulet. Bref, il fallait un appui. La fusée selon ces idées ne pourrait fonctionner dans le vide.     

      S'il est faux de dire que les gaz émis ont besoin de prendre appui sur quelque chose, il est en revanche vrai que ces gaz sont par eux-mêmes le point "résistant" sur lequel s'appuie la fusée : on peut prendre appui sur toute chose qui, du fait de son inertie, ne cède pas instantanément sous l'effort. Celui qui saute en l'air se propulse par réaction : il prend appui sur la Terre ; or la Terre n'est appuyée sur rien ; le saut la fait infinitésimalement reculer.

      Tout se propulse par réaction, depuis le tourniquet de jardin qui d'évidence tourne sous l'effet de l'éjection de son eau, jusqu'au piéton qui n'avance qu'en mettant imperceptiblement la planète en rotation en sens inverse.

      Or il existe en physique un grand principe (conséquence du principe d'inertie) appelé principe de conservation de la quantité de mouvement.

      La quantité de mouvement d'un corps est numériquement égale au produit de sa masse (en kg) par sa vitesse (en mètres /seconde). Elle est à ne pas confondre avec son énergie cinétique, demi-produit de sa masse par le carré de sa vitesse, et qui s'exprime en kilogrammètres ou en joule. L'unité de quantité de mouvement n'a pas reçu de nom particulier : ce sont des "kg.m/s".

      La quantité de mouvement d'un corps que rien ne freine se conserve, dit le grand principe. Il ne perd donc pas de vitesse. C'est aussi le principe d'inertie trouvé par Galilée. La quantité de mouvement d'un ensemble de corps que rien ne freine et qui ne sont soumis à nulle influence extérieure à cet ensemble est dit "système isolé". La quantité de mouvement d'un système isolé est la somme des quantités de mouvement des corps qui le composent ; elle se conserve. En revanche il peut y avoir des échanges de QDM entre les corps composant le système. Imaginons par exemple un billard anglais de nombreuses boules que par hypothèse le tapis ne ralentit pas. Les boules se choquent, l'une ralentissant et l'autre accélérant à due compensation : la QDM totale est conservée.

      Que deux projectiles de masse et de vitesse identiques se heurtent de plein fouet, bien en face. S'ils sont en chewing-gum, on conçoit intuitivement qu'ils sont tous les deux stoppés net en restant collés. Or chacun disposait avant la collision d'une quantité de mouvement ; mais il semble que la quantité de mouvement après le choc soit zéro (plus de vitesse) ; et nous avons dit plus haut que la QDM de l'ensemble des deux corps doit se conserver !

      Le principe est pourtant sauf, car la QDM est en fait un vecteur. La QDM d'un des deux corps avant le choc se représente par une flèche d'une certaine longueur et d'une certaine orientation. L'orientation est celle de la trajectoire du corps ; la longueur est proportionnelle à sa vitesse. La QDM de l'autre corps est un vecteur de longueur identique mais orienté en sens opposé : leur résultante est nulle. Nulle était donc la QDM totale de l'ensemble des deux corps avant le choc, en dépit de l'apparence... et nulle est est manifestement après, lorsque tout est à l'arrêt.

      (Leur énergie cinétique n'est, elle, pas conservée : les projectile arrêtés voient leur énergie mécanique annihilée et transformée en chaleur qui échauffe les deux corps, ou en action mécanique qui les déforme).

      Considérons maintenant une boule de matière homogène scindée en deux hémisphères qu'un ressort intérieur tend à projeter chacun de son côté. Ils ont même masse. Un lien retient comprimé le ressort. La boule est supposée flottant dans l'espace loin de toute influence. On l'admet immobile : sa quantité de mouvement est nulle. Il n'y a pas de vecteur à dessiner.

      Le lien cède. Le ressort lance les deux hémisphères à vitesses identiques et sens opposés ; il n'y a pas d'autre solution mécanique. Chaque moitié animée d'une vitesse aura une certaine QDM ; mais ces deux QDM seront deux vecteurs représentés par des flèches de même longueur et opposées : leur somme est nulle, et nulle donc la QDM de l'ensemble après séparation.

      Elle s'est conservée.

      Nous avons construit là une fusée élémentaire où l'un des hémisphères est la charge utile et l'autre le combustible éjecté. Qu'à présent l'une des masses séparées par le ressort vaille "n" fois l'autre. On doit toujours avoir la même longueur de vecteur pour chaque masse ; puisque l'une est lourde n fois comme l'autre, il faut qu'elle soit repoussée de son côté n fois moins vite que la plus légère. Que la masse initialement réunie fasse 11 kg et se scinde en un morceau d'un kg et un de dix ; si le morceau lourd est repoussé à 3m/s, alors le morceau léger le sera à 30 m/s.

      Nous disposons à présent de tous les éléments pour calculer le comportement d'une fusée spatiale.

      Une fusée brûle son combustible. Cette combustion est-elle en soi nécessité ? Nullement : le ballon de baudruche gonflé et lâché débouché éjecte sa masse d'air intérieure avec force et constitue une fusée bien connue. De même pour une bouteille d'air comprimé ouverte qui flotterait dans l'espace, et de même pour le tourniquet de jardin. La combustion ne sert qu'à ajouter à la détente des gaz le surcroît d'énergie, donc de vitesse d'éjection, que donne la réaction chimique. Ainsi l'air comprimé s'échappant d'une bouteille à température ambiante sort-il à quelques 400 m/s (indépendamment de la pression dans la bouteille) tandis que les gaz de combustion d'une fusée portés à plus de 3000 degrés filent à 2500 m/s. La poussée obtenue est directement proportionnelle à cette vitesse d'échappement.

      La combustion en fusée la plus usuelle fait oxyder un corps comme le pétrole ou l'hydrogène (le carburant) par l'oxygène liquide ou un composé instable et dissociable riche en oxygène comme l'acide nitrique ou le peroxyde d'azote (le comburant). Carburant plus comburant forment le propergol ; carburant et comburant considérés séparément sont des ergols. Certains corps instables se dissocient d'eux-mêmes (sous l'effet de certaines provocations) en dégageant force chaleur et vapeurs : les monergols. Citons l'eau oxygénée pure ou le nitrométhane. L'eau oxygénée pure ou peroxyde d'hydrogène, ou perhydrol, sert notamment de monergol dans les ceintures-fusées. Certains propergols prennent feu au contact, sans allumage : les hypergols. Le plus connu est l'hydrazine brûlant dans le peroxyde d'azote, employé dans le LEM au bénéfice de la sécurité la plus absolue possible au redécollage depuis la lune : pas de panne possible à l'allumage.  

      Avant de pousser plus loin la chimie des fusées, voyons comment on calcule la poussée d'une tuyère.

      La poussée (en newtons, N) est égale au débit de masse éjectée (en kilogrammes par seconde) multiplié par la vitesse d'éjection (en mètres par seconde).

      On rappelle que 1 newton (N) égale environ 102 grammes-force. 1 kilogramme-force vaut environ 10 newtons, ou plus précisément 9,81. cette valeur n'est pas identique à celle de l'accélération terrestre par hasard : 1 kilogramme (masse) pèse bien 1 kilogramme-poids à Paris, ce qui est la même chose qu'un kilogramme-force puisque le poids est une force. Le poids (vertical) d'un kilogramme pendu à un fil tirera quelque chose dans une direction quelconque au moyen d'un jeu de poulies : il fait bien office de force.     

      La relation fondamentale donnée en gras est universelle, applicable à la fusée comme au tourniquet de jardin ou au recul de la mitrailleuse. Elle se démontre assez facilement. Démontrons-la, quoique avec une rigueur critiquable : 

      Imaginons une fusée d'une tonne se propulsant en éjectant des boules d'acier ou toute autre chose, d'un kilogramme chacune, à la vitesse de 1000 m/s. La première boule reçoit une quantité de mouvement de : 1 kg  x  1000 m/s  =  1000 unités de QDM, unité dont on a dit qu'elle n'est pas nommée. La fusée reçoit symétriquement la même QDM de 1000 unités. Sa masse étant 1000, la vitesse à elle communiquée n'est que : 1000 unités / 1000 kg = 1 m/s.

      Le seconde boule éjectée agira sur une fusée de 999 kg seulement, mais nous ignorons cette différence. On voit que si 10 boules sont éjectées à chaque seconde, la fusée gagnera en vitesse 10 m/s à chaque seconde.

      Or la relation fondamentale de la dynamique :  force = masse  x  accélération, nous apprend qu'il faut d'une façon générale, pour accélérer une masse d'une tonne de 10 m/s à chaque seconde, lui appliquer une force de :  masse  x accélération  =  1000 kg  x  10 m/s  =  10 000 newtons. 

      Donc, éjecter 10 kg de masse par seconde à la vitesse de 1000 m/s produit bien une poussée de 10 000 N !

      "Donc", la poussée d'une fusée est bien égale à son débit de masse (kg/s) par la vitesse d'éjection (m/s). Prendre garde à ne pas noter le résultat en kilos de poussée : il est en newtons, soit dix fois moins.    

      Revenons à la nature des propergols. Le plus anciennement connu est la poudre noire, ou poudre à canon qui dans un cylindre ouvert peut fuser sans exploser. Les fusées à poudre noire ont atteint au début du XIXème siècle des masses de plusieurs dizaines de kilos et des portées militaires de plusieurs kilomètres. La poudre noire est un mélange de charbon de bois pulvérisé (du carbone, un carburant), de soufre (un autre carburant) et de salpêtre, le nitrate de potassium (comburant). La poudre brûle ainsi sans recours à l'oxygène de l'air, ce qui est commun à toutes les fusées et leur permet de fonctionner dans le vide ou sous l'eau (départ en plongée peu profonde, des missiles embarqués sur sous-marin). La poudre noire libère un grand débit de gaz carbonique (combustion du carbone) tandis que le soufre et le nitrate de potassium composent une fumée dense de poussières solides. Or seuls les gaz prennent d'eux-mêmes la vitesse d'éjection ; les poussières ne sont qu'entraînées. Un tel propergol est donc médiocre, car il n'emploie pas utilement toute sa masse. 

      Un kilogramme de poudre noire peut donner une poussée d'un kilogramme-force pendant 80 secondes : on dit que l'impulsion spécifique de la poudre noire vaut 80 secondes. On calcule aussi grâce à la formule déjà donnée que pour aboutir à un tel résultat, il a fallu que les gaz (avec leurs poussières) soient éjectés à 800 mètres/seconde. La notion d'impulsion spécifique est d'une importance première.

      Note : il ne faut pas en rigueur multiplier par 10 l'impulsion spécifique afin d'obtenir la vitesse d'éjection, mais par seulement 9,81. Pourtant, nous adopterons par simplicité cette valeur 10 dans toute la suite.

     

    Les différents propergols et leurs qualités particulières

      La fin du XIXème siècle vit apparaître les explosifs nitrés bien plus puissants que la poudre noire. Leur emploi en fusée fait mieux que doubler l'impulsion spécifique de la poudre classique. Ils ne produisent que des gaz. Aujourd'hui la "fusée à poudre", puisque le terme subsiste, recèle un mélange plastique moulé en forme. C'est souvent un mélange de perchlorate d'ammonium, le meilleur comburant solide car le plus riche en oxygène et ne laissant aucun résidu solide, et d'une résine combustible ou tout simplement d'asphalte comme dans les bouteilles JATO des chasseurs anciens au décollage. Les impulsions spécifiques sont voisines de quatre minutes, 250 secondes.

      Les propergols solides sont très commodes d'emploi puisque simplement moulés en place et, ne requérant ni entretien notable ni mécanismes comme les propergols liquides (pompes, tubulures), autorisent des fusées simples et bon marché prêtes à partir sans remplissage ni autre procédure. Les fusées "à poudre" sont donc largement utilisées dans les missiles tactiques, les roquettes,  les boosters de grosses fusées à liquides, les engins stratégiques en silo ou sous-marin, prêts à partir sans préavis. En revanche ils ne s'éteignent, ne se rallument, ou malaisément, et ne se règlent guère en cours de vol. Leur impulsion spécifique est très inférieure à celle des propergols liquides.

      C'est avec l'examen des propergols liquides que nous étudierons plus avant la physique de la propulsion.

      Quelle arme nécessite trente tonnes de pommes de terre pour sa fabrication ? La réponse est : la fusée V2 consommant de l'alcool et de l'oxygène liquide. L'alcool de formule C2H5OH contient de l'oxygène en soi inerte dans sa combustion ; c'est un poids mort qui explique aussi les performances médiocre de l'alcool en propulsion automobile. Le carburant courant le plus simple est le pétrole (kérosène), fait uniquement de carbone et d'oxygène. Le comburant le plus efficace est l'oxygène liquide. Le premier étage de la fusée Saturn V les emploie dans son premier étage, qui en contient deux mille tonnes.

     

       Puisque l'impulsion spécifique définit le temps pendant lequel un kilo de propergol peut fournir un kilo de poussée (les physiciens horrifiés par ce langage se feront une raison), il est manifeste qu'un moteur de même poussée fonctionnera plus longtemps avec un propergol de plus grande impulsion spécifique, communiquant en fin de combustion plus de vitesse à la fusée.

      Le second et le troisième étage emploient l'hydrogène et l'oxygène liquides. Ils contiennent quelques centaines de tonnes de propergol. Le couple hydrogène/oxygène donne une impulsion spécifique de l'ordre de 450 secondes, soit une vitesse d'éjection des gaz de 4500 m/s. Le couple pétrole/oxygène ne donnait que 260 secondes ; pourquoi ?

      Sans doute le pétrole donne moins de chaleur que l'hydrogène en brûlant et partant moins d'énergie, de vitesse aux gaz éjectés. Un autre facteur pourtant l'emporte largement : un propergol sera éjecté à vitesse plus grande si la masse de chaque molécule gazeuse ejectée est plus faible. 

      Le pétrole en brûlant donne du gaz carbonique CO² et de la vapeur d'eau H²O. Les deux sont éjectés à 3000 degrés, mais les molécules de CO² sont bien moins rapides que celles de la vapeur d'eau. Aussi le même débit en masse de propergol dans la tuyère fournit-il avec du pétrole une vitesse d'éjection moyenne moindre qu'avec de l'hydrogène pur. Le rapport des deux vitesses est dans le rapport de la racine carrée des masses moléculaires respectives. La masse moléculaire du CO² est 44, celle de l'eau 18. Le rapport 44/18 vaut 2,44, chiffre dont la racine est 1,56 : de ce seul point de vue, la vitesse d'éjection d'une fusée à l'hydrogène/oxygène est 1,56 fois celle d'une fusée hypothétique fonctionnant à la poussière de carbone pur dans l'oxygène ! Pour le pétrole composé à la fois de C et de H, la valeur est naturellement intermédiaire.

      L'hydrogène liquide présente l'inconvénient d'une densité ridicule de 70 grammes par litre, qui proscrit son emploi dans un premier étage de deux mille tonnes dont les dimensions seraient titanesques. On accroît très modérément la densité de l'hydrogène liquide en lui mélangeant de la neige d'hydrogène solide (slush hydrogen).  

      Il existe un couple chimique dont la combustion fournit une impulsion spécifique encore un peu supérieure : la combinaison hydrogène/fluor. Le produit de combustion est l'acide fluorhydrique HF dont le caractère terriblement corrosif et toxique rend l'emploi impraticable, tout du moins avant d'être en orbite. Hors de l'atmosphère, le couple hypergolique hydrazine/peroxyde d'azote a parfois été remplacé par l'autre couple hypergolique un peu plus performant hydrazine/pentafluorure de chlore. Ce dernier produit est un liquide comparable au peroxyde d'azote en ce qu'il bout un peu au-dessous de zéro mais peut être conservé liquide et dense sous une pression modique.  

      Or il n'existe aucune molécule gazeuse provenant d'une combustion et dont la masse moléculaire soit moindre que celle de l'eau, avec sa valeur 18. Certes l'hydrogène pur avec sa masse moléculaire 2 serait un propergol miraculeux, s'il pouvait être chauffé autant qu'en le brûlant... mais en le brûlant pas, en ne le changeant pas en vapeur d'eau. Sa masse moléculaire est 9 fois plus petite que celle de la vapeur d'eau, et la racine de 9 est 3. A même température en tuyère, la vitesse d'éjection serait triplée en comparaison de la vapeur d'eau. Elle atteindrait 3  x 4500  =  13 500 m/s, et l'impulsion spécifique la valeur fabuleuse de 1 350 secondes. 

      La chose est possible. Le moyen de chauffer sans combustion l'hydrogène stocké liquide est de l'employer au refroidissement d'un petit réacteur nucléaire. La tenue à la température des matériaux réfractaires de ce réacteur est alors la seule limite à sa température et donc à la vitesse d'éjection. La température est en pratique moindre que celle d'une flamme, mais encore suffisante pour donner une vitesse d'éjection voisine de 10 000 m/s, soit une impulsion spécifique de 1000 secondes.

      (Dans un chalumeau à fondre les métaux réfractaires, le chimiste prescrit le dosage de 8 kg d'oxygène pour chaque kilo d'hydrogène brûlé afin d'obtenir une combustion complète et donc le maximum d'énergie dégagée et de température atteinte. Pourtant, la fusée à hydrogène/oxygène repose sur un fonctionnement plus subtil. La vitesse d'éjection la plus élevée s'obtient avec une proportion d'hydrogène plus forte, telle qu'on n'envoie en tuyère que 5 kg d'oxygène par kilo d'hydrogène. Cinq kilos d'oxygène brûlent 5/8 = 0,6 kilo d'hydrogène en produisant : 5 + 0,6 = 5,6 kg de vapeur d'eau. Les 400 grammes d'hydrogène imbrûlé sont simplement chauffés par la flamme. Puisque l'hydrogène à la même température que la vapeur d'eau est éjecté trois fois plus vite, le bilan total est gagnant même si la température est un peu réduite. De ce point de vue la fusée à hydrogène/oxygène fonctionne (très) partiellement comme une fusée nucléaire : elle éjecte à grande vitesse un peu d'hydrogène simplement chauffé mais non brûlé.)

    Elements de mécanique du vol des fusées

       Il s'agit de trouver la vitesse finale d'une fusée en fin de combustion, lorsqu'elle se retrouve réduite à sa charge utile et à sa carcasse à part cela vide d'ergols.

      Il est simple de retenir que tout égal par ailleurs, la vitesse finale sera proportionnelle à la vitesse d'éjection plus ou moins forte, à l'impulsion spécifique plus ou moins forte, du propergol choisi.

      Il est moins simple de déduire la vitesse finale en fonction de la proportion de propergol dans le poids total de la fusée. La vitesse finale augmente évidemment avec la proportion, mais de plus en plus lentement lorsque cette proportion croît. 

      Une croyance autrefois très répandue dans la vulgarisation, et encore aujourd'hui dans les esprits peu avertis, est qu'une fusée ne peut dépasser une vitesse égale à celle de l'éjection de ses gaz. Cette idée ne reposant sur aucun principe physique suffisait à faire jadis imprimer que la satellisation à près de 8 km/s n'aurait jamais lieu, puisque les meilleurs propergols ne sont guère éjectés à plus de la moitié de cette vitesse ! L'erreur vient peut-être d'une confusion avec le projectile du canon, qui ne peut en effet dépasser la vitesse à laquelle se détendent les gaz de la poudre. A ce propos, Jules Verne se berce d'illusions en croyant pouvoir propulser par explosion son obus lunaire à 16 km/s (les astronomes amateurs savent qu'il ne se berce pas moins d'autres illusions dans le même roman à propos du grossissement et du pouvoir séparateur de son télescope géant des Montagnes Rocheuses).

      Imaginons une fusée en un seul étage, où le propergol représente 1% de la masse initiale. Ce peut être le cas d'un satellite en orbite doté de petits moteurs destinés à l'orienter ou a produire de petites corrections de trajectoire. Faisons lui brûler tout son propergol en une fois. On peut ici négliger la différence entre la masse à accélérer au début du fonctionnement du moteur (100) et la masse à accéleréer en fin de combustion (99). Certes, le moteur de poussée constante sera un peu plus efficace à la fin qu'au début sur ce qu'il pousse, mais de si peu qu'il est permis d'appliquer de manière simple la règle de la conservation de la QDM. Si l'impulsion spécifique est 300 secondes, soit une vitesse d'éjection de 3000 m/s :

      QDM du propergol éjecté :  3000 (vitesse) x  1 (masse)  =  3000 unités de QDM

      Donc, QDM du vaisseau spatial en fin de fonctionnement :  3000 aussi

      Donc, vu sa masse de 100, vitesse atteinte en fin de combustion :  3000 / 100  =  30 m/s

      Ce calcul est inapplicable en général à la fusée dont le propergol représente souvent 90% de la masse au décollage. La poussée constante n'accélère évidemment pas la fusée presque vide comme la fusée au départ. On pourrait s'amuser à tronçonner les 90% en 90 tranches de 1% et faire 90 calculs élémentaires comme celui de l'exemple précédent, mais il est plus commode d'appliquer la relation générale :

      Vitesse finale  =  vitesse d'éjection  x  logarithme népérien du rapport : (masse avec le plein de propergol / masse à vide de propergol)

      Exemple : éjection à 3000 m/s et 90% de propergol dans la masse au décollage. Le rapport (masse à plein/masse à vide) vaut 10.

      Log népérien de 10  =  2,3.         Vitesse finale  =  3000  x  2,3  =  6900 m/s

      Ce chiffre est assez proche de la vitesse de satellisation circulaire à basse altitude de 7800 m/s. Un calcul inverse du précédent permet de trouver le log népérien du rapport de masse qui permettrait d'atteindre 7800 m/s :

      7800 / 3000  =  2,6 qui est le log népérien de 13,5. Tel devrait être le rapport des masses au décollage, soit plus de 93% de propergol au décollage. C'est un chiffre difficile à obtenir, car les 7% restant représentent la fusée vide avec ses moteurs et ses pompes, en plus de la charge utile pour laquelle est faite la fusée.

      Les choses ne s'arrêtent hélas pas là. Le calcul de la vitesse finale tel que nous l'avons fait suppose une fusée dans le vide loin de toute pesanteur. C'est le cas d'une fusée déjà en orbite, et pouvant faire fonctionner son moteur à l'horizontale : la pesanteur ne joue pas. Il en va tout autrement lorsqu'au décollage le fusée est droite : la part de sa poussée qui sert simplement à équilibrer le poids de l'engin est complètement perdue pour l'accélération utile.

      Une V2 pesant 12,5 tonnes avec un moteur de 25 tonnes de poussée consomme 12,5 tonnes pour se sustenter : il n'en reste que 12,5 pour accélérer.

      Une Saturn V pesant 3000 tonnes avec 5 moteurs totalisant 3400 tonnes de poussée n'a plus que 400 tonnes pour accélerer : le rapport n'est pas le même !

      On peut calculer qu'une force de 12,5 tonnes accélérant une masse de 12,5 tonnes lui communique une accélération de 9,81 m/s à chaque seconde écoulée, encore noté 9,81 m/s², ou 35 km/h par seconde écoulée. Une force de 400 tonnes poussant une masse de 3000 tonnes ne lui communique qu'une accélération de 1,31 m/s², ou 4,7 km/h par seconde écoulée (application de la relation fondamentale de la dynamique rappelée en début d'exposé). 

      A cette perte s'ajoute la résistance de l'air qui devient vite très importante lorsque la fusée atteint plusieurs mach à 10 ou 15 km d'altitude ; elle diminue ensuite du fait de la rapide raréfaction de l'atmosphère.

      Troisième handicap : les impulsions spécifiques données sont souvent valables dans le vide. Au niveau de la mer, elles sont amputées d'environ 15 à 20% du seul fait de l'obstacle à l'éjection des gaz constitué par l'air ambiant. Notons au passage que c'est là le contraire des croyances anciennes évoquées tout au début...

      De tous ces facteurs de baisse des performances théoriques, il résulte que la vitesse finale déterminée comme il est montré plus haut, ne sera jamais atteinte. Comme il n'est pas possible d'envisager des rapports : (masse à plein/masse à vide) de 99%, c'est-à-dire des fusées sans poids et n'emportant rien, il n'existe pas de fusée capable de se placer en orbite terrestre.

      Nous voulons dire : de fusée sans étages. Le principe de la fusée à étages n'a d'autre fonction que de contourner cet obstacle embarrassant. Scinder une fusée en étages lui permet tout simplement de se débarrasser par morceaux de la carcasse au fur et à mesure de l'allègement de la fusée, ce qui réduit la masse inutile à accélérer sans objet. Comparons deux fusées de même impulsion spécifique égale à 300 secondes et de même rapport : (masse avec le plein / masse à vide) supposé de 0,9. L'une est sans étage, c'est-à-dire n'a qu'un étage ; l'autre en a trois. Les deux pèsent mille tonnes et la charge utile est de 20 tonnes.

      Nous avons déjà vu que la vitesse finale atteinte par la fusée d'un seul étage est 6900 m/s. Sur 1000 tonnes au début elle comporte 900 tonnes de propergol, 80 tonnes de carcasse inerte et 20 tonnes de charge utile. On rappelle que jamais lancée du sol elle n'atteindrait cette vitesse en luttant contre la pesanteur et la résistance de l'air ; on envisage le cas idéal d'une accélération tout entière exécutée dans une monde sans gravitation ni traînée aérodynamique.

      La fusée de 1000 tonnes en trois étages sera par hypothèse ainsi constitué :

    - Troisième étage portant les 20 tonnes de charge utile, 5 tonnes de carcasse et 40 tonnes de propergol. Total de 65 tonnes. Rapport des masses :  65 / 25  =  2,6.  Accroissement de vitesse dû au troisième étage :  3000 m/s  x  log népérien de 2,6  =  3000  x  0,96  =  2880 m/s.

    - Deuxième étage de 250 tonnes dont 25 tonnes de carcasse et 225 tonnes de propergol. Masse totale de 315 tonnes avec le troisième étage. Rapport des masses :  315 / 90 =  3,5.  Accroissement de vitesse dû au deuxième étage :  3000 m/s  x  log népérien de 3,5  =  3760 m/s.

    - Premier étage de 685 tonnes dont 60 tonnes de carcasse et 625 tonnes de propergol. Masse totale de 1000 tonnes avec les deux autres étages.  Rapport des masses : 1000 / 375  =  2,67.  Accroissement de vitesse dû au premier étage :  3000 m/s  x  log népérien de 2,67  =  2940 m/s.

      Total :  2880  +  3760  + 2940  =  9580 m/s.  Cette fusée placera son dernier étage sur orbite même en tenant compte de la pesanteur et de l'atmosphère. 

      La pesanteur sur la lune est 6 fois plus faible sur la Terre. Le seul étage de remontée du LEM pesant à l'envol 4,5 tonnes suffit à placer en orbite à 1700 m/s deux hommes avec un rapport de masses qui ne dépasse pas 2. Placer en orbite terrestre deux hommes à 7800 m/s réclame une fusée à étages de plusieurs centaines de tonnes et d'un rapport de masses beaucoup plus élevé. Le rapport des moyens à mettre en oeuvre n'est visiblement pas de 6, le rapport des pesanteurs à vaincre ! Il se rapproche plutôt de la valeur 81 du rapport entre les masses des deux astres, c'est-à-dire du travail qu'il faut produire pour précisément s'arracher à l'étreinte de leur masse. On peut en déduire que d'éventuels Joviens n'eussent pas facilement créé l'astronautique.

      Attachons-nous enfin à évaluer la valeur de l'accélération au cours du vol et de l'allègement progressif d'une fusée.

      Une Saturn V de 3000 tonnes au décollage est enlevée par 5 moteurs cumulant une poussée de 3400 tonnes. La fusée verticale est donc soutenue par 3000 tonnes de poussée, et seulement accélérée par les 400 tonnes excédentaires. Il en résulte une bien modeste accélération initiale de 400/3000 = 0,133 g = 1,3 m/s² : la fusée accélère de 1,3 m/s ou moins de 5 km/h à chaque seconde qui passe. Voilà pourquoi il lui faut plus de dix secondes pour dépasser sa propre tour de lancement.

      Très vite elle accélère plus fort pour deux raisons : d'une part elle s'allège très rapidement, d'autre part elle commence dès l'envol à se coucher progressivement. La fraction du poids restant à équilibrer par les moteurs est diminuée d'autant. Fusée à l'horizontale, le poids n'aurait plus aucun effet et l'accélération serait maximum. A 20 000 mètres déjà la fusée a basculé d'à peu près 70 degrés !

      En fin de combustion du premier étage la fusée vole depuis 150 secondes et se trouve à plus de 60 kilomètres d'altitude. Elle est presque horizontale ; on négligera donc l'effet résiduel de son poids sur son accélération. Elle a consommé les 2000 tonnes de propergol du premier étage et ne pèse plus que 1000 tonnes. La poussée des moteurs à consommation constante est passée de 3400 tonnes dans l'air dense à 4000 tonnes dans le vide. L'accélération atteint dès lors 4000/1000 = 4 g, ou 140 km/h de plus à chaque seconde écoulée.

      Les étages supérieurs ne dépasseront pas cette accélération, limite tolérable pour les passagers. Une accélération excessive se paie aussi en masse de structure destinée à tenir de plus grands efforts.   

    Synthèse générale : la fusée Saturn V et la mission lunaire

      Qu'est-ce qui rend techniquement possible la conquête de l'espace ? La réponse est : l'atmosphère. Une Saturn V communique la vitesse nécessaire de 11 km/s au train lunaire (capsule, LEM, module de service, carcasse vide du troisième étage) de masse 59,5 tonnes : 47,5 tonnes de capsule, LEM, module de service et 12 tonnes de carcasse du troisième etage et autres équipements. La fusée pèse 3038 tonnes au décollage : 51 fois la masse envoyée vers la lune. La capsule seule fait 6 tonnes. l'atmosphère seule au retour la freine de 11 km/s à presque zéro. Imaginons qu'il n'y ait pas d'atmosphère : il faudrait une rétrofusée 51 fois plus massive que la chose à freiner... c'est-à-dire 306 tonnes.

      Il aurait fallu envoyer ces 306 tonnes vers la lune en plus des 59,5 "normales", soit 365 tonnes en tout. La fusée capable de propulser à 11 km/s le train lunaire de 59 tonnes pèse 3038 - 59 = 2979 tonnes. La fusée capable de propulser à 11 km/s un train de 365 tonnes pèserait en proportion 18 800 tonnes, soit 19 165 tonnes au décollage !

      Encore ai-je négligé de compliquer le calcul en considérant qu'il faudrait un module de service beaucoup plus gros pour freiner le train de 365 tonnes à l'arrivée près de la lune, et surtout ensuite le réarracher à l'orbite lunaire afin de renvoyer vers la Terre capsule et rétrofusée de 306 tonnes.

      Disons que la fusée au décollage devrait peser cinquante mille tonnes et n'en parlons plus. Un lecteur pointilleux fera le calcul et trouvera peut-être pire encore.   

      Revenons au cas réel avec atmosphère. Il s'agit de faire revenir sur la Terre une simple capsule de 6 tonnes permettant la vie de trois hommes. L'air suffit à son freinage ; le module de service doit pour quitter l'orbite lunaire accélérer les deux éléments de la vitesse orbitale lunaire de 1,7 km/s à (environ) la vitesse de libération lunaire de 2,4 km/s.  

      Il reste au début de cette manoeuvre : 6 tonnes de capsule, 6 tonnes de module de service à vide et environ le tiers des 18,4 tonnes de propergol du module de service. Total de 18 tonnes à accélérer de 700 m/s. Le propergol du module de service est l'hypergol : peroxyde d'azote / mélange d'hydrazines ; impulsion spécifique 314 secondes ou vitesse d'éjection d'environ 3140 m/s. L'application de la formule logarithmique déjà connue avec les valeurs 3140 m/s, masse initiale 18 tonnes, masse finale 12 tonnes, donne un gain de vitesse possible de plus de 1200 m/s.

      Nous continuons à remonter le temps : on voit qu'à commencer la description du vol par la fin, on détermine chaque étage en fonction des besoins de tout ce qui est au-dessus de lui ; la démarche est plus logique que d'imaginer a priori une fusée de masse au décollage estimée au flair, pour aller regarder ce qu'il est possible de lui faire envoyer ! Poursuivons par la phase encore antérieure, quoique en laissant de côté l'excursion indépendante du LEM vers la lune. Cette phase antérieure est la mise en orbite autour de la lune du train spatial qui arrivait à peu près à vitesse de libération lunaire. Il faut freiner de 2,4 à 1,7 km/s, soit 700 m/s. La manoeuvre serait symétrique de la précédente si la masse à freiner n'était très différente : capsule de 6 tonnes, LEM de 15 tonnes, module de service encore inemployé de 24,5 tonnes ; soit 45,5 tonnes. En considérant que les deux premiers tiers de son propergol servent à ce freinage, soit 12 tonnes d'ergols, nous trouvons par la formule habituelle un freinage possible de 950 m/s.      

      Ces estimations montrent que le module de service dispose d'une large marge de freinage/accélération. Il doit en effet assurer les corrections aléatoires sur le chemin entre les deux astres, ainsi que participer aux manoeuvres de rendez-vous avec l'étage de remontée du LEM. Il assure à partir de la mission Apollo 15 un rôle de plus : faire descendre lui-même le LEM de l'orbite lunaire initiale à 110 km jusqu'à l'altitude de début de freinage du LEM, soit 15 km. Le LEM n'ayant plus à le faire lui-même grignote un peu de capacités d'emport.  

      Pour envoyer le train en orbite lunaire, il a fallu l'arracher à l'orbite terrestre où la fusée l'avait mis en premier ; c'est-à-dire le faire passer en gros de 8 à 11 km/s et lui communiquer presque la vitesse de libération terrestre. On a vu que la masse du train est 45,5 tonnes, mais il faut ajouter à la masse accélérée celle de l' "intrument unit", cet anneau d'une masse de deux tonnes placé au-dessus du troisième étage et contenant les moyens de navigation de la fusée. Il faut ajouter surtout les 10 tonnes de masse à vide du troisième étage. Ces deux éléments sont séparés du train lunaire avant la manoeuvre de passage du LEM à l'avant de la capsule. La masse accélérée vers la lune est donc 45,5 + 2 + 10 = 57,5 tonnes.

      Le troisième étage contient 104 tonnes d'hydrogène/oxygène d'impulsion spécifique 421 secondes, ou vitesse d'éjection 4210 m/s. De ces 104 tonnes, 34 sont employées à terminer le mise en orbite terrestre et les 70 suivantes à lancer vers la lune. La masse accélérée vers la lune est alors au début : 57,5 + 70 = 127,5 tonnes. La formule logarithmique encore employée donne pour ces 70 tonnes de propergol un surcroît de vitesse de 3280 m/s, ce qui est cohérent avec l'effet recherché.

      Le troisième étage a commencé dans un premier temps à brûler 34 tonnes de propergol pour gagner les 3000 derniers kilomètres heures (800 m/s) manquant pour la mise en orbite terrestre : le second étage n'avait porté l'ensemble qu'à 25 000 des 28 000 km/h voulus. La masse du troisième étage avant allumage est 114 tonnes, en plus des 47,5 tonnes du train lunaire/anneau d'instrumentation. Ce total de 161,5 tonnes en début d'accélération descend de 34 tonnes, soit à 127,5 tonnes. La formule toujours identique donne un gain de vitesse possible de 3 580 km/h. Il faut noter que le troisième étage fonctionne quasiment à l'horizontale, et que son poids n'étant plus supporté par le moteur ne réduit plus (énormément) la force utile à accélérer.

      Le second étage lui aussi à hydrogène/oxygène fait passer le vaisseau de 10 000 à 25 000 km/h, soit un gain de 4100 m/s. Sa masse est 480 tonnes dont 444 tonnes de propergol. Là encore le temps d'accélération se fait sinon à l'horizontale, du moins sous une pente faible que nous ne prenons pas ici en considération, surtout d'ailleurs parce que divers paramètres complexes la rendent malaisée à déterminer précisément. L'ensemble fait donc avant allumage 161,5 + 480 = 641,5 tonnes, et 197,5 tonnes en fin de combustion. La formule donne une possibilité d'accélération de 4960 m/s.

      Le premier étage avec sa trajectoire a été étudié plus haut. Sa masse de 2300 tonnes comprend 2000 tonnes de pétrole et oxygène d'impulsion spécifique 258 secondes au décollage, davantage en altitude. Disons un mot encore de la tour de sauvetage. Cet appendice visible au décollage au-dessus de la capsule est une fusée à poudre de deux tonnes. Elle emporte en cas d'accident une masse de 8 tonnes (la capsule et elle-même) en donnant pendant 3,2 secondes une poussée (une traction ?) de 66 tonnes, réduite à 54 tonnes utiles du fait du braquage de 35 degrés de ses tuyères, car leur jet doit éviter la capsule. Le tout peut depuis le sol et sans vitesse initiale hisser la capsule à 1200 mètres pour lui laisser la possibilité d'ouvrir ses parachutes. On espère le pas de tir assez proche de l'océan, sans quoi, mal au dos !

     

     

    *

      

        

       

     

     

        

     

     

     

     

      

         

     

     

     

     

     

     

      

      

     

     

     


      
       

     

     

     


  •  

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  • REDDE CAESARI...

    .

      La rupture entre la Gauche et l'Eglise va de soi ; elle est comme naturelle ; tout radical à barbiche et lunettes d'acier à petits verres ovales vous le confirmera. Attelons-nous à présent par simple souci d'équilibre politique au rééquilibrage de la Calotte d'avec la Droite. 

    - Mon père, je m'accuse d'avoir aidé un immigré à pénétrer illégalement en France.
    - L'avez-vous racketté ?
    - Pas du tout ; j'ai agi par compassion pure.
    - Lui avez-vous fait croire qu'il serait aisément accepté ?
    - En aucune façon. Je ne lui ai dissimulé aucune difficulté, en particulier de nature judiciaire. Je lui ai expliqué qu'il risquait de s'entendre dire qu'on l'expulse non parce qu'il est étranger, mais parce qu'il est délinquant, ayant commis le délit d'être entré. C'est là un échantillon d'une forme réthorique nouvelle, à laquelle un nom grec fait encore défaut, et qui tient entre autres du sophisme, de la pétition de principe et de la lapalissade spécieuse. S'il trouve quelque chose à répliquer à ça !
    - Dans ces condition, mon fils, je ne vois pas que vous lui ayez fait un tort coupable...
    - Comment ! J'ai enfreint la loi votée démocratiquement par des parlementaires élus librement et régulièrement ! C'est d'évidence un péché, ou je ne sais plus mon catéchisme !  
    - Holà ! pas si vite ! Vous rendrez peut-être compte aux tribunaux d'une infraction à la loi, mais la morale n'y a rien à voir. Dieu n'a ni tracé les frontières ni fait défense à quiconque de voyager à son gré. Si nous nous calfeutrons derrière les limites de nore hexagone, c'est parce que nous n'avons pas la moindre idée de la façon dont notre revenu national pourrait bien financer la chirurgie cardiaque et la médecine cancérologique de six milliards d'individus. Il en résulte que nous nous taisons sous l'effet d'un sentiment d'impuissance, et moi le premier, lorsque notre gouvernement n'entreprend point de croisade alimentaire et sanitaire à travers le monde. Bref, on se cache faute de savoir quoi faire. Cela dit, soutenir à qui aura passé la frontière qu'il est très vilain de venir manger un pain qui n'existe pas chez lui... relève du surréalisme. Si la France ne veut pas appliquer la liberté reconnue à tout humain par l'acte fondateur de l'ONU de choisir sa nationalité, elle n'avait qu'à pas le signer ! Allez en paix ! In nomine...

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *


  •  

     

    Les requêtes faites sur moteur de recherche et dirigeant sur ce document sont très variées dans leur teneur. En conséquence, on peut se référer à la table des matières abondante qui suit quelques écrans plus bas.  

    Et n'oubliez pas de visiter la catégorie : "fictions sur l'aéronautique et l'espace"

     

      

    *

     

    Les sensations du pilote

    Le comportement de la machine

    La mécanique de son vol en fonction de sa morphologie

    en langage vernaculaire

    Et quelques autres considérations

    A l’intention des maquettistes

    Spotters, documentalistes,

    Et tous aérophiles ne pilotant pas eux-mêmes

     

    *

     

    Je dois avertir ceux qui liront ce livre, et qui ont quelque connoissance de la Physique, que je n’ai point du tout prétendu les instruire, mais seulement les divertir, en leur présentant d’une manière un peu plus agréable et un peu plus égayée, ce qu’ils sçavent déjà plus solidement ; et j’avertis ceux à qui ces matières sont nouvelles, que j’ai crû pouvoir les instruire et les divertir tout ensemble. Les premiers iront contre mon intention, s’ils cherchent ici de l’utilité ; et les seconds, s’ils n’y cherchent que de l’agrément.

     

    Fontenelle, préface à Entretiens sur la pluralité des mondes

     

    *

     

    AVERTISSEMENT

     

    Cet ouvrage ne saurait être en aucun cas regardé comme une source d’informations utiles au pilotage, quand bien même l’auteur explique ce qu’il fait lui-même en vol, ou ce que les autres font usuellement, voire inusuellement. L’auteur qui n’est pas instructeur de pilotage ne donne aucun conseil ; son lecteur s’il pilote ne se référera jamais dans sa pratique aux pages de ce livre, mais demandera conseil à un instructeur qualifié.

    En particulier diverses affirmations relèvent de la généralisation et/ou de la simplification, et ne sauraient s’appliquer au vol réel de tel ou tel avion.

    *

    Les chapitres 58 et 77 peuvent être regardés comme récréatifs, et lus indépendamment du reste du texte.

    *

    La discussion entre aérophiles montre souvent une chose étrange à celui d’entre eux qui est quelque peu technicien : le passionné moyen lit les fiches techniques et regarde les plans trois-vues sans être a priori capable d’en déduire l’ordre de grandeur des performances d’une machine, ni rien de son comportement en vol.

    Tout au plus l’aérophile fait-il des comparaisons simples. Il préfère souvent la science des insignes à celles de l’aérodynamique et de la mécanique ; l’auteur de cet ouvrage est lui-même pilote et créateur de trois monoplaces légers qui ont volé, si bien que les cocardes et autres blasons lui importent moins que la façon dont un avion glisse à travers les airs.

    « Qui utilise ces livres [le plus gros des ouvrages d’aviation, trop ignorants des fondements techniques et physiques ; note que nous ajoutons] est obligé de faire lui-même les calculs dans la marge ; cela […] amène inévitablement à penser que bien peu d’auteurs et d’aviateurs savent apprécier l’utilité d’un avion. 

    « Ces montagnes de détails fournissent rarement les charges alaires […] jamais le rapport charge/masse à vide. […]

    « Ceci soulève une question qu’il faut poser : les historiens de l’aviation souhaitent-ils comprendre la machine et rendre sa fonction intelligible, ou veulent-ils simplement ajouter leur contribution à un immense bavardage ? (c’est nous qui soulignons).

    (Richard K. Smith, traduit par Gonzague Gaudet dans le Fana de l’Aviation n°411)

     

    Tel éditorialiste de la presse aéronautique regrette à l’inverse la technicité selon lui abusive de trop de monographies courantes. Il prend l’exemple technique de la charge alaire pour dire qu’il est « bien triste » de voir une indication si peu passionnante être substituée à de plus utiles considérations, comme par exemple l’exposé par un pilote des réactions en vol de la machine.

    En vérité l’un ne va pas sans l’autre. Nous comparons plus loin le comportement de deux avions de masse identique et de mission similaire, l’Avro Vulcan et le Boeing B-47. La charge alaire de l’un est presque triple de celle de l’autre. Pourquoi le plafond du second est-il à peine la moitié de celui du premier ? Pourquoi le Zéro vire-t-il plus sec que ses adversaires ? Pourquoi le Bucaneer ou le TSR-2 filent-ils au ras du sol comme sur un rail, là où des machines prévues au départ pour la haute altitude s’y font durement secouer ? C’est affaire de charge alaire, tantôt faible, tantôt forte.

    Si des auteurs en viennent à juger leurs propres confrères malhabiles à comprendre et transmettre leur sujet valablement, ne faudrait-il pas disposer d’un ouvrage traitant de façon qualitative de la mécanique du vol et prédisant le comportement d’un avion selon ses caractéristiques ? d’un ouvrage qui mît l’aérophile moyen un peu au fait de ce qu’on peut sans trop risquer l’erreur grossière déduire du plan et des chiffres d’un avion ? Dans l’attente de l’ouvrage définitif qu’un aigle rédigera sur cet utile sujet, l’auteur propose avec ces pages un premier essai.

    L’auteur est pilote. Nous avons constaté souvent en discutant avec d’autres pilotes, que le seul fait de piloter ne donne pas suffisamment le sens intuitif du comportement de machines vraiment différentes de celles que l’on a eues entre ses mains. Les théories tenues par tel pilote sur ce que doit être aux commandes telle machine inconnue de lui, sont parfois surprenantes. Nous ne savons pas ce qu’à l’inverse le théoricien du vol qui n’a jamais quitté le sol peut pressentir du comportement d’un engin dont il connaît très bien sur papier les paramètres physiques. Le fait en revanche d’être pilote et de comprendre en quoi et pourquoi la morphologie d’un avion détermine son comportement, permet l’analyse intellectuelle et le pressenti correct de ce que fera la machine en vol. Le chapitre traitant de l’U-2 illustrera plus particulièrement ce point.

    Prenons un exemple pour suggérer ce que peut être un tel comportement. Nous volons en palier à pleins gaz. Nous réduisons alors le moteur à fond. Faisons l’expérience sur deux avions ayant le même fuselage et la même surface d’aile ; ils seraient semblables si l’un ne faisait six mètres d’envergure et l’autre quinze. En d’autres termes le premier possède une voilure bien trapue, et le second une aile de la forme en plan d’un réglet de métreur. Ayant réduit les gaz sur l’appareil à aile courtaude, nous constatons qu’il perd à grande allure sa vitesse comme un vélo en roue libre dans un chemin boueux. Puis il se met très vite en descente, en piquant presque comme s’il dévalait un escalier (nous forçons un peu le trait) ; il y est contraint, car en planant de façon moins raide il ne conserverait pas la vitesse nécessaire à ne pas décrocher (tomber en « perte de vitesse »). Réduisant à présent les gaz sur l’avion à aile très allongée, nous observons qu’il met au contraire beaucoup de temps et de distance à ralentir. Nous pouvons un long moment le maintenir en palier avant d’avoir à le placer en descente. Nous pouvons même pendant ce temps tirer un peu le manche et voir la machine capable encore de petits bonds vers le haut. Une fois ralenti peu au-dessus de sa vitesse minimale de vol, l’avion se met en glissade longue et lente vers le sol dont il survolera une grande étendue avant de frôler terre.

    Nous voudrions que l’aérophile fût un peu plus qu’un collectionneur de fiches diversement coloriées. Nous avons exclu de faire un cours progressif et rigoureux, mais choisi d’aborder le vol à bâtons rompus par courts sujets disparates. Il est quelquefois nécessaire d’avoir lu le ou les sujets précédents pour en comprendre un nouveau, mais fréquemment ce n’est pas indispensable.

    Nous avons souhaité donner du relief au texte en décrivant souvent les impressions du pilote en telles ou telles circonstances.

    Le technicien de la partie jugera que nous avons traité à des niveaux très inégaux les questions distinctes successivement abordées. Il n’aura pas tort : nous avons fait subjectivement le choix qui nous semblait le plus approprié au but recherché, et délibérément oublié foule d’éléments perçus par nous peu nécessaires.

    *

     

    TABLE DES MATIERES

     

    1 Généralités sur le comportement d’un avion-type

    2 L’air ; l’atmosphère standard ; table de densité selon l’altitude

    3 Avion surmotorisé, sous-motorisé

    4 Effets importants de la température sur les performances

    5 Démonstration pratique simple du principe de la sustentation

    6 Estimation de la vitesse minimum de sustentation ; description du décrochage

    7 Ensemble du domaine de vol en palier ; vitesses de finesse maximum et de puissance minimum ; écart de vitesse.

    8 Pourquoi la vitesse maximum n’augmente qu’à la racine cubique de la puissance disponible Comparaison du rendement de la propulsion par hélice et par réacteur

    9 Facteurs accroissant la vitesse maximum

    10 Finesse maximum et angle de plané ; cabré correspondant de l’avion

    11 Précisions sur la relation physique entre finesse et angle de plané

    12 Le rendement : soyez de la mince élite qui n’emploie pas ce mot à tort et à travers

    13 Comment accroître la finesse

    14 Calcul de l’allongement

    15 Une confusion regrettable dans l’usage du mot «finesse»

    16 Comment l’altitude décale et étend le domaine de vol ; la vitesse indiquée

    17 L’effet du vent sur les diverses performances

    18 Le plafond absolu ; comportement particulier de l’avion au plafond absolu 

    19 Exemples de la valeur de la finesse maximum pour diverses sortes d’avions

    20 Intérêt de la finesse maximum ; charge soulevable

    21 Ressource après piqué ; nombre de «g» pris ; facteur de charge

    22 Parabole en apesanteur

    23 Facteur de charge négatif

    24 Résistance de la structure ; facteurs de charge limite et extrême

    25 Restitution après ressource

    26 Physique de la montée en chandelle

    27 Le seuil de piste franchi en nette survitesse…

    28 «rappel au chapitre 28» : formule de la poussée

    29 Solide exposé sur la traînée induite et les vertus de l’allongement

    30 La puissance induite

    31 Relation entre allongement, finesse maximum et performances générales

    32 Relation empirique entre vitesse ascensionnelle et plafond

    33 L’effet de sol

    34 Physique du virage ; inclinaison et facteur de charge

    35 Le décrochage dynamique

    36 Puissance exigée en virage serré ; perte de vitesse, d’altitude

    37 Réduction des facteurs de charge possibles en altitude

    38 Effets moteur

    39 Centrage

    40 Fonction des empennages

    41 Approcher, atterrir

    42 Pourquoi passer au réacteur ?

    43 Equivalence entre poussée d’un réacteur et traction d’une hélice

    44 Pourquoi le Me 262 si rapide accélère-t-il si mollement ?

    45 Pourquoi n’y a-t-il pas de réacteur sur avion lent ?

    46 Les matériaux de structure : bois, métal, stratifié

    47 Analyse physique de la post-combustion et du double flux

    48 Une règle fondamentale à retenir

    49 Les phénomènes transsoniques

    50 Loi de montée en altitude de l’avion à réaction ; plafond de propulsion ; plafond aérodynamique

    51 Les avions à propulsion par fusée

    52 Notions sur la physiologie du vol sans visibilité

    53 Distance franchissable maximum de l’avion à hélice

    54 Pourquoi l’avion à réaction ne croise-t-il guère qu’en altitude élevée ?

    55 Distance franchissable de l’avion à réaction ; extrapolation ludique absurde

    56 La flèche variable

    57 Le vol supersonique

    58 Petit catalogue des inepties dans les fiches techniques de la littérature aéronautique

    59 Effets en vol du recul des armes

    60 Analyse d’une illusion

    61 Tableau des distances franchies en fonction de l’accélération au démarrage

    62 Lockheed U-2: analyse

    63 Curtiss-Wright Demon : le Zéro américain

    64 P-51 Mustang

    65 Les avions canard

    66 Les ailes volantes ; psychologie de leurs détracteurs

    67 Colomban Cri-Cri: analyse d’une démarche d’optimisation

    68 Tank 152H: comportement en haute altitude d’un chasseur « allongé » ; oxyde d’azote et injection d’eau

    69 Curtiss P-40 : de l’intérêt ou non du profil laminaire

    70 Avro Vulcan et Boeing B-47. Deux avions de même destination et de morphologies très différentes : différences de comportement en vol

    71 Mirage IV et Vigilante : des jumeaux hétérozygotes

    72 Blackburn Buccaneer : physique du soufflage

    73 Mirage IV : analyse du rôle du ravitaillement en vol

    74 Réflexions a posteriori sur les avions Leduc

    75 Fairchild A-10 : balistique des obus en uranium

    76 Les avions modernes et laids : réflexions sur la fadeur de l’optimisation moderniste

    77 Les joyeusetés du traducteur d’anglais aéronautique

    76 Récréation physico-mathématique (simple)

    77 Table d’équivalence des unités métriques et anglaises

    78 Quizz pas toujours facile

    *

     

    REMARQUE SUR LES UNITES

     

    L’auteur dès le lycée n’a pas appris d’autres unités que celles du système SI, et pourtant il les mélange un peu partout avec des unités anciennes incohérentes et prohibées.

    Les unités anciennes favorisent la compréhension intuitive. Un quidam comprend aisément ce qu’est une atmosphère (unité de pression) ou un kilogramme-force ; on sera moins bien venu de lui dire que des bouteilles de plongée sont chargées sous 20 mégapascals ; il reste préférable de parler de 200 atmosphères, d’où se déduit bien plus naturellement qu’elles enferment 200 fois leur volume en air détendu. On évitera aussi de dire au quidam que strictement parlant la charge alaire d’un avion s’exprime en pascals. Quant aux forces, constatons qu’exprimées en « kilos », elles sont immédiatement imagées par quiconque.

    Le poids et la masse feront dans ces pages l’objet d’un mélange indifférent aux censures de l’Université.

    L’auteur insiste sur le fait qu’il emploie délibérément des unités aujourd'hui illégales, par lui apprises postérieurement à celle du système SI. Les puristes y trouveront sujet à méditation ou à dédain.

    Enfin, nous emploierons quelquefois par souci de favoriser la compréhension intuitive, la notion fallacieuse de force centrifuge.

     

    1

     

    Nous tenons les commandes d’un chasseur de la Seconde Guerre mondiale volant en palier à très basse altitude. Le type n’en est pas spécifié ; c’est un générique représentatif de bon nombre de modèles. Son moteur donne en ce moment 750 chevaux et tire l’appareil à 400 km/h stabilisés. A pleins gaz il peut donner le double, 1500 chevaux.

    Le compte-tours indique 3000 t/mn, mais il les indique aussi à pleins gaz ou bien à puissance plus réduite encore que la moitié : l’hélice est non seulement à pas variable mais aussi « à vitesse constante ». Elle (et le moteur) tourne au même régime, qu’elle reçoive peu ou beaucoup de puissance. Elle fait simplement varier l’angle de calage de ses pales en faisant tourillonner leur pied dans le moyeu commun, selon le nombre de chevaux qu’elle doit absorber.

    Peu de chevaux ? La pale se braque peu, cherchant à présenter à l’air son profil le plus mince, celui qui de face offre le moins de résistance. Peu braquée, la pale est au petit pas. Beaucoup de chevaux ? la pale se braque fortement pour « ramer » du plus qu’elle peut dans la masse du fluide, y rencontrant par conséquent beaucoup de résistance. Elle peut la supporter puisque des chevaux nombreux sont alors derrière. Le fort angle sous lequel est ainsi braquée la pale est son grand pas(ceci est une schématisation).

    Pour ce qui est de faire varier la puissance du moteur sans changer sa vitesse de rotation n’a rien de paradoxal. Un moteur de voiture à cinq mille tours en côte donne toute sa puissance avec l’accélérateur à fond ; au même régime en descente le pied est presque relevé, l’admission des gaz presque close, les chevaux fournis peu nombreux.

    Le tableau de bord de notre chasseur possède un appareil appelé manomètre de pression d’admission. Le moteur n’est pas « atmosphérique », mais doté d’un compresseur qui le gave de mélange air/essence plus dense que l’air ordinaire. Le manomètre d’admission indique sous quelle pression le compresseur gave les cylindre.

    Admettons qu’à la mi-puissance où nous volons, le manomètre d’admission indique « zéro » et que l’avion soit anglais. Voyez tout cela sur votre simulateur guerrier préféré. « zéro » veut dire que le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif ; le moteur au niveau de la mer avale de l’air à pression ordinaire. Les Britanniques disent « zéro de boost » ou « zéro livres de boost » : le moteur n’est pas « boosté », ou est boosté de zéro ; on parle de zéro « livre » comme nous disons : « kilo de pression » pour signifier un bar ou une atmosphère.

    Quand nous disons : « le compresseur ne fournit aucune surpression à l’air fourni aux cylindres ; il est donc inactif », nous considérons que nous sommes au niveau de la mer. Si nous volions plus haut, là où la pression atmosphérique a baissé, lire au manomètre « zéro de boost » signifierait que l’air serait envoyé aux cylindres à la même pression que s’ils l’avalaient sans compresseur au niveau de la mer ; mais puisque la pression atmosphérique aurait baissé, il va de soi que malgré l’indication « zéro », le compresseur cette fois serait en action.

    Si le chasseur était allemand, le manomètre d’admission serait gradué en atmosphères : « ATA » lu sur le cadran. Au niveau de la mer dans les mêmes conditions, il indiquerait donc « 1 ». Un manomètre français afficherait « 100 » pour cent pièzes, puisqu’un hectopièze vaut 1 atmosphère (à 2% près ; l’hectopièze vaut en fait 1 bar). Un autre type de manomètre français pourrait aussi indiquer des millimètres de mercure, ici 760. Un manomètre étasunien indiquerait quant à lui « 30 », trente pouces de colonne de mercure, c’est-à-dire 76 cm et toujours 1 atmosphère.  

    A noter que sans le dire nous employons volontiers la notion de « boost » au sujet de nos pneumatiques. Un pneu gonflé « à deux kilos » est à deux kilos de surpression, et donc à trois kilos dans l’absolu puisque kilo de pression et atmosphère sont presque synonymes.

    Le moteur fournissant la moitié de sa puissance maximum de 1500 chevaux, donne 750 chevaux. Un moteur à 4 temps consomme par exemple 220 grammes d’essence par cheval et par heure : sa consommation spécifique vaut 220 g/ch/h s’il est à carburateur. L’injection fait descendre la consommation spécifique aux environs de 180 g/ch/h. 220 grammes font environ le tiers d’un litre, qui pèse 700 grammes ou un peu plus. Ainsi divisera-t-on par trois la puissance effectivement développée pour connaître en litres la consommation horaire. On diviserait par 2 seulement pour un vorace moteur à deux temps, mais par 4 pour un diesel économique.

    Notre avion donnant 750 chevaux brûle par conséquent 250 litres d’essence à l’heure. Il emporte 400 litres ; il volera 1,6 heure et franchira sans vent 640 kilomètres.

    Le pilote reste au niveau de la mer et donne tous les gaz. Le moteur fournit à présent 1500 chevaux. Le compte-tours n’a naturellement pas bougé, puisque l’hélice est à vitesse constante. Les pales de l’hélice se sont bornées à prendre un angle d’attaque plus fort, à augmenter leur pas. Ce pas plus fort fera avancer l’avion davantage à chaque tour d’hélice, et cet angle d’attaque plus fort subira de l’air ambiant une résistance au mouvement plus forte.

    Cette résistance accrue absorbera la puissance plus forte donnée par le moteur. Admettons que le manomètre d’admission ait sauté à « 14 » livres de boost s’il est anglais ou à « 60 » pouces de mercure s’il vient des Etats-Unis. Le compresseur est en pleine action ; il gave les cylindres sous le double de la pression atmosphérique du niveau de la mer. Dans un poids d’air doublé peut brûler un poids d’essence doublé. L’explosion est deux fois plus énergique, ce qui double la force qui repousse le piston. Le couple du moteur en est doublé. La puissance est alors doublée malgré la constance de l’indication du compte-tours et de la vitesse de rotation de l’hélice.

    Une atmosphère comme unité de pression vaut 30 pouces en mesures anglaises. 60 pouces de mercure font deux atmosphères. Le principe est plus complexe quand on parle de livres de boost. Un kilo de pression fait bien 2,2 livres (la livre pesant 454 grammes), mais le kilo de pression s’exprime par centimètre carré tandis que la livre de pression s’exprime par pouce carré. Un pouce carré fait 6,45 cm². La livre de boost vaut ainsi quelques 70 grammes par cm² (calculez) ; il en faut bien 14 pour former un « kilo de pression ».

    Un manomètre allemand de la guerre indique 1,4 atmosphère seulement à pleins gaz, car ces moteurs sont moins bons que leurs équivalents adverses. Le manomètre monte un peu plus avec l’emploi des dispositifs à méthanol (MW 50) ou oxyde d’azote (GM 1) qui ne sont en fait que des ersatz compliqués.

    Nous avons mis les pleins gaz ; la puissance passant de 750 à 1500 chevaux à donc doublé. Le pilote peut employer le doublement de puissance vers deux buts bien opposés :

    - voler plus vite en palier ;

    - voler à même allure mais grimper.

    Ou toute possibilité intermédiaire.

    Le pilote choisit de voler à pleins gaz en palier, toujours au niveau de la mer. La vitesse est bien loin de croître en fonction de la puissance fournie, puisqu’elle n’augmente en réalité queselon la racine cubique de la variation de puissance. La puissance a doublé ; la racine cubique de 2 est 1,26 ; la vitesse de pointe à zéro mètre d’altitude passe de 400 km/h à 400 x 1,26 = 504 km/h.

    La consommation horaire a doublé, passant à 500 litres ; l’autonomie ou temps de vol n’est plus que 0,8 heure et la distance franchissable 403 km. Refaites par vous-même tous les calculs.

    Le pilote avec tous les gaz choisit à présent de voler à 400 km/h toujours, mais cabre son avion pour employer les 750 nouveaux chevaux à lutter contre la pesanteur, en prenant de l’altitude. Que l’avion vole en oblique désormais ne change pas la résistance de l’air à son avancement s’il reste à la même vitesse (tant qu’il n’a pas atteint une altitude où l’air est plus ténu). Nous appellerons désormais cette résistance de son nom technique, la traînée. L’avion toujours à 400 km/h emploie donc encore 750 ch à vaincre sa traînée.

    Les 750 autres le font monter à un taux identique à celui que donnerait un treuil muni d’un moteur de 750 ch qui hisserait l’appareil à la verticale au moyen d’un câble. Or le cheval est défini comme la puissance d’un moteur hissant un poids de 75 kg à raison d’un mètre de hauteur à chaque seconde. L’avion pèse 3750 kg, ce qui fait 50 fois 75 kg. Il escalade donc le ciel au taux de : 750 chevaux/50 = 15 mètres par seconde. Cela fait 900 m/mn (mètres à la minute), ou 3000 ft/mn (pieds par minute) sur un variomètre anglo-saxon.

    Vous saviez déjà qu’un chasseur à hélice monte environ 1 kilomètre par minute.

    Note : le variomètre est l’instrument indiquant si l’avion monte ou descend, et à quel taux.

    Le pilote est à présent repassé en vol horizontal à 6000 mètres (20000 ft). Il conserve les pleins gaz et observe avec nous la suite des événements.

    Bien qu’il ait réduit les gaz pour ne plus lire sur le manomètre d’admission que la demi-puissance (30 pouces de mercure/0 livre de boost/1 atmosphère), il vole aussi vite qu’il volerait à pleins gaz au niveau de la mer : 504 km/h.

    En effet l’air à 6000 m est de densité moitié moindre qu’à 0 mètre. Moitié moins dense, il oppose moitié moins de traînée à la même vitesse. Il est donc naturel que l’avion vole à même allure de 504 km/h avec moitié moins de chevaux. Il consomme évidemment toujours la même chose au cheval par heure. Il ira plus loin qu’à basse altitude, s’il ne vole pas plus vite. Calculez la nouvelle distance franchissable.

    Il n’est cependant pas question de prétendre le compresseur inactif, sous prétexte que la pression d’admission est ici égale à la pression atmosphérique à 0 mètre : le compresseur comprime bel et bien par un facteur 2 l’air raréfié pris à 6000 m, afin de lui rendre la pression et la masse volumique du niveau de la mer.

    Remettons pleins gaz : la pression d’admission remonte à 2 atmosphères/60 pouces/14 livres de boost. Puisque la puissance est doublée, on sait déjà que la vitesse croîtra d’un facteur 1,26. La vitesse maximum à 6000 m atteint donc : 504 x 1,26 = 635 km/h. Notons de plus que le compresseur comprime ici son air d’un facteur quatre (de 1/2 à 2 atmosphères).

    Tous les nouveaux chasseurs à pistons reçurent un compresseur dans les années qui suivent la Première Guerre mondiale. La vitesse de pointe n’augmente en revanche pas dans le cas d’un moteur de chasseur SPAD ou d’avion de tourisme ; l’un et l’autre sont dépourvus de compresseur : leur moteur perd en altitude sa puissance approximativement au rythme où la résistance de l’air se fait plus ténue.

    Le terme de « vitesse ascensionnelle » définit toujours le taux de montée de tant de mètres par seconde, ou tant de pieds par minute. La vitesse ascensionnelle n’est jamais définie comme la vitesse de l’avion sur sa trajectoire tandis qu’il monte.

    Continuons à monter au-delà de 6000 mètres. Nous observons enfin une baisse progressive de la pression d’admission. Dans un air trop ténu le compresseur finit par ne plus pouvoir maintenir à l’admission 2 kilos de pression. Vous le constatez sur un simulateur. Le compresseur consent encore à 6000 m à maintenir 2 kilos à l’admission ; très souvent cette altitude est à peu près la plus élevée où il y parvient encore.

    Cette règle fréquemment observée n’a certes rien d’intangible ; certains moteurs conservent leur pression d’admission et leur puissance beaucoup plus haut.

    Montons encore : le compresseur ne se montre plus aussi efficace ; la puissance motrice commence à diminuer progressivement avec l’altitude. La vitesse maximum diminue lentement d’abord, puis plus rapidement à l’approche du plafond de l’avion.

    Le compresseur au niveau de la mer fournit une certaine pression à l’admission, garantissant donc au moteur une certaine puissance maximum. Il parvient à maintenir cette pression d’admission et cette puissance maximum jusqu’à une certaine altitude seulement ; cette altitude est l’altitude de rétablissement. La vitesse maximum est donc atteinte à l’altitude de rétablissement. Plus haut, elle diminue.

    La perte progressive de puissance entraînera une perte progressive de vitesse ascensionnelle. Celle-ci finira par valoir zéro lorsque le moteur ne donnera plus que la puissance juste nécessaire à rester en palier ; l’avion sera à son plafond absolu. Atteindre le plafond absolu est laborieux et ne sert qu’à établir un record. Le plafond pratiqueest défini comme l’altitude un peu moindre où la vitesse ascensionnelle n’est plus que de 0,5 m/s.

    On peut demander pourquoi on n’employait pas le rapport de compression possible de 4 pour obtenir à cylindrée égale 3000 chevaux au niveau de la mer, plutôt que 1500 chevaux pour un rapport de compression de 2. La réponse tient à la chimie : les essences même du plus haut degré d’octane ne peuvent sans détoner faire tourner un moteur très au-delà de 2 kilos à l’admission.

    Un chasseur comme le P-47D ou le P-51B présente une altitude de rétablissement de 9000 mètres au lieu de 6000. On en déduit qu’ils tendent dans cet air encore plus rare à se montrer d’autant plus rapides, à comparaison faite de l’ensemble des autres données.

    L’hélice en mathématiques est la courbe en trois dimensions dont un ressort à boudin ou l’arête d’un filet de vis donnent l’image matérielle. La profondeur dont s’enfonce la vis en un tour, ou bien l’écart entre deux tours de fil du ressort, est son pas.

    La surface enroulée par laquelle une voiture descend les niveaux d’un parc souterrain est plus qu’une hélice au sens mathématique, puisqu’elle est surface hélicoïdale entière au lieu de simple ligne. Les dessins d’hélicoptère de Léonard de Vinci montrent une telle hélice, ou plutôt une telle surface hélicoïdale entière. Une hélice d’avion est une surface hélicoïdale dont on a retiré les neuf dixièmes, ne laissant que deux ou trois pales qui sont à la surface hélicoïdale entière ce que sont deux ou trois marches à l’ensemble d’un escalier à vis (à ceci près que les pales d’hélice sont fixées dans le même plan, et inclinées).

    Cependant l’hélice d’avion n’est pas une tôle plane ; un coup de scie tranchant perpendiculairement une pale nous montrerait un profil souvent identique à celui d’une aile : la pale est une petite aile qui dans son mouvement de rotation produit une sustentation. La chose est évidente sur le rotor d’un hélicoptère stationnaire. Pivotée de 90° pour devenir horizontale dans le cas de l’hélice d’avion, la sustentation agit comme une traction.

    L’hélice « peu coûteuse » d’un avion de tourisme de base est d’un seul morceau ; elle est à pas fixe. L’hélice d’un avion plus élaboré a ses pales articulées de manière à pouvoir tourillonner sur le moyeu ; elle est à pas variable. Une analogie passable peut se faire avec le vélo à pignon unique (pas fixe) ou à plusieurs vitesses (pas variable). Le résultat est le même : l’avion à hélice à pas fixe accélère moins bien au démarrage et grimpe moins bien qu’avec une hélice à pas variable. On choisit le pas d’une hélice à pas fixe en consentant un compromis. Pour un avion remorqueur de planeurs ou un avion de montagne décollant court et grimpant sec, on choisit un pas court (braquet court) qui ne permettra pas d’atteindre de très hautes allures. On choisit pour un rapide avion de course un pas élevé, qui en contrepartie rendra poussifs le départ et la montée. La machine à tout faire d’aéro-club adopte un pas moyen.

    Note : dire soit que l’hélice tracte par sustentation sur ses pales, soit par effet de réaction vers l’avant de l’air qu’elle refoule en arrière, sont deux points de vue aussi vrais l’un que l’autre. Ce sont deux façons de regarder le même phénomène. On verra d’ailleurs plus loin comment l’aile d’un avion se sustente précisément en refoulant vers le bas l’air qu’elle traverse.

     

    2

     

      Parlons de ce fluide où évolue l’avion. L’air est 800 fois moins dense que l’eau : Archimède contraint les ballons dirigeables à être 800 fois plus volumineux que les sous-marins, leurs homologues dans un autre fluide. On observe pourtant qu’en dépit de cette ténuité de l’air, il n’est pas nécessaire à l’avion pour être porté de voler 800 fois plus vite qu’un skieur nautique n’avance à la surface : les phénomènes de sustentation et de résistance à l’avancement croissent ou décroissent non comme la vitesse, mais comme son carré. 800 est le carré de 28 : se sustenter dans l’air n’exige ainsi que d’aller 28 fois plus vite qu’en ski nautique. Nous parlons ici d’un avion dont chaque mètre carré d’aile porterait le poids considérable que porte chaque mètre carré de ski ; ce n’est visiblement pas le cas d’un léger deltaplane qui soutient la même charge – un homme – avec des dizaines de fois plus de surface.

    L’air devient un point d’appui fort solide quand on prend un peu de vitesse ; on s’en rend(ait) compte en passant le bras par la fenêtre en chemin de fer. Il n’est guère d’avion si « fer à repasser » qui ne puisse décoller à 300 km/h.

    Un mètre cube d’air au niveau de la mer, à la température de 15 degrés Celsius et sous une pression de 760 mm de mercure (1 atmosphère) pèse 1,226 kilogramme. L’atmosphère standard est celle qui répond à ces critères ; les performances des appareils sont données en principe en atmosphère standard et dénommées : « performances ISA », pour International Standard Atmosphere. Elles changent à altitude même constante s’il fait notablement plus chaud ou plus froid.

    La pression atmosphérique diminue avec l’altitude puisqu’il reste alors moins de poids d’air au-dessus pour peser sur ce qui est dessous. La pression est divisée par 2 à 5 500 mètres, et la baisse suit une loi exponentielle : cela veut simplement dire que la pression sera (à peu près) divisée encore par 2 à chaque nouvelle tranche de 5 500 mètres. La pression de 1 atmosphère à zéro mètre sera d’environ 0,5 atm à 5500 m, 0,25 à 11000 m, 0,125 à 16500 m…

    La pression cependant ne signifie rien en soi puisqu’un même volume de gaz à la même pression est moins dense quand le gaz est chaud ; il contient moins de matière que s’il est froid ; or le poids d’oxygène avalé par un coup de piston dépend non de la pression de l’air mais de sa densité. D’autre part la sustentation des ailes ne dépend pas de la pression de l’air mais de son caractère plus ou moins substantiel : de sa densité.

    Or la température baisse avec l’altitude, décroissant de 0,65 degré par tranche de 100 mètres. Elle continue ainsi à baisser jusqu’à 11000 mètres, où elle est tombée à -56,5° s’il faisait au sol les 15° ISA (vérifiez). Ce froid considérable suffit à contracter les gaz dans la proportion de 25%. On peut ici relire son livre de physique du lycée. L’air glacé à 11000 mètres est d’un quart plus dense que le chiffre de la seule pression laisserait croire. Les performances des moteurs et la portance des ailes n’ont donc pas baissé autant que le chiffre de la seule pression pourrait laisser supposer.

    Le refroidissement de l’air avec l’altitude combat donc en partie la baisse de pression. A 5500 mètres la pression n’est plus que la moitié de sa valeur du niveau de la mer ; mais c’est à 6500 m que densité de l’air et puissance des moteurs sans compresseur sont divisées par deux.

    La température demeure constante au-dessus de 11000 mètres et jusqu’à 20000 mètres. La plupart des questions d’aviation s’en suffisent donc. L’altitude 11000 m est la tropopause ;lastratosphère s’étend au-dessus, tandis que notre basse atmosphère est la troposphère. Puisque la température ne varie plus au-dessus de la tropopause, pression et densité au-delà baissent désormais de pair sans qu’une baisse nouvelle de température combatte les effets de la baisse de pression. On ne sera donc pas étonné que la tropopause ait quelque chose à voir avec la vitesse de pointe de beaucoup d’avions à réaction capables de plafonner plus haut encore ; ni que cette vitesse maximum n’évolue plus guère au-dessus ; ni que les fiches techniques annoncent précisément souvent leur vitesse maximum comme constatée à 11000 mètres.

     

    Altitude / densité relative / pression relative  :

     

    niveau de la mer :   dr = 1,00 / pr = 1,00

    2 km / 0,82 / 0,78

    4 km / 0,67 / 0,61

    6 km / 0,54 / 0,47

    8 km / 0,43 / 0,35

    10 km / 0,34 / 0,26

    12 km / 0,25 / 0,19

    14 km / 0,185 / 0,14

    16 km / 0,135 / 0,10

    18 km / 0,10 / 0,075

    20 km / 0,07 / 0,055

     

     

    3

     

     

    Prenons les commandes d’un petit avion de plaisance comme le monoplace Bébé Jodel, ou type D-9. « D » est l’initiale de son concepteur Jean Delemontez qui le fit voler en 1948. Un tel engin pèse environ 180 kilos à vide, dont près de la moitié pour le pesant moteur Volkswagen récupéré sur une Coccinelle. C’est un moteur de quatre cylindres à plat refroidi par air, installé sur bien des avionnettes. On l’a employé depuis sa version la plus ancienne de 1100 cm3 qui donne moins de 25 chevaux, jusqu’à des blocs dotés d’éléments additionnels pour la compétition. Il est fréquent de rencontrer la version de 1600 cm3 donnant une grosse quarantaine de chevaux dans son adaptation aérienne.

     

    80 kg de métal pour moins de 25 chevaux font en aviation un très mauvais rapport poids/puissance. Un pareil aéroplane vole parce que le concepteur rattrape les choses en faisant une aile assez grande pour que chacun de ses mètres carrés ait très peu à porter, à peine plus de trente kilos. La charge alairede cet avion avoisine 30 kg/m². Ainsi l’ingénieur dispose-t-il de deux paramètres de base pour soulever de terre un certain poids. Il peut faire avec une aile très étendue un avion « feuille dans le vent » de faible charge alaire qui ne demande qu’à rester en l’air sous la traction d’un moteur même faible. Il peut aussi dessiner un appareil « fer à repasser » de forte charge alaire, qui ne demanderait qu’à rejoindre le sol au plus vite s’il n’était gréé d’un moteur très puissant.

     

    Mettons les gaz du Volkswagen 1100 de 25 chevaux. L’avion roule et prend de la vitesse gentiment, sans la moindre vivacité. Il atteint les 70 ou 80 km/h nécessaires à l’envol ; le pilote tire fort légèrement le manche, pour ne pas cabrer l’avion au-delà de ce que l’hélice tirant peu est capable de maintenir en montée.

     

    Il n’est naturellement pas question de grimper à la vitesse à laquelle on a quitté le sol ; ce serait voler trop près de la vitesse minimum qui soutient encore l’avion ; un rien le feraitdécrocher et choir. On démontre d’autre part que juste au ras de la vitesse minimum de vol, l’avion gaspille ses chevaux en « ramant », si nous osons dire. On peut faire l’analogie avec le ski nautique encore embourbé dans l’eau à vitesse très faible. Il faut accélérer pour gagner un peu de vitesse, gagnant en sécurité, « ramant » moins et dégageant ainsi en faveur de la montée quelques chevaux trop rares sur ce moteur.

     

    Il est bien certain que s’il accélérait encore plus il ne monterait cette fois plus du tout, car le pilote devrait baisser le nez pour obtenir la poursuite de l’accélération ; d’autre part le nombre de chevaux requis pour contrer la traînée remonterait évidemment après avoir baissé d’abord un peu.

     

    Les roues hors du sol, le pilote a d’abord l’impression qu’il est contraint de choisir entre continuer d’accélérer – mollement – ou bien s’éloigner de terre, mais non les deux à la fois. Cette contrainte est bien réelle ; il faut choisir entre accélérer et monter ; il importe par sécurité de laisser un moment l’avion gagner fort progressivement un peu de vitesse en palier près de l’herbe.

     

    Prendre une vingtaine de km/h de plus que la vitesse d’envol suffit à réduire notablement l’angle de cabré qu’a besoin de faire le plan de l’aile avec l’horizontale pour donner une sustentation égale au poids de la machine. L’avion très sensiblement cabré au moment de l’envol, voit alors avec un peu plus de vitesse redescendre son nez presque sur l’horizon. Rappelons qu’il reste en palier près du sol pendant ce temps de modeste accélération.

     

    Seconde phase : le pilote vers 100 km/h tire de nouveau le manche avec douceur pour cabrer une seconde fois le nez en agissant très modérément ; il maintient sa légère traction pour demeurer ainsi. Ce cabré en vérité ne dépasse pas un nombre modeste de degrés ; à peine le capot du moteur déborde-t-il par-dessus l’horizon. L’avion ralentirait si l’on voulait cabrer davantage. A peine le variomètre indique-t-il une montée de 2 petits mètres par seconde, une centaine de mètres par minute. L’altimètre tourne laborieusement ; il s’y faut prendre d’assez loin pour passer une colline. L’altitude souhaitée une fois atteinte, repoussons le manche en avant pour abaisser le nez à peu près sur l’horizon et faire cesser la montée. La puissance jusque là consommée pour contrer la pesanteur devient disponible pour accélérer. De 100 km/h la vitesse grimpe à 115. C’est peu de gain car la traînée croît vite, au carré de la vitesse ; tandis que la puissance nécessaire à combattre cette traînée croît plus vite encore, au cube de la vitesse.

     

    Ainsi 3% de puissance en plus ne font-ils voler plus vite que de 1%.

     

    L’avion dorénavant volette en palier. Les éventuelles turbulences le secouent en lui donnant chacune un petit coup de frein. Le pilote a l’impression de tenir une machine légèrement cabrée qui cherche laborieusement son appui sur l’air ; tout lui est prétexte à perdre quelques mètres de hauteur, difficiles à regagner ; encore ne les regagne-t-il qu’au prix d’une chute momentanée de la vitesse à 105, 100 km/h. L’avion semble mou, las, prêt à s’agenouiller face aux éléments. Un virage un peu serré, balancé sur la tranche, le ferait d’évidence s’enfoncer de dizaines de mètres. Avec ses 25 petits chevaux pour plus de 250 kg, il est visiblement sous-motorisé.

     

    Posons-nous pour aller prendre le manche du même avion tiré cette fois par la version de 1600 cm3 et 50 chevaux du même bloc moteur.

     

    L’accélération dès la mise des gaz est franche et presque sportive. L’avion quitte le sol à en prenant son pilote de court. Point n’est besoin de palier après décollage : l’appareil prend une franche assiette de montée tout en accélérant encore. Le moteur dissimule largement l’horizon. L’avion n’en atteint pas moins en un clin d’œil les 100 km/h où il monte le mieux. Cette vitesse atteinte en deux ou trois secondes de vol, le pilote cabre un peu plus encore pour la conserver en l’empêchant de croître davantage. L’avion emploiera mieux ses chevaux à vaincre la pesanteur plutôt que la traînée des vitesses plus élevées. Le siège du pilote est sensiblement incliné vers l’arrière. La vitesse ascensionnelle est de 4 gros mètres par seconde. La hauteur de croisière désirée est atteinte en fort peu de temps. Le pilote pour se placer en palier repousse le manche franchement, tout en réduisant déjà les gaz pour ménager ses oreilles. La vitesse grimpe rapidement à 145, 150 km/h. A cette allure l’air supporte si facilement une voilure peu chargée (35 ou 40 kg au mètre carré) qu’aucun cabré visible n’est plus nécessaire. Le pilote pousse le manche non seulement pour que le nez descende sur l’horizon, mais encore pour qu’il semble piquer de deux ou trois degrés. Malgré cela, les vol reste en palier : l’aile est toujours boulonnée de quelques degrés en cabré sur le fuselage, et « rase » l’air à la façon du ski nautique pratiquement à plat sur l’eau à grande vitesse ; les quelques degrés de boulonnage cabré de l’aile sur le fuselage expliquent alors que le nez semble très discrètement piquer bien que l’avion soit en palier. Le nez aussi bas, le paysage devant le pare-brise est bien dégagé. Le pilote qui ne surveille pas constamment l’altitude la voit croître constamment, puisque l’appareil à son insu force vers le haut dès que son cocher relâche un peu sa pression vers l’avant sur le manche (1). Les éventuelles turbulences ne se bornent plus à remuer l’avion ; elles lui flanquent de secs et imprévisibles coups de tabac, mais n’affectent guère sa détermination à foncer ainsi, rageur, nez bas, toujours prêt à s’échapper vers le haut si on oublie de lui bourrer fermement le nez à piquer. L’avion n’est pas sur-motorisé ; un avion ne l’est jamais, pas plus qu’une moto ! Disons qu’il se comporte en avion. Il vit, vibre, bourdonne en frémissant de joie sous la main du bienheureux aux commandes. Beaucoup d’appareils placides pour le vol dominical du pilote d’aéro-club sont à mi-chemin entre les deux comportements que nous avons dépeints.

     

    (1) dans le cas, fréquent sur cette catégorie de tout petits avions, où l’appareil n’est pas doté d’un compensateur de profondeur.

     

     

    4

     

     

    Mettons en route le moteur de 115 chevaux du Petit Prince de l’aéro-club, un excellent avion à train tricycle de la famille Jodel. Sa motorisation modeste propulse néanmoins en croisière à 205 km/h au niveau de la mer cet engin très aérodynamique, capable d’emmener deux adultes et deux enfants. Le temps est doux, entre 15 et 18 degrés. Avec deux personnes de corpulence moyenne à bord il grimpe assez franchement aux alentours de 3,5 m/s, fonction du poids de l’essence restante. Il est raisonnablement vif, sans rien de spectaculaire.

     

    La canicule est venue ; il fait 35 degrés. Mettons les gaz en début de piste : l’accélération se fait immédiatement remarquer par sa tempérance, comme si le moteur avait égaré une bonne quinzaine de chevaux. Le compte-tours cependant est au régime habituel, ou presque, quoique l’hélice ne soit pas d’un type à vitesse constante. Les repères que nous avons l’habitude de remarquer par notre travers ou peints sur la piste au moment que nous la quittons, sont passés déjà sans que nous ayons décollé. L’avion ne daigne se soulever qu’une centaine de mètres plus loin. Il n’a rien de son entrain coutumier ; il hésite entre prendre un peu de vitesse en l’air ou grimper. Nous l’asseyons sur une pente cabrée sensiblement plus faible que les autres jours ; il monte à 2,5 m/s en refusant tout effort supplémentaire. Lorsque fatigués de lui demander ce qu’il ne donne plus, nous le plaçons en palier, le badin nous indique 195 km/h plutôt que les 205 attendus.

     

    Six mois plus tard il gèle à pierre fendre. Nous mettons les gaz au sol dans les mêmes conditions. Le Petit Prince s’élance en avant comme ferait par temps doux son frère aîné de 160 chevaux, le Chevalier. Ce n’est pas qu’il ait pris 45 chevaux de mieux ; il en a tout au plus gagné dix ou quinze ; mais étant moins rapide en croisière, il est équipé d’une hélice à pas plus court qui sous puissance égale tire plus fort au démarrage. Il s’envole aussi court que s’il voulait s’échapper d’un porte-avions, puis en un instant gagne sa vitesse de montée tout en affichant 4,5 m/s ascensionnels. Mis en palier, il affiche 215 km/h et surprend par une nervosité qu’on ne connaissait à l’automne qu’à ses frères plus puissants. Que s’est-il passé ?

     

    L’air comme tous les gaz est dilatable ; chaque degré de variation vers le haut du thermomètre dilate l’air dans la proportion de 1/273ème. Un air plus chaud de vingt degrés se dilate ainsi d’environ 7%. Chaque descente de piston remplit le cylindre du même volume d’air, mais d’une densité moindre de 7%. Le même cylindre ne contient alors plus qu’un moindre poids d’oxygène, lequel ne brûle plus qu’une moindre quantité d’essence. L’explosion est plus faible et le couple est réduit en proportion. Le régime du moteur demeure à peu près inchangé ; la puissance baisse donc en proportion de la baisse du couple. Le régime est demeuré inchangé parce que l’air moins dense dans lequel tourne l’hélice à pas fixe la freine moins, si bien qu’il y a à peu près compensation.

     

    A cela s’ajoute en air moins dense une moindre portance sur l’aile : l’envol exigera cinq ou six km/h de plus par la chaleur que par le temps doux. La traction moindre de l’hélice accroîtra encore la distance nécessaire à l’atteinte de cette nouvelle vitesse de décollage, ennui que verra sans mal le pilote le moins averti. Ajoutant à cela la faible vitesse de montée après envol, la colline ou le rideau d’arbres même éloignés du bout de la piste paraîtront subitement présenter un obstacle dont on n’avait pas l’habitude.

     

    Le grand froid produit évidemment la contraction de l’air, avec des effets exactement inverses. L’été fait d’un avion moyen un veau poussif que l’hiver suivant changera en lion. L’envol depuis une piste en altitude et donc en air beaucoup plus ténu, aura sur l’avion l’effet d’un été tropical malgré le froid des hauteurs.

     

    A noter que la vitesse réelle en croisière l’été ou l’hiver est à peu près la même : l’air plus ou moins dense s’oppose plus ou moins à la vitesse, ce qui compense à peu près la puissance du moteur accrue ou diminuée. Pourtant, nous avons vu que la vitesse au cadran change sensiblement. C’est que instrument, l’anémomètre, mesure en réalité la pression dynamique de l’air : la petite surpression que la vitesse fait exercer à l’air sur les objets qui le traversent. La pression dynamique de l’air chaud moins dense est plus faible à vitesse réelle égale que celle de l’air froid plus dense. L’anémomètre à même vitesse réelle indique moins en air chaud qu’en air froid.

     

    Cet anémomètre, ou badin, du nom de son inventeur, ne donne la vitesse réelle que par 76 cm de mercure et 15°C. Il semble ainsi bien médiocre. Nous verrons plus loin pourquoi cette apparente médiocrité est au contraire une précieuse caractéristique.

     

    Note : les mots « anémomètre » et « badin » s’emploient indifféremment pour désigner l’instrument. « badin » possède en revanche un autre sens : il est synonyme commode de « vitesse indiquée ». On parlera d’un « badin trop fort » si le pilote d’un Jodel prétend passer à l’atterrissage le seuil de la piste à 200 km/h ; ou bien encore d’un dangereux « badin dans le coma », si faible que l’aiguille ne dépasse pas les premières graduations.

     

    5

     

    Une expérience simple surprend généralement ceux qui ne la connaissent pas : on tient aussi légèrement que possible entre pouce et index l'extrémité de la queue d'une cuiller qu'on laisse pendre tête en bas ; on approche doucement le dos bombé de la cuiller jusqu'à le faire tangenter un jet d'eau vertical issu d'un robinet. Sitôt le contact, le dos de la cuiller n'est pas du tout repoussé par le jet, mais au contraire vivement aspiré. Depuis le bout de sa queue toujours tenu par les doigts et le jet d'eau dans lequel son autre extrémité reste captive, la cuiller peut faire alors un angle important avec la verticale.

    Faites l'essai. Vous observez alors autre chose : l'eau qui colle au dos de la cuiller ne retombe pas ensuite dans l'évier à la verticale dans le prolongement du jet une fois la cuiller dépassée. Au contraire, cette eau colle si bien à la courbure du dos qu'elle conserve après la cuiller une déviation bien dirigée par la forme de la cuiller vue de profil. Le jet étant de la sorte dévié de la verticale avec une composante latérale de vitesse, doit créer par réaction une force horizontale appliquée à la cuiller : la force qui précisément l'aspire au sein de l'eau.

    Si le jet était horizontal et la cuiller approchée par dessous, l'analogie avec une aile serait d'autant plus frappante : la cuiller vue de côté est un profil d'aile bombé par-dessus comme le sont les profils d'aile ; il se produit une vive interaction entre lui et le fluide en mouvement ; on observe une aspiration franche du bombé vers le haut ; on observe un rejet, une déflexion du fluide vers le bas. On semble tenir là une explication de la portance d'une aile.

    Mais au fait : l'aile est-elle sustentée par l'aspiration visible ou par l'effet de réaction non moins visible dû au fluide défléchi vers le bas ?

    On explique généralement en aéro-club que c'est par l'aspiration, par une dépression que la mécanique des fluides prédit quand un fluide en mouvement lèche une surface courbe. Or il se trouve que sous l'aile, souvent cabrée d'un tout petit angle, l'air vient en quelque sorte buter et rebondir vers le bas ; il s'ensuit surpression sous l'aile et déflexion du fluide aussi. La déflexion est de quelques degrés. Surpression et dépression s'ajoutent sur et sous l'aile, créant une portance qu'on peut attribuer tant à la surpression/dépression qu'à la déflexion. Il n'y a aucune concurrence entre les deux, qui sont simplement deux manifestations équivalente d'un même phénomène.

    Il est toutefois plus simple d'expliquer (en mesurant par des manomètres dépression et surpression) en chiffres la portance : imaginons 10 grammes par centimètre carré de dépression sur l'extrados et 3 g/cm² de surpression sous l'intrados ; c'est un total de portance de 13 g/cm² ou 130 kg par mètre carré ; c'est ce que porte chaque m² d'une aile de bimoteur à hélices.

    Deux remarques :   1) La dépression d'extrados n'est certes pas égale sur toute la surface entre l'avant et l'arrière de l'aile ; nous prenons une moyenne ; la dépression est à son maximum vers le quart avant de l'aile, là où elle est à son plus bombé.     2)   10 et 3 ne sont pas des valeurs arbitraires ; il existe en effet un rapport moyen usuel de 3 entre dépression d'extrados et surpression d'intrados. Ainsi aime-t-on dire que l'avion est suspendu et non pas soutenu. C'est bien entendu une illusion : une dépression n'aspire rien (le vide ne travaille pas) ; c'est la surpression dessous qui a d'autant plus d'effet de support qu'on "allège" le "poids" de l'air par-dessus ; en fin de compte l'avion est bien "soutenu".

    Il est beaucoup plus compliqué d'expliquer numériquement la portance si l'on choisit de le faire en chiffrant l'effet de réaction de la masse d'air défléchie vers le bas. On considère qu'est défléchi tout l'air passant sur et sous l'aile dans un disque vertical dont l'envergure de l'avion représente le diamètre ; est ainsi défléchi un air pouvant être très éloigné de l'aile et sans vrai contact avec elle. Cependant, l'ai passant près de l'aile est le plus défléchi, tandis que la déflexion se réduit progressivement avec la distance à l'aile, produisant d'autant moins d'effet de réaction. Chiffrer le total pour évaluer la portance fournie est complexe.

    Un constructeur amateur avait fait un avion de voltige dont le revêtement de contreplaqué de l’extrados était collé sur moins d’appuis que prévu sur les plans. A l’occasion d’une séance de voltige, la dépression arracha purement et simplement le revêtement. La suite n’est que trop évidente. Sur un avion de bois entoilé, on distingue très bien comment la toile d’extrados est gonflée par la succion entre deux nervures, là où en arrière du longeron principal elle ne porte sur aucun support.

    Apportons une importante précision : le mécanisme qui fait coller le jet d'eau au dos de la cuiller n'est pas celui qui aspire l'extrados d'une aile. Nous l'avons présenté pour l'intérêt pédagogique dans la similitude de l'apparence et des effets.


    6

     

    A quelle vitesse l’avion doit-il au moins voler pour être sustenté par ses ailes ? Cette vitesse minimum de sustentation est appelée aussi vitesse de décrochage : l’avion ralentissant à cette vitesse « décroche », quitte son vol et choit (souvent) en faisant une brusque abattée. Certains avions sont réticents à l’abattée, se bornant à s’enfoncer mollement sans décrocher mais sans plus ralentir non plus.

    On a vu comment la portance naît de la déflexion de la masse d’air par le profil de l’aile. Cette déflexion est d’autant plus forte que l’angle d’incidence est grand, mais cet angle ne dépasse pas une certaine valeur au-delà de laquelle l’air cesse de se plier à la volonté de l’aile : il se décolle de son extrados, ne se laisse plus défléchir et ne porte plus. Cet angle varie selon le type de profil. Il est souvent de l’ordre d’une quinzaine de degrés.

    A cet angle, ou incidence de décrochage, on retiendra qu’une aile de profil banal donne au niveau de la mer une portance de l’ordre de 9 kilogrammes par mètre carré en volant à 10 mètres/seconde ou 36 km/h. Un profil mince de chasseur à réaction donne moins.

    Atteinte au plus grand angle de cabré possible, cet chiffre est une portance bien entendu maximum.

    De cette valeur numérique, on déduit toutes les autres en appliquant la règle du carré : l’aile qui vole deux fois plus vite porte non pas deux, mais quatre fois plus. Ainsi l’aile donne-t-elle 36 kg de portance par mètre carré à 72 km/h, 81 kg à 108 km/h, etc.

    Cette évolution au carré est aisée à comprendre. L’aile volant deux fois plus vite attaque deux fois plus de masse d’air, qu’elle défléchit deux fois plus vite : ainsi la portance croît-elle 2 fois 2 fois.

    A quelle vitesse décroche un chasseur de 3750 kg disposant de 24 m² de voilure ?

    Commençons par calculer sa charge alaire, poids supporté par chaque m² d’aile : 3750/24 = 156 kg/m²

    En 156 vont 17,3 fois 9 ; la vitesse de décrochage est 36 km/h multipliés par racine carrée de 17,3 c’est-à-dire 4,16. Le chasseur décroche (ou ne peut décoller à moins de) à 36 x 4,16 = 150 km/h ou 40 m/s.

    Nous n’avons ici parlé que de la vitesse de décrochage d’une aile dont les éventuels dispositifs hypersustentateurs sont escamotés ou absents : volets de courbure, becs de bord d’attaque. Leur déploiement accroît la portance à incidence et vitesse égale, réduisant ainsi la vitesse de décrochage, la vitesse d’envol et surtout d’atterrissage.

    Comment se passe un décrochage ?

    Le pilote a réduit à fond les gaz et lentement tire à lui le manche pour cabrer progressivement, ralentissant à quelques km/h au-dessus de la vitesse de décrochage. Supposons-là de 90 km/h. Il s’agit pour ce chiffre d’un avion de tourisme ; continuons avec des chiffres valables pour cette sorte d’appareils. L’avion qui n’a pas encore décroché s’enfonce alors sans moteur à raison de trois ou quatre mètres par seconde, le nez restant plus ou moins cabré sur l’horizon. Son centre de gravité suit ainsi aux alentours de 100 km/h une pente de descente assez marquée, de l’ordre de 8 ou 9 degrés.

    L’avion décrochera lorsque ses ailes affecteront un angle d’une quinzaine de degrés par rapport à sa trajectoire de descente. L’angle entre ailes et trajectoire est l’incidence. Si la trajectoire de plané descend déjà de 8 degrés comme dans notre exemple, il ne reste que 15 moins 8 = 7 degrés de cabré « visible », par rapport à l’horizon.

    Si pourtant comme il est d’usage l’aile est boulonnée au fuselage avec un angle de calage de 2 à 4° (le bord d’attaque calé plus haut que le bord de fuite), le nez sera moins cabré au-dessus de l’horizon. En bref, l’avion peut décrocher en affichant un cabré visuel à peine marqué. Ce piège tue de temps à autre un pilote, trop souvent habitué à penser qu’on ne décroche que le nez accroché au ciel.

    Les « phénomènes avertisseurs du décrochage » sont paraît-il exigés de tout avion et devraient se manifester quelques km/h avant le décrochage. L’avion est supposé trembler de toute sa membrure, agiter ses gouvernes, chercher à tomber de gauche et de droite. Un fort klaxon remplace ces « phénomènes avertisseurs » généralement absents des appareils modernes.

    Il est cependant vrai que l’avion à ce stade cherche souvent, selon les modèles, à perdre l’horizontalité de sa voilure pour sembler tomber d’une aile ou de l’autre. Admettons que s’enfonce tout à coup de vingt degrés l’aile gauche. Le pilote mal formé donne de réflexe un coup de manche à droite afin de rétablir l’horizontale. Ce faisant il abaisse l’aileron de l’aile gauche enfoncée. Cet abaissement équivaut au braquage d’un volet de courbure, mais le malheur veut qu’une aile braquant un volet de courbure décroche certes à vitesse moindre, mais aussi et malgré cela à un angle d’incidence généralement plus bas. Or l’avion frôlait déjà l’incidence de décrochage ; le braquage vers le bas de l’aileron gauche place alors l’aile gauche dans une situation où elle est décrochée. Elle s’abat soudain sans que l’aile droite fasse de même : la descente en vrille, l’autorotation a démarré (il est d’autres moyens de la déclencher).

    Malgré toutes les considérations qui précèdent, nous n’avons pas encore décroché…

    L’avion s’enfonce donc sans moteur de 3 ou 4 mètres par seconde, vole à sa vitesse minimum de sustentation voisine de 90 km/h, est tout prêt à décrocher. Le pilote tire un peu plus le manche ; l’avion cabre un peu plus et atteint enfin l’angle d’incidence où la sustentation portée à son maximum s’enfuit soudain. Le nez plonge brutalement.

    Un vain peuple pense qu’il plonge parce que portance enfuie, le nez est entraîné par le poids du moteur. Ce serait croire qu’un avion à moteur propulsif décroche en abattant sur sa queue, ce qui n’est pas. Ce n’est pas le nez qui plonge, mais (j’avertis les aérodynamiciens que nous allons simplifier les phénomènes à l’extrême) la queue légère et surfacée qui reste à la traîne, retenue par l’air. Il arrive la même chose que si l’on avait lâché de haut, horizontale et sans vitesse, une flèche d’arc à l’avant bien lesté : elle bascule bientôt pointe vers le sol puisque l’empennage freiné par l’air la dirige ainsi. Avion ou flèche tombant dans le vide au lieu d’air ne basculeraient vers l’avant ni l’un ni l’autre.

    L’avion plonge. En quelques dizaines de mètres de chute pour un Jodel, en quelques centaines ou davantage pour un chasseur, il a repris assez de vitesse pour être ramené en vol horizontal normal par une traction progressive et mesurée sur la manche. Le pilote aura cependant pris la précaution de ne pas tirer trop tôt : l’avion tendrait à redresser trop tôt sans assez de vitesse. Il risquerait d’enchaîner un second décrochage, voir pour certains appareils de s’enfoncer indéfiniment à moitié redressé dans une sorte de décrochage entretenu.

    Selon le type d’avion, le plongeon peut montrer tous les degrés de la douceur à la violence. On a des avions à décrochage brusque et franc, où l’on voit en plongeant le sol droit face à soi. On a des machines offrant un simple salut de quelques degrés d’amplitude, qui mérite à peine le nom d’abattée. C’est une affaire de profil d’aile, dont certains décrochent net et d’autres sans conviction ; c’est affaire aussi de puissance de la gouverne de profondeur, qui peut être trop peu puissante pour cabrer l’avion jusqu’à vraiment son incidence du décrochage.

    Nous avons examiné le décrochage avec le moteur réduit. Il est également possible de mettre pleins gaz, puis de cabrer l’avion si nettement qu’il n’est plus capable de conserver sa vitesse en dépit de la pleine puissance. On approche du décrochage ; la vitesse baisse tandis que le nez tiré par le moteur se tient spectaculairement haut, souvent à une trentaine de degrés ou plus sur l’horizon. Lorsque est atteinte par ralentissement la vitesse de décrochage, le nez bascule.

    Les manifestations de l’appareil au décrochage seront assez différentes de ce qu’elles sont moteur réduit. Elles pourront selon le cas être soit plus douces, soit plus violentes. Examinons deux cas : 1), puis 2).

    Cas 1). Supposons que sous l’assiette très cabrée atteinte au moment du décrochage au moteur, le pilote laisse les pleins gaz. La reprise de vitesse qui débute sous la traction motrice dès que le fuselage abattant revient vers l’horizontale, peut suffire sur certains avions à extraire l’appareil du décrochage avant même qu’on ait perdu une altitude sensible ; le décrochage semblera effacé. Sur d’autres modèles d’avions l’abattée se maintiendra ; le nez à piquer tiré par le moteur emballé fera prendre rapidement à l’appareil une vitesse considérable.

    Cas 2). Ou bien supposons qu’à l’instant de l’abattée sous fort cabré au moteur, le pilote réduise instantanément les gaz à fond. Le nez abattra, avec une amplitude spectaculaire puisque le plongeon part d’un angle de cabré initial considérable. Les passagers novices épouvantés ne remonteront jamais en aéroplane.

     

    7

     

     

    Comment se comporte l’avion tandis que sa vitesse croît de la plus faible valeur possible jusqu’à la vitesse maximum en palier ? Comment avec la vitesse évolue son besoin de puissance, et partant son autonomie, sa distance franchissable ?

     

    Considérons un avion à hélice à peu près représentatif de l’ensemble des machines de morphologie moyenne, doté d’une voilure qui ne se distingue ni par un allongement de planeur, ni par un dessin exagérément ramassé comme celui d’un X-15 ou un F-104.

     

    Nous avons tout pris en compte, jusqu’au fait que le rendement de l’hélice à pas fixe varie sensiblement (s’améliore) en passant de la basse vitesse à la vitesse de croisière rapide.

     

    De tout cela nous tirons une méthode complètement dépourvue d’allure scientifique, mais pas très différente d’une réalité moyenne.

     

    Pour abréger les phrases nous remplacerons souvent l’expression « vitesse de décrochage » par le symbole « Vs » : velocity of stall, qui signifie la même chose.

     

    Ce symbole n’est pas réglementaire ; l’utilisation réelle de l’avion réclame plusieurs symboles différents. Voir l’encyclopédie virtuelle habituelle.

     

     

    *

     

    A sa plus faible vitesse possible de vol, à sa vitesse de décrochage, l’avion est fortement cabré de manière à « ramasser » sous lui le plus d’air possible (ceci est une simplification outrancière). Analogie avec le ski nautique tiré à très faible allure. Le pilote ne voit plus l’horizon devant lui ; le moteur le masque largement. Cette posture de l’avion explique (autre simplification abusive) que la résistance de l’air à l’avancement, sa traînée, soit alors considérable. Disons que sur les 150 chevaux dont il dispose, un avion de tourisme d’une tonne a besoin d’en utiliser environ 80 à 100 pour simplement ne pas perdre d’altitude à cette vitesse-là.

     

    Accélérons en demeurant continuellement en palier : le cabré va progressivement se résorber : le nez baisse sur l’horizon. Analogie encore avec le ski émergeant progressivement de l’eau pour finir à plat sur elle. L’avion « ramant » de moins en moins va rencontrer (d’abord) une résistance moindre de l’air, et cela quoiqu’il vole plus vite ; sa traînée va d’abord diminuer.

     

    Lorsque nous serons à 120% de la vitesse de décrochage, le cabré aura très sensiblement décru. Il aura décru beaucoup plus qu’en proportion de l’accroissement de vitesse. Accroître la vitesse de 20% (la multiplier par 1,20) augmenterait sans changer le cabré la portance au carré : 1,2 x 1,2 soit presque moitié de portance en plus. Mais l’avion qui ne pèse pas plus lourd n’a aucun besoin de plus de portance. Il résorbera donc ce gain inutile en réduisant franchement son cabré.

     

    C’est à cette vitesse de 120 km/h que l’avion de tourisme décrochant à 100 km/h tiendra l’air strictement avec le moins de chevaux. Appelons-la vitesse de puissance minimum.

     

    Le minimum de puissance nécessaire à tenir tout juste l’air est d’évidence la puissance du plus petit moteur qui permettrait de maintenir l’avion en vol sans perdre d’altitude. Sur avion de tourisme ce minimum de chevaux pour tenir l’air est souvent compris entre le tiers et la moitié de la puissance du moteur installé ; il est évidemment très variable selon le chargement de la machine.

     

    Ce minimum peut être une fraction sensiblement plus faible que le tiers, notamment sur un motoplaneur qui tient l’air « avec un filet de gaz ». Il est également une fraction faible de la puissance maximum sur un chasseur à hélice, parce que ce genre de machine dispose par définition d’une puissance énorme.

     

    C’est donc à cette vitesse de puissance minimum qu’il reste un maximum de chevaux disponibles, l’excédent de puissance. L’excédent sert ou bien à accélérer sans monter, ou bien à monter sans prendre davantage de vitesse. C’est donc à cette vitesse que l’avion pourra en donnant tous les gaz grimper le plus vite, disposer de la plus forte vitesse ascensionnelle. Si tel avion de tourisme de 150 chevaux n’a besoin que de 50 chevaux pour tout juste rester en l’air, il lui reste 100 autres chevaux pour monter. Il montera au taux d’environ 4 m/s, ou encore 240 m à la minute (sur un variomètre en pieds/minute : 800 ft/mn).

     

    La vitesse de puissance minimum est aussi la vitesse à laquelle moteur en panne ou complètement réduit l’avion s’enfoncera le moins vite. Le taux de chute le plus faible possible d’un avion de tourisme sera généralement de l’ordre de 3 m/s. L’avion à cette allure est encore un peu cabré, au détriment léger de la visibilité ; il est également passablement « mou » aux commandes qui réagissent avec moins de fermeté, donnant l’impression de piloter une chose mollassonne et mal assise sur l’air.

     

    Accélérons encore, toujours en palier. Vers 150% de la vitesse de décrochage se présente un nouveau point remarquable : la vitesse de finesse maximum.

    La finesse maximum d’un avion est un paramètre essentiel qu’on retrouve en bien des circonstances.

     

    Elle indique en cas de vol plané sans moteur la plus grande distance que l’avion peut franchir pour une perte de hauteur donnée. Un avion léger capable de planer 12 kilomètres en partant d’une altitude de 1000 mètres possède une finesse maximum de 12. Il franchira cette distance en planant à sa vitesse de finesse maximum ; à toute autre vitesse plus faible ou plus forte, il planera moins loin.

     

    La finesse est encore égale au rapport de la portance sur la traînée. En vol ordinaire la portance est égale au poids. Un avion d’une tonne possédant une finesse maximum de 12 présente ainsi une traînée minimum (et ce vers 150% de sa vitesse de décrochage) de 1000/12 = 83 kg.

     

    Conséquence immédiate : un petit réacteur de 83 kgp (kilogrammes de poussée) suffit à tenir cet avion tout juste en vol si c’est un avion à réaction. Une hélice aussi devra tirer 83 kg. Nous ne demanderons pas combien il lui faut de chevaux pour cela, puisqu’à l’instar de la bicyclette à dérailleur ou de la voiture à boîte de vitesses, la puissance du moteur nécessaire ne se déduit pas directement ; elle dépend à la fois de la traction exercée et de la vitesse de translation du véhicule.

     

    Conséquence : puisque c’est à cette vitesse que la résistance à l’avancement est la plus faible, c’est à cette vitesse que la quantité de travail (d’énergie) consommée pour parcourir 100 km est la moindre (le travail étant le produit de la force de traction par la distance parcourue). C’est donc à cette vitesse que sera maximum la distance parcourue au litre de carburant. La vitesse de finesse maximum est celle qu’adopte un avion de record de distance ou encore un avion de tourisme très à court d’essence. C’est une vitesse assez lente : 150 km/h pour une vitesse de décrochage de 100, dans l’exemple de l’avion léger que nous continuons à suivre.

     

    Il faut à vitesse de finesse maximum 15 ou 20% de chevaux en plus qu’à la vitesse de puissance minimum. Cela fera dans notre exemple : 50 chevaux x 1,2 = 60 chevaux. L’excédent de puissance sera moindre, et moindre donc aussi la vitesse ascensionnelle possible pour qui désire grimper en conservant cette vitesse-là.

     

    Poursuivons l’accélération. Le nez de l’avion cette fois se plaque tout à fait sur l’horizon ; le pilote voit devant lui comme s’il roulait au sol avec un train tricycle. Son cabré à peu près résorbé, l’avion paraît vu de face comme sur un plan trois vues.

     

    A 190% de la vitesse de décrochage (soit 190 km/h dans notre exemple poursuivi), la puissance requise n’est encore majorée que d’environ 60% par rapport à la valeur minimum exigée à vitesse de puissance minimum (pour rappel, 120% de la vitesse de décrochage).

    Relisons le paragraphe correspondant : notre avion exigeait 50 chevaux à 120 km/h ; il lui faut ici : 50 x 1,60 = 80 ch.

     

    Libérons enfin tous nos kilowatts. Le nez de l’avion ne bouge plus guère : il n’y a presque plus de cabré à résorber. Une loi simple va présider à l’accroissement de la puissance requise avec la vitesse. C’est la même qu’en bateau : le besoin de puissance monte comme le cube de la vitesse ; c’est autant dire qu’on n’accélérera plus beaucoup.

     

    Pour des raisons mécaniques on croise avec la plupart des moteurs d’aviation légère à 75% de la puissance maximum, ou 112,5 chevaux pour un moteur de 150.

    Continuons notre exemple : 112,5 chevaux au lieu de 80 font 1,406 fois plus ; la racine cubique de 1,406 est 1,12 ; la « vitesse de croisière à 75% » passe à : 190 x 1,12 ou 213 km/h.

     

    Mettons pleins gaz pour atteindre la vitesse de pointe ; c’est un tiers de puissance encore en plus : 100% par rapport à 75%. L’application de la même règle qu’au paragraphe précédent (déterminez la racine cubique du rapport 100/75 ou 4/3) donne une vitesse maximum de 234 km/h.

     

    Souvent alors l’aile à cette vitesse est si bien à plat sur sa trajectoire, que le pilote à l’impression de voler nez bas un rien penché sur l’avant. Sa vue est magnifiquement dégagée. Ce n’est pas une impression : l’aile étant généralement cabrée de quelques degrés sur le fuselage (notamment pour limiter le cabré de celui-ci à l’atterrissage), une aile bien décabrée a pour effet un fuselage un peu piqueur. Le cas est signalé par Clostermann au sujet du Fw-190 dont il observe « la curieuse assiette de vol nez bas… ».

     

    Remplaçons l’avion de tourisme par un chasseur à hélice : la très forte puissance se battant contre la loi du cube parvient tout de même à tirer la machine jusque 3 ou 3,5 fois sa vitesse de décrochage. Les chasseurs de la SGM atteignaient en moyenne 450 km/h au niveau de la mer au début du conflit, puis 550 à la fin.

     

    On rencontre souvent la notion d’écart de vitesse. On considère soit l’écart entre vitesse de décrochage et vitesse maximum en palier, soit le rapport entre la vitesse maximum et la vitesse de décrochage.

    L’écart des vitesse dans notre exemple est de 90 à 234 km/h.

    On peut aussi le définir selon le rapport : 234/90 = 2,6.

    Plus l’écart est grand, plus la machine s’avère d’un emploi commode et agréable.

     

     

    *

     

     

    Résumons les valeurs indiquées dans ce chapitre :

    (entre crochets, les chiffres pris plus haut pour notre avion exemple).

     

    - Vitesse de décrochage, symbolisée par l’expression « Vs » (velocity of stall). A Vs, la puissance exigée pour juste tenir l’air est notable ; [80 à 100 ch]

    - 1,2 Vs : vitesse de puissance minimum requise pour tenir l’air ; nommons cette puissance « Wmin » ; [120 km/h ; 50 chevaux]

    - 1,5 Vs : vitesse de finesse maximum ; puissance requise = 1,2 Wmin ; [150 m/h ; 60 chevaux]

    - 1,9 Vs : vitesse à laquelle la puissance requise = 1,6 Wmin ;

    Jusqu’à 1,9 Vs, la puissance requise a crû selon une loi mollement croissante. [190 km/h ; 80 chevaux]

     

    Au-delà :

    - On fait croître 1,6 Wmin au cube de la vitesse.

    - Vitesse de croisière à 75% de la puissance : [112,5 chevaux et 213 m/h] ;

    - Vitesse de pointe à pleins gaz : [150 chevaux et 234 m/h].

     

     

    8

     

     

    Détaillons pourquoi la vitesse de pointe n’augmente que selon la bien modeste racine cubique de la puissance disponible.

    Si un moteur de 100 chevaux fait atteindre en pointe 200 km/h à un avion donné, alors, lui substituer 150 chevaux ne fera monter la vitesse qu’à 229 km/h en consommant moitié plus.

     

    La conscience de ce triste fait est essentielle : le comprendre est comprendre qu’accroître la puissance d’un avion le fera sans doute monter beaucoup mieux (la vitesse ascensionnelle est en proportion simple de l’excédent de puissance), mais non pas aller notablement plus vite.

    Pour aller notablement plus vite il faut jouer sur d’autres facteurs : améliorer le profilage et voler plus haut en air moins résistant si toutefois le moteur dispose d’un compresseur qui lui garde sa puissance originelle en altitude.

     

    Un mobile en mouvement dans le fluide aérien et marchant deux fois plus vite heurte deux fois plus de molécules dont chacune a « deux fois plus de mouvement » ; il rencontre donc une résistance quadruple : au carré de la vitesse.

     

    La puissance est égale au produit de la force par la vitesse. Pour lutter contre une force résistante en se déplaçant contre elle à une certaine vitesse, il faut user d’une puissance égale à la résistance rencontrée multipliée par la vitesse de déplacement.

    Voler deux fois plus vite cause une traînée quadruple, qui multipliée par une vitesse double vaut donc une puissance octuple : au cube de la vitesse.

     

    Un turboréacteur dont la poussée est grossièrement en première approximation constante en subsonique avec la vitesse, ne donne pas des chevaux mais des kilos de poussée qui équilibrent la traînée de l’avion. Voler deux fois plus vite avec une traînée quadruple ne demande donc pas une poussée octuple, mais quadruple seulement. Le réacteur consomme ainsi quatre fois plus pour voler deux fois plus vite, lorsque le moteur à pistons consomme huit fois plus.

     

    Il en résulte que le réacteur est bien mieux adapté aux vitesses élevées que le moteur à hélice, et qu’il est inversement fort mal adapté aux vitesses basses.

    Exemple : un avion à hélice de 1000 chevaux atteint 450 km/h. On calcule que sa traînée à 450 km/h est de 470 kg. Un petit réacteur de 470 kgp le ferait voler à la même vitesse.

     

    Pour une consommation spécifique courante de 200 g/ch/h, l’avion à hélice de mille chevaux vole à 450 km/h en consommant 200 kg de pétrole à l’heure. Pour une consommation spécifique courante de 0,7 kg/kgp/h, le réacteur de 470 kgp consommera à la même vitesse : 470 x 0,7 = 329 kg de pétrole à l’heure. La comparaison montre la mauvaise adaptation du turboréacteur aux vitesses encore « lentes » telles que 450 km/h.

     

    Supposons l’avion à hélice atteignant le double, soit 900 km/h. Il lui faut 8 fois plus de chevaux, soit 8000. De tels moteurs n’existent guère. L’avion consommerait sinon 1600 kg à l’heure. Le réacteur donnant les mêmes 900 km/h aura une poussée de 4 fois 470 kgp, ou 1880 kgp. Sa consommation horaire sera 1880 x 0,7 = 1316 kg.

    Il a égalé en sobriété le moteur à hélice et l’a même dépassé. Le turboréacteur est bien adapté aux hautes vitesses.

     

    9

     

     

    On en sait assez déjà pour juger de l’effet des divers paramètres sur la performance maîtresse de l’avion qu’est la vitesse de pointe.

     

    Si l’avion n’est pas une machine archi-traînarde et sous-motorisée d’avant 1930, sa vitesse maximum se placera au moins entre deux fois et deux fois et demie la vitesse du décrochage. Nous considérerons donc la vitesse maximum comme située dans la plage où la traînée croît au cube de cette vitesse, et où la vitesse de pointe n’augmente plus qu’à la racine cubique de la puissance installée.

     

    Pour doubler la vitesse maximum à altitude constante (densité constante du fluide résistant) on octuplerait la puissance ; mais cela est généralement impossible.

    Considérons le cas plus réaliste d’une modeste variation de puissance.

     

    On sait par les techniques arithmétiques usuelles que majorer un nombre d’une très petite quantité majore son cube d’une quantité triple, et inversement : Si le cube de 1 est 1, le cube de 1,01 est 1,03 ou plus rigoureusement : 1,030301.

    Inversement : sachant qu’un nombre est peu supérieur à 1, tel par exemple 1,03, sa racine cubique est presque exactement : 1 plus le tiers des décimales… soit 1 plus 0,01 = 1,01.

     

    Soit un avion de 100 chevaux atteignant 200 km/h. Ramenons la valeur 200 au chiffre « 1 ». Faisons-le voler à 202 km/h, soit « 1,01 » ; il lui faudra 100 chevaux majorés de 3%, donc 103 chevaux.

     

    Prétendons maintenant le faire voler à 220 km/h, soit « 1,10 ». Il lui faut 100 chevaux plus 30%, ou 130 chevaux. Notons cependant que pour une majoration de 10% la règle arithmétique commence à s’altérer ; un calcul plus exact donne non 130 mais 133 chevaux. Si l’on ajoutait 20% de vitesse, on n’exigerait pas 60% mais 73% de chevaux en plus ; etc.

     

    A l’inverse, une diminution de traînée à puissance égale agira dans les mêmes proportions sur la vitesse maximum. Réduire de 3% la traînée accroît de 1% la vitesse ; réduire la traînée de 30%, chose très difficile, augmente la vitesse du chiffre bien modeste de 9%. On ne fait donc pas galoper un avion peu rapide en carénant un accessoire ou deux.

     

    Escamoter le train n’augmente pas souvent la vitesse maximum de plus de 10% ; l’effacement d’un train très bien caréné comme celui des Jodel Robin ne fera sans doute pas gagner beaucoup plus de 5%.

     

    Réduire la surface alaire ?

    Sur un avion bien profilé, l’aile représente environ 40% de la traînée totale à vitesse de pointe ou de croisière rapide. En réduire du quart la surface donnera donc 10% de traînée en moins, soit le quart de 40%. Ce sera 3% de vitesse supplémentaire.

    On fait souvent beaucoup de cas de telles réductions de surface, mais on peut retenir que la puissance nécessaire pour tirer 1 mètre carré de voilure à 150 km/h n’est guère que d’un cheval, ou de 8 chevaux à 300 km/h. Le lecteur en déduira des exemples de gain de vitesse par cette voie. Ils n’ont rien d’extraordinaire.

    On perd souvent plus à réduire la surface alaire qu’à l’accroître. La réduction de surface entraîne un gain bien modeste de vitesse, qui se paie d’un coût important en : longueur au décollage, violence au choc en cas de panne en campagne suivi d’un posé dans un champ trop court, vitesse ascensionnelle, aisance en virages serrés.

     

    La seule vraie façon d’augmenter spectaculairement la vitesse maximum est de voler haut pour évoluer dans un milieu moins résistant. Il n’y a cependant là aucun bénéfice avec un moteur sans compresseur : la puissance du moteur diminue dans la même proportion que la densité de l’air. Dans un air moins dense du tiers la traînée est diminuée du tiers, mais la puissance du moteur l’est aussi. On n’ira pas plus vite. Cependant, on consommera moins. Aussi les manuels de vol des avions légers sans compresseur affichent-ils leur meilleure croisière vers 8000 pieds.

     

    L’idéal est ainsi de voler avec un compresseur à son altitude de rétablissement, là où l’on conserve encore la puissance du niveau de la mer tandis que la densité atmosphérique a beaucoup diminué. Un avion comme le P-47D garde sa puissance jusqu’à 9000 mètres, où la densité de l’air est divisée par 2,6.

     

    Pour voler à 9000 mètres à la vitesse maximum atteinte à zéro mètre, soit un bon 500 km/h, il suffit donc de la puissance maximum divisée par 2,6. Cela veut dire 38% de la puissance maximum (100/2,6).

     

    Mettons alors pleins gaz. La puissance fournie passe à 100% ; elle est multipliée par 2,6 (100/38). La racine cubique de 2,6 est 1,37. L’avion atteint à 9000 mètres 500 x 1,37 ou 685 km/h.

     

     

    10

     

     

    Nous volons en croisière rapide. Réduisons à zéro les gaz en palier ; coupons même le moteur pour arrêter l’hélice. Ralentissons jusqu’à la vitesse de finesse maximum. Imaginons avoir une hélice dont les pales se mettent en drapeau, chacune présentant alors au vent relatif une simple lame et rien de plus ; supposons pour simplifier que l’hélice alors ne traîne plus du tout. Un motoplaneur se doit d’être doté d’un tel propulseur, car une hélice aux pales fixes immobilisées représente à elle seule 15% au moins de la traînée complète de l’appareil.

     

    L’avion sans propulsion maintenu en palier ralentit et donc se cabre progressivement. Pour cesser de ralentir, et puisque nous sommes sans moteur, poussons un peu le manche pour placer l’avion en descente sur une trajectoire planée. Nous pouvons choisir de le placer sur une descente à la vitesse de notre choix, et cette vitesse sera d’autant plus forte que nous prendrons une pente de descente abrupte. Plus la pente sera abrupte, moins évidemment ce plané nous portera loin.

     

    C’est à vitesse de finesse maximum que le plané jusqu’au sol sera le plus long.

     

    On dit alors que la finesse maximum d’un type d’avion est par exemple de 12, s’il peut à cette vitesse la plus favorable planer jusqu’à 12 fois en distance la valeur de l’altitude qu’il perd : l’avion franchira 12 kilomètres chaque fois qu’il perdra 1000 mètres.

     

    Poussons encore le manche : l’avion piquera évidemment plus fort, descendant selon un angle plus raide. Sa finesse à cette vitesse plus élevée aura donc non moins évidemment diminué. Elle devient égale à zéro si le piqué devient vertical : l’avion n’avance plus du tout à l’horizontale.

     

    Partons d’un plané à vitesse de finesse maximum pour agir cette fois en sens inverse : tirons précautionneusement vers nous le manche afin de ralentir doucement.

     

    Puisque nous volerons moins vite que la vitesse de finesse maximum, nous perdrons de la finesse et planerons moins loin. Ainsi perdons-nous de la finesse en volant plus vite comme en volant plus lentement.

     

    Nous sommes donc à présent planant à vitesse moindre que la vitesse de finesse maximum. L’avion cette fois cabre nettement. Il cabre par rapport à sa pente de descente, ce qui fait que vu du pilote le capot plonge peut-être encore un peu sous l’horizon.

     

    Continuons à ralentir jusqu’à frôler la vitesse de décrochage : la traînée, le cabré deviennent vraiment forts tandis que la finesse se réduit d’un gros tiers par rapport à son chiffre maximum. Il se peut que l’avion plane selon une pente prononcée de 10°, soit 6 de finesse. Vérifiez sur une calculatrice : la tangente de 10° est proche de 1/6. Peu d’avions dépasseront sans décrocher un cabré sur trajectoire de 15° ; le nez paraîtra cabré de la différence, c’est-à-dire de 15° - 10° = 5° au-dessus de l’horizon.

    Cette mauvaise finesse près de la vitesse de décrochage est bien entendu en rapport avec la puissance importante qu’il y faut pour se maintenir en palier.

     

    Il n’est ainsi pas contradictoire d’être cabré tout en descendant. Nous l’avons déjà vu dans le chapitre consacré au décrochage.

    La chose est très visible sur un atterrissage de Mirage III, qui descend le nez en l’air. Elle est même spectaculaire, parce que les avions à aile delta ont la particularité rare d’atteindre sans décrocher des cabrés beaucoup plus importants que les autres. Revoyez à ce sujet un épisode des Chevaliers du Ciel, comme j’en ai revu récemment après trente ans de privation.

    Nous nous souvenions que cette série était niaise, mais avions oublié à quel point.

     

    Bien entendu le pilote approchant en delta voit peu ou pas devant, d’où le nez basculant du Concorde.

     

     

    11

     

     

    Une bicyclette freins desserrés se met à rouler sans pédalage lorsque la pente est suffisante ; un avion moteur coupé a toujours sous les ailes une pente suffisante pour « rouler sans pédalage » puisqu’il n’est pas gêné par le sol pour accentuer s’il faut la pente de son plané.

     

    Pour que roule la bicyclette, la pente de la route peut être faible si le revêtement est bon ; elle doit être plus raide si c’est un chemin bourbeux. La pente de descente nécessaire au plané d’un avion est d’autant plus faible que ses lignes sont pures ; elle sera d’autant plus forte que ses lignes seront heurtées, ou bien que roues et volets divers seront sortis.

     

    La pente de descente est aisée à déterminer. Le panneau annonçant une pente dangereuse de 10 % prévient qu’on perdra 10 mètres d’altitude par 100 mètres parcourus. Or une loi très simple précise qu’un mobile de 100 kg sur une pente de 10 % est entraîné par une force de 10 kg. Une pente de 10 % faisant perdre 10 mètres par 100 mètres franchis est d’évidence la pente de plané d’un avion de finesse 10 : 100/10 = 10 (1).

     

    Un avion planant avec 10 de finesse est donc entraîné par une force égale à 10 % de son propre poids. Cette force équilibre la traînée de l’avion à cette vitesse-là, donc 10 % aussi de son poids, ou encore 10% de sa portance, qui lui est égale et opposée (2).

     

    La finesse est ainsi le rapport de la portance sur la traînée, ou encore du poids sur la traînée. « Poids sur traînée » est une notion assez abstraite qui devient directement concrète une fois transcrite sous la forme : pente de plané.

     

    Connaissant la finesse maximum de tel avion et sachant à quelle vitesse il l’obtient, il est facile de diviser cette vitesse par la finesse pour obtenir directement le taux de chute de cet appareil. Un avion doté d’une vitesse de décrochage de 144 km/h, ou 40 m/s, disposera de sa finesse maximum vers 60 m/s ; si sa finesse maximum est 12, il planera en chutant de 60/12 = 5 m/s.

    Rappelons pourtant que le taux de chute le plus faible est obtenu non à vitesse de finesse maximum, mais à vitesse plus basse (voir chapitre 7). Cet appareil en pratique aura un taux de chute minimum de l’ordre de 4 m/s.

     

     

    « La finesse est la raison d’être de l’avion » disait Albert Caquot, ministre promoteur d’une vaste politique de production de prototypes dans les années 1920. Il n’a pas été toujours écouté : « Quand on méprise la traînée, elle se venge », écrivait Jacques Lecarme, célèbre ingénieur et pilote d’essai.

     

     

    (1) On voit que nous assimilons la distance au sol parcourue en plané, à la longueur de la trajectoire du vol plané. La seconde est toujours supérieure à la première : c’est l’hypoténuse comparée au côté adjacent. L’écart est cependant minime, et l’assimilation reste légitime tant que la finesse, cas général, reste supérieure à 3 ou 4.

     

    (2) Là encore ceci n’est pas vrai en toute rigueur puisque la portance étant perpendiculaire à la trajectoire du vol, elle n’est pas exactement verticale en descente planée. L’approximation est la même que celui de la note (1).

     

     

    12

     

     

    Nous nous jugerions très heureux si nos lecteurs pouvaient être du petit nombre qui emploie le mot rendement à bon escient, car ce terme sert ordinairement de tarte à la crème dans tous les « raisonnements » qu’on entend sur tous les sujets dans les bars d’aéro-clubs, et ailleurs.

     

    Le rendement n’est pas la quantité de travail fournie ou disponible. Le rendement n’est pas une puissance non plus. Le rendement est un paramètre sans unité ; il est le rapport de deux quantités de même nature.

     

    Un moteur automobile donne au bout de son vilebrequin une puissance de 100 chevaux. La boîte de vitesses est malheureusement derrière ; le frottement de ses engrenages et le travail perdu à en agiter l’huile consomment par exemple deux chevaux ; la souplesse du caoutchouc déforme les pneus et les échauffe en gaspillant l’équivalent d’un cheval de plus. 97 chevaux seulement propulseront réellement la voiture, pour 3 chevaux perdus. Le rendement de la transmission est ainsi de : 97 chevaux/100 chevaux = 0,97 ou 97 %. On voit comment les unités ont disparu en simplifiant numérateur et dénominateur.

     

    Une dynamo est entraînée par un moteur donnant 1 cheval, ou 736 watts. On mesure à la sortie de la dynamo une tension de 11 volts et une intensité de 60 ampères. Elle débite donc 11 x 60 = 660 watts électriques pour 736 watts mécaniques qu’elle a reçus. Son rendement est de 660/736 = 0,9 ou 90 %. Le reste est dissipé en chaleur, directement ou via des frottements.

    Le moteur à pistons comme toute machine dite thermique présente un rendement qu’on nomme aussi rendement thermique ou rendement de Carnot. Il s’agit du second des trois Carnot illustres, et de celui qui n’intéresse pas beaucoup les historiens. C’est dommage : les pères de la science dans cent mille ans resteront, tandis que le Grand Carnot se distinguera mal d’Onkr et des autres batailleurs des cavernes, ou des as de la chasse.

     

    La combustion du carburant dégage à la seconde, à la minute… une certaine énergie thermique ; l’arbre du moteur fournit dans le même temps une certaine énergie mécanique ; énergie thermique ou mécanique s’expriment en joules ou kilojoules l’une comme l’autre ; le rendement thermique est la fraction de l’énergie thermique de combustion changée en énergie mécanique disponible sur l’arbre. Le reste chauffe le paysage.

     

    On peut aussi faire plus directement le rapport de la puissance mécanique fournie sur la puissance thermique de la combustion, si les deux sont exprimées en watts ou kilowatts.

     

    Un moteur à pistons ordinaire consomme environ chaque heure 200 grammes d’essence par cheval réellement fourni : 200 g/ch/h. Cela fait 272 g/kW/h (200/0,736). Or un livre de chimie nous apprend que 200 g d’essence brûlent en donnant une énergie calorifique, thermique, voisine de 2,6 kWh. Le rendement thermique de ce moteur vaut donc : 1/2,6 = 0,38 ou 38 %. Le reste est de la chaleur évacuée par le radiateur, l’échappement et toutes les surfaces chaudes de la mécanique.

     

    Un autre rendement intéresse l’aviation, le rendement de l’hélice.

    Le moteur transmet à l’hélice une certaine puissance, mais des calculs d’aérodynamique permettent de montrer que tout se passe comme si l’avion n’était mû que par sensiblement moins de chevaux. Il y a perte, « patinage » de l’hélice : elle ne s’appuie malheureusement pas sur le fluide aussi fermement qu’une roue sur le sol. La perte est sensible puisque le rendement de l’hélice ne dépasse que rarement 80 à 85 % en croisière, voire 60 % aux faibles vitesses (montée) si cette hélice est à pas fixe.

     

    D’une part les pales de l’hélice ont comme tout corps en mouvement une traînée de forme qui leur est propre ; elles perdent ainsi à frotter dans l’air un peu de puissance en échange de rien. D’autre part, une fraction notable de la puissance transmise à l’hélice lui sert à mettre en mouvement vers l’arrière le flot constant d’air sans lequel, faute de réaction, elle ne propulserait rien. Cette fraction notable est l’énergie cinétique injectée dans la veine d’air mise en mouvement. En dépit du paradoxe, cette énergie est bel et bien perdue pour la propulsion de l’avion lui-même. Il faut payer ce tribut à la nature.

     

    La perte de rendement (par rapport à 100 %) de la roue contre le sol n’est due qu’à la qualité du contact ; elle est réductible par la technique. La perte de rendement de l’hélice est fatale, inhérente à son principe même.

     

     

    13

     

     

    Nous avons vu deux définitions de la finesse : elle est le rapport de la distance franchie en plané sur la hauteur perdue en même temps ; elle est aussi le rapport de la portance sur la traînée, donc du poids de l’avion sur la résistance à l’avancement que l’air lui oppose.

     

    Accroître la finesse d’un avion donné, donc d’un poids donné, signifie ainsi réduire sa traînée.

     

    On y parvient par une première voie bien évidente : profiler les lignes du fuselage, choisir dans les catalogues de profils d’ailes ceux qui traînent le moins (les autres ont d’autres avantages), réduire les saillies, soigner les raccordements, éviter les fuselages trop courts dont le rétreint arrière est mal suivi par l’air, etc.

     

    Un second moyen est de polir toutes les surfaces (dites « mouillées ») pour que l’air n’y accroche pas. Une peinture de camouflage terne et mate sur un chasseur à hélice peut le freiner à pleins gaz de 20 ou 30 km/h en comparaison d’une finition au métal nu et poli, ou encore par rapport à ces peintures astiquées à mort pour mieux flasher dans l’œil des visiteurs de certains musées aéronautiques (si, si…).

     

    Tout ceci bien exploité, reste ensuite le paramètre quasi-magique de l’allongementde l’aile.

     

    Soient deux ailes de même surface et même portance. L’une est ramassée, l’autre étroite et fort longue en envergure. Son allongement est plus élevé. On montrera pourquoi la finesse de la seconde est très supérieure à celle de la première. Lorsque l’aile présente un allongement extrême comme sur les planeurs, la finesse atteint des chiffres impressionnant. Tel est bien ce qu’on attend d’un planeur : qu’il plane loin en descendant peu.

     

     

    14

     

     

    L’allongement est notion suffisamment importante pour que l’aérophile sache le calculer.

    Rien n’est plus simple si l’aile est rectangulaire : son allongement est égal au rapport de la longueur du rectangle sur sa largeur, c’est-à-dire de l’envergure sur ‘a corde. Une aile de 20 mètres d’envergure et 2 mètres de corde fait 10 d’allongement. La littérature symbolise généralement l’allongement par la lettre lambda minuscule.

     

    Lorsque dans le cas général l’aile n’est pas rectangulaire, on divise l’envergure par la corde moyenne. Il est facile de déterminer cette dernière si l’aile est trapézoïdale, mais complexe si elle est elliptique, ou composée d’un rectangle central et deux trapèzes en bouts.

    Dans tous les cas, l’allongement s’obtient en divisant le carré de l’envergure par la surface alaire.

     

    Soit une aile de n’importe quelle forme en plan présentant 22 mètres d’envergure et 52 mètres carrés de surface. Son allongement est :

    (22 x 22)/52 = 484/52 = 9,3

    L’allongement n’a pas d’unité.

     

     

    15

     

     

    A noter l’emploi occasionnel et regrettable du terme « finesse » pour désigner une caractéristique purement géométrique, aussi nommée « élancement ». On lira que la finesse du fuselage de l’avion untel est 10. Cela veut dire que la longueur du fuselage vaut dix fois sa largeur maximum.

     

     

    16

     

     

    Puisque doubler la vitesse quadruple la portance, tout égal par ailleurs, on déduit que doubler la vitesse permet de se sustenter, tout égal par ailleurs, dans un air quatre fois plus ténu.

     

    Il est bon de retenir que l’air est deux fois moins dense à 6500 mètres qu’au niveau de la mer, et quatre fois moins à 12000 mètres.

     

    Il n’est donc pas possible à 12000 mètres de tenir l’air sans voler au moins au double de la vitesse de décrochage mesurée au niveau de la mer. A 12000 mètres, la vitesse de décrochage est double de celle observée au niveau de la mer.

     

    Il en va de même de toutes les autres vitesses caractéristiques dont nous avons déjà parlé au chapitre 7 ; double également la vitesse de finesse maximum ; double donc en même temps le taux de chute correspondant. Chuter plus vite en air plus rare est logique.

     

    Bref, tout le domaine de vol de l’avion est à la fois décalé et étiré avec l’altitude.

     

    A 6500 mètres, l’air n’est que deux fois moins dense qu’au sol ; la vitesse de décrochage et toutes les autres ne sont multipliées que par la racine de 2 : soit une majoration de 41%. Ainsi le lecteur armé de la table de la densité selon l’altitude donnée au chapitre 2, extrapolera-t-il lui-même à toutes les valeurs d’altitude possibles.

     

    Si à 12 000 mètres l’avion en plané s’enfonce au taux de chute double de ce qu’il est au niveau de la mer, il faut pour juste le soutenir en palier disposer d’une puissance minimum double aussi de ce qu’elle est à ce même niveau de la mer.

     

    Sur un simulateur usuel est souvent offert le choix dans le réglage de l’anémomètre. On peut choisir entre un anémomètre imaginaire affichant la vitesse réelle de l’avion à toutes altitudes (vent toutefois mis à part), ou bien l’anémomètre réel donnant la vitesse indiquée ; indiquée par son aiguille, naturellement.

     

    En quoi cette vitesse indiquée par l’anémomètre diffère-t-elle de la vitesse réelle ?

    Elle n’en diffère pas au niveau de la mer.

    Le premier anémomètre de l’histoire fut l’étévé, du nom de son inventeur. C’était une simple plaquette en plein vent, perpendiculaire au dit vent et repoussée par lui vers l’arrière. Un ressort antagoniste faisait résister la plaquette à la poussée du vent, mais la plaquette n’en reculait pas moins d’une valeur croissant avec la vitesse. Il suffisait de lire sur une graduation le recul de la plaquette pour connaître cette vitesse. On voit que l’étévé d’un aéroplane immobile au sol peut indiquer une certaine vitesse, celle du vent de face. Il suffit alors pour décoller d’accélérer seulement de la différence d’avec la vitesse d’envol par vent nul.

     

    Moins rudimentaire, l’anémomètre moderne fonctionne sur le même principe : il mesure la pression dynamique, la surpression que la vitesse donne à l’air qui s’engouffre quelque part ou frappe quelque chose avec une certaine célérité.

     

    Chiffrons la pression dynamique au niveau de la mer dans un air de densité 1,2 kg par mètre cube. Elle vaut 5 grammes par centimètre carré ou 0,5% d’atmosphère à 100 km/h ; elle vaut 20 g à 200, 45 g à 300 et ainsi de suite en progressant au carré. Aux mêmes vitesses réelles, elle vaut la moitié de ces valeurs à 6500 mètres où l’air est moitié moins dense.

     

    Que l’anémomètre soit monté sur un satellite volant à 28000 km/h dans le vide : il indiquera évidemment zéro. On en déduit qu’à vitesse réelle constante, la vitesse indiquée diminue constamment avec l’altitude et la raréfaction de l’air.

     

    La vitesse indiquée diminue avec l’altitude à la manière de presque toutes les lois aérodynamiques que nous rencontrons : au carré ou à la racine carrée. C’est ici la racine. Une vitesse réelle ou indiquée de 400 km/h au niveau de la mer et qui resterait 400 km/h réels à toutes altitudes, deviendrait :

    - à 6500 mètres, densité moitié, 400 divisé par racine de deux : 283 km/h de vitesse indiquée ;

    - à 12000 mètres, densité du quart, 400 divisé par racine de quatre : 200 km/h de vitesse indiquée ;

    - à 17000 mètres, densité du neuvième, 400 divisé par racine de neuf : 133 km/h de vitesse indiquée.

     

    On lira souvent dans une publication technique des vitesses en altitude exprimées en KIAS : knots indicated airspeed, soit vitesse indiquée exprimée en nœuds. La vitesse réelle est quant à elle en anglais la true airspeed : TAS. Vérifiez que 500 km/h réels à 12000 mètres représentent une vitesse de 270 TAS ou 135 KIAS ; il suffit pour ce calcul de savoir que 1 nœud, en anglais 1 knot abrégé en 1 kt, vaut 1,852 km/h).

     

    La vitesse indiquée peut sembler parfois démoralisante, puisqu’elle ne croît pas avec l’altitude alors même que le moteur compressé fait filer l’avion plus vite. Le P-47 ou le P-51 n’atteignent pas au niveau de la mer 300 nœuds, indiqués ou réels puisque c’est à zéro mètre la même chose ; ils ne les atteindront pas davantage lorsqu’à grande altitude ils voleront à près de 400 nœuds réels.

    Quel est l’utilité de la vitesse indiquée ? Pourquoi ne pas corriger par un moyen quelconque la vitesse lue sur l’anémomètre, de manière à lire la vitesse réelle ?

     

    Les phénomènes de la mécanique du vol se manifestent à vitesse indiquée toujours identique à n’importe quelle altitude. Le même avion décroche à 150 km/h indiqués au niveau de la mer, au sommet du Mont Blanc ou de l’Everest. Sa vitesse tolérée en piqué sera par exemple de 400 km/h indiqués aussi, plus élevée donc en réalité à haute qu’à basse altitude.

     

    En effet la pression dynamique qui endommagerait l’avion à plus de 400 km/h indiqués correspond bien à 400 km/h réels au niveau de la mer, mais à davantage en altitude (2 x 400 ou 800 km/h à nos 12000 mètres coutumiers).

     

    Le pilote dispose ainsi avec l’anémomètre et sa vitesse indiquée d’un précieux instrument de sécurité. La connaissance de la vitesse réelle ressort des moyens de navigation.

     

     

    17

     

     

    Nous parlerons de l’effet du vent sur le vol. Nous avons eu la surprise d’entendre un instructeur affirmer qu’un fort vent de face améliore la vitesse ascensionnelle ; il devait prendre son avion pour un cerf-volant. Voyons tout cela.

    Le vent peut être dévié vers le haut en frappant une colline ou montagne. Il importe peu que ce vent ne soit pas dévié jusqu’à la verticale ; il possèdera sans mal une composante verticale de plusieurs mètres par seconde, suffisante pour soutenir et faire monter un planeur – voire un avion - en vol de pente, allant et venant inlassablement au long de la chaîne de reliefs.

     

    Au-dessus de la crête l’air perd progressivement sa vitesse verticale. Quelques centaines de mètres au dessus des sommets, la composante verticale de la vitesse du vent défléchi par le relief tombe à la valeur (en sens opposé) du taux de chute du planeur. Celui-ci stagne sans plus monter.

     

    Plus spectaculaire est le vol d’onde, où le planeur atteint parfois l’altitude des avions de ligne en exploitant les mouvements ondulatoires de très forte amplitude que certains reliefs donnent au vent qui les frappe. Nous renvoyons aux textes plus spécialisés.

     

    Ces cas particuliers mis à part, examinons l’influence plus banale sur un avion du vent ordinaire et tout à fait horizontal.

     

    Le principe de relativité doit être considéré : l’avion qui n’a plus de lien avec le sol « ignore » s’il y a du vent et quel il est ; ses performances par rapport à l’air, en mouvement ou non, doivent rester inchangées quoi qu’on raconte.

     

    La vitesse en palier indiquée par l’anémomètre ne change nullement, que le vent soit nul, de face ou de dos. Une croyance ancestrale de la Sibérie affirme que le canard sauvage volant vent de dos a les plumes de la queue retroussées par le vent glacé, et en meurt de froid. Un tel cas de vol est impossible, à moins que l’oiseau n’ait le secret du vol rapide en marche arrière.

     

    La vitesse ascensionnelle et la vitesse de chute moteur réduit lues au variomètre ne sont jamais modifiées par le vent horizontal.

     

    Toutes les performances relativement au sol sont en revanche altérées.

    La chose est évidente pour la vitesse : on ajoute ou soustrait celle du vent à celle de l’avion selon que le vent souffle de dos ou de face.

     

    Lorsque le vent n’est pas dans la direction de l’avion, on combine graphiquement les vecteurs « vitesse de l’avion » et « vitesse du vent » pour trouver leur résultante. On découvre alors que même un vent de plein travers ralentit l’avion ! si du moins celui-ci résiste à l’action du vent latéral en pointant un peu du nez vers le côté d’où vient ce vent traversier.

     

    En croisière par bon vent de travers, l’avion pointe le nez de quelques degrés vers le vent à seule fin d’aller droit par rapport au sol. Ainsi le pilote vole-t-il en crabe. Un avion voulant aller plein est (cap 90°) est soumis par exemple à un vent de travers gauche suffisant à le repousser à droite de 10 degrés. Que le pilote ne réagisse pas et conserve au compas son cap 90° : l’avion suivra par rapport au sol un tracé orienté au cap 90 + 10 = 100 degrés. S’il entend maintenir sa route par rapport au sol à la valeur plein est de 90°, il faudra pointer le nez 10° à gauche dans le vent. 10° est ici la dérive, ou angle de dérive. Le pilote affichera donc 80° au compas.

     

    A basse hauteur en approchant pour atterrir, le pilote soumis à un vent traversier doit aussi pointer le nez vers le côté d’où vient le vent. S’il le pointait dans l’axe de la piste, il serait refoulé de côté. Or l’avion vole ici lentement ; la vitesse du vent est alors une fraction notable de celle de l’avion : l’angle de dérive est élevé. Le sol tout proche contribue à le faire paraître plus net encore.

     

    La dérive vue dans ces conditions peut souvent sembler d’une importance étonnante. Le pilote une fois posé malgré cette adversité arrosera son exploit au bar du club en racontant qu’il approchait avec 45 degrés de dérive. Il le croira, d’ailleurs, comme il croit virer incliné de 80° quand il dépasse de peu 45. Il est douteux qu’il ait en fait excédé dix petits degrés, mais l’effet optique est surprenant.

     

    Il va de soi qu’une manœuvre de redressement de dernier moment a lieu pour mettre l’avion et les roues dans l’axe de la piste à l’instant de toucher terre.

     

    Voici quelques valeurs de dérive. Nous supposons le vent de plein travers animé d’une vitesse égale à 1%, 5%, 10%, 20% de la vitesse propre de l’avion.

     

    1% : 0,5°

    5% : 3°

    10% : 5,5°

    20% : 11,5°

    Par vent de face, la réduction de longueur de roulement au sol avant décollage est extrêmement importante sitôt que ce vent devient notable. La longueur de roulement croît au carré de la vitesse d’envol : on en déduit avec raison qu’un vent de face égal à la moitié de la vitesse d’envol réduit la course au décollage par quatre en première approximation. Tel ULM nécessitant cent mètres pour soulever ses roues à 60 km/h se contentera de 25 mètres face à 30 km/h de vent.

     

    Un chasseur décolle à 300 km/h en 500 mètres par vent nul ; face au même vent de 30 km/h, il quittera le sol à 270 km/h qu’il atteindra en 405 mètres.

     

    Noter que la vitesse indiquée lue sur l’anémomètre pour les deux machines ci-dessus sera toujours 60 et 300 km/h à l’instant du décollage.

     

    L’affaire prend toute sa mesure sur porte-avions où la somme de la vitesse du navire et du vent naturel se monte souvent à 100 km/h. Le chasseur à réaction précité quitterait le pont même sans catapulte en 222 mètres, s’il pouvait employer plus que la courte piste de catapultage. Un chasseur à hélice quitte le bateau sans assistance.

     

    Un ULM doit pouvoir tenir encore l’air à 65 km/h ; cette condition est exigée dans le but de réduire à peu de choses le risque de mort par collision avec un obstacle en cas d’atterrissage sur panne de moteur. Cette exigence vient de ce que le moteur n’est pas « certifié » : il n’est par conséquent pas réputé aussi sûr. Que l’engin se pose face au vent de 30 km/h ou bien au contraire vent de dos : sa vitesse minimum par rapport au sol sera respectivement selon le cas de 35 ou de 95 km/h. On voit que percuter quelque chose au sol dans l’un ou l’autre cas n’aura pas du tout le même résultat.

    (La probabilité de se tuer croît à peu près au carré de la vitesse ; on en déduit l’effet majeur du vent sur la sécurité du posé).

     

    Qu’un avion embarqué doté d’hypersustentateurs très développés, voire d’un soufflage de voilure, s’approche « lentement » d’un porte-avions filant à pleine vitesse contre le vent : il se présente relativement à lui guère plus vite qu’une machine de grand tourisme se posant sans vent sur le sol ferme.

     

    Attention : la puissance en chevaux nécessaire pour décoller ne change absolument pas avec le vent (1)

    Envoyons face à l’avion un vent égal à sa vitesse d’envol, pour le faire décoller sur place à vitesse nulle par rapport au sol. Il ne faudra pas à cet avion un cheval de moins pour prendre de la hauteur (re-1)

    (Nous ne disons pas que même sans moteur un tel vent ne ferait pas « décoller » l’avion pour le fracasser un peu plus loin).

    Le vent affecte fortement la pente de montée ou de descente, mais la vitesse ascensionnelle est la même face au vent ou sans vent.

     

    On appelle vitesse propre de l’avion, sa vitesse personnelle abstraction faite du vent. Supposons-la en montée de 126 km/h ou 35 m/s. Alors, la pente de montée par vent nul est : 5/35 = 14,3 % ou 8,1°.

    Si le vent souffle de face à 40 km/h, la vitesse-sol, c’est-à-dire par rapport au sol, tombe de 126 à 86 km/h ou 23,9 m/s. La pente de montée passe à : 5/23,9 = 20,1 % ou 11,8°.

     

     

    (1) Cette règle n’est complètement valable que sur sol roulant et plat. Il est certain qu’un avion décrochant à 100 km/h ne pourra jamais décoller par vent nul si le sol bourbeux l’empêche par exemple d’atteindre plus de 80 km/h ; mais que cet avion pourra décoller si le vent de face est d’au moins 20 km/h… Cependant, sitôt l’avion à un centimètre du sol, la règle reprend ses droits rigoureusement.

     

    Apportons une autre nuance. Si la piste est en pente descendante sensible, un vent de face défléchi vers le haut par la pente possédera une composante verticale venant se déduire du taux de chute sans moteur de l’appareil : on est dans le cas du vol de pente des planeurs. Moins de taux de chute sans moteur revient, moteur en marche, à moins de puissance exigée pour tenir l’air. Ainsi l’avion aura-t-il décollé ; mais il n’est pas assuré de conserver sa hauteur une fois le sol redevenu plat.

     

    18

     

     

    Faisons grimper un avion à son plafond. Deux facteurs vont déterminer celui-ci.

     

    D’une part la puissance maximum du moteur diminue avec la baisse de densité de l’air ; il conserve son régime de rotation, mais chaque coup de piston est moins vigoureux. Le moteur n’en conserve pas moins sa vitesse de rotation, puisque l’air plus ténu freine d’autant moins l’hélice.

     

    D’autre part la puissance minimum requise pour simplement tenir l’air augmente avec l’altitude et la baisse de densité de l’air.

     

    Le plafond est donc l’altitude à laquelle se croisent les deux puissances, l’une baissant et l’autre croissant.

    La baisse de puissance du moteur est le facteur prédominant.

    Soit un avion pouvant voler au niveau de la mer depuis sa vitesse de décrochage de 100 km/h, jusqu’à la vitesse maximum de 300 km/h que permet son moteur. Il dispose d’un écart de vitesse de 200 km/h. On peut aussi donner cet écart sous forme d’un rapport : 300/100 = 3. Le pilote choisit sa vitesse sur une plage de 200 km/h.

     

    A son plafond, l’avion a besoin de toute la puissance qui lui reste. Au plafond, cette puissance résiduelle est par définition la puissance minimum nécessaire à tenir l’air, celle que nous avons définie déjà comme la puissance requise à 120% de la vitesse de décrochage.

     

    Il en résulte qu’on ne peut voler au plafond qu’à cette seule et unique vitesse. L’écart de vitesse tombe à zéro km/h.

     

    On a vu que l’air plus ténu de l’altitude décale toutes les vitesses remarquables. Cette unique vitesse possible au plafond sera plus élevée que 120% de la vitesse de décrochage au sol ; mais elle restera :

    - la même vitesse indiquée sur l’anémomètre ;

    - encore 120% de la vitesse réelle de décrochage à l’altitude considérée.

     

    En altitude la vitesse maximum vraie (par opposition à la vitesse indiquée) n’augmente pas si l’avion est dépourvu de compresseur. Puisque la vitesse minimum vraie augmente, l’écart de vitesse disponible se réduit ainsi progressivement avec l’altitude. Vient enfin le plafond, où l’écart de vitesse s’annule en se limitant à un seul point. On en verra une intéressante application pour l’avion fameux U-2.

     

    (que le moteur soit muni d’un compresseur permettant d’accroître la vitesse en altitude ne fait que retarder vers des altitudes plus grandes le resserrement de l’écart de vitesse disponible).

     

    Le plafond absolu est le vrai plafond, le plafond physique. Le plafond pratique est par convention l’altitude où la vitesse ascensionnelle est tombée à 0,5 mètre/seconde. Quelques centaines de mètres séparent les deux plafonds.

     

    A la vitesse de 120 % du décrochage l’appareil est sensiblement cabré ; il commence à se montrer un peu mou aux commandes, faute d’un bien grand appui de l’air sur ses gouvernes. Approchant du plafond, le pilote constate évidemment sur le cadran de son variomètreque la vitesse ascensionnelle s’affaiblit notablement. Ce n’est pas le seul symptôme.

     

    Supposons que le pilote veuille faire une pause dans sa montée en effectuant un palier. Il pousse alors son manche pour décabrer sa machine et la laisser reprendre de la vitesse à l’horizontale. Est-il déjà bien proche du plafond ? Il ne reste presque pas de chevaux disponibles pour accélérer ; il n’existe presque plus d’écart entre sa vitesse réelle et la vitesse maximum à cette altitude ; l’avion ne prend dès lors que peu de km/h et décabre à peine. L’avion vole sur un écart de vitesses possible très réduit, et pousser le manche un rien de plus le fera aussitôt commencer à redescendre.

     

    Le plafond absolu est enfin laborieusement atteint, encore qu’on ne puisse en pure théorie que l’approcher comme on approche une asymptote. L’avion est cabré ; le moteur est à pleins gaz pour donner peu ; le pilote tient le manche du bout des doigts et ressent l’impression justifiée de se tenir en équilibre sur une pointe d’épingle :

     

    Que le pilote pousse d’un millimètre son manche, et l’avion en palier au plafond entame naturellement une descente ; qu’il tire vers lui le manche même fort légèrement, et l’avion cabrant un peu plus, ralentissant un peu plus, repasse à une vitesse inférieure à la vitesse de puissance minimum. Il n’a plus alors assez de chevaux pour tenir, et s’enfonce le nez haut.

     

    Que le pilote bouge le manche à gauche ou à droite pour entamer un virage, même large, et l’avion s’enfonce également : il faut davantage de puissance en virage qu’en ligne droite. Bref, le pilote au plafond absolu ne peut absolument rien faire sans perdre de la hauteur. Précisons qu’en pratique il s’avachira plus ou moins mollement sur des dizaines ou des centaines de mètres avant de parvenir à se rétablir dans un air un peu moins rare.

     

    Aucune performance de l’avion n’est plus sujette à variation que le plafond. L’auteur a personnellement conduit un jour à 4600 mètres un monoplace léger du type Turbulent avant de recommencer quelques jours après au même poids sans parvenir à dépasser 3800 m.

     

    Qu’il fasse froid : l’air se contracte ; il se dilate en cas inverse. Le temps froid rétracte l’atmosphère vers le sol, le temps chaud la dilate en la rééchelonnant en altitude. Ainsi le temps froid très favorable aux performances à basse altitude (lire plus haut) est-il au contraire inapproprié aux tentatives de record d’altitude, sauf s’il s’agit d’un record pour catégorie plafonnant bas par nature.

     

    Les plafonds donnés dans les fiches techniques sont purement théoriques, notamment parce qu’ils précisent rarement à quel poids il sont valables.

     

    Il est éducatif et intéressant de faire décoller au simulateur divers avions sur la piste interminablement longue de la Paz (Bolivie) sise par quatre mille mètres d’altitude. C’est déjà presque le plafond des avions légers.

     

     

    19

     

     

    Donnons quelques exemples de finesse maximum pour des machines de catégories diverses.

     

    - ULM pendulaire : 6 à 8

    - ULM biplace côte à côte trois-axes en stratifié, morphologie « avion », ailes d’allongement prononcé : 14 à 16

    - avion de tourisme courant, train fixe : 8 à 12

    - avion de ligne à réaction : 20

    - avion à pistons de grande taille, genre B-36 ou L.1049 : 20

    - chasseur ancien, biplan : 6

    - chasseur à hélice P-51 : 14

    - chasseur à réaction d’allongement faible, ailes trapues : 6 à 9

    - Concorde : 12,8 (en subsonique) 

    - X-15 : 3 ou 4

    - Rutan Voyager : 27

    - planeur primitif genre Avia X : 8

    - planeur en bois 1950 d’usage courant : 20

    - planeur de grande performance 1960 : 40

    - planeur de grande performance 2000 : 60 à 70

     

    La finesse est d’une manière générale favorisée par l’allongement de l’aile : ainsi la comparaison entre le planeur de grande performance et l’avion de tourisme banal.

    La grande taille de l’appareil et sa vitesse favorisent également la finesse, même à formes égales : la maquette n’a pas la finesse de l’avion en grandeur. C’est une conséquence du nombre de Reynolds, un paramètre aérodynamique dans lequel nous n’entrerons pas plus avant.

    Ainsi le Concorde est-il beaucoup plus grand qu’un Mirage III ; son aile n’est pas plus allongée, mais la finesse du Concorde est double. Il est vrai aussi que son fuselage, forte source de traînée, est proportionnellement plus réduit.

     

    Un avion fin est un appareil de finesse élevée, indépendamment de la grâce de ses lignes, même s’il existe souvent un lien entre esthétique et faible traînée.

     

     

    20

     

     

    Une finesse élevée va naturellement de soi sur un planeur, qui doit voler loin en perdant peu de hauteur.

     

    Elle est non moins indispensable sur un avion commercial ou sur un bombardier qui doit transporter une charge au loin en consommant peu : un avion de même poids mais deux fois plus fin a deux fois moins de traînée ; il a donc deux fois moins de besoin de puissance en croisière économique, deux fois moins de consommation kilométrique. Il ira deux fois plus loin.

     

    On poussera l’observation un peu plus loin en notant que plus de finesse représente, à égale puissance disponible, davantage de charge soulevée de terre. Si une tonne d’avion d’une certaine finesse coûte 100 chevaux à faire croiser, la même puissance disponible pourra faire croiser deux tonnes d’un avion de finesse double.

     

    Cela ne veut pas dire qu’on doublera réellement le poids total de l’avion, car la meilleure finesse n’a qu’un effet modéré sur la vitesse ascensionnelle : les moteurs travaillent en montée moins contre la traînée que contre la pesanteur ; la finesse ne réduit en rien la gravitation ; les mêmes moteurs ne peuvent donc utilement gréer un avion de poids double.

     

     

    21

     

     

    Un avion pique à bonne vitesse avant de remonter rapidement sur sa lancée ; il a effectué une ressource, arc de cercle (à peu près) entre piqué et remontée. Dans cette section courbe de la trajectoire, nous pénétrons le domaine passionnant des accélérations, ou manœuvres sous facteur de charge.

     

    Il importe ici de prévenir l’incompréhension fréquente : « de quelle accélération parlez-vous puisque la vitesse de l’avion ne varie pas toujours énormément au cours de ces phases de vol ? »

     

    Lorsque le Stuka redresse sèchement au bout de son piqué, il encaisse « 8 g », et l’on dit que l’équipage se sent peser 8 fois son poids. On parle également d’une « accélération de 8 g ». La notion d’accélération intrigue souvent puisque la vitesse de l’appareil diminuerait plutôt dans cette phase.

     

    Relisons « Prototype FX-13 » dans la série dessinée Buck Danny. Nous voyons le pilote Tumbler mettre pleins gaz en palier, pour sombrer dans le voile noir sous l’effet de la prodigieuse accélération due aux moteurs.

     

    Ce n’est pas tout à fait cela…

    Le voile noir survient au-dessus de 5 ou 6 g, et nul avion connu n’est capable d’atteindre pareille accélération en ligne droite : il faudrait que la poussée de ses réacteurs valût 5 ou 6 fois son poids. Cela n’existe pas, hors le catapultage sur porte-avion où l’équipage ne tombe précisément pas dans le voile noir (1). Il est vrai qu’il n’en aurait pas le temps. L’accélération au sens classique, l’accélération en ligne droite est parfaitement incapable d’infliger 6 ou 10 g. Quelques dixièmes de g font une belle accélération déjà.

     

    Qu’est donc cette accélération particulière à l’avion, sans lien avec celle du véhicule terrestre ?

     

    L’avion en piqué descendait à 360 km/h ou 100 m/s. Supposons le piqué sous un angle de 30°, angle où la composante verticale de la vitesse est moitié de la vitesse effective. La vitesse de descente était donc 50 m/s. Supposons qu’en ressource l’appareil remonte également sous un angle cette fois ascendant de 30° lui aussi.

     

    La ressource aura donc annulé la vitesse verticale de descente de 50 m/s pour lui substituer une vitesse verticale ascendante de 50 m/s également. La ressource aura modifié au total de 100 m/s la vitesse verticale.

     

    On sait qu’une accélération de « 1 g », celle de la pesanteur, celle que prend un corps en chute libre, vaut 9,81 m/s par seconde : le corps en chute (dans le vide) voit à chaque seconde écoulée sa vitesse croître de 9,81 m/s ou 35 km/h. On adopte souvent 10 pour valeur approchée de 9,81.

     

    La vitesse verticale de l’avion en ressource a varié de 100 m/s, ce qui fait 10 fois 10 m/s. Cela suppose une accélération dirigée vers le haut valant 1 g pendant 10 secondes, ou 2 g pendant 5 secondes, ou 5 g pendant 2 secondes… Le chiffre est d’autant plus fort que le temps de ressource est bref, c’est-à-dire que le pilote aura tiré fortement son manche pour la ressource.

     

    Voilà de quelle accélération il s’agit ; on voit qu’elle est sans lien direct avec une éventuelle variation de la vitesse indiquée au tableau de bord.

    Il s’agit en fait de la force centrifuge produite dans la ressource.

     

    Le pilote en palier éprouve évidemment son propre poids normal. Dans la ressource s’y ajoute l’accélération détaillée ci-dessus. Est-elle par exemple de 5 g, le pilote se sent peser 5 + 1 = 6 fois son poids. L’oppression est intense ; les joues tirent vers le bas sous les yeux ; la tête est difficile à tenir droite, les lunettes glissent, les bras sont difficiles à lever. Les objets lâchés filent au plancher comme des balles. Le cerveau mal irrigué perdra conscience si l’accélération croît encore ; avant l’évanouissement surviendra le voile noir, ou perte de la vue.

     

    Le voile noir vient de la désertion du cerveau par le sang « alourdi » que le cœur ne parvient plus à monter au cerveau. On pourrait donc imaginer le voile noir dans un ascenseur d’une puissance inouïe, où l’accélération est dans le sens qui fait descendre le sang vers les chaussettes. Nous avons calculé pour vous que sous une accélération de 6 g suivie d’un freinage égal, l’ascenseur atteindrait le 5ème étage en 1 seconde.

     

    Le voile noir ne risque donc pas de se produire dans une accélération comme on l’entend habituellement en voiture : le sang n’a ici nulle raison de descendre. Cette accélération ne concerne pas la vitesse sur trajectoire de l’avion, sa vitesse au sens usuel. Elle concerne (en gros) la composante verticale de cette vitesse.

     

    Nous ne résisterons pas à la tentation de rappeler après Buck Danny une autre amusette de Spirou vers la même époque. On vit un jour dans la chronique deux-roues un projet de motocyclette ultraperformante. Pour résister aux accélérations fabuleuses le conducteur était couché sur le ventre, la tête vers l’avant, comme le sont les pilotes des avions expérimentaux destinés à l’étude des effets médicaux des g (Berlin B-9, Meteor spécial…). Cette position est en effet idéale sur une moto invraisemblablement puissante pour précisément hâter la fuite du sang hors de la tête.

     

    Le nombre de « g » est le facteur de charge.

     

    Le facteur de charge est positiflorsque l’accélération est dirigée du plancher vers le plafond de l’avion (2) ; l’effet de force centrifuge est alors dirigé en sens inverse, chassant le sang aux pieds. Qu’en est-il si l’accélération est dirigée cette fois en sens inverse ?

     

    Commençons par étudier le cas où le facteur de charge est nul. Nous verrons ensuite les cas où il est négatif.

     

     

    (1) et hors les dragsters dits « Top Fuel ».

    (2) et non nécessairement « du bas vers le haut » puisque l’avion peut voler autrement que la tête du pilote vers le haut.

     

    22

     

    Le facteur de charge nul :

     

    Le mécanisme par lequel on crée assez longuement l’apesanteur en avion peut à présent s’expliquer. Les astronautes à l’entraînement peuvent ainsi disposer d’une trentaine de secondes sans poids à chaque manœuvre.

     

    L’avion choisi est un transport à réaction rapide doté d’un fuselage assez large pour y voleter à son aise. Il débute sa manœuvre à partir d’un vol en palier à quelques 900 km/h, ou 250 m/s. Le pilote cabre assez promptement l’avion pour l’installer en montée à 30 degrés. La manœuvre produit évidemment un certain facteur de charge qui dure tant que l’angle de montée recherché n’est pas atteint ; les passages se sentent brièvement – un peu - plus lourds.

     

    Une fois lancé vers le ciel sous 30° de pente ascensionnelle, le pilote repousse le manche de manière à diminuer l’incidence de l’aile jusque vers zéro, en sorte qu’elle ne porte plus du tout. L’avion se comporte alors en pur projectile : ses occupants sont en apesanteur. Le pilote maintient juste assez de poussée pour équilibrer la traînée résiduelle (la traînée induite ayant disparu avec la portance) afin de l’empêcher de réduire le temps d’apesanteur en freinant l’appareil.

    Une autre façon de comprendre l’apesanteur dans l’avion est de considérer qu’il est lancé vers le haut indépendamment de ses passagers non attachés, tandis que ces passagers sont eux-mêmes lancés parallèlement. Avion ou passager non ceinturé, chacun dès lors continue à monter vers le ciel en libre projectile, à la même allure, chacun sans se soucier de l’autre. Avion, passagers, ne supportent aucun facteur de charge ; ils sont en « zéro g ».

     

    Ou bien l’on dira que les passagers flottent immobiles dans l’avion, ou bien que l’avion flotte immobile autour des passagers.

     

    L’avion montant comme un simple projectile perd de sa vitesse ascensionnelle comme n’importe quel objet lancé vers le haut. Une pente de 30° est une pente à 50% ; la composante ascensionnelle est donc de 125 m/s pour une vitesse sur trajectoire de 250.

     

    La pesanteur est de 9,81 m/s², ou 10 en chiffres ronds. Cela veut dire qu’un corps en chute accélère de 10 m/s à chaque seconde, ou qu’il ralentit de 10 m/s à chaque seconde s’il a été lancé vers le haut à la verticale. Il commence à retomber une fois épuisée sa vitesse ascensionnelle.

     

    Il importe peu que la montée soit verticale ou suive une courbe : seule compte la composante verticale de la vitesse.

     

    La vitesse ascensionnelle de 125 m/s est donc réduite à zéro en 125/10 = 12,5 secondes. A ce moment l’avion est au sommet de sa trajectoire et s’apprête à replonger. La redescente est symétrique en tout point à la montée. On peut interpréter ici l’apesanteur en disant que l’avion et le passager non attaché tombent vers la terre chacun pour son compte, sans mouvement l’un vis-à-vis de l’autre. L’avion redresse ensuite pour revenir en palier et recommencer.

     

    L’ensemble de cette trajectoire en cloche et en apesanteur a duré 25 secondes. La forme en est celle d’une parabole ouverte vers le bas. La même manœuvre en Concorde partant de mach 2 aurait duré une minute. L’altitude atteinte aurait sans doute causé l’extinction des moteurs.

     

    Durant la manœuvre, tous objets à bord sont ôtés ou bien arrimés : les gros colis pesants flottent comme les petits avant de retomber sur la tête de l’équipage. Le pilote sent son estomac remonter : il ne tire plus sur ses ligaments suspenseurs ; ses jambes sans poids tendent à quitter les pédales ; les menus objets oubliés çà et là flottent dans la cabine ; la poussière du plancher vient voler dans les yeux.

     

    Cette manœuvre est à déconseiller sur un avion léger qui n’est pas adapté à la voltige : le moteur ne sera ni alimenté en essence ni graissé. Il ne dispose pas non plus des doubles ceintures des avions de voltige.

     

    La série Buck Danny vous donne dans son épisode X-15 une description de la parabole d’apesanteur. Le scénariste fait débuter l’apesanteur seulement au moment où l’avion parvenu au sommet de sa trajectoire courbe commence à plonger. Ce n’est pas là notre seul désaccord avec la série.

     

     

    23

     

     

    Au-delà du facteur de charge nul « zéro g » ne manquera pas d’exister le facteur de charge négatif. Retournons l’avion sur tréteaux le ventre en l’air : l’effort sur les ailes tend cette fois à les replier vers le bas, si « bas » veut dire « le bas de l’avion ; vers ses roues ». C’est visiblement l’effort subi en vol sur le dos. Le vol rectiligne sur le dos se déroule sous facteur de charge de – 1 g.

     

    Le facteur de charge négatif est permanent dans une boucle inversée, celle où la tête du pilote est constamment à l’extérieur du virage. Le facteur de charge négatif est présent même au sommet de la boucle, là où l’avion paraît normalement tourné ventre vers le sol (tout comme le facteur de charge positif se manifeste dans une boucle normale même quand à son sommet le pilote est tête en bas).

     

    Si le facteur de charge négatif est suffisant le sang cette fois est centrifugé vers la tête avec le risque de voile rouge, obstruction de le vision par afflux sanguin aux yeux. Les « g » négatifs sont beaucoup plus désagréables et mal supportés que les « g » positifs.

    Sous facteur de charge négatif le pilote sens son séant vouloir se décoller du siège ; ses épaules tendent les bretelles du harnais ; ses jambes veulent se soulever ; des brides sont nécessaires pour que ses pieds ne quittent pas les pédales vers le haut.

    En vol paisible dominical par beau temps d’été, la turbulence peut sans préavis soumettre l’avion à de brusques chocs d’une fraction de seconde, au cours desquels il prend des « g » aussi bien négatifs que positifs.

     

     

    24

     

     

    L’avion supporte lui aussi les efforts que subit le pilote sous facteur de charge.

     

    La structure de l’avion en vol travaille à peu près comme suit : le fuselage pèse tandis que les ailes portent ; la portance est répartie d’une extrémité d’aile à l’autre, en sorte que la moyenne s’en trouve à mi-chemin du fuselage et du bout d’aile (si l’aile est aussi large en bout). Soulevons l’avion avec son plein et son chargement, pour en poser les deux ailes sur deux tréteaux placés à mi-distance du fuselage et de chaque bout d’aile. Les roues ne touchent plus terre. On voit qu’ainsi la charpente des ailes « force » là où elles se fixent au fuselage. On dit que la structure de la voilure supporte 1 g, l’effet du seul poids de l’avion ; ou bien qu’elle supporte un facteur de charge de 1.

     

    En ressource sous 6 g, la force qui cause l’accélération vers le haut (lire plus haut) est tout simplement un surcroît momentané de portance des ailes. Passer de 1 à 6 g exige que les ailes portent 6 fois la normale, ce qui n’est pas rien ; c’est comme si l’on multipliait par 6 le poids du fuselage de l’avion sur tréteaux. Les racines d’ailes ne sont pas loin de casser.

     

    Un avion de tourisme casse à 6 g, un avion de voltige à 9 g au moins, un chasseur au-dessus de 12. Un appareil de vol musculaire nécessairement allégé à l’extrême supporte à peine 2 g. Il s’agit là du facteur de charge extrêmeOn définit le facteur de charge limite comme celui au-dessus duquel le matériau de structure subit des déformations définitives quoique sans casser encore. L’avion est bon à réformer. Le facteur de charge limite est environ des deux tiers du facteur de charge extrême, variable selon le matériau de construction. On ne doit pas dépasser en vol le facteur de charge limite.

     

    En facteur de charge négatif, les efforts tendent cette fois à replier les ailes vers le bas. Un avion casse souvent en facteur de charge négatif à la moitié de ce qu’il supporte en facteur positif. On dira par exemple que le facteur de charge extrême de tel appareil vaut : « +6 g, - 3 g ».

     

    Le facteur de charge limite ou extrême dépend évidemment du chargement de l’avion ; il est défini pour sa charge maximum.

     

    Le lecteur soucieux de moins de simplicité dans l’exposé peut faire des recherches sur la notion de délestage au sujet des efforts de flexion de l’aile.

     

    Cas extrême : une aile volante qui n’aurait pas de poids de fuselage au centre, mais au chargement intégralement réparti en envergure, tient un facteur de charge illimité sans se briser en son centre : comment y définirait-on une flexion ?

     

     

    25

     

     

    On lit souvent que tel avion de chasse « restitue » très bien, ou restitue plutôt mal. Ceci fait directement suite à la question de la ressource au terme d’un piqué.

     

    Un appareil qu’on supposera sans moteur (pour simplifier la question) se met en piqué ; supposons que partant de 5000 mètres et 300 km/h, il plonge jusqu’à atteindre 500 km/h. Il fait alors une ressource et remonte en pente raide comme il était descendu.

     

    Rappelons qu’il est sans moteur. Il « restitue » parfaitement s’il remonte à 5000 mètres et les rejoint aux 300 km/h auxquels il est parti. On voit l’intérêt de « restituer » en combat : un piqué suivi d’une remontée devient une manœuvre gratuite en vitesse et énergie.

     

    Cette restitution parfaite est certes impossible puisqu’elle suppose l’absence de traînée pendant la manœuvre.

     

    « Je décide d’essayer un piqué. Doucement, je presse sur le manche – 500, 600, 650 km/h… La terre semble se ruer à ma rencontre de façon effrayante. Effaré par la vitesse, instinctivement je tire sur la profondeur, et soudain ma tête s’enfonce dans les épaules, une masse de plomb s’affaisse sur la colonne vertébrale et m’écrase sur le siège. Mes yeux se voilent.

    « Comme une bille d’acier tombant sur un bloc de marbre, Le Spitfire a rebondi sur l’air élastique et, droit comme un cierge, a fusé dans le ciel.

     

    En son style merveilleusement évocateur et concis, Clostermann vient de décrire parfaitement ressource, facteur de charge et restitution.

     

    La restitution parfaite est un idéal soumis en chemin à de fortes pertes d’énergie, dont la pire se place au moment de la ressource.

    On verra plus loin pourquoi le facteur de charge s’accompagne d’une augmentation de traînée proportionnelle à son carré : sous 5 g la traînée est multipliée par 25. Elle devient supérieure au poids de l’appareil. On imagine comment l’avion est durement freiné dans cette phase heureusement brève, et comment sa remontée est amputée d’autant.

     

    Un planeur de grande performance est la machine idéale pour « restituer ». Sa traînée minime ne freinera que peu la prise de vitesse en piqué, puis la remontée. La ressource elle-même ne créera qu’une traînée modique dans l’absolu, puisqu’on partait de presque rien. Un planeur peut dès lors offrir sans moteur une assez longue séance de voltige : ses manœuvres même énergiques ne consomment que peu d’énergie. Un planeur de 60 de finesse mis en piqué sous trois degrés, si l’on peut nommer cela piqué, passe vite de 100 à 200 km/h.

     

    Un bombardier biplan de 1918 qui ahane derrière ses moteurs ne restituera à peu près rien. A peine prendra-t-il un maigre surcroît de vitesse en piqué, tant traînent sa voilure, sa mâture, son train et son fuselage sans carénage. Le surcroît de traînée de la ressource mangera le peu d’énergie prise en piqué ; la remontée ne s’amorcera même pas. Le planeur était la bille de Clostermann tombant sur le marbre dans l’air ; le biplan poussif est une bille qui tomberait sur du marbre posé au fond d’un aquarium.

     

    Le pilote de simple tourisme sentira déjà nettement la différence de restitution entre un avion léger sans grande finesse comme le Morane-Saulnier Rallye (il a d’autres qualités) et une machine précisément fine comme un Robin en bois à train classique. Nous parlons de la finesse au sens aérodynamique, non pas au sens du styliste. Le Rallye atteint laborieusement une vitesse notable sous la condition d’un long piqué assez impressionnant ; puis il freine si bien en remontant, qu’il remonte peu. Le Sicile, un Robin de qualité, prend bientôt un net excédent de vitesse sans plonger beaucoup ; après quoi il remonte avec vivacité. Le monoplace semi-planeur RF-4 de René Fournier avec ses 17 de finesse prend en piqué à peine prononcé une vitesse bientôt supérieure à ce qu’on lui autorise ; d’une légère traction du doigt le pilote passe une boucle presque sans effort. L’intercepteur-fusée Messerschmitt Kometde formule aile volante frôlait 20 de finesse et restituait admirablement. La machine après son envol atteignait 10000 mètres et 900 km/h avec ses réservoirs déjà mis à sec. Ensuite, une succession d’attaques en piqué suivies de ressources et regains d’altitude moyennant peu de pertes, constituait sa seule possibilité de manœuvre un peu convaincante.

     

     

    26

     

     

    Un sujet dérivé du précédent sera celui de la montée en chandelle. Un avion qui file en palier à une certaine vitesse entame soudain une montée verticale. Quelle altitude gagnera-t-il avant d’avoir épuisé toute sa vitesse ? ou du moins une part ?

     

    Considérons le cas idéalisé d’un avion sans traînée ni moteur : la première ne freinera pas la chandelle, tandis que le second ne l’allongera pas.

    Le problème revient à un simple exercice de balistique, équivalant à demander jusqu’où monte un obus tiré par le canon à la verticale.

     

    Un corps lancé à la verticale à vitesse de 10 m/s (36 km/h) ne monte que de 5 mètres. Accroissant la vitesse, la hauteur gagnée augmente au carré de l’accroissement. Lancé dix fois plus vite à 100 m/s ou 360 km/h, il montera cent fois plus haut, soit 500 mètres.

     

    Par raison de symétrie, ces chiffres sont naturellement identiques à ceux des vitesses atteintes en chute libre dans le vide sur la même dénivellation.

     

    Le lecteur peut désormais calculer tous les exemples. Le précédent peut correspondre au gain possible en chandelle d’un chasseur à hélice de la SGM. Pour un chasseur à réaction volant à mach 2 en altitude, soit 600 m/s, le gain théorique de hauteur possible est 18 km. Ainsi obtient-on les records d’altitude en « zoom » qui dépassent les 30 km à partir d’une chandelle tirée depuis une douzaine de mille mètres.

     

    Bien noter que l’angle vertical ou non du piqué est sans effet sur le résultat ; seule compte la variation d’altitude.

     

    27

     

     

    Abordons au ras du sol le seuil d’une piste où nous désirons atterrir successivement avec un avion de tourisme et un planeur de performance. Nous franchirons ce seuil dans les deux cas avec une vitesse inhabituelle, 50 km/h en excès sur la meilleure vitesse d’approche. Dans les deux cas nous aurons préalablement mis la machine en palier à un mètre du sol. Comment se comporteront les deux appareils ?

     

    L’avion présente une traînée sensible. Il lui suffit pour se tirer d’affaire que la piste ne soit pas trop courte. Supposons que le pilote réduise soudainement les gaz en passant le seuil : il éprouvera un ralentissement voisin de 5 km/h par seconde s’il n’a sorti aucun volet de courbure, ou de l’ordre de 10 km/h s’il les a complètement déployés. Pour ne pas toucher terre à une vitesse propre à rebondir et redécoller, il faut demeurer le plus longtemps possible à un mètre du sol à ralentir sous l’effet de la traînée. Il va falloir cabrer très progressivement le nez pour que l’incidence augmentant conserve à l’avion la même portance tandis qu’il ralentit. C’est une manœuvre à finement doser pour ne descendre ni monter. En deux ou trois cents mètres volets abaissés, ou le double sinon, l’avion aura perdu son excédent de 50 km/h et touchera terre.

     

    Dire que la finesse d’un planeur est 50 est dire que sa traînée ne dépasse pas la cinquantième partie de son poids. Un si faible freinage ne lui fait même pas perdre un kilomètre à l’heure par seconde. Nous avons supposé les puissants aérofreins escamotés ; leur sortie confère au planeur à peu près la traînée d’un avion.

     

    Chiffrons la question en faisant arriver notre planeur à 150 km/h au lieu des 100 qui eussent été souhaitables.

    Le pilote ici n’éprouve absolument pas le besoin de cabrer progressivement pour lever le nez afin de refuser le sol. Le planeur file nez toujours à plat, en effaçant avec allégresse un kilomètre de piste. La proximité du sol donne au pilote une singulière impression de silencieuse puissance. Le rase-mottes sans moteur est un plaisir. Après quoi sur une légère traction au manche, l’appareil jaillit à dix ou vingt mètres de hauteur. Le pilote a certes perdu dans l’affaire un peu de vitesse, mais il a eu l’impression de rebondir souplement et très nerveusement sur… rien. Il peut repousser le manche ; l’engin revient au ras du sol en reprenant sa vitesse. L’amusement est grisant, mais finira mal.

     

    Il finira dans la nature après l’aérodrome, parce que l’excès de vitesse en entrée de piste empêchait l’atterrissage : il eut fallu beaucoup moins de vitesse ou beaucoup plus. Beaucoup moins : la chose est simple à comprendre ; il aurait fallu se présenter en début de piste 50 km/h moins vite. Quant à beaucoup plus…

     

    Le pilote du planeur peut se présenter carrément à 250 km/h au seuil de piste pour effectuer la classique manœuvre de victoire à l’issue d’un beau vol (1) : après avoir rasé la piste à grande vitesse de bout en bout, le planeur aura conservé assez de vélocité pour bondir ensuite à cent mètres et davantage, faire demi-tour et se poser enfin, sortant même les aérofreins pour en finir.

     

    (1) Du temps ancien que nous volions en planeur. Nous ignorons si notre époque moderne abrutie de prudences permet encore pareilles folies.

     

     

    28

     

    Ce chapitre un peu aride traite de l’effet de réaction en termes «mathématiques», mais ses conclusions sont fondamentales pour l’interprétation correcte de deux phénomènes :

    - la portance, qui est obtenue par réaction lorsque l’aile défléchit vers le bas l’air qu’elle traverse ;

    - la traction d’une hélice ou la poussée d’un réacteur, obtenue par refoulement d’air vers l’arrière.

     

    Qui s’étonne de voir analyser la portance de l’aile en termes de réaction, n’a qu’à songer à la pale de rotor d’hélicoptère en vol stationnaire. C’est une aile dont le déplacement engendre à l’évidence vers le bas un envoi d’air, qui d’évidence est la cause par réaction de la sustentation de l’appareil (1).

     

    Débutons par la définition fondamentale : la force de réaction est égale au produit du débit de masse refoulé multiplié par la vitesse de refoulement.

     

    Le débit est en kilos par seconde et la vitesse en mètres par seconde. Le résultat est une force de réaction exprimée en newtons. On la divise par 10 (ou plutôt 9,81) pour obtenir des kilos de poussée ou de portance.

     

    La formule s’applique à tout ce qui fonctionne à réaction : moteur d’avion, de navire, de fusée, tourniquet d’arrosage, recul d’arme automatique.

     

    Exemples :

     

    Un réacteur absorbe et éjecte par seconde 50 kg d’air et les éjecte à 500 m/s. Sa poussée vaut :

    50 x 500 = 25000 N ou 2500 kgp

    (on a négligé l’ajout de la petite quantité de carburant)

     

    Une hélice de gros avion refoule par seconde 833 kg d’air (680 mètres cube) à la vitesse de 30 m/s. Elle donne pour traction :

    833 x 30 = 25000 N ou 2500 kg

    (son diamètre est de l’ordre de 5 mètres)

     

    Une aile défléchit par seconde 1000 kg d’air en lui communiquant une composante verticale de vitesse valant 3 m/s. Elle fournit une portance de :

    1000 x 3 = 3000 N ou 300 kg

    (il s’agit d’une vitesse moyenne, la masse d’air défléchie étant à cet égard largement inhomogène)

     

    Une donnée extrêmement importante à laquelle il sera fait plusieurs fois référence est la suivante :

     

    Il est toujours très avantageux d’obtenir une poussée ou une portance donnée en refoulant beaucoup de masse d’air à faible vitesse, et toujours très désavantageux d’obtenir le même résultat en refoulant peu de masse d’air à grande vitesse.

     

    Cela tient à ce que refouler un débit de masse en lui donnant de la vitesse exige de l’énergie : l’énergie cinétique que l’on injecte dans le débit d’air mis en mouvement.

    Cette énergie communiquée à l’air est évidemment indispensable à l’obtention soit d’une poussée, soit d’une portance. On doit tout faire pour minimiser cette énergie.

    Or l’énergie cinétique est donnée par la formule connue : 1/2.m.v² : elle croît comme la masse (m) refoulée, mais comme le carré de la vitesse de refoulement (v²).

     

    La conclusion est immédiate : il faut toujours refouler le plus d’air possible en lui donnant le moins de vitesse possible.

     

    Ce résultat est si important que plusieurs fois le texte l’utilisera en signalant simplement : «rappel au chapitre 28»

     

     

    (1) L’explication habituelle de la portance en termes de dépression d’intrados et de surpression d’intrados n’est pas en contradiction avec celle de la réaction. Ces variation de pression s’observent en même temps que la déflexion de l’air vers le bas par l’aile. Il s’agit de deux aspects d’un même phénomène.

     

     

    29

     

     

    Nous insisterons sur la notion detraînée induite plus qu’on aurait pu s’y attendre dans un ouvrage élémentaire. Cette notion nous semble essentielle pour la compréhension de l’architecture des machines, pour celle des performances aux faibles vitesses indiquées (plafond, rayon d’action), et pour celle enfin du comportement sous facteur de charge.

     

    La traînée d’un corps quelconque est due aux remous que celui-ci produit dans l’air, ainsi qu’au frottement de l’air sur l’ensemble de la surface du corps : ce sont respectivement la traînée de forme et la traînée de frottement. La traînée induite est une résistance complémentaire particulière aux ailes, c’est-à-dire aux corps qui donnent une portance.

     

    Le rotor d’hélicoptère en vol stationnaire rejette un flot d’air continu droit sous lui ; il faut peu d’intuition pour saisir comment il se sustente par simple effet de réaction.

     

    Or chacune de ses pales affecte l’allure d’une aile mince et longue qui, quoique en rond, avance bel et bien dans l’air comme une aile d’avion. On en déduit que l’aile d’avion pourrait bien se sustenter elle-même par un effet de réaction, c’est-à-dire en rejetant elle aussi de l’air sous elle. On a vu l’illustration de la chose à travers l’exemple de la cuiller dans un jet d’eau : l’arrondi de la cuiller dévie de plusieurs degré le flot de liquide.

     

    De l’air balayé par l’aile est ainsi repoussé vers le bas, ce qui ne va pas sans exiger une consommation d’énergie spéciale à cet effet. La sustentation est à ce prix ; la sustentation coûte ainsi nécessairement un complément de puissance en sus de ce qu’il faut pour vaincre la traînée ordinaire. Seule est gratuite la sustentation statique du ballon par le principe d’Archimède (1).

     

    S’il faut 100 chevaux à un avion pour vaincre sa traînée ordinaire à une certaine vitesse et 50 autres pour dévier vers le bas le flot d’air qui le sustente, il volera moyennant 150 chevaux. Ce supplément se traduit en pratique par l’observation que l’hélice tire plus fort : ce supplément de traction sert à vaincre la traînée induite, ce qui sous-entend « induite par l’apparition de la portance. »

     

    Une maquette en soufflerie peut être calée à zéro degré face au vent, en sorte de ne pas donner de portance. Les profils d’aile usuels cessent en fait de porter aux environs de 2 ou 3 degrés à piquer. La maquette sans portance n’a que sa traînée ordinaire, de forme et de frottement. Cabrons-la de quelques degrés à peine pour voir la balance qui la tient enregistrer une portance. La maquette ne paraît pas devoir traîner beaucoup plus, puisque son cabré très léger ne lui fait pas présenter au vent beaucoup plus de maître bau, de section frontale. Or cependant elle enregistre un important supplément de traînée dû à l’apparition de la traînée induite, qui n’existait pas sans portance.

     

    L’hélicoptère en vol stationnaire est l’aéronef qui réclame la plus forte puissance par unité de poids sustentée, hors les avions genre Harrier soutenus par un fluide en veine étroite. Il en réclame moins dès qu’il commence à avancer.

    Le ski nautique lancé à 100 km/h ne réclame presque pas de puissance pour être tiré sur l’eau ; il la rase en se sustentant sans effort sur un fluide apparemment solidifié. La traînée induite est énorme aux basses vitesses, minime (2) aux vitesses élevées. Voilà donc une traînée qui fonctionne à rebours des habitudes.

     

    Cela se justifie par la masse d’air que l’aile rejette vers le bas pour se sustenter. A grande vitesse l’aile brasse beaucoup d’air, et en brasse peu à faible vitesse. Pour obtenir dans les deux cas la même sustentation, il suffit à grande vitesse (de l’avion) de refouler vers le bas ce beaucoup d’air en ne lui communiquant que peu de vitesse (à l’air) ; tandis qu’il faut à faible vitesse (de l’avion) refouler le peu d’air en lui communiquant beaucoup de vitesse (à l’air). Rappel au chapitre 28

     

    C’est paradoxalement aux faibles vitesses de l’avion que l’énergie communiquée à l’air refoulé étant maximum, la traînée induite sera maximum. C’est inversement aux vitesses élevées de l’avion qu’elle sera minimum.

    Soit un avion de tourisme capable d’un assez grand écart de vitesse comme le Robin DR-250. Il est susceptible de voler en palier entre 90 et 280 km/h. Son aile d’allongement 5,4 étale une surface de 14 m² ; il pèse 900 kg.

    On calcule sa traînée induite à 90 km/h, là où est elle est à son maximum puisque la vitesse est à son minimum possible. Cette traînée induite vaut une force de résistance à l’avancement de 80 kg. On sait que la traînée induite diminue avec la vitesse : elle n’est plus que de 9 kg à 280 km/h.

     

    Il est absolument impossible de réduire la traînée induite par profilage ou qualité du poli des surfaces ; le seul moyen existant est d’augmenter l’allongement de l’aile. En particulier, la qualité du profil adopté pour l’aile, type 14-18 ou laminaire moderne, est sans effet sur la traînée induite.

     

    Un racer possède une aile courte, un planeur une aile très allongée, un avion de transport une voilure d’allongement intermédiaire.

    Le Short Skyvan est d’aile bien rectangulaire. Envergure : 19,50 mètres ; corde : 1,78 mètre. Son allongement vaut 19,50/1,78 = 10,96. Il n’y a pas d’unité.

     

    A quoi sert l’allongement ?

     

    L’air dévié vers le bas par l’aile qui se sustente ne se résume pas à celui qui frôle la voilure. L’air à plusieurs mètres au-dessus comme au-dessous est encore dévié, quoique de façon progressivement moindre. On représente assez valablement la zone d’air dévié comme un long tunnel cylindrique dont l’axe est le fuselage de l’avion en mouvement, et dont la section est un disque dont l’aile d’un bout à l’autre représente le diamètre.

     

    Il est alors évident qu’au même poids et à la même vitesse, un avion de 20 mètres d’envergure brassera et déviera vers le bas 4 fois plus d’air que s’il n’avait que 10 mètres d’envergure. On retrouve ici la différence entre brasser beaucoup d’air en lui communiquant peu de surcroît de vitesse et d’énergie, ou bien, brasser peu d’air auquel on injecte au contraire beaucoup de vitesse et d’énergie. La première méthode est très largement payante. Rappel au chapitre 28.

     

    L’allongement élevé est souvent le principal moyen d’obtenir une finesse élevée.

    Son effet bien entendu est considérable là où la traînée induite est forte : aux basses vitesse.

    Aux grandes vitesses, où la traînée induite est minime, son effet est quasi-nul.

    L’allongement élevé est ainsi d’un effet très favorable sur toutes les performances qui se mesurent à basse vitesse, mais d’un effet souvent négligeable sur les performances à haute vitesse. L’allongement élevé est donc payant en termes de vitesse ascensionnelle, distance franchissable, temps de patrouille, plafond, décollage à puissance réduite (terrain en altitude et par temps chaud).

     

    Il est au contraire presque sans effet sur la vitesse de pointe.

     

    Pourquoi tous les avions n’ont-ils pas un immense allongement ?

    L’aile très allongée rend le garage coûteux et la manutention malaisée. La résistance des matériaux contraint une aile allongée à peser très lourd : les planeurs modernes ne sont en rien des plumes. Le grand allongement est un sérieux problème d’ingénieur et un cauchemar de constructeur amateur. L’allongement est lourd. Cette formulation veut dire bien entendu : lourd à surface d’aile donnée.

     

    Un avion bien pensé n’a que l’allongement minimum suffisant à sa mission la plus fréquente. Le constructeur amateur désireux de simplement voler en monoplace derrière son moteur Volkswagen est satisfait pourvu qu’il vole, et ne se met guère en peine d’un allongement pesant et encombrant ; son domicile ne recèle pas nécessairement la place pour construire allongé. Le pilote d’avion léger rapide n’a pas grand besoin d’un allongement sans intérêt à haute vitesse.

     

    Il est vrai qu’il changera d’avis lorsque son moteur tombera en panne en vol. De l’allongement lui aurait donné plus de finesse, donc plus de choix dans son terrain d’atterrissage de fortune. De même les virages plus ou moins désespérés qu’il effectuera dans cette manœuvre lui feront-ils perdre à chacun d’eux beaucoup d’altitude supplémentaire si l’allongement est médiocre. On verra plus loin pourquoi.

     

    L’allongement type d’un avion de plaisance va de 5 à 8. Un chasseur à hélice de 3000 chevaux pour 6 tonnes n’a que faire en montée des 5% de vitesse ascensionnelle supplémentaire que lui donnerait un allongement élevé. Il a sensiblement l’allongement de l’avion de tourisme.

     

    Le transporteur cherche l’économie. L’allongement l’intéresse, comme tout moyen de gagner de la finesse et du pétrole en réduisant la traînée à charge commerciale égale. Cependant l’allongement est lourd, et vient un moment où son accroissement devient contre-productif. Le meilleur compromis commercial se place autour de 10 à 12 d’allongement.

     

    Un simple coup d’œil sur l’allongement d’un avion donne une première idée de ce qu’on attend de cet appareil.

     

    Si vraiment l’on veut un avion de record de distance, on lui donnera un très grand allongement afin de réduire sa traînée au minimum ; mais il faudra pour ne pas trop grever le poids, consentir sur la solidité de l’aile un sacrifice rendant l’appareil inutilisable de façon courante.

     

    Si l’on désire véritablement un avion de record d’altitude ou bien une machine de vol musculaire (il s’agit du même problème : tenir l’air avec la plus faible puissance possible), on fera encore un très grand allongement au mépris de la robustesse de structure.

     

    Le choix de l’allongement relève ainsi d’un compromis entre le gain qu’il procure en traînée, et le poids qu’il ajoute.

     

    Sur avion de tourisme le seul fait de pouvoir tout simplement voler l’emporte fréquemment sur l’exigence véritable de performances et de rentabilité. Il en résulte qu’on oublie souvent dans cette catégorie de se soucier de l’allongement. Plus d’un avion léger même industriel doit son allongement trop faible et sa valeur médiocre à la paresse conceptuelle.

     

    Prix obligé de la portance, la traînée induite est du même ordre que la traînée ordinaire aux vitesses peu supérieures à la vitesse de décrochage (Vs). Il suffit en revanche de voler à deux fois Vs pour que la traînée induite devienne modique, tandis que la traînée ordinaire progresse notablement. La traînée induite devient presque insignifiante à trois fois Vs.

     

    Croisons à 800 km/h dans un chasseur à réaction dépourvu d’aérofreins. L’avion s’approche de la piste d’atterrissage. Il peut falloir réduire les gaz 8 à 10 km avant la piste afin de perdre assez de vitesse pour descendre aux quelques 300 km/h où la sortie du train et des volets devient praticable. Or une telle façon d’agir est souvent inacceptable : la chasse ennemie guette.

     

    Plutôt que faire ainsi, basculons notre chasseur à 800 km/h presque sur la tranche pour entamer un virage de 360° les ailes à peu près verticales. L’avion se trouve dans un cas voisin de celui (déjà étudié) de la ressource sous facteur de charge, si ce n’est qu’il semble faire ici une « ressource » dans le plan horizontal. Serrons ce virage assez pour que le pilote et sa machine y encaissent par centrifugation un facteur de charge de 5g.

     

    Nous avons dit plus haut que sous 5 g la traînée est multipliée par 25 ; cela ne concerne en fait que la traînée induite. La traînée ordinaire n’a pas de motif particulier à s’avérer sensible à ce paraît « peser » l’avion sous 5 g, car elle dépend simplement de sa forme qui n’a pas varié. La traînée induite en revanche augmente vertigineusement, parce que la même aile doit donner 5 fois plus de portance. Pour dévier en ce but assez d’air, on doit faire monter la puissance requise au carré de la portance à produire.

     

    Une traînée colossale va freiner le chasseur en un clin d’œil. Il sortira de son tour complet en y ayant laissé des centaines de km/h. Il pourra donc effectuer cette manœuvre tout près de la piste et non pas au loin. Essayer au simulateur.

     

    Remarque importante : « faible vitesse » ou « grande vitesse » s’entendent dans cet ouvrage par comparaison avec la vitesse de décrochage ; 350 km/h est une très grande vitesse pour un avion de tourisme et une très faible pour un chasseur à réaction. 800 km/h à basse altitude pour un appareil du gabarit de l’avion de ligne à réaction est une forte vitesse ; 800 km/h est une faible vitesse pour le même avion à 12 000 mètres en air rare et peu porteur.

     

     

    (1) Gratuite en apparence. Gonfler le ballon suppose refouler la pression atmosphérique sur la volume rempli de gaz. Au niveau de la mer, gonfler un ballon de 500 mètres cubes consomme un travail de 14 kWh. Soit ce travail avait été déjà produit pour charger des bouteilles de gaz, soit il est à déduire de la chaleur produite par la réaction chimique qui a produit le gaz. On trouvera une justification analogue pour tout autre cas.

     

    (2) Le plus souvent. Avoir érigé cela en postulat universel a conduit même des ingénieurs à se fourvoyer.

     

     

    30

     

     

    Nous ferons un chapitre encore avec l’allongement et la traînée induite, tant ces notions nous semblent fondamentales en aviation. Le chapitre précédent décrivait qualitativement le phénomène ; celui-ci donne les moyens de le chiffrer.

     

    Le lecteur pourra très bien passer ce chapitre assez pesant, mais il y reviendra s’il juge plus loin que des éléments concernant la traînée induite lui font défaut.

     

    Nous savons estimer la traînée minimum en vol, sachant qu’elle est égale au poids de la machine divisée par sa finesse maximum. Ce chiffre ne vaut évidemment qu’à la vitesse de finesse maximum.

     

    Cette traînée minimum contient la part de la traînée induite, c’est-à-dire de la traînée réductible par l’allongement, seule voie de réduction qui reste lorsqu’on a soigneusement caréné l’avion.

    Apprenons à la chiffrer.

     

    Nous prendrons simplement un exemple moyen, un avion-type. Nous donnerons ensuite des formules simples pour extrapoler à d’autres machines.

     

    Soit un avion d’une tonne doté d’une aile d’allongement 5 et de surface 15 m² ; sa charge alaire vaut 67 kg/m².

    D’un de nos chapitres précédents, nous déterminons sa vitesse de décrochage : 27 m/s ou 97 km/h.

    Sa traînée induite à cette vitesse sera de 98 kg. Pour la contrer, un avion à réaction consacrerait 98 kg de sa poussée ; un avion à hélice (de rendement 80%) y consommera 44 de ses chevaux. Cette fraction de la puissance nécessaire au vol spécifiquement affectée à contrer la traînée induite est communément appelée puissance induite.

     

    I) A toute vitesse plus élevée, la traînée induite du même appareil diminuera comme le carré de cette vitesse. A deux fois la vitesse de décrochage, la traînée induite sera divisée par 4 et tombera à 24,5 kg.

    A ces vitesses plus élevées, la puissance réclamée par un avion à hélice pour contrer la traînée induite diminuera en proportion simple de la vitesse : à deux fois la vitesse de décrochage, la puissance induite ne sera plus que 22 chevaux.

     

    II) Changeons la masse de l’avion ; doublons la en doublant aussi sa surface alaire pour conserver la même charge alaire, ainsi que le même allongement de 5. Soient ainsi 2 tonnes et 30 m² ; la charge alaire restera 67 kg/m² ; les chiffres de traînée induite et de puissance induite ont évidemment doublé : 49 kg et 44 chevaux.

     

    III) Conservons la masse de l’avion à 1000 kg, mais doublons par exemple sa charge alaire en divisant par deux la surface des ailes (à allongement inchangé) : 7,5 m² et 133 kg/m². La traînée induite à la vitesse de décrochage (qui est passée à 38 m/s) est inchangée : 98 kg. La puissance induite initiale est donc multipliée dans la proportion de l’accroissement de la vitesse de décrochage, c’est-à-dire par la racine carrée de l’accroissement de la charge alaire.

    La charge alaire est doublée ; la puissance induite à la vitesse de décrochage est multipliée par 1,41 : elle passe de 44 à 62 chevaux.

     

    IV) Conservons la masse de 1000 kg de l’avion ainsi que sa surface de 15 m² et sa charge alaire de 67 kg/m², mais doublons l’allongement de l’aile qui passe à 10.

    La traînée induite est divisée par deux quelles que soient les autres données précédemment calculées. Il en va de même pour la puissance induite : 49 kg et 21 chevaux.

    Rappelons que nous raisonnons toujours sur la traînée induite à la vitesse de décrochage, la plus forte de tout le domaine de vol.

     

    Application générale : quelle est la traînée induite d’un avion d’allongement 7, pesant 4 tonnes, ayant 26 m² d’aile et volant à 350 km/h ? La démarche sera la suivante :

    - Sa charge alaire est 154 kg/m² ;

    - Sa vitesse de décrochage sans volets est donc (vérifiez) 41 m/s, ou 148 km/h ;

    - Il vole à 350 km/h, soit 2,36 fois la vitesse de décrochage.

    - Appliquons I) : partant de l’avion-type qui était celui du cas de départ (1000 kg, 98 kg de traînée induite à sa vitesse de décrochage, charge alaire 67 kg/m², allongement 5), et considérant que la vitesse est maintenant 2,36 fois celle de décrochage, l’étape présente est que la traînée induite passe de 98 kg à 98/2,36² = 18 kg.

    La puissance induite passe à : 44/2,36 = 19 ch

    - Appliquons II) : l’avion actuel pèse 4 tonnes et non pas une ; la traînée induite à cette étape passe à :

    18 x 4 = 72 kg, si la surface alaire était elle aussi quadruplée comme le poids, afin de conserver la même charge alaire.

    La puissance induite passe à : 19 x 4 = 76 ch

    - Appliquons III) : la charge alaire de l’avion actuel n’est pas 67 mais 154 kg/m², ce qui fait 2,3 fois plus.

    La traînée induite est inchangée : 72 kg.

    La racine carrée de 2,3 est 1,52. A cette étape la puissance induite passe à : 76 x 1,52 = 115 ch

    - Appliquons IV) : l’allongement passe de 5 à 7. La traînée induite en est diminuée du facteur 7/5, ou 1,4. Elle devient pour finir : 72/1,4 = 51 kg.

    La puissance induite passe à : 115/1,4 = 82 ch

     

    Nous vous laissons mener les calculs de puissance induite. Vous en savez assez désormais pour déterminer quelles économies on fait en passant par exemple d’un avion courant comme le DC-3 à un appareil équivalent mais d’allongement spectaculaire comme un bimoteur Hurel-Dubois.

     

     

    31

     

     

    Deux monoplaces légers de sport furent ou sont très appréciés des pilotes de loisir : le Bébé Jodel et le Fournier RF-4. Ils sont propulsés par le même moteur de 40 chevaux Volkswagen ou dérivé. Le premier est un appareil d’allure bien classique ; le second est à moitié planeur avec ses ailes très allongées ; il est capable d’un peu de vol à voile moteur coupé. Le Bébé sans moteur plane avec une finesse de 8 ou 9, banale pour un avion ; le second atteint une finesse de 17. Leur aile emploie pratiquement le même profil. La roue centrale unique du Fournier est escamotable pour diminuer la traînée ; mais l’essentiel de la différence est ailleurs.

     

    Le Jodel possède une aile d’allongement 5, le Fournier d’allongement 11. Les envergures respectives sont 7 et 11 mètres.

    Les vitesses de décrochage sont similaires, l’aile allongée (donc lourde) du Fournier étant un peu plus surfacée. Par ailleurs un allongement élevé porte un peu mieux à surface égale.

     

    Le Fournier pleins gaz dépasse un peu 180 km/h ; le Jodel fait de même si son constructeur amateur s’est donné la peine de lui monter une belle verrière galbée, de caréner ses roues et de recouvrir son moteur d’un capot finement étudié. Les deux machines sont assez comparables à l’allongement près ; l’allongement a peu d’effets bénéfiques en vol rapide ; le même moteur emmène logiquement les deux appareils à la même vitesse de pointe.

     

    On a vu que l’allongement est presque sans effet aux grandes vitesses. La différence d’allongement a donc très peu d’influence sur la croisière rapide, généralement établie à 90% de la vitesse de pointe sur beaucoup d’avions. Les deux machines d’allongement très différents font ainsi jeu égal en croisière rapide sur les plans de la puissance requise et de la consommation d’essence. La distance franchissable en croisière rapide avec le même réservoir de 30 ou 35 litres sera la même, voisine de 550 km en 3 heures.

     

    Tout change aux basses vitesses où l’allongement élevé du Fournier va produire des effet bénéfiques que l’on n’obtiendra pas du Jodel.

    Admettons que les deux machines présentent leur finesse maximum à 90 m/h, et réduisent à fond leur moteur. 90 km/h font 25 m/s. Le Fournier de finesse 17 présentera un taux de chute de : 25/17 = 1,5 m/s. Le Jodel de finesse 8 donnera : 28/8 = 3,1 m/s (1).

     

    Le Jodel trouvera peu d’ascendances assez fortes pour s’y amuser au vol à voile ; le Fournier en rencontrera presque partout par une belle journée.

     

    Si le Fournier ne chute sans moteur qu’à 1,5 m/s au lieu de 3, il lui suffit de moitié moins de puissance qu’au Jodel pour tenir l’air au minimum de chevaux.  Avec le même réservoir de 30 à 35 litres il tiendra l’air 7 ou 8 heures au lieu de 4 pour le Jodel, s’il reste à la faible vitesse de 90 km/h où son grand allongement est bénéfique. Le Jodel ne peut réduire autant son moteur. Si le pilote du Fournier résiste à l’ennui, le même volume d’essence le portera deux fois plus loin que le Jodel à condition de croiser à la faible vitesse de finesse maximum.

     

    Une finesse maximum deux fois plus élevée double la distance franchissable si l’avion vole, lentement, à la vitesse de finesse maximum. La consommation d’énergie par unité de distance est deux fois plus faible puisque la traînée l’est elle-même.

     

    Une finesse maximum plus élevée, fruit d’un allongement plus grand qui réduit la traînée induite aux basses vitesses, s’évanouit en revanche aux vitesses élevées où la traînée induite diminue d’elle-même au point de rendre fort secondaire l’allongement.

     

    Il reste à évoquer la vitesse ascensionnelle comparée des deux machines. Le grand allongement divisant par deux le taux de chute sans moteur, divise par deux le nombre minimum de chevaux requis pour tenir le vol en palier. On pense donc qu’il reste davantage de chevaux disponibles pour grimper plus sec : hélas ! Le poids de l’allongement élevé mange le bénéfice ; les deux avions montent à 3 m/s.

    Le bénéfice n’est en général pas mangé entièrement ; mais le Fournier est intrinsèquement lourd non seulement pour son allongement élevé, mais aussi pour sa structure calculée pour les efforts de la voltige.

     

    Parlons encore du plafond des deux avions, même s’il est vrai que les vols de loisir ne s’approchent à peu près jamais du plafond.

     

    Le Fournier tient l’air au minimum avec moitié de chevaux en moins que le Jodel ; l’un ou l’autre avion perd autant de chevaux en prenant la même altitude ; il est certain qu’il reste des chevaux disponibles au Fournier lorsque le Jodel à son plafond n’en a plus. Le Fournier continue à grimper, jusque vers 6 000 mètres lorsque le Jodel abandonnera la partie autour de 4 500.

     

    Nous avons ainsi fait le tour de tous les motifs qui selon la mission attendue de l’avion justifient pour l’ingénieur le choix de son allongement, ou plus exactement du meilleur compromis entre allongement et cahier des charges du client.

     

    (1) Puisqu’il s’agit de deux avions réels, précisons que ces deux chiffres de taux de chute sont légèrement pessimistes. Ils ont pour nous l’avantage de la simplicité dans la démonstration.

     

     

    32

     

     

    Ce chapitre concerne les seuls avions à hélice dépourvus de compresseur. C’est la plupart des machines de plaisance.

     

    On fait une agréable remarque : la plafond pratique d’un avion de tourisme sans compresseur est égal à 1000 fois sa vitesse ascensionnelle au niveau de la mer. C’est ainsi qu’un avion de vitesse ascensionnelle initiale 3,5 m/s plafonne très près de 3 500 mètres.

     

    On soupçonne donc avec raison que tous les avions de tourisme atteignent leur plafond dans le même temps, quels que soient leur vitesse ascensionnelle initiale et leur plafond. Ce temps vaut trois quarts d’heure, ou 2700 secondes. Nous disons 2700 et non 1000, parce qu’en grimpant la vitesse ascensionnelle diminue et tend progressivement vers 0,5 m/s au plafond pratique.

     

    Ce hasard du chiffre 1000 tient à plusieurs paramètres, le plus souvent les mêmes dans cette classe d’appareils :

    - Un rapport poids/puissance moyen, voisin de 5 à 6 kg par cheval.

    - Une charge alaire moyenne de l’ordre de 60 à 70 kg par mètre carré de voilure.

    - Un allongement courant proche de 5 à 6.

     

    Examinons l’effet de notables écarts à cette règle empirique :

     

    Ecart en rapport poids/puissance :

    Un monoplace de course (racer) dispose d’un rapport de motorisation élevé de l’ordre d’un cheval pour 3 kilos seulement. Il est ainsi capable de grimper à basse altitude à 10 m/s. Autant de puissance au niveau de la mer fait qu’il en reste en altitude au racer plus qu’à un autre avion. Son plafond en sera plus élevé, toutes choses égales par ailleurs ; mais on n’atteindra certainement pas 1000 fois la vitesse ascensionnelle. Un racer de 100 chevaux chargé très léger atteint 6000 mètres et non 10000. Il serait hors de question qu’il y trouve encore sans compresseur la puissance même minimum pour tenir l’air.

     

    Ecart en charge alaire :

    Une charge alaire beaucoup plus faible comme celle des ULM permet de tenir dans un air plus ténu, même si la puissance restante a beaucoup baissé. Un ULM ancien chargé à 20 kg/m² et ne montant au niveau de la mer qu’à 3 m/s, peut plafonner à plus de 4000 mètres.

     

    Ecart en allongement :

    Un grand allongement donnant une grande finesse réduit fortement la puissance minimum nécessaire à tenir le vol ; l’avion peut voler très haut en dépit d’une forte baisse de sa puissance en haute altitude. Le Fournier RF4 ne monte qu’à 3 m/s au niveau de la mer, mais plafonne à 6000 mètres. Il les atteindra évidemment en un temps de beaucoup supérieur à 45 minutes.

     

     

    33

     

     

    On entend par effet de sol une interaction entre l’aile et le plancher des vaches, lorsque l’avion vole au ras de la piste. Elle se traduit par une réduction de la vitesse minimum allant jusqu’à dix pour cent, et par une baisse de la puissance minimum exigée pour tenir l’air.

     

    Dès que l’aile se trouve à une hauteur qui est une fraction notable de son envergure, l’effet de sol s’efface après avoir diminué d’abord. Certaines sources parlent même d’une hauteur inférieure à la corde de la voilure, et il est vrai qu’une aile haute ressent nettement moins l’effet de sol qu’une aile basse.

     

    Un certain matelas d’air très légèrement surpressé se crée par forcement de l’écoulement sous l’aile très proche du sol ; il accroît la portance. Pour ce qui est du gain de puissance minimum, des considérations aérodynamiques savantes font équivaloir le bénéfice de l’effet de sol à celui d’un allongement accru. Une meilleure portance abaissant la vitesse minimum réduit aussi la puissance minimum nécessaire, puisque la puissance est le produit de la traînée par la vitesse.

     

    Les engins russes géants de la famille des Ekranoplan exploitent l’effet de sol à condition d’évoluer sur une eau peu agitée. Ces machines affectent l’allure de gros hydravions à la voilure rabougrie, inapte au vol en altitude hors de l’effet de sol. Il est alors possible de transporter du fret « aérien » pour moins cher qu’en avion et beaucoup plus vite qu’en bateau.

    Ces machines qui décrochent et choient si quelque maladresse les conduit trop haut, n’ont pas connu de développement considérable en dépit d’appareils probatoires spectaculaires.

     

    Ce n’est pas la vitesse d’une aile qui crée un matelas d’air surpressé sous un véhicule ordinaire à effet de sol (un aéroglisseur), mais le mouvement des pales des rotors internes refoulant continuellement de l’air sous l’appareil. Il n’est plus ici question de l’effet de l’allongement sur une machine aptère, mais de l’effet des dimensions.

     

    Un engin de très grande surface présente un périmètre plus faible relativement qu’un engin de petite surface. Un carré de 100 m² a 40 mètres de périmètre (0,4 m/m²) ; un carré de 1 m² possède un périmètre de 4 mètres (4 m/m²). Or l’air refoulé sous la machine par ses moteurs fuit par le périmètre, et la quantité d’air en fuite est à remplacer par les moteurs ; le périmètre rapporté à la surface détermine alors la puissance exigée pour se soulever. Pour chacun de ses mètres carrés le grand véhicule de notre exemple perd dix fois moins d’air que le petit. Il se contente d’une puissance comparativement bien moindre.

     

    Le véhicule à effet de sol n’est pas dangereux, les moyens lui faisant défaut pour gagner brutalement de manière accidentelle une hauteur où l’effet de sol va lui manquer. Rien ne lui permet une prise de hauteur à la façon d’un avion ou d’un Ekranoplan.

     

    L’effet de sol s’avère le mauvais génie des envols tangents. On voit par temps chaud sur un terrain en altitude un avion bien chargé s’arracher laborieusement de terre, puis demeurer en effet de sol au ras du paysage. Avec assez de chevaux encore pour voler en effet de sol, il n’en a pas assez pour s’en affranchir. Incapable de grimper, il se vautre dans le premier obstacle venu.

     

    Il en va tout autrement pour l’hélicoptère pour qui l’effet de sol est au contraire précieux. Voici des éléments tirés de la fiche technique du petit Hiller 360 de 200 chevaux remontant à 1947.

     

    Il présente à sa masse maximum de 1130 kg un plafond de 2 850 mètres en vol horizontal ordinaire, ainsi qu’un plafond de 500 mètres seulement en vol stationnaire : il faut beaucoup plus de puissance pour voler en sur-place que pour avancer. On libère donc beaucoup de chevaux en quittant le stationnaire ; on grimpe alors beaucoup plus haut.

     

    On objectera qu’avec un si maigre plafond stationnaire, il est peu pratique d’employer une machine incapable de s’envoler d’un très banal terrain à 600 mètres.

    Ici intervient l’effet de sol. Puisque l’effet de sol sensible jusqu’à quelques mètres réduit d’environ 20% la puissance nécessaire à tenir le vol stationnaire, décoller de plus de 500 mètres est possible. Certes, on ne montera pas à plus de quelques mètres. Cependant, prenant de la vitesse tout près du sol, on réduit la puissance minimum requise et l’on peut commencer à grimper : il faut à l’hélicoptère moins de puissance en translation à vitesse modérée qu’en stationnaire. On grimpera obligatoirement ensuite en vol de translation.

    Il reste possible au Hiller 360 de décoller en effet de sol jusqu’à 1 200 mètres. Ces chiffres s’entendent à pleine charge.

     

    L’hélicoptère dispose de trois plafonds : plafond pratique en translation de 2 850 mètres, plafond stationnaire hors effet de sol de 500 mètres, plafond stationnaire en effet de sol de 1 200 mètres.

     

     

    34

     

     

    Nous n’avons volé encore qu’en ligne droite ou en évoluant dans le seul plan vertical. Nous allons maintenant virer. Nous avons étudié plus haut le phénomène de facteur de charge en ressource, où il se manifeste de façon brève. Il va se produire au contraire aussi longuement qu’on voudra dans le virage.

    En dépit de l’analogie marine, le gouvernail de direction n’a que peu de rôle dans le virage. Commandée par les ailerons, l’inclinaison des ailes fait presque tout ; il en va comme en bicyclette où il est aisé de voir qu’une fois la machine installée sur sa courbe, la roue directrice (gouvernail) ne fait à peu près aucun angle avec le cadre.

     

    On peut représenter la portance de l’aile par une flèche, un vecteur dirigé verticalement à l’aplomb de la voilure. L’avion une fois incliné, la flèche verticale s’incline elle-même vers l’intérieur du virage. Elle s’incline bien entendu du même angle que l’avion lui-même : elle demeure toujours perpendiculaire au plan des ailes.

     

    Cette inclinaison du vecteur permet de le décomposer graphiquement en une composante verticale et une composante horizontale.

    La composante horizontale tire l’avion vers l’intérieur du virage : elle est la force centripète qui maintient l’appareil en trajectoire courbe.

     

    La composante verticale soutient l’avion… mais n’est évidemment plus suffisante pour ce rôle puisqu’elle est nécessairement une flèche plus courte que la portance devenue inclinée (dessinez).

     

    Elle redevient suffisante si l’on accroît la portance en conséquence, si on allonge le vecteur. La nouvelle portance, toujours inclinée, en devient pour le coup plus grande que le poids qu’elle égalait en vol rectiligne ; les ailes subissent donc une tendance plus forte à fléchir. Le pilote quant à lui se sent plus lourd. C’est un facteur de charge, positif. « g » devient supérieur à 1. Le poids apparent de l’avion et du pilote augmentent. L’entrée en virage réclame ainsi qu’on accroisse la portance.

     

    Accroître la portance peut se faire en accroissant la vitesse, mais très souvent on accroîtra plutôt l’incidence en ne changeant guère la vitesse. Outre qu’il s’est placé en inclinaison en poussant le manche de côté, le pilote aura dû le tirer plus ou moins à lui et cabrer quelque peu sa machine inclinée : l’incidence en est accrue.

     

    Supposons le virage si serré que les ailes soient presque à la verticale comme en combat tournoyant. La portance toujours perpendiculaire au plan des ailes est devenue presque horizontale. Puisque sa composante verticale n’est plus alors qu’une fraction faible de la portance (dessinez) tandis qu’elle doit continuer à égaler le poids constant de l’avion, il faut que le vecteur de la portance devienne une flèche d’une longueur étonnante : les ailes subissent un effort énorme. Le pilote est écrasé sur son siège.

     

    La vitesse de décrochage est évidemment accrue en virage puisque le virage implique une portance plus élevée.

     

    Le rayon du virage est d’autant plus réduit que la facteur de charge est violent : chercher en combat à se placer dans la queue de l’adversaire mène donc tout droit à virer aussi incliné et serré que possible. La limite est souvent celle du poids apparent (« nombre de g ») que supportent les pilotes.

     

    Le facteur de charge vaut 1 tout rond lorsque l’avion vole droit sans aucune inclinaison. Voici un résumé des facteurs de charge en fonction de l’inclinaison du virage :

    Pour une inclinaison de 10°, très faible et donnant un virage fort large, le facteur de charge  est égal à 1,015. La portance des ailes et le poids apparent du pilote croissent dans ce facteur, c’est-à-dire croissent d’un insensible 1,5%.

     

    Inclinaison de 20° ; facteur de charge n de : 1,06

    30° 1,15

     

    Pour le confort des passagers on ne dépasse pas cette inclinaison en vol commercial ; par sécurité on ne la dépasse pas non plus en vol sans visibilité. Accroissons encore l’inclinaison :

     

    40° 1,31

    50° 1,56

    60° 2

     

    Le pilote du dimanche est déjà assez mal à l’aise à 60°.

     

    70° 2,92

    75° 3,86

    80° 5,76

    85° 11,47

     

    Peu d’avions donc et moins encore de pilotes sont capables de supporter un virage stabilisé sous 85° d’inclinaison ! A noter que pareil virage ne sert à rien : une fois les ailes presque verticales, le rayon de virage ne diminue plus même si le facteur de charge devient colossal, car il y a compensation entre des éléments antagonistes.

     

     

    35

     

     

    Que l’avion prenne des g en virage serré ou bien en ressource énergique à la façon d’un Stuka en sortie de piqué, il multiplie par autant de fois que de g la portance que ses ailes doivent donner.

     

    Il en résulte qu’il décrochera à vitesse indiquée plus élevée. Le décrochage statique est le décrochage ordinaire, lorsque l’avion vole en palier sans manœuvrer ; le décrochage dynamique est celui qui se produit sous un certain nombre de g. Il se produit par exemple à vitesse double du décrochage statique, si le facteur de charge vaut 4 et que les ailes ont ainsi 4 fois plus à porter.

     

    Un avion dont le décrochage statique se produit à 100 km/h présentera une vitesse de décrochage dynamique de :

    - 200 km/h sous 4 g (2 x 2)

    - 300 km/h sous 9 g (3 x 3)

     

    Il en résulte qu’un avion en piqué peut décrocher si le pilote au ras du sol tire comme un sourd afin de redresser au dernier moment.

    Considérons l’avion précédent dont le décrochage statique se produit à 100 km/h. Supposons qu’il pique à 300 km/h et soit déjà si bas que sa ressource n’évitera le sol qu’à condition de la serrer sous l’effort énorme de 10 g.

    L’aile est incapable de les donner puisque dépasser 9 g à sa vitesse actuelle lui est impossible. Ou bien le pilote ne tirera pas assez le manche pour dépasser 9 g, et il percutera. Ou bien il tirera plus fort et fera un décrochage dynamique tout près du sol. Il percutera seulement avec une assiette différente !

    Il est facile en voltige de pratiquer un décrochage dynamique, point de départ volontaire de diverses figures dites déclenchées.

     

    Le décrochage dynamique peut même se produire lorsqu’il est très peu attendu. Un avion léger vole assez bas à vitesse de croisière valant environ deux fois sa vitesse de décrochage. Il décrocherait en dynamique sous 4 g. Le pilote désirant remonter ne tire pas en douceur son manche, mais d’un geste très sec. L’avion cabre et atteint son incidence de décrochage quasi-instantanément sans avoir le temps de changer de trajectoire, de l’incurver vers le haut. Il en résulte que le pilote se sent presque en vol normal et se retrouve en régime décroché sans avoir ou éprouvé, ou pris conscience d’un trop bref commencement de g. L’avion devenu simple projectile balistique poursuit sa ligne droite par un arc de parabole qui le jette sur les obstacles. Le pilote a le réflexe « anti-naturel » de pousser alors le manche. L’avion décabre, « raccroche » sitôt repassé sous l’incidence de décrochage, se retrouve à une incidence néanmoins supérieure encore à celle nécessaire à la vitesse où il vole ; il subit alors un certain facteur de charge, une certaine surportance qui repousse avec énergie l’appareil vers les hauteurs où le pilote se sent propulsé avec force.

     

     

    36

     

     

    Le virage serré engendre une traînée induite énorme qui impose à l’avion de disposer d’une puissance supplémentaire non moins énorme pour ne pas s’enfoncer sans remède.

     

    « prendre » 5 g par exemple impose à l’aile de produire une portance quintuple de la normale. Elle doit refouler vers le bas une quantité d’air spectaculairement plus élevée, ce qui impose de communiquer à cet air une quantité d’énergie non moins spectaculaire : d’où apparition d’une énorme traînée induite. Cette énergie sera prise à trois sources possibles :

     

    (1) Le moteur, s’il est largement surpuissant : l’avion met pleins gaz.

    (2) La vitesse de l’avion, réservoir d’énergie. La traînée induite énorme le freinera en quelques secondes ; voir l’exemple déjà cité du freinage du chasseur à réaction. Ce réservoir-là est bientôt vide.

    (3) L’altitude de l’avion. Chaque tranche de 75 kg d’avion qui perd 1 mètre d’altitude par seconde fait fournir une puissance de 1 cheval au champ de gravitation terrestre. On descendra assez vite.

     

    Le pilote d’avion de tourisme doit mettre un peu plus de gaz en virage s’il ne veut pas perdre de la vitesse ou de la hauteur. Le facteur de charge modeste de 1,15 qu’on mesure en virage incliné de 30° ne requiert pour supplément de puissance que 1,15 x (racine de 1,15), soit 23 % de chevaux en plus.

     

    Un combat tournoyant serré entre des avions virant inclinés presque sur la tranche les fera volontiers voler à la limite du voile noir.

     

    Un des chasseurs à hélice les plus surpuissants est le F8F Bearcat de Grumman, léger et gréé d’un moteur de 2100 chevaux. Ne pas oublier de prononcer Bèrcat (de bear, « bèr », l’ours) et non pas – chose courante - Bircat, comme si ce chat se saoulait de bière. Il lui faut au minimum 250 chevaux pour juste tenir l’air en palier sans virage. Or il en possède 7 fois plus.

     

    Virant sous 2 g et 60° d’inclinaison, il lui faut 250 x 2 x (racine de 2) = 707 chevaux.

    Sous 3 g et 70° : 250 x 3 x (racine de 3) = 1299 ch.

    Sous 4 g et 75° : 250 x 4 x (racine de 4) = 2000 ch. Ce dernier chiffre est pratiquement le maximum. Il ne reste plus de marge.

    Le Bearcat peut donc soutenir un virage sous 4 g toute la journée sans perdre d’altitude. Veut-il virer longuement sous 6 g (et 80°) ? Le moteur n’y suffit plus. L’avion doit utiliser en plus l’une des deux dernières sources d’énergie précitées :

    - Source (2) : le pilote peut aussi entamer son virage serré en basculant tout à coup son avion sur la tranche depuis une vitesse élevée. Le ralentissement sera énergique.

    - Source (3) : pour soutenir un virage sous 6 g continus, il faudrait 3674 ch ; c’est 1574 de plus que ne donne le moteur. L’avion peut les trouver en perdant continuellement de la hauteur, beaucoup de hauteur. Il pèse en moyenne 3800 kg, soit 50 tranches de 75 kg. Descendre de 1 m/s lui fournit donc l’équivalent de 50 chevaux. Il « suffit » ainsi de dégringoler de 31 mètres par seconde pour trouver 1574 chevaux (50 x 31).

     

    Il doit être possible en serrant son virage sous 6 g de passer dans la queue de celui qui ne serre qu’à 4 g ; mais si le poursuivi maintient son altitude tandis que le poursuivant s’enfonce de 31 mètres par seconde… on voit que virer plus sec ne signifie pas obligatoirement se placer en position de tir dans la queue.

     

    Bien entendu le virage très serré se tient si possible à vitesse où le besoin de puissance est le moindre, à notre fameux 1,2 vitesse de décrochage. C’est très lent… mais pas tant que cela, puisque sous 4 g par exemple la vitesse de décrochage et toutes les autres vitesses caractéristiques sont multipliées par deux.

     

     

    37

     

     

    Il n’est plus possible à une certaine altitude de poursuivre un combat tournoyant un peu serré.

    L’air quatre fois moins dense à 12000 mètres double toutes les vitesses caractéristiques. Supposons qu’un chasseur à hélice donné ne puisse dépasser sans perte de contrôle mach 0,75 ou 797 km/h. S’il décroche au niveau de la mer à 170 km/h sans volets, il décroche à vitesse double à 12000 mètres : 340 km/h. On voit qu’il ne lui est pas possible même à 797 km/h de voler en virage serré tout en supportant plus de : (797/170)² = 5,5 g. Il décroche au-delà, alors lorsqu’il pourrait supporter bien davantage de g à basse altitude en air dense.

     

    Il ne s’agit pas ici d’une limitation due à un manque de puissance ; l’avion ne pourrait voler sous plus de 5,5 g même en perdant de la hauteur. C’est une limitation purement aérodynamique.

    La puissance de toute manière lui ferait défaut.

     

    Un chasseur à réaction subsonique de plus forte charge alaire et forte vitesse de décrochage aura moins de marge de g encore en altitude, malgré qu’il puisse voler à mach un peu plus élevé.

     

    Les avions supersoniques n’ont guère l’occasion de profiter de leur vitesse élevée pour tirer de nombreux g en altitude. D’une part eux non plus n’auraient pas la poussée nécessaire à conserver à ce jeu leur altitude ; mais encore observe-t-on que les combats aériens se déroulent principalement en sub- ou transsonique seulement. Cela se justifie sans mal : le rayon de virage à mach 2 et 60° d’inclinaison vaut 20,5 km ; un tour complet 129 km ; ce tour dure 3 mn 40 au terme desquels la postcombustion a presque vidé les réservoirs. L’avion supersonique a ainsi peu de potentiel de manœuvre.

     

     

    38

     

     

    Disons quelques mots des effets moteur, que rencontre parfois le lecteur de récits de la Seconde Guerre mondiale : ils concernent principalement les chasseurs monomoteurs de forte puissance à train classique. Ils concernent aussi les bimoteurs en panne d’un côté. Certains effets sont éliminés ou réduits par l’appui ferme au sol de la roue avant sur train tricycle.

     

    Nous parlerons de trois sortes d’effets : les effets gyroscopiques, le couple de renversement, le souffle hélicoïdal. Ils sont souvent mal distingués les uns des autres. Nous en laisserons de côté un quatrième, dit facteur P.

     

    Clostermann expose les ennuis rencontrés lors de la course au décollage du néophyte sur Typhoon ; il ne parvient que malaisément à conserver l’appareil en ligne presque droite au sol durant son accélération. D’autres n’y ont pas réussi, qui ont percuté un hangar placé non loin de la piste.

     

    Ces effets sont d’ordre à la fois gyroscopique et aérodynamique. L’hélice en rotation est un important gyroscope ; qui a manié cet instrument sous la forme d’une toupie ou d’un jouet, en sait les réactions capricieuses à l’encontre de l’intuition.

    Les moteurs rotatifs de la guerre de 14 constituaient de par leur masse de plus puissants gyroscopes encore.

     

    Mettons à l’arrêt pleins gaz sur un moteur de plusieurs milliers de chevaux entraînant une hélice de trois mètres de diamètre et plus de cent kilos : c’est un gyroscope de taille. Admettons qu’on voie de la place du pilote cette hélice tourner en sens horaire. Au bout d’un certain roulage le pilote soulève la queue pour mettre l’appareil en ligne de vol. Ce faisant il a basculé le plan de l’hélice d’un angle d’une douzaine de degrés, celui de l’assiette de l’avion posé sur sa roulette arrière. Le basculement du gyroscope requiert une certaine force, car il « veut » rester comme il était. Sous la contrainte qu’on lui impose, le gyroscope réagit en infligeant une réaction au reste de l’avion. La connaissance du sens du basculement, du sens de rotation de l’hélice et de la théorie du gyroscope permet dans l’exemple choisi (rotation de sens horaire) de prédire la réaction : l’avion est « forcé » à entrer en virage au sol à droite. Cela ne dure que le bref instant du lever de la queue, mais l’avion est parti pour quitter la piste à droite si le pilote au palonnier n’a anticipé l’effet gênant.

    On le voit, le gyroscope a ceci de déroutant qu’il réagit dans un plan autre que celui où on l’a chatouillé.

     

    On aime parfois à dire plaisamment qu’un avion trop puissant se mettrait à tourner autour de son hélice. Disons plutôt qu’une hélice immense telle qu’un rotor d’hélicoptère a en effet le besoin visible du rotor anticouple de queue pour tenir droit le fuselage. Le même besoin se fait pourtant ressentir même sur un avion dont l’hélice n’a pas la même ampleur ; mais l’avion dispose d’une paire d’ailerons qui moyennant un très léger braquage, souvent imperceptible, fournissent un couple opposé à celui de l’hélice.

     

    Il peut arriver pourtant que le couple donné par les ailerons ne soit plus capable de contrer celui d’un moteur puissant, lorsque la vitesse devient si faible que même à plein braquage les ailerons n’agissent plus suffisamment. L’accident se produit lorsqu’un avion monomoteur puissant et/ou d’envergure limitée vole lentement en approche, et lorsque le pilote mal formé remet précipitamment tous les gaz pour interrompre cette approche. L’avion passe sur le dos à faible vitesse et faible hauteur ; l’affaire finit mal. L’accident peut concerner les chasseurs à hélice, les simples racers et des monoturbopropulseurs puissants. Le motoplaneur aux ailerons immensément éloignés d’une minuscule hélice ne risque évidemment rien.

     

    Enfin, le souffle de l’hélice n’est pas droit ; il est affecté d’un mouvement… en hélice, en tire-bouchon ; c’est le « souffle hélicoïdal ». Celui-ci ne produit donc pas sur la dérive et les autres surfaces verticales un écoulement d’air rectiligne et symétrique de part et d’autre de l’avion ; un côté de l’avion est poussé de côté comme une girouette prise en travers. C’est l’effet majeur, durable, capable d’exiger du pilote une puissante correction du pied au gouvernail. Elle doit durer tout le temps que la vitesse atteinte ne suffira pas à ce que le compensateur du gouvernail de direction, dispositif aérodynamique correcteur, se mette à soulager le pilote ; le compensateur agira utilement lorsqu’un badin suffisant l’alimentera suffisamment. Si le pilote réagit faiblement ou tardivement, l’avion parti au sol en embardée sortira de la piste avant d’être récupéré. Le compensateur de direction n’existe pas sur les monomoteurs de petite puissance.

     

    Puisque les effets moteurs de toute nature sont facilement contrés par les gouvernes dès que la vitesse est considérable et leur donne une grande efficacité, les problèmes qu’ils posent se manifestent aux basses vitesses où les gouvernes sont faibles. Ils s’effacent au-delà.

     

    On remarque sur maint avion un braquage de la dérive qui est de construction légèrement désaxée ; on voit souvent la même chose au sujet de l’alignement du moteur : vue bien en face, la casserole d’hélice paraît avoir reçu une grande gifle et pointer en travers. Ces dissymétries combattent les effets moteurs.

     

    Sur les avions à réaction les parties en rotation sont de beaucoup moindre diamètre ; ces appareils ne présentent que peu ces effets ; ils sont en cela souvent plus faciles à piloter. La même remarque est valable pour les doublets d’hélices contrarotatives qui annulent les effets normaux d’une hélice simple. De même les hélicoptères à deux rotors coaxiaux contrarotatifs n’ont-ils pas besoin de rotor anticouple en queue.

     

     

    39

     

     

    La notion de centrage se rencontre souvent ; elle est essentielle à la compréhension de la stabilité de l’avion. On supposera par simplification le cas d’un appareil doté d’une aile sans flèche et parfaitement rectangulaire. La corde est ainsi constante et unique.

     

    Il est manifeste que le dessin de l’avion à vide et la répartition de son chargement doivent être tels que le centre de gravité se trouve à l’aplomb de l’aile. Mais encore ? Près du bord d’attaque, du bord de fuite, juste au milieu ?...

     

    On ne dispose pas de toute la corde de l’aile pour « mettre » le centre de gravité ; on ne le met pas davantage au niveau du bord d’attaque (on dirait le centrage à 0% de la corde) qu’à celui du bord de fuite (centrage à 100% de la corde). On dispose d’une plage de centrage limitée allant par exemple de 20% à 35% de la corde. Ces deux valeurs seront respectivement la limite de centrage avant et la limite de centrage arrière.

     

    On atteindra la limite de centrage avant sur un avion quadriplace dont les places arrières sont vides, vide le coffre à bagage encore derrière elles, peu rempli le réservoir de fuselage placé sous la banquette arrière, et si encore les deux places avant sont occupées par deux obèses.

     

    On atteindra et même on dépassera facilement la limite de centrage arrière si coffre et réservoir précédent sont pleins, les places arrière occupées par deux poids lourds et les places avant par deux sujets fluets (On évite cette répartition dans toute la mesure du possible, en faisant monter les gens légers derrière).

     

    Sur une aile dont la corde vaut 2 mètres, le point « 20% de la corde » se situe : 2 x 0,20 = 0,40 mètres en arrière du bord d’attaque. Le point « 35% de la corde » est de même placé : 2 x 0,35 = 0,70 mètre en arrière du bord d’attaque.

     

    La plage de centrage vaut ici 30 centimètres : on dispose de cette latitude pour laisser selon le chargement varier le centre de gravité.

     

    On a deviné que les limites de centrage sont telles que le centre de gravité ne s’éloigne pas trop du centre de portance, ou centre de poussée, le point d’application moyen de la portance au long du profil de l’aile.

    Le centre de gravité est-il un peu en avant du centre de portance ? Il tend à entraîner l’avion à piquer ; il faut donc appuyer un peu sur la queue pour le maintenir en équilibre : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué, son bord de fuite relevé vers le haut. Le centre de gravité est-il un peu en arrière du centre de portance ? L’avion tend à cabrer ; il faut soutenir sa queue : l’empennage horizontal est plus ou moins braqué bord de fuite vers le bas (1).

    L’empennage horizontal est dimensionné pour être capable de cabrer l’avion jusqu’à le faire décrocher, c’est-à-dire capable de ralentir l’avion de manière à lui permettre d’atterrir à la plus faible vitesse possible. Si pourtant le centrage est trop avant, il fait piquer l’avion plus que l’empennage ne peut compenser à très faible vitesse – il est aisé de concevoir que la puissance d’une gouverne augmente avec la vitesse ; l’avion sera forcé de voler plus vite, ne pouvant jamais descendre à sa vitesse de décrochage. L’atterrissage sera plus rapide et plus long, de même que le décollage. Si au contraire le centrage est beaucoup trop arrière, l’avion voudra cabrer de lui-même irrésistiblement. Le pilote pourra l’en empêcher en poussant le manche à fond… et finira par décoller à la condition d’atteindre une vitesse confortable, sous laquelle il ne pourra pas non plus descendre pour se poser.

    Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop avant qui veut s’engager en piqué, il n’aura en principe qu’à tirer le manche pour récupérer. Cependant ce piqué est stable : si net qu’il soit, il s’équilibrera à une certaine valeur qu’il ne dépassera plus.

    Si le pilote laisse échapper à son contrôle un avion centré trop arrière, il ne pourra plus rien faire puisque son avion engagé en cabré a ralenti et ainsi diminué encore la puissance de l’empennage. Contrairement au cas du paragraphe précédent, l’avion est instable. Cela finit en quelques secondes par un décrochage approximativement irrécupérable, l’avion ne faisant pas toujours d’abattée sur l’avant, mais pouvant dégringoler plutôt sur sa queue.

    Le centrage trop avant est gênant ; le centrage trop arrière est dangereux.

     

    L’emplacement sur la corde du centre de portance varie beaucoup avec le type de profil employé ; il est cependant souvent quelque part entre le quart et le tiers de la corde, entre 25 et 30%, valeurs autour desquelles s’étend la plage de centrage permise.

     

    La réalité est pourtant moins simple : le centre de portance d’un profil donné est loin d’être fixe en général. Il se déplace le plus souvent loin vers l’arrière en vol rapide, s’éloignant du centre de gravité. Il en résulte que la tendance que pouvait avoir l’avion à piquer (cas d’un centrage avant) s’accroît, fortement parfois ; l’empennage horizontal aura une plus grande force à exercer vers le bas pour rétablir l’équilibre. Il en sera d’autant grand et plus lourd. La force importante qu’il exerce vers le bas s’ajoute de façon parasite au poids de l’avion. D’autre part les déplacements notables du centre de portance exercent sur la structure de l’aile des torsions importantes, qui doivent être contrées par de pesants épaississements des revêtements.

     

    On voit l’intérêt qu’il y aurait à disposer d’un profil dont le centre de portance ne se déplacerait guère quelle que soit la vitesse de vol. Ils ne sont pas nombreux ; le plus connu est le type NACA 23012 inventé vers 1930 et toujours d’emploi fréquent, surtout chez les dessinateurs d’avions légers : il leur épargne d’inutiles alourdissements de structure ; il épargne aux ingénieurs du dimanche (conception amateur) de pénibles angoisses de calculs.

    Il est possible sur la plupart des avions de charger d’une manière qui satisfait le manutentionnaire désireux de caser toutes les charges emportées, mais qui outrepasse les limites permises de la plage de centrage.

     

    (1) Contrairement à la légende, foule d’avions sont stables quoique leur centre de gravité soit quelque peu en arrière du centre de portance.

    Cette légende vient d’une confusion entre centre de portance de la voilure et foyer (ce qui n’est pas la même chose) de l’avion entier. Le centre de gravité doit être en avant du foyer de l’avion complet.

     

     

    40

     

     

    Un chapitre ne semble pas inutile sur le rôle de l’empennage, horizontal surtout. Admirons en premier lieu cette appellation poétique tirée du projectile de l’arc… On est à cent lieues des pragmatiques « tail surfaces » de l’anglais. Ces grandes surfaces que sont nos empennages, même de métal, sont donc étymologiquement des « plumes ». Il est vrai qu’elles tiennent à peu près le même rôle que sur une flèche.

     

    L’empennage vertical réclame peu de commentaires : c’est un gouvernail pareil à celui d’un bateau ; ou bien il réclame au contraire énormément de commentaires, tant son effet indirect sur la stabilité en roulis est subtile et savante. On se limitera ici à son effet le plus intuitif et le plus évident : girouette et gouvernail de direction.

     

    Le plan fixe vertical, ou dérive, ramène dans le lit du vent relatif un avion qui de lui-même voudrait braquer son fuselage en travers ou faire un tête à queue. Le tête à queue est toujours possible tant que n’existe pas en arrière du centre de gravité une surface latérale plus importante qu’en avant (extrême schématisation). La dérive est un ajout massif de surface latérale bien placée tout au bout du long bras de levier qu’est le fuselage. C’est une girouette stabilisatrice.

     

    Le gouvernail de direction est la surface mobile articulée derrière la dérive. Lui aussi sert de surface stabilisatrice girouette s’il est tenu fixe par les pieds bien calés du pilote ou par quelque autre dispositif de rappel au neutre un peu énergique. Nombre d’ULM (nous parlons de ceux qui ont la forme d’avions) se mettent à battre de façon pénible de gauche à droite et de droite à gauche indéfiniment lorsqu’on retire les pieds des pédales. Cela n’arrive pas en principe sur avion, dont le processus de certification aura contraint le constructeur à éliminer pareil travers. Les ULM ne s’écrasent cependant pas pour ce motif, ce qui ajoute à la longue liste des pseudo-motifs de sécurité pour lesquels depuis un siècle on met en ruineux carcan l’aviation autre qu’ULM. Nous admettrons que ce travers fort tolérable pour la simple promenade aérienne doit l’être beaucoup moins en pilotage sans visibilité, lequel n’est pas autorisé en ULM.

     

    Venons-en à l’empennage horizontal, objet majeur du chapitre. On a entrevu sa fonction au chapitre précédent.

    Il n’a en première approximation aucune fonction sustentatrice sur la formule de l’avion classique, ou formule Pénaud, ou formule Blériot, c’est-à-dire aile avant et empennage arrière.

    On verra plus loin qu’il en va tout autrement sur la formule canard, mais le plus clair des avions ressort de la formule Blériot.

    Hors le cas particulier des ailes volantes dont on parlera également plus loin, une aile seule et sans un empennage pour la stabiliser est incapable de rester en vol. Le chapitre précédent trouve ici son utilité.

     

    Exemple : un centrage avant peut mener à ce que le centre de gravité soit à 15% de la corde tandis que le centre de portance est à 35%. Vérifiez que si la corde de l’aile vaut 2 mètres, le centre de gravité se trouve 40 centimètres devant le centre de portance.

    Le centre de portance est le point d’appui de l’avion. Si le centre de gravité est plus en avant que lui, l’avion piquera irrévocablement s’il n’a pas un empennage pour le stabiliser. L’empennage procédera tout simplement en poussant la queue de l’avion vers le bas, mais modérément, parce qu’il est loin de l’aile et parce que son bras de levier est important. Il poussera la queue vers le bas parce que le pilote en tirant un peu le manche relèvera un peu le bord de fuite du gouvernail de profondeur, créant une légère déportance, comme un aileron de voiture de formule 1 qui plaque la voiture au sol.

     

    Cet équilibre est analogue à celui de la balance romaine : un pivot (centre de portance), un gros poids juste à côté (centre de gravité), un petit poids de mesure très éloigné de l’autre côté (déportance d’empennage).

    Très souvent dans un cas de centrage arrière même normal, le centre de gravité est derrière le centre de portance : le poids est derrière le pivot ; l’avion cabrerait sans remède si l’empennage cette fois braqué en sens inverse ne créait une petite portance tenant soulevée la queue.

     

    Un avion est stable si, manche lâché par le pilote, il demeure en vol convenable et rattrape de lui-même les petits écarts dus à des causes comme la turbulence.

     

    On démontre qu’un avion centré en avant du centre de portance reste stable si avant qu’on ait placé le centre de gravité. On démontre que si le centre de gravité est en arrière du centre de portance, l’avion ne reste stable que si le centre de gravité ne recule pas au-delà d’une distance modérée.

     

    (Nous sommes parfaitement conscient en écrivant cela que les légendes aériennes ayant la peau fort dure, le pilote moyen se fera dévorer par les lions plutôt que d’accepter qu’un avion puisse être stable avec un CG en arrière du CP).

     

    Notre propre aéronef dessiné par nos soins, équipé d’une aile rectangulaire à profil 23012 dont le centre de portance ne quitte pas la cote 25%, est centré dans tous les cas plus arrière que ce chiffre. Nous n’avons pas observé qu’il fût instable.

     

    Si le centrage enfin est vraiment trop arrière, le pilote poussera constamment le manche en avant pour soutenir la queue. Il pourra voir l’appareil lui échapper en cabré brutal avant de choir d’une manière ou d’une autre. L’avion est instable ; on a dépassé sa limite de centrage arrière. Nous parlons ici de sa limite physique ; le manuel de vol impose une limite de sûreté moins arrière. .

    .

    .

    La suite à l'article :

    les sensations du pilote, seconde partie

    (passer dans la catégorie : "Ouvrage de mécanique du vol, seconde partie"

     


  •  

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  • ENTRETIEN D'EMBAUCHE

      Certains emplois réclament de qui les tient une assurance imperturbable, une complète maîtrise de soi, une aisance improvisatrice que rien ne saurait prendre de court. Justement, on embauche. Le candidat est introduit devant non pas un, mais trois ou quatre examinateurs qui semblent occupés à leur courrier. On l'invite à s'asseoir : il n'y a pas de siège. On lui présente une table couverte d'objets divers ; il doit en choisir un et commencer à discourir à son sujet cinq minutes dûment chronométrées. Le candidat se saisit d'un clou.

    - Le clou, mesdames et messieurs, est un modeste accessoire de quincaillerie indispensable au charpentier, sinon à son fils. Je pense naturellement en disant cela à Notre Seigneur, Djizeusskuaïsst comme l'appellent sans vergogne les Anglo-Saxons. Il est à noter que les deux larrons crucifiés autour de lui n'étaient liés que par des cordes, ce qui suggère bien comment la Palestine en ce temps-là déjà exsangue et martyre souffrait de l'impérialisme romain, si jusqu'aux clous venaient à manquer ! Cela démontre néanmoins s'il en était encore besoin à quel point le clou est intimement mêlé à notre civilisation judéo-chrétienne, laquelle...

    - Revenez à votre sujet.

    - Je m'égarais. Les Romains au sujet des clous avaient constaté un fait singulier. Ils...

    - Nonnonnon. Parlez du clou que vous tenez ; pas des autres.

    - Excusez-moi. Je persiste à penser que vous eussiez apprécié l'anecdote historique que je voulais citer. J'allais dire avant votre pertinent rappel à l'ordre que les Latins avaient découvert un phénomène de corrosion électro-chimique toujours valable d'ailleurs. Des clous servaient à fixer sur leurs trirèmes les bordés de cuivre destinés à protéger le bois contre les flèches incendiaires. L'eau de mer faisait alors office d'électrolyte dans la constitution d'un couple voltaïque Fe/NaCl/Cu dont la f.é.m. - je n'ai plus son chiffre en mémoire - est suffisante pour entraîner le passage en solution des ions Cu++. Bref, les trous des clous s'élargissaient et les blindages se détachaient.

    - C'est en effet très intéressant. Veuillez en finir avec cette digression pour...

    - Oui ! Les Romains eurent alors l'idée de plonger les clous dans un bain de plomb fondu qui les recouvrait d'une mince pellicule protectrice. J'imagine assez l'irritation d'Archimède, tandis qu'il incendiait lesdits vaisseaux, de ne pas avoir imaginé cela le premier ! Depuis cette époque...

    - C'est bon...

    - N'est-ce pas ? J'en viens maintenant à la place de choix qu'occupe le clou dans notre littérature. Nous voyons dans le Rouge et le Noir Julien Sorel entrer au service de monsieur de Rênal qui est précisément propriétaire d'une fabrique de clous. Ce n'est certainement pas par hasard !  Qu'on en juge : le père de Julien dirige une scierie. Or, qui a jamais tenté de scier une pièce de bois recelant un clou, connaît le résultat pour l'outil : autant dire que Julien Sorel devait se casser les dents et que la tragédie finale était inscrite dans les prémisses ! Freud n'a donc vraiment rien inventé que le clou n'ait su de longue date.  Parlons à présent de la composition du clou. Il ne peut être en acier, car il se briserait au choc du marteau et serait inapte à prendre les formes repliées qui assurent la bonne tenue des assemblages du marchand de caisses d'emballage. Le clou est donc en fer doux pratiquement décarburé. Toute la difficulté à enfoncer correctement le clou tient à ce qu'il plie volontiers, puisque son fort élancement le rend justiciable de la formule de Rankine, voire d'Euler pour les clous les plus longs. On note au passage que pincer la tige à mi-longueur entre les doigts réduit d'un facteur quatre la sensibilité au pliage accidentel : véritables messieurs Jourdain du clou, nos pères dépourvus de bases scientifiques n'en faisaient ainsi pas moins dès l'antiquité des mathématiques appliquées sans s'en douter. Considérons en effet un marteau d'un kilogramme s'abattant à la vitesse de, disons, cinq mètres par seconde, sur un clou qui s'enfonce de trois millimètres. Il en résulte une contrainte difficile à évaluer sans calculette, mais que l'expérience prouve suffisante à plier notre clou. N'avez-vous pas à ce sujet vu sur la fête foraine saisonnière des boulevards entre Barbès et Blanche, le jeu consistant à enfoncer complètement un clou en trois coups seulement et sans le tordre ? Il faut reconnaître que la chose n'est pas facile et que les joueurs ne repartent pas toujours avec les poupées espagnoles. Et puis, comment conclure ce tour d'horizon du clou sans évoquer les innombrables locutions et dictons dont il fait l'objet ? Nous y viendrons après avoir rappelé l'étymologie du mot clou. Clou vient du latin clavus qui veut dire clou. Ai-je songé à définir les autres acceptions de "clou" ? Je crois que non. Le clou est le nom populaire du furoncle, qui dans ce cas se dit clavulus en latin. Sans m'étendre outre mesure sur le clou de girofle, rapporté d'Orient par les Croisés en même temps que le chat - mais oui, le chat - l'horloge et les abricots, je me propose d'évoquer brièvement le clou, appellation vulgaire du Mont-de-Piété, aujourd'hui Crédit Municipal, créé à l'instigation du roi Louis XVI en vue de pratiquer le prêt sur gages à taux très faible en faveur des plus défavorisés. J'en reviens aux expressions usuelles forgées autour du clou, après quoi je traiterai des passages cloutés : un clou chasse l'autre ; être le clou du spectacle ; des clous ! être le clou du cercueil de quelqu'un ; être cloué au lit ; un vieux clou ; être cloué sur place... C'est assez par là souligner l'importance dans la tradition...

    (l'enregistrement s'interrompt ici pour cause technique sans que nous puissions affimer que le candidat approche de la fin. La bande reprend un peu plus loin avec la voix d'un autre postulant dissertant sur un bouton de culotte). 

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  


  • PARABOLE ECOLO-ZOLEENNE

      Tirée par la Louison livrée à elle-même après que chauffeur et mécanicien ont roulé sur la voie, le train fou du progrès filait à toute vapeur vers la catastrophe. Les passagers à bord riaient et plaisantaient : jamais la vie n'avait été aussi belle ni surtout le train si rapide ! Tout allait véritablement pour le mieux.

      Un passager sur dix pourtant avait compris la situation : il fallait ralentir ou mourir, comme ça, foudroyé au sommet de la performance. Ces voyageurs conscients décidèrent par conséquent d'aller tirer le signal d'alarme et tourner le volant du frein de secours.

      C'est ce que voyant les autres passagers froncèrent le sourcil, ou même rirent tout de bon ! Ils ne voulurent en tout cas pas se laisser faire : "J'arriverais un peu plus tard que prévu" protesta l'un ; "Je manquerais un rendez-vous et beaucoup d'argent" se plaignit l'autre. "Jeder Misbrauch wird bestraft / Ogni abuso vera punito" ajouta un dernier.

       Effarés par cette attitude incroyablement puérile, les voyageurs conscients n'en crurent pas leurs oreilles ; ils insistèrent en prédisant ce qui devait mathématiquement arriver ; ils n'en devinrent que la risée générale. Comme ils ne désarmaient pas, on en vint même à leur opposer un dévoiement fallacieux de la démocratie : "Vous êtes loin d'être majoritaires ; allez vous rasseoir et foutez-nous la paix !

      En vérité en vérité je vous le dis : ceux-là avaient raison. Est-ce que la réalité est affaire d'opinion majoritaire ? La démocratie ! Devaient-ils à cause d'un jeu de mots sur le sens d'un vocable aux consonnances grecques, se jeter à l'abîme ?

      Puisqu'ils avaient raison ! 

    .

      Note : l'auteur ne dit pas qu'il dépeint ce qui est, mais ce qui devrait être depuis beau temps.

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  * 


  • YANKEENOCUBASI ! 

     échange de courriers réels

      Le lecteur ne sera pas sans s'aviser à la longue de la désuétude légère de nombre de mes textes, écrits pour beaucoup d'entre eux dans le courant des eightees. Voici le texte d'une lettre authentique adressée par mes soins à Radio la Havane-Cuba en 1986, ce qui n'est si ancien qu'il y paraît puisque son actualité d'alors n'a pas encore été remise en cause par un quelconque changement réactionnaire aux Caraïbes (vu en 2010).

     

    Melun, le 24 avril 1986.  Réponse à votre concours : " Pourquoi écoutez-vous Radio la Havane-Cuba ? " (cinq voyages à Cuba à gagner).

      Chers amis,

      Je suis heureux que vous lanciez le concours " Pourquoi écoutez-vous Radio la Havane-Cuba ? " qui me donne l'occasion de vous faire part de ma satisfaction à vous entendre. Malheureusement je suis un auditeur peu favorisé : ne disposant pas d'un matériel suffisamment sophistiqué, j'ai beaucoup de mal à capter au milieu des ondes courtes et à conserver longtemps votre fréquence à chaque fois. Je vous écoute tout comme j'écoute aussi Moscou, Prague ou Varsovie en français ou en anglais. Je suis actuellement chômeur et sans grand espoir de retrouver rapidement un emploi dans une société gouvernée par le seul intérêt de l'argent. Ecouter les voix des pays socialistes, c'est trouver des raisons d'espérer un avenir moins noir puisque les travailleurs sont déjà au pouvoir dans une grande partie du monde. Pourquoi pas un jour en France ?

      Mais j'ai plusieurs raisons de rechercher de préférence Radio la Havane-Cuba. la première tient à la situation géographique de Cuba. Tandis que les pays socialistes d'Europe forment un ensemble regroupé qui facilite leur défense militaire, Cuba est au contraire dangereusement exposé - comme on l'a vu lors de l'épisode héroïque de la baie des Cochons - aux tentatives revanchardes yankees. Pour cela, tout les démocrates vous doivent un soutien particulier. Ensuite, votre proximité de l'Amérique de Reagan vous place d'autant mieux pour connaître le langage absurde et hystérique de la propagande du Pentagone. Vos bulletins d'informations permettent facilement de faire la différence entre votre objectivité et celle des media capitalistes qui nous submergent !

      Radio la Havane-Cuba nous apporte un enseignement bien spécifique : alors que les pays d'Europe devenus socialistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale étaient déjà partiellement industrialisés, Cuba constitue l'exemple le plus frappant d'un passage rapide et total entre le sous-développement imposé par Washington et le système d'économie socialiste moderne, sous la conduite du Lider Maximo.

      Enfin, je suis comme vous un latin. Le jour où je pourrai voyager dans un pays socialiste, je préférerai naturelllement Cuba. Je vous avoue ne pas parler votre langue, mais je la comprendrai tout de même mieux que celle de nos amis soviétiques, par exemple - langue que très peu d'écoles secondaires enseignent en France, comme par hasard !

      C'est-y del lardo o del puerco ? durent se demander les organisateurs du concours... Au bénéfice du doute probablement, ils se mirent tout de même en frais d'une réponse (les rares fautes sont respectées) :

      La Havane, le 16 juin 1986, année du 30ème anniversaire du débarquement de Granma,

      Cher ami,

      C'est avec un très grand plaisir que nous avons reçu votre lettre du 24 avril dernier porteuse de votre réponse au 23ème concours international de Radio Havane Cuba et que nous vous accueillons dans la grande famille internationale de notre station.

      Nous sommes toutefois désolés d'apprendre que vous étiez au chômage et nous espérons que vous avez déjà trouver du travail. Nous le souhaitons de même que nous le souhaitons à tous les auditeurs qui sont dans votre cas.

      Ci-joint nous vous adressons un petit diplôme attestant de votre participation au 23ème concours et dès que le jury aura choisi les meilleurs travaux nous vous communiquerons les noms des lauréats. Comment nous entendez-vous à présent sur nos nouvelles fréquences ? Quels sont vos programmes préférés ? Vos rapports d'écoute, critiques et sugestions sur nos émissions seraient d'une grande importance pour notre travail.

      Nous sommes d'ailleurs à votre entière disposition pour vous faire parvenir des journaux, des revues, des brochures, des cartes postales, des affiches, etc. Si vous êtes amateur de timbres, nous vous invitons à capter notre programme " le monde de la philatélie " et à participer à son concours hebdomadaire.

      Dans l'attente du plaisir d'avoir de vos nouvelles, nous vous prions d'agréer, cher ami, nos salutations les plus fraternelles,  

      X....... , Courrier des Lecteurs

      Cinq voyages à Cuba promis dans la seule émission en français ! Il n'existe certainement pas plus de quatre autres tordus dans l'Hexagone pour avoir répondu. J'attends donc les résultats avec confiance. Mais... passerai-je le temps sur les plages de sable blanc en compagnie de jolies camarades, ou bien serai-je promené de visite d'usines socialistes en congrès du parti ?

      La liste des gagnants m'est parvenue. Il s'agissait de cinq gagnants pour le monde entier. Je regrette d'avoir égaré la liste ; les cinq noms sont tous boliviens, péruviens, etc. Le monde entier est apparemment restreint à la sphère d'action du feu Che, le problème linguistique évoqué dans ma réponse est réglé, et les vainqueurs reviendront de voyage avec les meilleures intentions politiques en des pays intéressants. " comme par hasard ! " écrivais-je. 

    Note : on peut n'être pas à droite et n'avoir pourtant jamais mordu une seconde aux créances marxistes. Désolé pour tous les lecteurs devenus notaires et directeurs de journaux réactionnaires après avoir perdu leur foi communiste, mais qui ne supportent toujours pas pour autant qu'on ironise aujourd'hui sur leurs engagements de jeunesse ! 

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  * 

     


  •  L'AN DEUX MIL D'AUTREFOIS

    .

      Premier janvier 2000 : ce que nous vivons en ce jour merveilleux était prévu depuis longtemps ! La presse en 1960 dépeignait déjà notre bel avenir. Il suffit de se remémorer les certitudes d'alors, et d'extrapoler à peine :

      Ce matin donc en ouvrant mes volets, je verrai glisser en silence les automobiles sur leur coussin d'air, tandis que les gens moins aisés mais plus pressés passeront au-dessus des toits sur leur scooter-hélicoptère. Il fera nécessairement beau puisque la ville est climatisée sous sa bulle géante de plexiglass invisible. Les jeunes filles s'en félicitent les premières, elles qui ne craignent plus de voir rire les jeunes gens au dévoilé de leurs dentelles lorsque le vent soulève leurs jupes, ni d'avoir à courir à l'abri lorsque les premières gouttes menacent de ruiner leur permanente pour peu qu'elles aient oublié leur fanchon. Mais que diable, l'éternel féminin sera toujours l'éternel féminin. Je n'ai pas besoin de me presser, puisqu'une société livre tout fait mon petit déjeuner de café au lait en biberon imité des cosmonautes, et de pilules de confitures. D'autre part comme tout un chacun je ne travaille que deux heures par jour en attendant la retraite à cinquante ans. Mon fils hier est rentré puni de l'école ; il doit rédiger une copie de quatre pages sur la disparition de la consommation des boissons alcoolisées dans la société ; cela lui apprendra à faire en classe de mathématiques ses opérations frauduleusement sur un cerveau électronique miniature qui tient dans la main, et qu'il tentait maladroitement de cacher au professeur. Je vais jeter un coup d'oeil amusé par-dessus son épaule pour voir ce qu'il écrit, tout en m'offrant l'innocent plaisir de la première cigarette de la journée.

      Tout à la maison comme ailleurs est électrique, du poste à lampes - les mirobolants transistors venus d'Amérique n'ont eu que le succès de toutes les modes - depuis que les piles ne se changent que tous les trente ou cinquante ans. Elles ne contiennent plus de produits chimiques douteux pour la santé ; elles sont quasi-éternelles grâce à l'incorporation de ces précieux "déchets" des centrales atomiques qu'on se garde bien de laisser perdre. On doit en principe les rendre lorsqu'on les change, mais quel gosse ne les détourne pas pour aller voir ce qu'elles ont dans le ventre ? Le passage d'un nouveau modèle de ceinture-fusée cent mètres au-dessus de la rue m'intéresse, et à travers la fenêtre au verre invisible et insalissable, qui rend superflu qu'on puisse l'ouvrir, je dirige mes jumelles. Avouons que la plongée un peu indiscrète sur les jarretelles de sa pilotesse n'est pas pour gâter l'intérêt technique du nouvel appareil, mais que diable, les femmes seraient bien les premières navrées que les hommes ne soient plus les hommes. Je mets un peu laborieusement au point cette marchandise extrême-orientale qui sent un peu la pacotille, car si les Nippons copient à s'y méprendre les extérieurs des fabrications optiques de nos industries traditionnelles, Dieu merci autrement sérieuses et assises, force est de constater que leur côté technique là comme ailleurs n'est pas près de s'améliorer vraiment. S'ils ne se décident pas à mieux faire, leurs ventes piétineront. Les Japonais semblent si peu au fait des réalités modernes qu'ils cherchent à nous vendre des motocyclettes, lorsque la démocratisation de l'automobile a chez nous envoyé au musée les sympathiques mais ferraillants deux-roues de nos pères. Le Soleil Levant aimerait d'ailleurs produire directement en France même, pour mieux nous fourguer sa pacotille, mais nos élus ne sont pas assez naïfs pour le laisser faire main basse sur notre patrimoine. Il n'y a de toute façon plus de place nulle part ; nos propres usines qui se sont prodigieusement multipliées occupent tout l'espace disponible.

      Je m'aperçois qu'il est neuf heures précises, et je n'ai qu'à penser "informations" pour qu'un bourdonnement emplisse mes oreilles : le carillon d'Europe numéro Quinze y résonne un instant, précédant le speaker. Fini, le parisianisme à la Molière : comme elle en a pris l'habitude, l'assemblée nationale se déplace afin d'honorer tour à tour nos préfectures ; elle décrète aujourd'hui solennellement depuis Alger l'humanisation de la peine de mort. La guillotine boit littéralement son dernier verre de rhum. Ce supplice n'était pas que sanglant ; il faisait honte à notre époque par sa technique antédiluvienne. Avec l'aval du président de la république de Gaulle, le président de l'assemblée annonce avec émotion la fin de la barbarie. Le condamné sera désormais évaporé dans une chambre spéciale par un puissant générateur de rayons gamma, sans proprement s'apercevoir de rien.

      Tout n'est pourtant pas parfait dans l'évolution de la société, et les parents s'inquiètent à juste titre. La généralisation par exemple des lycées mixtes n'est certes remise en question par personne, mais il faut bien reconnaître qu'en découlent des effets discutables ; c'est ainsi que plus de quarante pour cent des garçons et près de vingt pour cent des filles n'arrivent plus vierges au mariage. Le speaker passant ensuite à l'international brosse un tour d'horizon de la situation entre les blocs. Il est permis d'espérer qu'une entente doive être bientôt conclue entre Moscou et Washington. L'intérêt commun commandant de s'allier face à la montée du péril chinois, les fusées des deux rivaux ne seront pas trop pour tenir en respect près d'un milliard d'hommes politisés à l'extrême, qui rejetent le moindre bienfait du monde moderne et le moindre confort comme un péché contre leur fanatisme puritain. Le Premier Soviétique a reconnu les limites du communisme en matière économique et ses fautes contre la démocratie et la liberté ; le président américain a convenu que le capitalisme sans la force de l'état ne suffit pas toujours à garantir justice et solidarité ; le différend idéologique est en si bonne voie d'aplanissement qu'on peut tabler sur sa disparition à moyen terme. Tout serait ainsi pour le mieux si le honteux spectacle de l'Inde nageant dans la misère de son analphabétisme sans issue, ne venait régulièrement tarauder la conscience des nations occidentales où tout le monde gagne chaque année en prospérité comme en avantages divers, ou chaque année se raréfient les clochards et les ouvriers au smig. Les plus optimistes prédisent d'ailleurs paradoxalement - non sans quelque irrévérence - la mise au chômage de l'abbé Pierre et de Clara Candiani, seules victimes du progrès !

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *       

     

     


  •  

    CRITIQUES DE LIVRES ET FILMS

    .

      Voir dans la catégorie "Fictions sur l'aviation et l'espace" la critique des ouvrages :

    Galland, Adolf :   Jusqu'au bout sur nos Messerschmitt

    Nagatsuka, Riujiu :   J'étais un kamikaze

    Mouchotte, René :   Carnets

    Townsend, Peter :   Duel dans la nuit

    Scott, Robert Lee :   Dieu est mon copilote 

    .

    *  *  *  *  *  *

    .

    (Comme pour les pastiches, la "critique" de ce qu'on n'a pas lu est évidemment d'intérêt limité...)

    .

     

    Milan Kundera :   L'insoutenable légèreté de de l'être

      On apprend que la mère de l'auteur trouvait drôle de l'affliger en sortant son dentier de sa bouche, et que sa maîtresse est singulièrement excitante nue en chapeau melon. Voilà de la littérature. De bonnes pages pourtant sur le kitsch. Qu'est-ce que le kitsch ? L'auteur cite le cas d'enfants étasuniens jouant sur une pelouse à deux pas du Capitole. Là n'est pas le kitsch. Un vieux crocodile de sénateur arrête sa limousine pour pleurer à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse. Le kitsch tient à ce que le sénateur pleure moins à la vue des enfants qui jouent sur la pelouse, qu'à la pensée qu'il communie avec tous les hommes qui pleurent à la vue d'enfants jouant sur des pelouses.

      Ce jour, France-Inter m'apprend qu'un sportif ayant gagné une course revient sur la pelouse du stade entouré de sa femme et de son jeune enfant. Ce n'est rien de plus, mais la foule en étouffe d'émotion. Les journalistes présents ont le coeur étreint de la stupeur de la foule. Le sportif reconnaît avoir connu un grand moment. Et on raconte que l'insoutenable, etc., aurait de nombreux lecteurs ! Ils n'étaient pas dans ce stade.

    Georges Bernanos :   l'imposture

      279 pages. Les brillantissimes pages 1 à 21, confession d'un puceau âgé qui voudrait bien pour ses pauvres fantasmes être regardé par son directeur comme un pécheur considérable, font un morceau d'anthologie à découper et conserver à part. On peut jeter  l'imposture constituée par les pages 22 à 279.

    Yukio Mishima :   le marin rejeté par la mer 

      Mishima s'est fait hara-kiri. Il a eu bien raison.

    Jürgen Thorwald :   la débâcle allemande 

      Intéressant pour ses soixante pages accablantes sur le sujet peu abordé ailleurs, des trois semaines du gouvernement du Grand-amiral Dönitz après la mort de Hitler.  

      Trois semaines !  Comment le Grand-amiral pouvait-il en effet espérer conserver plus longtemps la confiance du peuple allemand ? Car ses réalisations sont nulles : rien pour l'emploi sinon de belles paroles, car il fait faire antichambre vainement à Himmler qui cherchait un portefeuille ; il ne fait rien pour l'aviation, résultat ordinaire de l'universelle jalousie inter-armes ; il fait de toute façon très peu pour la marine ; rien du tout pour le bâtiment ; et enfin, comme si l'Allemagne pouvait accueillir toute la misère du monde, il n'a rien fait pour chasser les millions d'étrangers.

    Georges Bernanos :   Monsieur Ouine 

      Exceptionnellement chiant, même pour un ouvrage reconnu de la plus grande littérature ; mais chiant, ce monsieur Ouine, au point de battre sur ce plan jusqu'àMonsieur Godeau de Jouhandeau. Jouhandeau serait justement ignoré sans la vénération qu'il est rendu moralement obligatoire par les belles âmes de lui marquer, simplement parce qu'il est le rejeton d'un département sinistré ; c'est à peu près comme il faut aussi d'obligation prendre au sérieux les Evangiles dont personne ne lirait une ligne si leurs auteurs n'étaient des israélites persécutés. Monsieur Godeau raconte vaguement la même chose que Monsieur Ouine, encore qu'à l'envers et de façon complètement différente sur un sujet parfaitement distinct. "Pouah ! C'est mauvais !" proteste le malade en recrachant la drogue ; "ça prouve que le médicament est bon" lui répond le charlatan (Morris, l'élixir du Dr Doxey). C'est la même chose en art : un livre chiantissime révèle un auteur "immense", comme on dit. Ai lu à raison de cinq pages quotidiennes pendant deux mois, la destinée de ce monsieur qui ouinn's à ne pas être connu. Et pas gai, avec ça ! Ce n'est pas comme dansMonsieur Godeau où l'on rit au moins quelques pages avec l'exhumation et la réduction des corps de dix religieuses, dont neuf décemment décomposées, et une simplement "moisie". In pulvere reverteris... Cela ne lui donc rien ?... Qu'importe : on la jette comme elle est dans le caveau final de neuf mètres carrés capable d'héberger en vrac dix mille âmes, mille ans de la population du couvent. Ai relu ensuite le dialogue des Carmélites pour changer un peu d'air. La fin d'ailleurs est la même.

    Georges Bernanos :   Sous le soleil de Satan    

      A la quatorzième ligne : "une dynastie de meuniers et de minotiers, tous gens de même farine."

      Franchement... Vous continueriez ?

    Chevallier :   Clochemerle

      D'abord, Clochemerle n'est pas un village mais une petite ville : à cesser donc de toujours citer à l'occasion d'une querelle de bouseux. Ensuite, on se demande pourquoi il n'est pas au programme des écoles tant on a peu fait aussi bien dans un antimilitarisme aussi brillant et sans la moindre lourdeur moralisante. Bourré aussi d'excellents aphorismes que dans notre modernité d'aucuns diraient bien un peu misogynes ; ainsi : "Les femmes, quand on y songe, elles n'ont que ça à penser." 

    Chevalier :   Manuel du dessinateur industriel

      Tiré à plus de millions encore que le précédent. Le "Bled" du dessin industriel. Aucun intérêt. Ce n'est même pas le même Chevalier.

    François Mauriac :   Thérèse Desqueyroux

       "Dèqueyroux" ou "Dessqueyroux" ? 

    John Knittel :   Thérèse Etienne

      Autre Thérèse assassinant son mari.

    Emile Zola :   Thérèse Raquin

      Encore !...  Laissez les Thérèse rester vieilles filles ; c'est plus sûr.

    André Maurois :   Climats 

      Tout ce que l'amour a de subtil, raffiné, charmant. Si mon exemplaire vous tente, n'hésitez surtout pas à l'emporter. "Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux" (Voltaire) 

    Michel de Saint-Pierre :   Les aristocrates 

      Tout ce qui peut advenir à une famille titrée tombe en deux cents pages sur la tête de celle du livre. Haletant. On a vraiment le sentiment de faire partie de la famille, surtout moi qui vois au chapitre 17 le marquis de Maubrun, personnage central, lire le Journal Officiel du 3 juillet 1953, jour de ma naissance ! Laissez-moi mon exemplaire.

      Adapté à l'écran avec brio, Pierre Fresnay faisant un noble plus noble encore qu'en capitaine de Boieldieu de la Grande Illusion. Il semble dangereux de montrer ainsi au peuple qu'un roturier peut passer magistralement pour plus noble que nature. Et lorsque selon le film, tantôt le metteur en scène, tantôt le partenaire sont d'authentiques nobles eux-mêmes, quelle inconséquence de la part de leur classe !

      A noter qu'à l'exception d'un faux noble et d'une future marquise, tous les personnages "roturiers" du livre parlent ou écrivent un français défectueux. Funny !

    Philippe Hériat :   Famille Boussardel 

      Toujours inégalé pour occuper les dimanches après-midi pluvieux.

    Stefan Zweig :   Marie-Antoinette

      Pourtant réputé pour la gaîté de ses ouvrages, l'auteur manque ici comme par un fait exprès plusieurs occasions de plaisanter à travers des parallèles qui sautent aux yeux du lecteur. Qu'on en juge :

      Stefan Dreig nous conte en détail les tribulations intimes des sept premières années du ménage Capet. Que n'en profite-t-il pour blaguer : "Ce pauvre Louis XVI aura tout vu : il ne doit pas être amusant de se faire trancher le prépuce sans anesthésie."

      Autre chose : Maïté d'Autriche, impératrice mère de "Toinette" comme on surnommait irrévérencieusement la dauphine, au départ de cette dernière de Vienne pour les félicités de la chambre à coucher, lui remet pour viatique un mémorandum politique à relire tous les mois de sa vie ; et quel jour du mois ? le 21 ! Et Stefan Vierg de manquer encore une occasion de s'esclaffer.

      L'auteur passe au récit de la fuite à Varennes. Le ménage royal, nous dit-il en page 322, traverse "la grande ville de Châlons". Qu'avait donc fumé ce jour-là Stefan Fünfg ? car Ruthénium qui vécut vingt-huit années dans cette maigre cité ne s'est jamais avisé qu'elle fût grande. Mais voilà que Stefan Sechg onze lignes plus bas écrase le mégot de son pétard puisqu'il requalifie le lieu-dit de "petite ville sans distraction".

      A noter que la fin du roman, pour être digne sans doute, n'est pas heureuse.

      (et par association d'idées, on peut voir une belle tête de Stefan Siebeng dans le jardin du Luxembourg.)

    Fédor Dostoïevsky :   Crime et châtiment

      Moi qui jusque dans l'adolescence n'ai jamais une seconde cru au marxisme (simple affaire de conformation logique de la cervelle), il m'a fallu après la débandade communiste internationale de 1989 entendre comme vous aussi l'invraisemblable étalage de morgue imbécile de tous ces "intellectuels" forcés de reconnaître avoir fait fausse route, mais proclamant avoir eu raison d'avoir eu tort, accusant de surcroît ceux qui avaient eu raison de n'avoir eu raison que pour avoir été des salauds incapables de laisser le coeur égaré l'emporter sur les évidences flagrantes.

      Je tenais donc depuis lors ces pouffiats de l'intelligence pour des modèles de stupre intellectuel coupables d'un hallucinant péché d'orgueil. Pas de chance : c'est moi qui ai tort. Fiodor Mikhaïlovitch me l'apprend dans son roman : celui qui a péché et s'est repenti est meilleur que celui qui n'a jamais péché

    Aragon :  les beaux quartiers

      Le prénom de cet auteur est mal déterminé. Certains l'apostrophaient d'un "Louis" et d'autres tels Cohn-Bendit, d'un "Vieux con".

      On sait le rôle d'Aragon dans le mouvement surréaliste ; c'est une application des principes de cette école qui nous vaut la signature toute fière de l'ouvrage :"terminé le 10 juin 1936 à bord du Félix Dzerjinski."

      Alors là, chapeau, hein !

    Brigitte Bardot :   Initiales B.B.  (mémoires)

      Commentaire en cours de relecture par mon avocat.

    Jean-Pierre Luminet :   les trous noirs ;   Eugene Cernan :   J'ai marché sur la lune ; condensé paru dans Sélection

      Pour savoir en un instant avec assez de sûreté ce que vaut un auteur inconnu, il faut dans son livre lire en premier la dernière phrase. Le commencement ne signifie rien. Longtemps je me suis couché de bonne heure... Quelle affaire ! Sans compter que c'est la porte ouverte à tous les canulars littéraires : sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent... 

      Si la chute est neutre ou absente, on a affaire à un simple rédacteur suffisamment modeste pour mesurer ses limites. Est-elle plutôt du genre : "Elle lui sourit, et tous deux partirent d'un grand éclat de rire" ; ou bien encore : "les grilles du château se refermèrent sur le jeune couple à l'orée de l'allée d'ormes séculaires" ; alors, je suppose que vous venez d'acquérir sur place de quoi patienter en attendant le train.

      La chute est-elle astucieuse, inédite, drôle, originale, on tient peut-être un écrivain. Est-elle boursouflée d'une prétentieuse philosophie naïve, ou d'un sentimentalisme niais à pleurer, et l'ouvrage ne vaut que par son éventuel contenu d'information pure. Commençons ainsi par la chute du livre de Luminet (Luminet, les trous noirs !) :

      Il ne faudrait pas que l'expression trou noir soit comme le mot Dieu : qu'elle masque et déguise somptueusement ce que nous ignorons. Fin du livre.

      Hé bé !

      Poursuivons avec la chute du livre de Cernan (Apollo X et XVII) :

    - C'est vrai, mon papy, que tu es allé là-haut ? m'a demandé ma petite fille en montrant la lune.

    - Oui, ma petite puce. Ton papy est allé là-haut. Il y est vraiment allé.  Fin du livre.

       Prends un  nègre !

    .

    *  *  *  *  *  *

     CINEMA

    .

    La grande illusion

      De ce que nos rois furent mal entourés, mal conseillés, résulta que la famille Laudenbach ne fut jamais anoblie. Il n'importe : aucun noble ne parut jamais plus noble que Pierre Fresnay son rejeton. Spécialisé dans les rôles aristocratiques comme Noël Roquevert dans ceux de de colonel en retraite, il devait nous donner le comte de Boieldieu de cette Grande Illusion avant le marquis de Maubrun des Aristocrates de l'assurément noble Denis de la Patellière ; outre le rôle de Vincent de Paul (dont la particule ne doit pas égarer) pour la noblesse du coeur, "la seule vraie" disent les roturiers qu'on s'abstient par charité de corriger, aux deux sens du terme.

      Hélas ! Si certains nobles comme l'auteur des SAS ont mis leur titre en étrange position vis-à-vis du devoir d'exemplarité de leur classe, par leurs descriptions souvent franchement ridicules de fellations, onanismes partagés et sadismes consternants, d'autres n'on jamais été nobles du tout. Parmi les habituels roturiers qu'on croit toujours nobles figurent trois grands soldats allemands du XXème siècle : Stroheim, Paulus et Ludendoff. Les deux derniers ont perdu : on n'est jamais si grand que dans le malheur. Le premier n'a jamais vu une caserne sauf en studio, qui s'est fait sa vie durant passer pour expert militaire ; sa particule est imaginaire comme on pouvait s'en douter : "Monsieur de la Chaumière" ! Je sais un paysan que l'on nommait Gros Pierre...

      La Grande Illusion ferait date dans l'histoire de notre cinéma sans une erreur absolument grossière qui n'ayant échappé à personne, l'a définitivement perdu dans l'estime des connaisseurs - la "beauté" de Dita Parlo sinon suffisait au désastre. Jugez plutôt : nous voyons sur un mur à la minute 33 du film, censé se passer en 1916, une carte de l'Allemagne après le traité de Versailles ! Hou, hou !

      A la minute 76 Pierre Fresnay marchant en Allemagne en jouant de la flûte entraîne derrière lui tout une troupe d'Allemands. Il est ici permis aux germanistes de soupçonner la malice délibérée du scénario.

     

    Les Hauts de Hurlevent

      J'ai réussi à tenir jusqu'au bout, à l'inverse de mes vains essais avec le roman. Une magistrale exécution au claveçin de la version courte de la marche turque de Mozart. A part cela...

      Le roman, lui, est un chef d'oeuvre : l'ennui profond qu'il exprime tout du long est la marque infaillible des oeuvres élevées. C'est un Creusois qui rédige ces lignes : il sait grâce à son mortel compatriote Jouhandeau ce dont il parle ; on préfère de loin se poiler à Guéret avec les oeuvres du Creusois autrement plus amusant Jean Guitton, sorte de Marcel Aymé du Limousin. Pour en revenir aux soeurs Brontë, on toussait en famille plus qu'on ne rigolait dans le presbytère de Haworth ; le bacille de Koch devait par bonheur y faire bientôt cesser la production littéraire.

     

    Les sentiers de la gloire

      On a rendu à ce film un signalé service en l'interdisant si longtemps en France : tout le monde à présent se jette dessus, alors qu'il n'est pas si extraordinaire. Le film s'interrompt sur une très bonne scène de cabaret, pourtant, juste avant la tournante géante qui semble inéluctable ; mais bon ! C'est la guerre.

      C'était pourtant de la part de Kubrick qu'on n'attendait guère sur ce chapitre, un intéressant effort de réhabilitation de l'autorité dans l'armée, trop souvent en butte à l'indiscipline atavique de notre peuple. Il est malvenu de pleurer sur les fusillés pour l'exemple et d'invoquer de grands principes lorsque le PIB est en danger. Le généralissime allemand Ludendorff ne s'y trompait pas, lui qui écrivait après-guerre : "On a poussé jusqu'en Allemagne des cris d'indignation devant l'implacabilité de l'état-major français face aux rébellions de soldats et refus d'obéissance. Mais quoi ! Il ne faisait que son devoir, à l'inverse du nôtre sans cesse entravé dans l'exécution du sien par toute sorte de protestations soi-disant humanitaires venues souvent des autorités elles-mêmes !"

     

      (La procédure à l'américaine du conseil de guerre dans le film est totalement ridicule. Pourquoi cette absurdité du scénario chez un metteur en scène connu pour son exigence dans le détail des reconstitutions ?)

     

    Citius, altius, fortius

      Un film peu connu de Renoir, une critique railleuse du sport-spectacle et de l'ampleur démesurée de l'investissement individuel exigé dans le sport professionnel.

      Gabin très bon dans le rôle du sprinter qui s'étale à chaque tentative de départ. Le meilleur du film est toutefois donné par Jouvet, irrésistible dans le rôle de l'entraîneur assistant avec la plus parfaite impassibilité aux chutes répétées de son poulain.

      En bien hélas, ce film dont vous vous régaliez par avance, que vous demandiez déjà à votre fournisseur de disques, n'existe pas. Nous allons poursuivre une fois encore dans cette voie en rapportant ci-dessous un résumé fait naguère sur un forum de cinéma où nous passions sous le pseudonyme "Grandson" pour y taper délibérément sur les nerfs des participants au moyen d'une foule de remarques inopportunes, en particulier dans la démolition des impossibilités physiques de diverses scènes d'oeuvres connues. Après avoir bien exaspéré quelques semaines les cinéphiles...

     

    Björ oglup jnig taddordhür

      A tous mes amis, et je les sais nombreux, j'annonce qu'ils auront le regret de ne pouvoir me lire d'une quinzaine : je pars en Suède. Un vrai cinéphile bien entendu ne perd jamais son temps, et je profiterai de mon voyage pour aller voir au cinéma Björ oglup jnig taddordhür qui cartonne là-bas plus fort qu'ici les Chtis. C'est comme son nom l'indique un film assez gore qui doit son succès à ce qu'il prend le contrepied des asphyxiantes valeurs morales et civiques dont est gavé tout Suédois depuis le berceau. Aux Scandinaves étouffés par le carcan du puritanisme moral, du féminisme en délire, de l'égalitarisme forcené, du tutoiement de rigueur, du politiquement correct érigé en réflexe de Pavlov... les miasmes du scénario apparaissent comme un véritable ballon d'oxygène (de dioxygène, rectifierait immédiatement mon fils dans le secondaire).

      Argument du film : une Suédoise archétypale de magazine français, s'égare dans la nuit polaire au volant de sa SAAB (Svenska Aeroplan Aktiebolaget) tricylindre à deux temps de 1960. Elle finit par entendre ses roues patiner définitivement. Elle a beau manier nerveusement le levier de vitesses et l'embrayage en faisant devant l'objectif secouer de manière intéressante sa crinière léonine, et frémir de colère ses formes sculpturales, elle n'en est pas moins bloquée sans remède. La critique y a vu les prémisses d'un retour des "valeurs" machistes à travers la symbolique impuissance de la Femme elle-même à imposer sa volonté à la matière. L'héroïne ouvre alors sa portière et descend dans la nuit. Ses escarpins s'enfoncent jusqu'au mollet dans les détritus entassés sur la décharge de Tushpamaköping : foetus, rats, gnomes... Progressant malaisément vers une croisée lugubrement éclairée qu'on aperçoit au loin, elle tombe au détour d'une montagne de sacs poubelle sur un homme occupé à la perpétration du pire crime sexuel concevable dans les pays du Nord : il urine debout...

      Cote de la Centrale Catholique du Cinéma : pour toutes.


  •  

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

     
    What do you want to do ?
    New mail

    Lire la suite...


  • ENTRETIEN D'EMBAUCHE

      Certains emplois réclament de qui les tient une assurance imperturbable, une complète maîtrise de soi, une aisance improvisatrice que rien ne saurait prendre de court. Justement, on embauche. Le candidat est introduit devant non pas un, mais trois ou quatre examinateurs qui semblent occupés à leur courrier. On l'invite à s'asseoir : il n'y a pas de siège. On lui présente une table couverte d'objets divers ; il doit en choisir un et commencer à discourir à son sujet cinq minutes dûment chronométrées. Le candidat se saisit d'un clou.

    - Le clou, mesdames et messieurs, est un modeste accessoire de quincaillerie indispensable au charpentier, sinon à son fils. Je pense naturellement en disant cela à Notre Seigneur, Djizeusskuaïsst comme l'appellent sans vergogne les Anglo-Saxons. Il est à noter que les deux larrons crucifiés autour de lui n'étaient liés que par des cordes, ce qui suggère bien comment la Palestine en ce temps-là déjà exsangue et martyre souffrait de l'impérialisme romain, si jusqu'aux clous venaient à manquer ! Cela démontre néanmoins s'il en était encore besoin à quel point le clou est intimement mêlé à notre civilisation judéo-chrétienne, laquelle...

    - Revenez à votre sujet.

    - Je m'égarais. Les Romains au sujet des clous avaient constaté un fait singulier. Ils...

    - Nonnonnon. Parlez du clou que vous tenez ; pas des autres.

    - Excusez-moi. Je persiste à penser que vous eussiez apprécié l'anecdote historique que je voulais citer. J'allais dire avant votre pertinent rappel à l'ordre que les Latins avaient découvert un phénomène de corrosion électro-chimique toujours valable d'ailleurs. Des clous servaient à fixer sur leurs trirèmes les bordés de cuivre destinés à protéger le bois contre les flèches incendiaires. L'eau de mer faisait alors office d'électrolyte dans la constitution d'un couple voltaïque Fe/NaCl/Cu dont la f.é.m. - je n'ai plus son chiffre en mémoire - est suffisante pour entraîner le passage en solution des ions Cu++. Bref, les trous des clous s'élargissaient et les blindages se détachaient.

    - C'est en effet très intéressant. Veuillez en finir avec cette digression pour...

    - Oui ! Les Romains eurent alors l'idée de plonger les clous dans un bain de plomb fondu qui les recouvrait d'une mince pellicule protectrice. J'imagine assez l'irritation d'Archimède, tandis qu'il incendiait lesdits vaisseaux, de ne pas avoir imaginé cela le premier ! Depuis cette époque...

    - C'est bon...

    - N'est-ce pas ? J'en viens maintenant à la place de choix qu'occupe le clou dans notre littérature. Nous voyons dans le Rouge et le Noir Julien Sorel entrer au service de monsieur de Rênal qui est précisément propriétaire d'une fabrique de clous. Ce n'est certainement pas par hasard !  Qu'on en juge : le père de Julien dirige une scierie. Or, qui a jamais tenté de scier une pièce de bois recelant un clou, connaît le résultat pour l'outil : autant dire que Julien Sorel devait se casser les dents et que la tragédie finale était inscrite dans les prémisses ! Freud n'a donc vraiment rien inventé que le clou n'ait su de longue date.  Parlons à présent de la composition du clou. Il ne peut être en acier, car il se briserait au choc du marteau et serait inapte à prendre les formes repliées qui assurent la bonne tenue des assemblages du marchand de caisses d'emballage. Le clou est donc en fer doux pratiquement décarburé. Toute la difficulté à enfoncer correctement le clou tient à ce qu'il plie volontiers, puisque son fort élancement le rend justiciable de la formule de Rankine, voire d'Euler pour les clous les plus longs. On note au passage que pincer la tige à mi-longueur entre les doigts réduit d'un facteur quatre la sensibilité au pliage accidentel : véritables messieurs Jourdain du clou, nos pères dépourvus de bases scientifiques n'en faisaient ainsi pas moins dès l'antiquité des mathématiques appliquées sans s'en douter. Considérons en effet un marteau d'un kilogramme s'abattant à la vitesse de, disons, cinq mètres par seconde, sur un clou qui s'enfonce de trois millimètres. Il en résulte une contrainte difficile à évaluer sans calculette, mais que l'expérience prouve suffisante à plier notre clou. N'avez-vous pas à ce sujet vu sur la fête foraine saisonnière des boulevards entre Barbès et Blanche, le jeu consistant à enfoncer complètement un clou en trois coups seulement et sans le tordre ? Il faut reconnaître que la chose n'est pas facile et que les joueurs ne repartent pas toujours avec les poupées espagnoles. Et puis, comment conclure ce tour d'horizon du clou sans évoquer les innombrables locutions et dictons dont il fait l'objet ? Nous y viendrons après avoir rappelé l'étymologie du mot clou. Clou vient du latin clavus qui veut dire clou. Ai-je songé à définir les autres acceptions de "clou" ? Je crois que non. Le clou est le nom populaire du furoncle, qui dans ce cas se dit clavulus en latin. Sans m'étendre outre mesure sur le clou de girofle, rapporté d'Orient par les Croisés en même temps que le chat - mais oui, le chat - l'horloge et les abricots, je me propose d'évoquer brièvement le clou, appellation vulgaire du Mont-de-Piété, aujourd'hui Crédit Municipal, créé à l'instigation du roi Louis XVI en vue de pratiquer le prêt sur gages à taux très faible en faveur des plus défavorisés. J'en reviens aux expressions usuelles forgées autour du clou, après quoi je traiterai des passages cloutés : un clou chasse l'autre ; être le clou du spectacle ; des clous ! être le clou du cercueil de quelqu'un ; être cloué au lit ; un vieux clou ; être cloué sur place... C'est assez par là souligner l'importance dans la tradition...

    (l'enregistrement s'interrompt ici pour cause technique sans que nous puissions affimer que le candidat approche de la fin. La bande reprend un peu plus loin avec la voix d'un autre postulant dissertant sur un bouton de culotte). 

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  


  • INTERVIEW DU MINISTRE DU TRAVAIL ET DE L'EMPLOI

    fiction 

     .

      Un ministre du Travail et de l'Emploi est toujours choisi avec soin parmi la plus fine fleur polytechnicienne : c'est qu'il devra disputer chiffre à chiffre avec opposants et journalistes. Nous donnons un extrait du plus récent entretien du ministre avec l'un de ces derniers.

    JOURNALISTE.   Monsieur le ministre, le chômage a encore augmenté de 5% en janvier.

    MINISTRE.   Sans doute le nombre absolu des chômeurs reste-t-il trop élevé ; mais nous avons de bonnes raisons de croire à une embellie sur le front du travail au regard de la stabilisation du non-emploi.

    J.   Stabilisation ? Les chiffres en janvier viennent d'être connus ; ils montrent un brusque saut de 5% ! Il faut remonter à octobre 1973 pour...

    M.   Oui-oui-oui. Je suis le premier, je vous assure, à me préoccuper de l'inquiétude des Françaises et des Français sur la stagnation de la disponibilité professionnelle. Si la croissance ne permet pas encore de retrouver le plein emploi, c'est bien la vitesse d'accroissement de la vacance compétentielle des salariés qui autorise un optimisme raisonné. Les électrices et les électeurs l'ont d'ailleurs bien compris, qui ont sanctionné favorablement la politique économique du gouvernement aux législatives partielles du Tarn-et-Saône dimanche dernier. Les Françaises et les Français, les électrices et les électeurs voient clairement l'horizon s'éclaircir et nous le témoignent en tant qu'électrices et qu'électeurs.

    J.   Le candidat de l'opposition arrivé six voix derrière celui de la majorité s'est désisté la rage au coeur pour barrer la route au Front National arrivé largement en tête au premier tour !

    M.   C'est bien cela. les Françaises et les Français ne perdent pas de vue, croyez-moi, les résultats de notre politique de l'emploi. Les électrices et les électeurs nous ont ainsi adressé un message fort. D'ailleurs, les électeurs...

    J. (étonné et consterné)   Vous avez oublié les électrices !    

    M.   Je songe en effet à tout instant aux électrices en interruption involontaire de participation à la vie des entreprises. Le gouvernement est donc heureux de vous faire part de l'amélioration dont je vous parlais... 

    J.   Mais justement, monsieur le ministre, le chômage a crû de 0,6% en octobre, 1% en novembre, 2% en décembre et 5% en janvier. Même la vitesse d'accroissement du chômage a augmenté !

    M.   Permettez-moi cette fois de ne pas comprendre votre attitude.  Je vois combien il est malaisé de faire passer auprès des Françaises et des Français, des électriciennes et des électriciens, le message favorable, même modestement favorable, que nous adresse notre économie. Tout ce qui est technique n'est pas toujours facile à faire entendre, mais je crois que vous n'êtes pas assez averti des modèles mathématiques de modélisation des phénomènes d'intermittence salariale. Considérez l'accroissement du chô... ou plutôt, je préfère dire, de l'alternance assédico-salariale, comme ma fonction du temps notée f(t). Elle a augmenté de 5% en janvier après 2, 1 et 0,6% en remontant les mois antérieurs. Dérivée première de la valeur précédente, l'accélération de l'accroissement de... du... de... la... du chômage, si vous tenez absolument à ce terme sans doute imagé mais à mon avis trop porteur de connotations négatives, l'accélération de l'accroissement du chômage  f '(t) a augmenté aussi puisqu'elle est passée en janvier à 150% (de 2 à 5% de chômage en plus) au lieu de 100% seulement (de 1 à 2%) en décembre et 67% (de 0,6 à 1%) en novembre.

    J.   Vous voyez bien...

    M.   Attendez un peu ! Parlons à présent de la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage, dérivée seconde f ''(t). Si l'accélération de l'accroissement du chômage a été de 150% en janvier contre 100% en décembre et 67% en novembre, la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage n'est bien cette fois que de moitié, 50% en décembre (de 100 à 150) comme en novembre (de 67 à 100).  Voilà déjà un premier élément de stabilisation ! Si je considère maintenant f tierce de t, ou f '''(t), je découvre qu'entre décembre et janvier l'évolution de la variation de l'accélération de l'accroissement du chômage est nulle, puisque la variation (je condense pour demeurer intelligible) n'a pas bougé d'un mois sur l'autre. Chômage en hausse, mais dérivée troisième nulle et sans doute bientôt négative ; ne voilà-t-il pas le plateau annoncé dès le début de notre entretien dans les courbes du chômage ? Ces considérations un peu techniques sont évidemment loin du sensationnalisme dont certains de vos confrères se gargarisent, mais vous me permettrez de m'inscrire en faux contre leurs façons sommaires de comptabiliser l'inemploi - zut, ça me reprend - en arrêtant l'analyse au niveau qui arrange le commentateur. C'est proprement faire Charlemagne pour quitter un peu facilement la jeu sur un coup gagnant !

    J.   Ainsi les clignotants sont-ils enfin au vert à la sortie du tunnel. Merci de ces quelques précisions, monsieur le ministre.

     

    *

      Il nous paraît utile de fournir quelques remarques sur les diverses propositions du patronat énoncées au fil des années en matière d'emploi. Bien avant tout dispositif gouvernemental, on avait dès il y a trente ans proposé dans le cadre des mesures anti-chômage la création des ENCA. En quoi pouvaient consister ces Emplois Nouveaux à Contraintes Allégées ? Il paraît probable que les petits salariés bénéficiaires de ces en-cas n'eussent plus été tenus d'avoir à respecter systématiquement les contraintes, désormais allégées, traditionnellement liées au travail mercenaire, comme par exemple d'arriver à l'heure. L'hebdomadaire professionnel l'Entrepôt Nouveau avait également reflété les propos d'un haut dirigeant patronal, pour qui il fallait partager de façon plus dynamique les revenus de l'entreprise entre salariés et direction. On s'interroge tout d'abord sur la signification de ce charabia, pour en venir à penser tout doucement que, en effet, le spectacle d'un morne comptable occupé à remplir d'ennuyeuses fiches de paie au fond d'un bureau poussiéreux n'offre en rien l'image de dynamisme indispensable à l'entreprise ; tandis qu'un jeune cadre précisément dynamique et plein d'allant, parcourant les ateliers en petites foulées pour lancer au personnel des liasses de billets (une passe ! eeeeh ! une passe ! vous laissez pas surprendre !) et finissant par jeter habilement sur le bureau directorial le solde éventuel, voilà qui symboliserait mieux le partage dynamique des revenus souhaité par l'Entrepôt Nouveau.

      Eh bien, ce n'était pas du tout cela. En lisant un peu plus loin, on comprenait que partager de façon dynamique les revenus de l'entreprise entre salariés et direction, c'était tout simplement partager les revenus de l'entreprise d'une façon qui permît à la direction d'être plus dynamique.

      Nous voudrions suggérer aussi quelques ménagements psychologiques appropriés à l'envoi d'une lettre recommandée signifiant la cessation d'un contrat de travail. Au lieu d'adresser de simples mots secs accompagnés d'une demi-ligne de justifications économiques dont le légalisme formel n'égare personne, faites plutôt livrer à votre salarié un bon lit. Il aura certes l'occasion d'y passer de longues matinées grasses, mais la question n'est pas tant là. Supposons que l'entreprise soit une cimenterie. Glissez sous l'oreiller un mot d'accompagnement dans le genre : " Cher ami, vous savez comment le ciment en poudre est douloureusement abrasif sur la peau nue, notamment entre des draps. J'ai donc veillé particulièrement à ce qu'on vous adresse votre lit sans ciment ".

    .

    *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *  *